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Jurisprudence : Contenus illicites

jeudi 21 février 2019
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TGI de Paris, 17e ch. corr., jugement du 13 février 2019

Syndicat Alliance Police / M. Z.

clé USB - force probante - Injures publiques - policiers - preuves - video

Par acte d’huissier délivré le 14 mai 2018, le syndicat professionnel Alliance – Police Nationale, M. X., secrétaire général du syndicat, et M. Y., secrétaire général adjoint, faisaient citer devant ce tribunal M. Z., pour des faits d’injure publique envers particulier.

Dans la citation, il était exposé que M. Z. avait manifesté à plusieurs reprises devant le siège social du syndicat à Paris, courant février et mars 2018, qu’à chaque manifestation, il s’était adressé au syndicat et à ses responsables en les invectivant, de manière bruyante et audible. En particulier, le 15 février 2018, il avait été filmé et aurait tenu les propos suivants, objet de la poursuite :

– Première séquence, propos visés comme constituant le délit à l’égard des trois parties civiles :

« Vous êtes irresponsables Vous êtes la honte de la police Vous êtes pas des policiers, vous êtes des politiciens et les politiciens on va les nettoyer au karcher Le syndicat Alliance Police Nationale se permet au quotidien de prendre leur défense !
Le syndicat Alliance Police Nationale se permet clairement de défendre les policiers racistes, délinquants ou haineux Ils sont irresponsables. On va vous nettoyer au karcher Alliance Police Nationale On va vous nettoyer au karcher Tous les dirigeants d’Alliance Police Nationale on va vous nettoyer au karcher On est déterminé On est déterminé à vous nettoyer au karcher Faites-nous confiance On est déterminé On est déterminé à vous nettoyer au karcher La racaille en col blanc, la racaille en col bleu, on n’en veut plus en France (…) les policiers ils nous tuent, ils nous violent, ils nous frappent Qu’ils nous protègent (…) Une fois par semaine on sera là On va pas vous lâcher (…) On va vous nettoyer au karcher Alliance Police Nationale On va vous nettoyer au karcher Alliance Police Nationale On va vous nettoyer au karcher les racailles en col bleu Vous êtes de la racaille Vous êtes un syndicat antirépublicain On va vous nettoyer au karcher Monsieur X. et Monsieur Y., on va pas vous lâcher (…) On ne veut pas des adhérents. On veut des responsables d’Alliance Police Nationale qui créent un sentiment d’impunité chez certaines forces de l’ordre Monsieur X., Monsieur Y. on va vous nettoyer au karcher La racaille en col bleu on va la nettoyer au karcher Pour moi à titre personnel Alliance Police Nationale et les dirigeants vous êtes de la racaille On va vous nettoyer au karcher Alliance Police Nationale fait honte à la police Alliance Police Nationale qui tue l’institution policière Et ce n’est pas normal Ce n’est pas normal d’avoir un syndicat antirépublicain Ce n’est pas normal clairement aujourd’hui que Alliance Police Nationale crée un sentiment d’impunité chez certains policiers racistes, délinquants ou haineux (…) On va faire la guerre (…) » ;

-Deuxième séquence, propos qui seraient constitutifs du délit à l’encontre de M. Y.

« Vous avez pas honte M. Y.? Vous avez pas honte ? (…)
Vous êtes la honte de la police Vous êtes la honte de la maison policière Chaque semaine on va venir Chaque semaine on sera là Vous êtes la honte de la police (..) Aujourd’hui comment ça se fait, vous êtes le n°2 du syndicat le plus présent de France, vous vous permettez de salir l’image des quartiers dits populaires Vous avez pas honte ? Vous êtes la honte, vous êtes la honte, vous êtes la honte de la police Vous êtes la honte de la police M. Y. (..) Comment ça se fait que le 6 février 2017 sur France Info vous vous êtes permis de salir l’image des quartiers dits populaires ? ( ..) Ces personnes-là c’est des policiers racistes, délinquants ou haineux qui se sont permis de créer un sentiment d’impunité chez certaines forces de l’ordre Vous avez pas honte ? ( ..) Vous êtes la honte de la police Vous avez pas honte ? C’est pas normal qu’Alliance Police Nationale, syndicat majoritaire en France, crée un sentiment d’impunité chez certaines forces de l’ordre (..) » ;

– Troisième séquence, propos considérés dans la citation comme visant M. Y.

« Vous êtes la honte de la police Vous êtes la honte de l’institution policière (..) Vous êtes la honte de la police M. Y. Vous êtes la honte de la police
(…)
On viendra ici une fois par semaine Vous êtes la honte de la police Vous êtes la honte de la police
(…)
On va vous faire une guerre psychologique comme jamais vous en avez connu On va vous faire une guerre psychologique comme jamais vous en avez connu (…)
Je m’appelle M. Z., j’habite à Aulnay sous bois, rue (…) On va vous faire une guerre psychologique comme jamais vous en avez connu On va vous montrer que personne n’est au-dessus des lois ici (…) ».

A l’audience, les conseils du prévenu soulevaient d’abord la nullité de la procédure, faute d’identification suffisante des faits incriminés, de l’absence d’articulation, des imprécisions quant aux intérêts à agir et de l’incertitude quant à la qualité des parties civiles.

Le conseil des parties civiles demandait le rejet des moyens de nullité.

Le ministère public estimait que la qualité des parties civiles dans la procédure était suffisamment précisée et les propos suffisamment délimités. Il s’en rapportait sur l’argumentation de la distribution des propos aux parties civiles poursuivantes.

L’incident était joint au fond.

Au fond, le conseil des parties civiles demandait au tribunal de les dire recevables en leur constitution, de condamner le prévenu à leur verser, à chacun, la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts, de dire les dispositions civiles exécutoires par provision et, enfin, de condamner le prévenu à verser la somme globale de 4.000 euros sur le fondement de l’article 475-1 du code de procédure pénale.

A propos de cette procédure, le ministère public demandait au tribunal l’application de la loi pénale.

Les conseils du prévenu demandaient au tribunal de dire les parties civiles irrecevables en leur action, de renvoyer M. Z. des fins de la poursuite et de condamner solidairement les parties civiles à lui verser 3.000 euros sur le fondement de l’article 472 du code de procédure pénale et 3.000 euros sur le fondement de l’article 800-2 du code de procédure pénale. Il était également sollicité une dispense d’inscription de condamnation sur le bulletin n°2 du casier judiciaire.

Sur la nullité :

Il y a lieu de rappeler :
– que l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881 exige que la citation précise et qualifie le fait incriminé et qu’elle indique le texte de loi applicable à la poursuite ;
– que cet acte introductif d’instance a ainsi pour rôle de fixer définitivement l’objet de la poursuite, afin que la personne poursuivie puisse connaître, dès sa lecture et sans équivoque, les faits dont elle aura exclusivement à répondre, l’objet exact de l’incrimination et la nature des moyens de défense qu’elle peut y opposer ;
– que les formalités prescrites par ce texte sont substantielles aux droits de la défense et d’ordre public ;
– que leur inobservation entraîne la nullité de la poursuite elle-même aux termes du troisième alinéa de l’article 53.

En l’espèce, il sera constaté :

– que les propos visés au titre de l’injure publique envers particulier sont clairement délimités, les parties civiles ayant entendu poursuivre trois séries de passages qui ont été rappelés ci-avant ; que, si le prévenu conteste le caractère injurieux de certains passages, il s’agit d’une question de fond, l’acte introductif d’instance apparaissant régulier à partir du moment où la teneur des propos est clairement définie, sans ambiguïté ni confusion possible dans l’esprit du prévenu ;

– que, s’agissant du reproche de défaut d’articulation, force est de rappeler que la citation n’est nulle que si, compte tenu de la particulière longueur des propos, l’absence de précision sur la portée des injures est de nature à créer une confusion dans l’esprit du prévenu ; que, dans la présente procédure, trois séries de passages ont été explicitement sélectionnées par les parties civiles, étant également observé que l’examen des termes proférés montre une répétition de termes, de sorte qu’aucun doute ne peut naître pour la défense dans l’objet de la citation ;

– que, contrairement à ce qui est indiqué en défense, la citation permet de connaître ce que chacune des trois parties civiles entend poursuivre, à savoir que les trois parties civiles visent la première séquence, M. Y. étant uniquement concerné pour les deuxième et troisième séquences ; que, dès lors, l’acte initial permet de connaître exactement quelles parties sont, pour chaque partie civile, poursuivies, étant rappelé que plusieurs parties civiles peuvent entendre poursuivre la totalité d’un même extrait ;

– qu’enfin, le délit visé dans la citation est, sans ambiguïté, le délit d’injure publique envers particulier, au sens des articles 23, 29 alinéa 2 et 33 alinéa 2 de la loi du 29 juillet 1881 ; que, dans ces circonstances, il n’existe aucune difficulté pour déterminer l’infraction en cause, le fait que les parties civiles mentionnent par ailleurs leur qualité de syndicalistes ne créant aucun trouble quant à l’exigence de qualification du fait incriminé.

Le moyen de nullité sera rejeté.

Sur la recevabilité des parties civiles :

Les parties civiles sont nommément désignées dans les propos visés dans l’acte introductif d’instance.

Par ailleurs, s’agissant de la personne morale, le syndicat Alliance – Police Nationale verse désormais aux débats ses statuts et l’autorisation donnée, le 04 avril 2018, par le bureau national, au secrétaire général, pour agir en justice, conformément à ce qui est prévu dans les statuts.

Pour ces motifs, les parties civiles apparaissent recevables à agir.

Sur l’injure publique envers particulier :

L’alinéa 2 de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 définit l’injure comme toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait. Une expression outrageante porte atteinte à l’honneur ou à la délicatesse. Un terme de mépris cherche à rabaisser l’intéressé. Une invective prend une forme violente ou grossière.

L’appréciation du caractère injurieux du propos doit être effectuée en fonction du contexte, en tenant compte des éléments intrinsèques comme extrinsèques au message, et de manière objective, sans prendre en considération la perception personnelle de la victime.

En l’espèce, pour pouvoir entrer en voie de condamnation suite à l’examen des propos litigieux, le tribunal doit pouvoir, à titre liminaire, s’assurer des conditions dans lesquelles ils ont été tenus et des éléments de contexte, tant intrinsèques qu’extrinsèques.

Or, il convient ici de relever :

– que les parties civiles ne produisent aucun constat d’huissier, expliquant dans quelles conditions la vidéo litigieuse a été diffusée et certifiant la teneur des propos en cause ;

– qu’aucune transcription de la vidéo intégrale n’est versée aux débats, ce qui aurait permis au tribunal de déterminer le contexte des propos visés en prévention, le tribunal ne disposant que d’une retranscription partielle, effectuée par le conseil des parties civiles ;

– que, par ailleurs, ainsi qu’il a été soulevé à l’audience en défense, le visionnage de la vidéo permet de constater que celle-ci a fait l’objet d’un montage ;

– que la tenue du prévenu n’est même pas la même sur les divers extraits, de sorte que les circonstances précises de temps et de lieu du tournage ne sont pas connues.

Au regard de ces éléments, le tribunal demeure dans l’incertitude, tant sur le fait que le prévenu a effectivement tenu les propos tels que visés en prévention que sur le contexte dans lequel ils ont été tenus.

Les parties civiles échouent ainsi à démontrer la force probante de la vidéo en cause, de sorte que, sans se prononcer sur les autres moyens, le tribunal entrera en voie de relaxe.

Sur l’action civile :

Il convient de recevoir Alliance – Police Nationale, M. X. et M. Y. en leur constitution de partie civile, mais de les débouter de leurs demandes, compte tenu de la relaxe intervenue.

Sur les autres demandes :

L’article 472 du code de procédure pénale dispose que, lorsque la partie civile a elle-même mis en mouvement l’action publique, le tribunal statue par le même jugement sur la demande en dommages-intérêts formée par la personne relaxée contre la partie civile pour abus de constitution de partie civile.

L’article 800-2 du code de procédure pénale dispose qu’à la demande de l’intéressé, toute juridiction prononçant un non-lieu, une relaxe, un acquittement ou toute décision autre qu’une condamnation ou une déclaration d’irresponsabilité pénale peut accorder à la personne poursuivie pénalement ou civilement responsable une indemnité qu’elle détermine au titre des frais non payés par l’État et exposés par celle-ci.

Cette indemnité est à la charge de l’État. La juridiction peut toutefois ordonner qu’elle soit mise à la charge de la partie civile lorsque l’action publique a été mise en mouvement par cette dernière. Un décret en Conseil d’État détermine les conditions d’application du présent article, codifié aux articles R.249-2 et suivants du code de procédure pénale.

En l’espèce, la présente procédure n’apparaît ni téméraire, ni abusive, les parties civiles, nommément désignées dans les passages litigieux, ayant pu se méprendre sur la portée de leurs droits, le tribunal ayant retenu principalement leur carence probatoire.

En outre, le ministère public n’a pas requis l’application des dispositions de l’article 800-2 du code de procédure pénale.

Dans ces conditions, les demandes de M. Z., fondées sur les dispositions des articles 472 et
800-2 du code de procédure pénale, seront rejetées.


CONCLUSION

contradictoirement

Rejette l’exception de nullité soulevée en défense ;

Renvoie M. Z. des fins de la poursuite ;

Reçoit la constitution de partie civile du Syndicat Alliance- Police Nationale, de M. X. et de M. Y. ;

Déboute le Syndicat Alliance – Police Nationale, M. X. et M. Y. de leurs demandes ;

Rejette les demandes formées par M. Z. fondées sur les dispositions des articles 472 et 800-2 du code de procédure pénale.


En application de l’article 1018 A du code général des impôts, la présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure de 127 euros dont sont redevables chacun le Syndicat Alliance- Police Nationale, M. X. et M. Y. ;


Le Tribunal :
Thomas Rondeau (président)

Avocats : Ilana Soskin, Yaël Scemama, Delphine Villettes

Source : Legalis.net

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