Jurisprudence : Logiciel
Cour d’appel de Versailles 1ère chambre, 1ère section Arrêt du 02 mars 2006
GE Medical Systems / Comité entreprise GEMS, CGT
logiciel
FAITS ET PROCEDURE
La société GE Medical Systems, société de droit français dont le siège se trouve à Buc-Yvelines, et dont l’effectif est de 1873 salariés en France dont 412 techniciens et ingénieurs de maintenance, est une filiale appartenant à la division « santé » et à la sous-division « technologie » de la société américaine Général Electric.
Ses activités concernent l’étude, la fabrication, la vente, la location, l’importation, l’exportation, l’installation, la réparation, l’entretien et généralement le commerce de tous équipements pour leur utilisation en biologie, en médecine et dans l’industrie notamment les dispositifs utilisant la technologie des rayons X.
En 1998, les institutions représentatives du personnel ont constaté que certains documents, les « FMI » de sécurité, qui étaient rédigés en plusieurs langues, ne sont plus diffusés qu’en anglais. Depuis cette date, la question de la traduction en français des documents comportant des obligations pour les salariés ou des dispositions dont la connaissance est nécessaire à celui-ci pour l’exécution du travail a été portée à la connaissance de la direction, y compris par l’intermédiaire de la direction du travail sans résultat.
Le 24 juin 2004, le comité d’entreprise, les comités d’hygiène et de sécurité du site de Buc et hors site et le syndicat CGT ont assigné à jour fixe la société GEMS devant le tribunal de grande instance de Versailles afin qu’elle se conforme aux dispositions de l’article L 122-39-1 du code du travail.
Par le jugement déféré prononcé le 11 janvier 2005, le tribunal a :
– ordonné à la société GE Medical Systems de mettre à disposition de ses salariés en France,
*sans délai une version française des logiciels informatiques,
*sans délai en français, les documents relatifs à la formation du personnel, à l’hygiène et la sécurité,
*à compter du jour de la signification, en français, les documents relatifs aux produits que la société fabriquera,
*avant le 1er juin 2005 en français, les documents relatifs à tous les produits de la société présents sur le marché et ce sous astreinte de 20 000 € par jour de retard par document non-conforme,
– ordonné l’exécution provisoire du jugement.
La société GE Medical Systems a interjeté appel du jugement et conclut aux termes de ses dernières écritures en date du 16 décembre 2005 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé à la recevabilité de son appel, et prie la cour :
Vu les articles 6, 7, 8 et 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales,
Vu la loi n°94-665 du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française, notamment ses articles 9-II, 18 et 20, ainsi que le décret 95-240 du 3 mars 1995 pris pour son application,
Vu l’article 1315 du code civil,
Vu l’article 4 du code de procédure pénale,
Vu les articles 4, 5, 6, 9, 199, 202 et 954 du ncpc,
– de constater que la société GE Medical Systems a régulièrement interjeté appel à l’encontre du jugement du tribunal de grande instance de Versailles rendu le 11 janvier 2005,
– de la dire bien fondée et la recevoir en son appel,
A titre principal,
– de constater que les écritures des intimés ne contiennent aucun fait propre à fonder leurs prétentions, ni la moindre demande précise, en ce qu’elles ne permettent pas d’identifier précisément les documents au titre desquels l’obligation de traduction qu’ils invoquent, s’imposerait,
– de constater encore qu’aucune mesure d’exécution précise, portant sur des documents déterminés n’est demandée,
– de juger que les écritures des demandeurs ne contiennent aucune prétention,
Par conséquent,
– juger que la cour n’est saisie d’aucun litige,
– d’infirmer le jugement dont appel,
– de détourner les parties intimées de toutes leurs prétentions,
Au fond,
– de constater que les dispositions de l’article L 122-39-1 du code du travail ne concernent que les seuls documents « comportant des obligations pour le salarié ou des dispositions dont la connaissance est nécessaire à celui-ci pour l’exécution de son travail »,
– de constater au surplus que les premiers juges n’ont pas respecté le principe de la charge de la preuve en ce qu’ils n’ont pas relevé que les intimés ne déterminaient pas les documents auxquels l’obligation de traduction instaurée par l’article L 122-39-1 devait, selon eux, s’appliquer,
– de constater encore que les infractions à l’article L 122-39-1 du code du travail ne peuvent être prouvées que par procès verbal et que les parties intimées n’ont pas respecté ce mode probatoire dérogatoire expressément prévu par la loi,
– de juger que les intimés n’ont pas apporté la preuve d’un défaut d’application de l’article L 122-39-1 du code du travail par GE Medical Systems,
Par voie de conséquence,
– d’infirmer le jugement dont appel,
– de débouter les parties intimées de toutes leurs demandes,
A titre subsidiaire,
– de constater que les documents en langue anglaise remis par GE Medical Systems à ses salariés proviennent en tout état de cause de l’étranger ou sont aussi à destination d’étrangers,
Par voie de conséquence,
– de juger qu’ils entrent dans le champ d’application de l’exception prévue à l’alinéa 2 de l’article L 122-39-1 du code du travail,
– de constater qu’à cet égard le jugement dont appel a statué ultra petita,
– d’infirmer le jugement dont appel,
– de débouter les parties intimées de toutes leurs demandes,
A titre plus subsidiaire,
– de constater que l’activité de GE Medical Systems est de nature internationale,
– de constater que GE Medical Systems ne peut fabriquer des produits que selon autorisation ministérielle,
– de constater que seuls les documents relatifs à l’installation et à la maintenance des produits fabriqués par GE Medical Systems en France ne proviennent pas de l’étranger,
– de constater néanmoins que lesdits documents d’installation et de maintenance sont destinés à des étrangers,
Par voie de conséquence,
– d’infirmer le jugement dont appel,
Le réformant,
– de juger qu’aucune injonction ni astreinte ne saurait être prononcée à l’encontre de GE Medical Systems pour des documents d’installation et de maintenance de produits non fabriqués par ladite société et qui ne sont pas uniquement destinés à des français,
A titre très subsidiaire,
– de constater que les infractions à l’article L 122-39-1 du code du travail sont de nature pénale,
– de constater au surplus que les parties intimées n’ont invoqué nul préjudice,
– de constater enfin qu’aucun texte législatif ou réglementaire ne prévoit que l’application de l’article L 122-39-1 du code du travail puisse être assortie du prononcé d’une astreinte,
Par voie de conséquence,
– d’infirmer le jugement dont appel,
Le réformant,
– de juger qu’aucune astreinte ne saurait être prononcée à l’encontre de GE Medical Systems au titre d’une prétendue violation de l’article L 122-39-1 du code du travail,
A titre infiniment subsidiaire,
– de constater que les infractions aux dispositions de l’article L 122-39-1 du code du travail sont passibles d’une contravention de quatrième classe,
– de constater le caractère manifestement disproportionné de l’astreinte prononcé par le jugement dont appel,
Par voie de conséquence,
– d’infirmer le jugement dont appel en ce qu’il a ordonné la traduction en français des documents relatifs à tous les produits de la société présents sur le marché et ce sous astreinte de 20 000 € par document non-conforme,
A titre encore plus subsidiaire,
– de constater que malgré les conclusions prises par GE Medical Systems le 12 avril 2005 ainsi que des conclusions d’incident prises le 18 août 2005, les intimés persistent à éluder toute détermination précise des documents sur lesquels ils prétendent voir porter l’obligation de traduction instaurée par l’article L 122-39-1 du code du travail,
– de constater qu’aussi bien les intimés, demandeurs initiaux, que les premiers juges par leur décision d’une portée illimitée, ont mis GE Medical Systems dans l’impossibilité de déterminer les limites de ladite obligation de traduction,
En conséquence,
– de donner acte à GE Medical Systems de ce qu’elle est, par principe, prête à participer à toute médiation que la cour pourrait proposer aux parties et qui pourrait avoir pour objet l’identification commune et amiable des différents documents devant et pouvant être traduits,
– de lui donner également acte de ce qu’à défaut de médiation, GE Medical Systems serait disposée à participer à toute expertise que la cour pourrait ordonner aux mêmes fins dès lors qu’elle aurait préalablement délimitée le champ d’application de l’article L 122-39-1 du code du travail,
A titre subrogatoire,
– de constater que la demande de liquidation de l’astreinte faite par les intimées ne précise pas le ou les salariés concernés par ces documents objets de ladite demande, ni ne démontre l’utilisation d’un seul de ces documents, ni la date de ladite utilisation, ni ne permet de déterminer s’ils contiennent une prétendue obligation ou disposition nécessaire à l’exécution du travail dudit salarié,
– de constater encore qu’aucun de ces documents n’est constaté par procès verbal, contrairement aux dispositions de l’article 18 de la loi n°94-665,
– de constater que la grande majorité de ces documents n’est communiquée que de façon partielle,
– de constater que chacun des documents objet de la demande de liquidation de l’astreinte porte sur des produits qui ont été destinés à des étrangers et ont eux-mêmes été destinés à des étrangers,
– de constater encore qu’aucun des intimés n’est créancier de l’obligation assortissant l’astreinte prononcée par le tribunal de grande instance dans le jugement dont appel,
– de constater qu’aucun des intimés ne bénéficie d’une qualité à agir afin de demander la liquidation de l’astreinte,
– de constater au surplus que les intimés ne viennent pas démontrer l’existence de leur intérêt à agir à la liquidation de ladite astreinte,
Par voie de conséquence,
– de juger que la demande des intimés portant sur la liquidation de l’astreinte prononcée par le tribunal de grande instance dans le jugement dont appel ne saurait prospérer,
– de débouter les intimés de leurs demandes relatives à l’astreinte,
– de constater qu’il ne saurait être reproché à GE Medical Systems la moindre réticence dans l’application des dispositions de l’article L 122-39-1 du code du travail,
Par conséquent,
– de juger qu’aucune astreinte ne saurait être prononcée ou, à tout le moins, ne pourrait assortir une obligation avant que la décision à intervenir ne soit définitive et uniquement sur des documents précisément identifiés,
– de condamner solidairement le comité d’entreprise GE Medical Systems SCS, le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail GE Medical Systems (CHSCT), le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail GE Medical Systems hors site de Buc, et le syndicat CGT à verser à GE Medical Systems la somme de 24 000 € en application de l’article 700 du ncpc ainsi qu’en tous les dépens.
Le comité d’entreprise GE Medical Systems SCS, le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail du site de Buc et celui hors site et le syndicat CGT intimés concluent aux termes de leurs dernières écritures en date du 5 décembre 2005 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé, pris la cour :
Vu les articles L 122-39-1, L 236-1, L 411-11 et L 431-6 du code du travail,
Vu le jugement rendu le 11 janvier 2005,
– de déclarer le comité d’entreprise de la société GE Medical Systems SCS, le CHSCT de Buc de la société GE Medical Systems SCS, le CHSCT hors Buc de la société GE Medical Systems SCS et le syndicat CGT recevables et bien fondés en leur action,
Sur l’incident,
– de constater que l’article L 122-39-1 du code du travail est suffisant pour permettre à la SCS GEMS de déterminer les documents concernés,
– de constater que les demandes du comité d’entreprise de la société GE Medical Systems SCS, le CHSCT de Buc de la société GE Medical Systems SCS, le CHSCT hors Buc de la société GE Medical Systems SCS et le syndicat CGT sont déterminées,
En conséquence,
– de débouter la SCS GEMS de sa demande incidente,
Sur le fond,
– de constater que la société GE Medical Systems SCS ne respecte pas les dispositions de l’article L 122-39-1 du code du travail,
En conséquence,
– de confirmer le jugement entrepris,
– d’ordonner la liquidation de l’astreinte fixée par ledit jugement et rejeter la demande de report du départ de l’astreinte formulée par la société GEMS,
– de fixer le montant de cette astreinte à la somme de 1 160 000 € compte tenu de ce que le nombre d’infractions qu’il est demandé à la cour de constater, s’élève à 58 et que l’astreinte avait été fixée à 20 000 € par infraction,
En conséquence,
– condamner la société GE Medical Systems SCS à verser aux demandeurs la somme de 1 160 000 € au titre de la liquidation de l’astreinte,
– d’ordonner à la société GE Medical Systems SCS de se conformer aux dispositions de l’article L 122-39-1 du code du travail en mettant à la disposition des salariés à compter de la notification de l’arrêt tous les documents en français comportant des obligations pour le salarié ou des dispositions dont la connaissance est nécessaire à celui-ci pour l’exécution de son travail et ce, sous astreinte de 50 000 € par infraction constatée,
– d’ordonner à la société GE Medical Systems SCS de se conformer aux dispositions de l’article L 122-39-1 du code du travail en mettant à la disposition de ses salariés en France les documents relatifs aux produits qu’elle fabriquera et tous les documents qui comporteront des obligations pour le salarié ou des dispositions dont la connaissance sera nécessaire à celui-ci pour l’exécution de son travail,
– de dire et juger que conformément à l’article 35 de la loi du 9 juillet 1991, la cour se réserve la liquidation de l’astreinte sur simple requête,
– de condamner la société GE Medical Systems SCS à verser à chacun des demandeurs la somme de 5000 €, soit au total 20 000 € en application de l’article 700 du ncpc,
– de condamner la société GE Medical Systems SCS aux entiers dépens, de première instance et d’appel.
Le procureur général a déposé des observations écrites le 19 janvier 2006.
DISCUSSION
Considérant que la société appelante qui avait introduit le 18 août 2005 un incident lequel a été joint au fond par le conseiller de la mise en état, soutient que la demande est irrecevable pour être indéterminée, ne pas satisfaire à l’exigence des articles 6 et 7 du code civil, et les articles 56 et 954 du ncpc, les intimés se bornant à invoquer l’application d’un texte de loi sans justifier de l’existence d’un litige né et actuel, sans définir quels salariés et quels documents sont en cause, sans produire aux débats les faits propres à fonder leurs prétentions ;
Qu’elle prie la cour de constater qu’elle n’est saisie d’aucune prétention et en conséquence d’infirmer le jugement en déboutant les intimés ;
Qu’elle ajoute que pour la recevabilité de leur action, les intimés doivent procéder très exactement à la détermination des documents devant faire l’objet d’une traduction en français, d’une part au regard du contenu de chaque document et d’autre part à l’égard de chaque salarié, que c’est au prix d’une telle précision qu’elle aurait été en mesure de discuter et apporter une contradiction aux demandeurs, et que la cour serait alors mis en situation de préciser quel document comporte des obligations ou des dispositions dont la connaissance est nécessaire pour l’exécution du travail d’un salarié ou d’une catégorie de salariés ;
Qu’elle ne peut accepter une lecture aussi générale qu’imprécise de l’article L 122-39-1 du code du travail conduisant à traduire sans exception tous les documents désignés de façon totalement abstraite par les demandeurs, puis le tribunal dans un dispositif de jugement impossible à exécuter ;
Qu’elle ajoute ne pas être opposée à réaliser certaines traductions mais estime que les dispositions légales qu’on lui oppose ne pose pas un principe absolu d’usage de la langue française, mais seulement une obligation dont les conditions d’application sont juridiquement et strictement définies et doivent être factuellement et précisément démontrées par la partie qui l’invoque ;
Qu’en dépit de ses injonctions répétées, les demandeurs intimés en appel restent au stade de l’impressionnisme ;
Considérant que la société appelante fait valoir en outre qu’en droit, le dispositif du jugement est critiquable car il ne tient pas compte des exceptions prévues à l’article L 122-39-1 du code du travail, relève que l’article L 122-39-1 du code du travail n’est pas une disposition ressortissant de la réglementation en matière d’hygiène et sécurité des employés, laquelle matière est régie par les articles L 230-1 et suivants du code du travail, qu’il y a de la part des intimés une dramatisation outrancière de la situation et qu’il est vain de lui opposer la circulaire ministérielle laquelle ne saurait restreindre ou étendre le champ d’application d’une loi ;
Qu’elle soutient que seuls les documents contenant en la matière des obligations ou des dispositions nécessaires à l’exécution du travail salarié ou des obligations destinés aux salariés, sont concernés par le texte en cause et non parce qu’il s’agit d’hygiène et de sécurité ;
Qu’elle estime ainsi dans le droit fil du texte que sont concernés en premier chef le contrat de travail et également tout document créateur de droits ou d’obligations pour le salarié, tel le règlement intérieur, les notes de services, l’ensemble des documents formant pour l’employeur et l’employé un cadre contractuel constituant les conventions relatives au travail correspondant à l’intitulé du titre du livre premier du code du travail, au sein de l’article L 122-39-1 a été inséré, qu’il en va de même des documents comportant des dispositions dont la connaissance est nécessaire à l’employé pour l’exécution de son travail lesquels sont sans lien avec ceux dont la traduction est demandée ;
Qu’elle précise qu’en décider autrement revient à dire que l’obligation de traduction est sans limite ;
Qu’elle conclut que la portée nécessairement limitée par la teneur juridique des termes obligations et dispositions, de l’article L 122-39-1 du code du travail est corroborée par l’article L 122-37 du même code qui dispose que l’inspection du travail peut à tout moment exiger le retrait ou la modification des dispositions contraires aux articles L 122-34, L 122-35 et L 122-39-1 du code du travail, que force est de constater que l’inspection du travail s’est abstenue de ce retrait ;
Considérant qu’elle soutient que le juge civil est incompétent pour prononcer une astreinte dès lors que l’obligation de l’article L 122-39-1 du code du travail est une obligation de nature pénale sanctionnée pénalement, que le seul fait de saisir le juge civil ne suffit pas à conférer à une obligation pénale le caractère d’obligation civile ;
Qu’elle précise ne pas être opposée à toute mesure de médiation ou d’expertise pouvant concerner l’identification commune et amiable des documents concernés ;
Qu’en tout état de cause, même à considérer l’obligation comme de nature civile, la violation de l’obligation ne peut donner lieu qu’à des mesures tendant à faire cesser le préjudice et à sa réparation à condition que ce préjudice soit établi et en lien de causalité avec la faute, que les demandeurs intimés ne justifient d’aucun intérêt à bénéficier d’une astreinte, et de sa liquidation, ajoutant que les intimés ne sont pas les créanciers de l’obligation prévue à l’article L 122-39-1 du code du travail, ni de l’injonction délivrée par le tribunal dans son jugement ;
Qu’outre l’absence de base légale au prononcé de l’astreinte, le tribunal a violé le principe de légalité et de proportionnalité ;
Qu’à titre subsidiaire elle fait valoir qu’elle cherche avec bonne volonté à exécuter le jugement assorti de l’exécution provisoire et invoque les difficultés techniques graves, que la seule production tardive par les intimés de 58 documents incomplets ne permettent pas de satisfaire leur demande de liquidation de l’astreinte ;
Qu’elle conclut au débouté de la demande de liquidation de l’astreinte, relevant qu’il incombe à chaque demandeur à la liquidation de prouver son intérêt à la liquidation de l’astreinte lequel ne se confond pas avec celui du salarié, la cour ne pouvant se contenter de l’affirmation des intimés qu’il ferait leur affaire personnelle de la répartition entre eux du montant de l’astreinte liquidée ;
Qu’à titre infiniment subsidiaire, elle demande le report du point de départ de l’astreinte au jour de l’arrêt à intervenir ;
Considérant que les intimés concluent au débouté de l’appel, la confirmation du jugement, prient la cour de liquider l’astreinte prononcée par le jugement et d’assortir son arrêt d’une nouvelle astreinte en contemplation du refus de l’appelante de respecter son obligation et les dispositions du jugement ;
I : Considérant que le comité d’entreprise GE Medical Systems SCS, le comité d’hygiène et de sécurité et des conditions de travail GE Medical Systems, du site de Buc et celui hors site de Buc et le syndicat CGT ont fait assigner la société GE Medical Systems devant le tribunal de grande instance de Versailles aux fins de lui voir ordonner de se conformer aux dispositions de l’article L 122-39-1 du code du travail sous astreinte de 20 000 € par infraction constatée ;
Considérant que les demandeurs aujourd’hui intimés sollicitaient devant le tribunal le respect par l’employeur des dispositions de la loi du 4 août 1994 insérées dans le code du travail sous l’article L 122-39-1 qui énonce que « tout document comportant des obligations pour le salarié ou des dispositions dont la connaissance est nécessaire à celui-ci pour l’exécution de son travail doit être rédigé en français, et peut être accompagné de traductions en une ou plusieurs langues étrangères, que ces dispositions ne sont pas applicables aux documents reçus de l’étranger ou destinés à l’étranger » ;
Considérant que les demandeurs se prévalaient d’interpellations répétées faites à la direction depuis 1998 pour obtenir le respect par elle des dispositions légales, tant par le CHSCT s’agissant des documents techniques et de sécurité que par les délégués du personnel s’agissant des conditions de travail, et les rappels de l’inspection du travail ;
Que les demandeurs aujourd’hui intimés ont versé aux débats tant en première instance qu’en appel des pièces pour la démonstration des manquements dénoncés ;
Considérant que l’article 6 du ncpc énonce qu’à l’appui de leurs prétentions les parties ont la charge d’alléguer les faits propres à les fonder, que l’article 56 du ncpc précise que l’assignation doit contenir l’objet de la demande avec un exposé des moyens en fait et en droit, que l’article 954 du ncpc précise que les conclusions d’appel doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens en droit et en fait sur lesquels chacune de ses prétentions est fondée et comprennent l’indication des pièces invoquées, un bordereau récapitulatif étant annexé à cette fin ;
Considérant que force est de constater à la lecture de l’assignation, des conclusions prises devant le tribunal et des écritures signifiées devant la cour que les demandeurs aujourd’hui intimés n’ont pas failli aux prescriptions des dispositions susvisées ni contrevenu aux articles 6, 7, 8 et 10 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, dès lors que le fondement juridique de leur action était précisé et constamment rappelé, que des faits précis étaient articulés au soutien de l’allégation de la violation de l’article L 122-39-1 du code du travail et des pièces versées aux débats pour étayer les prétentions formulées contre la société GE Medical Systems ;
Que l’article 566 du ncpc autorise toute partie à expliciter en appel les prétentions qui étaient virtuellement comprises dans ses demandes et défenses soumises aux premiers juges et ajouter des demandes qui soient l’accessoire, la conséquence ou le complément de la demande initiale, de telle sorte que sont recevables les pièces produites seulement en appel (pièces I.1 à I.58) dès lors qu’elles sont produites pour conforter les prétentions initiales, qu’en tout état de cause, le juge peut aux termes de l’article 7 se fonder sur des faits que les parties n’auraient pas spécialement invoqués au soutien de leurs prétentions ;
Qu’il suit de cet énoncé que la société appelante doit être déboutée de ses moyens d’irrecevabilité des demandes, ayant été en mesure dès l’introduction de l’instance de circonscrire le litige et d’organiser sa défense ;
II : Considérant que l’article L 122-39-1 du code du travail édicte des obligations à la charge de l’employeur et définit précisément le périmètre de l’obligation de l’employeur en visant expressément la nature des documents devant être rédigés ou traduits en langue française ;
Considérant que contrairement à ce que soutient l’appelante, les dispositions de l’article L 122-39-1 du code du travail n’ont pas la portée restreinte qu’elle voudrait leur voir reconnue, que l’obligation mise à la charge de l’employeur concerne non seulement le domaine de l’hygiène et la sécurité mais à une portée générale, ainsi que la circulaire d’application est d’imposer l’usage obligatoire mais non exclusif de la langue française dans des domaines déterminés, dont celui du travail de salariés français au sein de l’entreprise sise en France ;
Que l’article L 122-39-1 du code du travail vise tout document dont la connaissance est nécessaire au salarié pour la bonne exécution de son travail dans le respect de son contrat de travail et des règles d’hygiène et de sécurité, que la liste non exhaustive mais indicative de la circulaire place à l’évidence tout employeur en situation de déterminer quels documents doivent être traduits, sans méconnaître, s’agissant de la société appelante, la spécificité de son activité, son appartenance à un groupe étranger et les contingences nées d’une activité exercée tant à l’échelle nationale qu’internationale comme de la multiplicité des nationalités de ses salariés, étant rappelé qu’elle emploie sur le site de Buc 1873 salariés et que le texte n’interdit pas l’usage simultané de la langue anglaise ou toute autre langue étrangère mais impose l’usage ou la traduction en langue française dès lors que se trouve concerné par l’utilisation du document émanant du site français un salarié français titulaire d’un contrat de travail en France, l’alinéa 3 de l’article L 122-39-1 excluant son application aux documents reçus de l’étranger ou destinés à des étrangers ;
Considérant que la société appelante n’est donc pas fondée à opposer aux intimés le fait qu’ils devraient, pour voir prospérer leur action, déterminer en préalable quels documents seraient concernés en lien avec tels salariés, alors que l’article L 122-39-1 du code du travail édicte une obligation claire et précise à la charge de l’employeur ;
Que les intimés ont prouvé suffisamment que la société appelante méconnaissait son obligation, ce qu’elle ne conteste pas en définitive en arguant de la difficulté de déterminer la portée exacte de l’obligation dont il vient d’être démontrée qu’elle n’était source d’aucune difficulté d’appréhension, qu’il doit être rappelé à cet égard qu’elle a entrepris dès la délivrance de l’assignation de traduire en français les contrats de travail des salariés du site de Buc qui étaient tous rédigés en langue anglaise, qu’elle a en cours d’instance devant le tribunal, entrepris pareillement de traduire les safety FMI, tous rédigés en anglais, en langue française ;
Que les intimés justifient par la production de pièces en appel que la société appelante ne s’est pas conformée encore totalement à son obligation, les pièces I.1 à I.58 par eux invoqués correspondant à des documents rédigés sur le site de Buc par des français en langue anglaise sans traduction en langue française dont le contenu, s’agissant de documents destinés aux techniciens pour l’installation et la maintenance d’appareils produits par la société portant une date d’impression du 1er juin 2005, qui entrent bien dans les prévisions de l’article 122-39-1 du code du travail et sont à destination à tout le moins, sans démenti de l’appelante, de 412 techniciens français, que les intimés versent aux débats des attestations parfaitement recevables et suffisamment circonstanciés de salariés du site dénonçant le risque d’erreur engendré par la non traduction des documents de travail ;
Qu’il est à cet égard vains d’exciper du fait que ces documents techniques porteraient sur des produits fabriqués à Buc mais destinés à l’étranger, qu’en effet il ressort de l’attestation établie le 22 mars 2005 par Mme D. directeur certification et développement au laboratoire national de métrologie et d’essais que les dispositifs médicaux listés en pièces jointes fabriqués par GEMS à Buc sont commercialisables dans l’union européenne et donc en partie en France, de telle sorte que l’exigence de traduction en français des documents portant sur les produits distribués en France s’impose bien à la société appelante qui n’est fondée à se prévaloir de l’exception au principe que pour les documents accompagnant les produits destinés à être commercialisés ailleurs qu’en France ;
Que c’est de façon injustifiée que l’appelante conteste le caractère probant de ces documents et des attestations, sans justifier de leur traduction en langue française alors qu’il s’agit bien de documents établis sur le site de Buc à destination de salariés français, peu important qu’ils puissent être destinés également à des étrangers ;
Considérant que le fait que le non respect des dispositions de l’article L 122-39-1 du code du travail soit pénalement sanctionné, n’interdit pas au juge civil, saisi d’une demande aux fins d’obtenir le respect de l’obligation incombant à l’employeur, de constater le manquement à l’obligation qui caractérise en soi une faute civile dont la réparation peut être poursuivie devant le juge civil au choix des créanciers de l’obligation ou de ceux qui ont qualité à agir pour eux, dès lors que l’intérêt collectif des salariés est concerné ;
Qu’il est donc vain pour l’appelante d’affirmer qu’aucune preuve n’est rapportée de son manquement et que la seule preuve recevable serait un procès verbal de l’inspection du travail ;
Que c’est sur la société appelante que pèse l’obligation de prouver qu’elle respecte les dispositions précitées, que les pièces qu’elles versent aux débats sont insuffisamment probantes du respect avant le jugement de son obligation et démontrent seulement les quelques efforts accomplis depuis l’assignation et en exécution du jugement pour s’y conformer, étant rappelé la teneur de la lettre adressée par Mme H. responsable du département EHS en date du 26 janvier 2005 soit postérieurement au jugement, demandant le recensement des documents avec précision s’ils sont en langue française ou en langue anglaise ;
Que l’article 1142 du code civil autorise le juge à ordonner l’exécution en nature de l’obligation laquelle est ici la mesure la plus appropriée au contexte factuel ;
Considérant que le jugement doit être confirmé pour avoir fait injonction à l’appelante de mettre à disposition sans délai une version française des logiciels informatiques, en français des documents relatifs à la formation du personnel, à l’hygiène et à la sécurité et à compter de sa notification ;
Qu’il sera confirmé sous la réserve suivante s’agissant des produits fabriqués par la société, que doivent être traduits en français les documents « techniques » relatifs aux produits fabriqués présents sur le marché français et ceux destinés aux salariés français pour l’exécution de leur travail, étant relevé que les motifs du jugement ne contredisent pas cette nécessaire précision ;
Considérant en définitive que seuls les documents accompagnant les produits reçus de l’étranger et ceux accompagnant les produits destinés à l’étranger relèvent de l’exception à l’obligation de rédaction et/ou traduction en langue française ;
III : Considérant que le juge tire de l’article 33 de la loi du 9 juillet 1991 la possibilité d’ordonner, même d’office, une astreinte pour assurer l’exécution de sa décision ;
Que contrairement à ce que soutient la société appelante, le tribunal n’a pas violé le principe de légalité en assortissant l’injonction de faire prononcée contre la société appelante d’une astreinte ;
Que les premiers juges n’ont pas méconnu le principe de proportionnalité en fixant l’astreinte à la somme de 20 000 € par document non-conforme, le montant de l’amende pénale encourue état sans lien avec le montant de l’astreinte qui a pour vocation de contraindre le débiteur de l’obligation à l’exécuter dans les meilleurs délais, étant relevé que depuis 1998 la société appelante avait été interrogée et mise en demeure de respecter l’article L 122-39-1 du code du travail et s’en est volontairement affranchie jusqu’à l’assignation pour entreprendre la traduction des contrats de travail puis les safety FMI ;
Considérant que les premiers juges n’ont pas violé le principe de proportionnalité de l’astreinte laquelle a été, au cas particulier, fixée en considération du caractère impérieux de l’obligation, de la résistance manifestée par la société appelante et de ses capacités à respecter l’obligation légale qui pèse sur elle ;
IV : Considérant que du fait de l’effet dévolutif de l’appel et le jugement étant confirmé en ses principales dispositions, la demande de liquidation de l’astreinte que s’était réservé le tribunal est recevable ;
Considérant que les intimés demandent la liquidation de l’astreinte pour 58 documents dont il a été dit plus avant qu’ils entraient dans les prévisions du texte et n’avaient pas été traduits entre le 25 janvier 2005 date de la signification du jugement et le 1er juin 2005 date butoir fixée par le juge, et réclament de ce chef paiement de la somme de 1 160 000 € ;
Que contrairement à ce que soutient l’appelante, les intimés qui ont qualité pour exercer toute action visant à faire cesser une infraction à la législation du travail dont la méconnaissance porte atteinte à l’intérêt collectif de la profession, ont qualité à poursuivre la liquidation de l’astreinte prononcée pour la bonne exécution de l’obligation ;
Que le problème de la répartition du montant de l’astreinte liquidée entre les intimés n’est pas un obstacle juridique recevable à leur demande, dès lors que l’astreinte qui est indépendante des dommages-intérêts, n’a pas vocation à réparer un préjudice mais à contraindre le débiteur de l’obligation et que la répartition peut s’entendre d’une répartition par part virile sauf meilleur accord des bénéficiaires ;
Considérant que l’appelante sollicite le report du point de départ de l’astreinte, que toutefois dès lors que le jugement déféré exécutoire par provision et assorti de l’astreinte, est confirmé, rien ne justifie le report du point de départ de l’astreinte qui court depuis le 1er juin 2005 ;
Considérant que le montant de l’astreinte est liquidé en tenant compte du comportement de celui à qui l’injonction a été adressée et des difficultés qu’il a rencontrées ;
Qu’en l’état de l’imprécision du dispositif du jugement concernant les documents relatifs à tous les produits de la société présents sur le marché, en tenant compte du caractère non fondé de la discussion de principe instaurée par l’appelante sur la nature des 58 documents visés par la demande, dont il a été dit plus avant que, peu important leur ancienneté, ils entrent bien dans les prévisions de l’article 122-39-1 et ne sont pas concernés par l’exception prévue au dernier alinéa dès lors qu’ils sont rédigés en France à destination de salariés français, alors qu’ils accompagnent également des produits destinés à l’étranger et notamment à des pays de l’union européenne, la société appelante justifie que la non exécution de l’obligation mise à la charge par le jugement avant le 1er juin 2005 sous peine d’astreinte ne résulte pas que de son seul comportement mais également d’une possible difficulté dans la mise en oeuvre de son obligation, de telle sorte que le montant de l’astreinte liquidée du chef des 58 documents litigieux doit être fixée à la somme de 580 000 € ;
Qu’il convient de la condamner au paiement de cette somme ;
Considérant que le jugement est confirmé pour l’essentiel, que les intimés sont fondés à solliciter le prononcé d’une nouvelle astreinte laquelle est nécessaire pour obtenir le respect par l’appelante de son obligation telle que définie dans le dispositif du jugement, laquelle astreinte d’un montant de 20 000 € par document de retard courra à compter de la signification de l’arrêt, la cour s’en réservant expressément la liquidation ;
V : Considérant que la société appelante qui succombe dans son appel doit supporter la charge des dépens et indemniser les intimés des frais irrépétibles qu’ils ont été contraints d’exposer ;
DECISION
La cour statuant en audience publique, contradictoirement et en dernier ressort,
. Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions sauf à préciser que l’obligation de traduction en langue française concerne les documents techniques portant sur les produits fabriqués présents sur le marché français et ceux que la société fabriquera destinés au marché français qui sont nécessaires aux salariés français pour la bonne exécution de leur travail en France,
Y ajoutant,
. Liquide l’astreinte prononcée par le jugement à la somme de 580 000 €,
. Condamne en conséquence la société GE Medical Systems SCS à payer aux intimés ensemble la somme de 580 000 €,
. Ordonne à la société GE Medical Systems SCS de se conformer aux dispositions de l’article L 122-39-1 du code du travail telles que rappelés dans le jugement confirmé par le présent arrêt sous astreinte de 20 000 € par document de retard passé le délai de trois mois de la signification de l’arrêt,
. Se réserve la liquidation de l’astreinte,
. Condamne la société GE Medical Systems à payer à chaque intimé la somme de 5000 € en application de l’article 700 du ncpc,
. Condamne la société GE Medical Systems SCS aux dépens.
La cour : Mme Francine Bardy (président), Mmes Lysiane Liauzun et Françoise Simonnot (conseillers)
Avocats : Me Philippe Pech de Laclause, Me David Metin
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