Jurisprudence : Vie privée
Cour d’appel de Versailles 1ère chambre, 1ère section, Arrêt du 04 mai 2006
Mme X. / Société éditrice
droit à l'information (non) - vie privée
FAITS ET PROCEDURE
Mme X., qui exerce la profession de mannequin, a effectué en octobre 2003 une séance de poses photographiques ayant pour objet la réalisation de photographies libertines avec une autre jeune femme qui devaient être exploitées jusqu’au 28 février 2004 sur deux sites internet et dans le magazine Union.
Faisant grief à une société éditrice d’avoir publié sans son autorisation dans son magazine mensuel, cinq photographies de ladite séance, dont quatre déjà reproduites dans un autre magazine, accompagnées de commentaires dégradants et d’avoir ainsi porté atteinte à son droit à l’image, Mme X. a fait assigner par acte du 5 mai 2004 ladite société devant le tribunal de grande instance de Nanterre en paiement, sur le fondement des articles 9 et 1382 du code civil, de la somme de 15 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice, sollicitant en outre une mesure de publicité et le paiement de la somme de 2500 € sur le fondement de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.
Par jugement du 16 mars 2005, le tribunal a rejeté toutes ses demandes et l’a condamnée à payer à la société la somme de 2000 € sur le fondement de l’article 700 du nouveau code de procédure civile et aux entiers dépens.
Appelante, Mme X. aux termes de ses dernières écritures signifiées le 26 juillet 2005 auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé de ses moyens, visant les articles 9 et 1382 du code civil, conclut à l’infirmation de la décision entreprise et demande à la Cour, en statuant à nouveau, de :
– dire qu’en représentant les photographies la représentant accompagnées de commentaires dégradants dans le magazine sans son autorisation, la société a gravement porté atteinte à son droit à l’image et à sa vie privée,
– condamner la société à lui payer la somme de 15 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé,
– ordonner la publication du jugement dans 3 journaux ou publications similaires dont le magazine au frais de la société sans que le coût de chaque insertion puisse excéder la somme de 3800 € HT, soit la somme totale de 11 400 €,
– condamner la société à lui payer la somme de 4000 € en application de l’article 700 du nouveau code de procédure civile,
– la condamner aux entiers dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du nouveau code de procédure civile.
Aux termes de ses dernières écritures signifiées le 8 février 2006 auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé de ses moyens, la société, visant les articles 9 et 1382 du code civil et 10 de la Convention Européenne des droits de l’Homme, conclut à la confirmation de la décision entreprise en toutes ses dispositions en ce qu’elle a considéré que la publication des photographies incriminées correspondait à une légitime information du public et ne constituait pas une atteinte au droit à l’image et à la vie privée de l’appelante et demande à la Cour, de :
– en conséquence, dire que la publication incriminée procède de la liberté d’informer de manière critique sur un événement d’actualité et débouter l’appelante de toutes ses demandes,
– subsidiairement, dire que l’appelante n’a pas subi de préjudice du fait de la publication incriminée et la débouter de toutes ses demandes,
– en tout état de cause, la condamner au paiement de la somme de 6000 € sur le fondement de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.
DISCUSSION
Considérant que chacun dispose sur son image d’un droit lui permettant de s’opposer à sa fixation, à sa reproduction ou à son utilisation sans son autorisation préalable, étant observé qu’il est de principe que la publication des photographies doit respecter la finalité de l’autorisation donnée ;
Considérant qu’il est constant que Mme X. a, selon acte sous seing privé du 23 octobre 2003, autorisé l’exploitation des photographies sur deux sites internet jusqu’au 28 février 2004 et “dans tout magazine lié de près ou de loin au domaine libertin au niveau national avec son accord” ;
Que par acte sous seing privé du 24 octobre 2003, elle a autorisé la société P.M. à reproduire gracieusement dans un magazine les photographies la représentant, ajoutant de sa main “J’en accepte l’utilisation exclusivement sur ce magazine et ce jusqu‘au 28 février 2004” après avoir rayé la mention “j‘en accepte l‘utilisation sur tout autre support destiné à sa promotion ou sa publicité” ;
Qu’il s’ensuit qu’elle a entendu limiter strictement la publication des photographies litigieuses tant en ce qui concerne le support que la durée ;
Considérant que la société ne justifie pas avoir obtenu, ni même ne prétend avoir sollicité, l’autorisation de publier lesdites photographies, mais se prévaut de la liberté d’informer sur un événement d’actualité ;
Que, certes, l’article illustré des photographies litigieuses a pour objet d’éclairer les lecteurs sur la véritable personnalité des participantes à l’émission télévisée “Bachelor” dont le dernier épisode venait d’être diffusé le 26 février 2004 et est conforme à la ligne éditoriale du magazine qui a pour but de dénoncer, notamment, “les supercheries de la téléréalité” ;
Que toutefois, les photographies litigieuses n’ont pas été prises au cours du tournage ou à l’occasion de la diffusion de l’émission critiquée et n’ont pas de rapport direct avec l’événement d’actualité qu’elles sont sensées illustrer ;
Qu’il s’agit de photographies professionnelles détournées de leur objet, dont la reproduction n’a été autorisée que dans un contexte strictement déterminé et qui ont été publiées dans le magazine malgré l’opposition expresse de la personne représentée ;
Que cette publication constitue une atteinte au droit à l’image de Mme X.,la décision entreprise étant de ce chef infirmée ;
Considérant que la seule constatation de l’atteinte au respect dû au droit à l’image ouvre droit à réparation, le montant de l’indemnisation étant souverainement apprécié par le juge du fond ;
Considérant que la publication de ces photographies dans le journal leur a donné une notoriété qu’elles n’auraient jamais du avoir eu égard à la diffusion limitée voulue par Mme X. ;
Que le préjudice subi par celle-ci du fait de la publication non autorisée des photographies dans la revue est d’ordre moral, mais également professionnel eu égard à sa profession de mannequin et à l’image qui est donnée d’elle ;
Que toutefois, Mme X., dont la séance de pose a été rémunérée 150 €, ne produit aucun contrat qui justifierait de sa notoriété et de ce qu’elle représente des grandes marques de prêt à porter ou de haute couture et qu’elle a subi un préjudice spécifique dans ce domaine ;
Que son préjudice sera estimé à la somme de 5000 € ;
Qu’en outre, elle sera indemnisée des faits non répétibles exposés dans la présente instance à concurrence de la somme de 2000 € ;
DECISION
La cour, statuant en audience publique, contradictoirement et en dernier ressort,
. Déclare l’appel recevable,
. Infirme la décision entreprise en toutes ses dispositions,
Et statuant à nouveau,
. Dit qu’en reproduisant sans l’autorisation de Mme X. les photographies la représentant dans le magazine, la société a porté atteinte à son droit à l’image,
. Condamne la société à payer à Mme X. la somme de 5000 € en réparation de son préjudice et celle de 2000 € en application de l’article 700 du nouveau code de procédure civile,
. Condamne la société aux entiers dépens de l’instance qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du nouveau code de procédure civile.
La cour : Mme Francine Bardy (président), Mmes Lysiane Liauzun et Françoise Simonot (conseillers)
Avocats : Me Jean Marc Guazzini, Me Marie Christine De Percin
Voir décision de Cour de cassation
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