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Jurisprudence : Contenus illicites

mercredi 15 mars 2017
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TGI de Paris, 17e ch. corr., jugement du 14 mars 2017 (copie de travail)

LICRA, UEJF, AIPJ, SOS Racisme et MRAP / Monsieur X.

condamnation - identification de l'éditeur - identification du directeur de la publication - infractions de presse - mentions légales - prison - site internet

Le 19 avril 2016 les associations LICRA, UEJF, AIPJ, SOS Racisme et MRAP ont appelé l’attention du procureur de la République de Paris sur les mentions figurant sur le site www.egaliteetreconciliation.fr et désignant respectivement comme directeur de publication et directeur adjoint de publication Monsieur Y., condamné à la réclusion criminelle à perpétuité, et Monsieur Z., condamné à 30 ans de réclusion criminelle.

Elles soulignent qu’eu égard à ces condamnations, et à l’incarcération des intéressés, il est à tout le moins légitime de s’interroger sur leurs conditions d’accès à internet et leur capacité, partant, à assurer pleinement et effectivement les fonctions qui leur sont attribuées.

Elles rappellent par ailleurs que, par ordonnance du 13 avril 2016, le juge des référés du TGI de Paris a fait droit à leur demande visant à enjoindre à l’association Egalité & Réconciliation de mettre en place sur le site précité un dispositif de signalement des contenus illicites au sens de l’article 6.1-7 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique (ci-après LCEN) mais a, en revanche, rejeté celle visant à faire mentionner sur le site le nom du véritable directeur de la publication, estimant que seule une enquête pénale était de nature à démontrer un éventuel manquement aux obligations de l’article 6-III de la LCEN.

A la suite de ce signalement, une enquête a été diligentée et il a été constaté le 12 mai 2016 que figuraient sur le site www.egaliteetreconciliation.fr les mentions suivantes :

– sous la rubrique « organigramme » l’adresse de l’association Egalité & Réconciliation et le nom de son président, Monsieur X.

– sous la rubrique « mentions légales » le nom de l’éditeur du site, Egalité & Réconciliation, et son adresse, le nom du directeur de la publication, Monsieur Y., celui du directeur adjoint, Monsieur Z., ainsi que celui de l’hébergeur, Egalité & Réconciliation.

Ont été, par ailleurs, joints à l’enquête différents éléments issus d’une autre procédure, au terme de laquelle il était apparu que :

– Monsieur Y. était incarcéré à la centrale de Poissy, ne recevait aucune visite, n’avait accès à aucun ordinateur et ne disposait d’aucune connexion légale à internet, et Monsieur Z., incarcéré d’abord à Poissy, puis à Saint-Martin de Ré depuis juin 2015, avait un ordinateur personnel « dysfonctionnant » mais sans connexion à internet et n’avait reçu, par ailleurs, aucune visite depuis son transfert ;

– la société OVH, hébergeur du nom de domaine Egalité & Réconciliation, consultée à deux reprises, avait indiqué que le titulaire et administrateur de ce nom de domaine était Monsieur X., ayant pour adresse association Egalité & Réconciliation, rue… et comme courriel …@… ; que, par ailleurs, Monsieur X. avait fourni comme adresses de contact …@…, ainsi que …@… ; que le serveur primaire d’hébergement du site avait une adresse IP se terminant par …., qu’il était fourni par ses soins à Monsieur X., avait comme courriels de contact …@… et …@… , que ce client assurait seul la gestion de la machine, était le seul décideur des contenus et devait, partant, être considéré comme l’hébergeur du site ;

– la société Google INC avait précisé que l’adresse …@… avait fourni comme adresse de secours …@…, adresse à l’évidence fantaisiste, et qu’une des adresses IP utilisées pour consulter le compte …@… avait également été utilisée pour se connecter au compte client « Monsieur X., Egalité et Réconciliation » ;

– la société Free, fournisseur d’une des adresses IP utilisées pour consulter le compte …@…, avait communiqué le nom du titulaire du numéro de téléphone correspondant, à savoir Monsieur W., domicilié chez l’association Egalité & Réconciliation, secrétaire de cette association, gérant de la société Culture pour Tous.

Monsieur X. était entendu par les services de police le 8 septembre 2016 et déclarait d’une part ne pas être le directeur de publication du site www.egaliteetreconciliation.fr indiquant qu’il « argumenterait au tribunal », d’autre part que, selon lui « cette énième procédure participe du harcèlement de la communauté juive contre moi et que cela a cessé de m’étonner. Tout cela n’est pas très Charlie ».

Cité par le ministère public du chef de d’absence de mise à disposition du public des informations permettant d’identifier l’éditeur d’un service de communication en ligne, Monsieur X. ne se présentait pas à l’audience, se faisant représenter par un conseil, Me Drici, uniquement pour soutenir une demande de renvoi, qui était refusée, une audience de « fixation » ayant été organisée le 7 décembre 2016 afin, notamment, que chaque partie puisse faire valoir d’éventuelles observations quant au calendrier retenu et l’autre conseil Monsieur X., Me Viguier, ayant demandé et obtenu copie du dossier de la procédure début janvier 2017, soit suffisamment tôt pour organiser la défense de son client.

Les conseils des associations parties civiles demandaient la condamnation du prévenu, celui-ci manifestant à l’évidence sa volonté d’échapper aux poursuites en se dissimulant derrière des hommes de paille.

Le ministère public requérait également sa condamnation, tous les éléments du dossier démontrant, selon lui, que Monsieur X. était, de fait, le directeur de publication du site www.egaliteetreconciliation.fr .


DISCUSSION

SUR L’ACTION PUBLIQUE

sur la culpabilité

Les articles 6 III 1 c) et 6 VI 2 de la LCEN disposent respectivement :

-6-III-1 c) : « Les personnes dont l’activité est d’éditer un service de communication au public en ligne mettent à disposition du public, dans un standard ouvert :
(..)
c) Le nom du directeur ou du codirecteur de la publication et, le cas échéant, celui du responsable de la rédaction au sens de l’article 93-2 de la loi n° 82-652 du 29 juillet
1982 précitée

-6-VI-2 « Est puni d’un an d’emprisonnement et de 75 000 EUR d’amende le fait, pour une personne physique ou le dirigeant de droit ou de fait d’une personne morale exerçant l’activité définie au III. de ne pas avoir respecté les prescriptions de ce même article.
Les personnes morales peuvent être déclarées pénalement responsables de ces infractions dans les conditions prévues à l’article 121-2 du code pénal. Elles encourent une peine d’amende, suivant les modalités prévues par l’article 131-38 du même code, ainsi que les peines mentionnées aux 2° et 9° de l’article 131-39 de ce code. L’interdiction mentionnée au 2° de cet article est prononcée pour une durée de cinq ans au plus et porte sur l’activité professionnelle dans l’exercice ou à l’occasion de laquelle l’infraction a été commise. »

Par ailleurs, l’article 93-2 loi du 29 juillet 1982 dispose que « Tout service de communication au public par voie électronique est tenu d’avoir un directeur de la publication.
(..)

Lorsque le service est fourni par une personne morale, le directeur de la publication est le président du directoire ou du conseil d’administration, le gérant ou le représentant légal, suivant la forme de la personne morale.

Lorsque le service est fourni par une personne physique, le directeur de la publication est cette personne physique ».

Au cas particulier, il résulte des éléments rappelés ci-avant que tout d’abord, et à l’évidence, ni Monsieur Y., ni Monsieur Z. ne peuvent prétendre exercer les fonctions de directeur et de directeur-adjoint de publication du site www.egaliteetreconciliation.fr, dans la mesure où ils sont non seulement incarcérés, mais où l’enquête a permis d’établir qu’ils n’étaient pas en contact avec l’extérieur de la maison centrale où ils purgent leur peine, n’ayant pas accès à internet et ne recevant pas ou plus de visites depuis longtemps.

Par ailleurs, les investigations techniques démontrent, là encore à l’évidence, que le service offert par le site www.egaliteetreconciliation.fr est fourni par l’association éponyme, toutes les données d’identification -adresses IP, comptes de messagerie, adresses physiques, numéros de téléphone etc…-convergeant en ce sens et Monsieur X. n’apportant aucun élément de nature à infirmer ce constat.

Il convient, dans ces conditions, et par application des articles précités de la LCEN et de la loi du 29 juillet 1982, de considérer que Monsieur X., président de l’association Egalité & Réconciliation, est, de fait, le véritable éditeur du service de communication offert par le site d’Egalité & Réconciliation ainsi que son directeur de la publication et doit, partant, être déclaré coupable de l’infraction qui lui est reprochée.

Sur la peine

Lors de la commission des faits, Monsieur X. avait déjà été condamné définitivement à six reprises pour des infractions à la loi du 29 juillet 1881, dont trois fois pour des infractions aggravées.

Il ne s’est par ailleurs pas présenté au tribunal pour répondre des faits qui lui étaient reprochés, alors même qu’il avait déclaré durant l’enquête qu’il lui réserverait ses explications.

Ces deux constats, auquel s’ajoute la nature même de l’infraction ayant engendré sa condamnation, traduisent chez l’intéressé la volonté évidente de se soustraire à ses responsabilités, qu’elles soient de nature éditoriale ou pénale, et ce en recourant de surcroît en l’espèce à un procédé particulièrement malsain et provocateur consistant à désigner en ses lieu et place deux criminels très lourdement condamnés.

Il convient, partant, de le condamner à une peine d’emprisonnement de trois mois, assortis du sursis, ainsi qu’à une amende de 5.000 euros.

SUR L’ACTION CIVILE

Les associations souhaitant se constituer partie civile arguent que la violation par Monsieur X. de l’obligation de mentionner un directeur de publication leur porte préjudice, dans la mesure où, notamment, elle constituerait un frein eux signalements, propageant l’idée que les subterfuges qu’il utilise rendrait vaine toute poursuite, et les empêcherait d’exercer les actions qui leur sont dévolues pour mettre fin aux dérives constatées, exercice d’un droit de réponse ou poursuites à l’encontre du directeur de publication.

Il convient toutefois d’estimer qu’en l’absence de lien direct du préjudice allégué avec l’infraction pour laquelle Monsieur X. a été condamné, leurs constitutions de partie civile doivent être déclarées irrecevables.


DÉCISION

Le tribunal, statuant publiquement, en premier ressort et par jugement contradictoire à l’égard de l’UEJF, de la LICRA de l’association AIPJ, SOS RACISME et du MRAP, parties civiles (article 424 du code de procédure pénale) et par jugement contradictoire à signifier à l’égard de Monsieur X., prévenu,

SUR L’ACTION PUBLIQUE :

Déclare Monsieur X., coupable du délit de NON MISE A DISPOSITION DU PUBLIC D’INFORMATION IDENTIFIANT L’EDITEUR D’UN SERVICE DE COMMUNICATION AU PUBLIC EN LIGNE commis du 12 février 2016 au 3 mai 2016 à Paris et sur le territoire national

En répression :

Le condamne à un emprisonnement délictuel de TROIS MOIS

Vu l’article 132-31 al.l du code pénal ;

Dit qu’il sera sursis totalement à l’exécution de cette peine, dans les conditions prévues par ces articles ;

Condamne Monsieur X. au paiement d’une amende de CINQ MILLE EUROS (5.000€) ;

SUR L’ACTION CIVILE :

Déclare la Ligue Internationale Contre le Racisme et l’Antisémitisme (LICRA) irrecevable en sa constitution de partie civile ;

Déclare l’Union des Etudiants Juifs de France (UEJF) irrecevable en sa constitution de partie civile ;

Déclare l’association J’Accuse-Action Internationale pour la Justice (AIPJ) irrecevable en sa constitution de partie civile ;

Déclare le Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples (MRAP) irrecevable en sa constitution de partie civile ;

Déclare l’association SOS Racisme- Touche pas à mon pote irrecevable en sa constitution de partie civile ;

En application de l’article 1018 A du code général des impôts, la présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure de 254 euros dont est redevable Monsieur X.

Par le présent jugement le condamné est informé qu’en cas de paiement de l’amende et du droit fixe de procédure dans le délai d’un mois à compter de la date où il a eu connaissance du jugement, il bénéficie d’une part de la suppression de l’éventuelle majoration du droit fixe de procédure pour non-comparution prévue à l’alinéa 2, 3° de l’article 1018A du CGI (l’éventuelle majoration prévue à l’alinéa 4 de l’article 1018A du CGI est maintenue), et d’autre part d’une diminution de 20% sur la totalité de la somme résiduelle à payer.

Le Tribunal : Fabienne Siredey Garnier (présidente)

Avocats : Me Ilana Soskin, Me Stephane Lilti, Me Jean-Louis Lagarde, Me Michael Ghnassi, Me Drici, Me Viguier

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