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Jurisprudence : Diffamation

lundi 12 mai 2014
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Tribunal de grande instance de Paris Ordonnance de référé 28 janvier 2011

BVR / Gérard S.

annulation - articulation - blog - diffamation - injure - procédure - propos - qualification

FAITS ET PROCÉDURE

A l’audience du 7 janvier 2011 présidée par Alain Bourla, premier juge, tenue publiquement,

Vu l’autorisation d’assigner en référé à heure indiquée délivrée le 13 décembre 2010 par le magistrat délégué par le président de ce tribunal pour l’audience du 7 janvier 2011 ;

Vu l’assignation qu’en suite de cette autorisation Frédéric H., gérant de la société BRV et cette dernière – exploitant un établissement dénommé “Cox bar” ont fait délivrer, le 15 décembre 2010, à Gérard S., à titre personnel, et au même “en qualité de membre fondateur de l’association Vivre le Marais et directeur de publication du site interner www.vivrelemarais.tyvepad.fr”, par laquelle ils nous demandent, au visa “des articles 29, 32 et 33 de la loi du 29 juillet 1881” et de l’article 809 du code de procédure civile :
– la suppression sous astreinte de trois articles publiés sur le blog de l’association Vivre le Marais, en date respective :
• du 10 novembre 2010: “Dans sa conférence de presse, le Cox auto-proclame sa souveraineté sur le IVe” ;
• du 23 novembre 2010 : “Fort de sa pompe à phynances, le patron du Cox joue les “père Ubu”” ;
• du 3 décembre 2010 : “Boîte de nuit géante de la rue Pierre au Lard (IVe) : les riverains ont remis hier une pétition à la Mairie du IVe Le Cox assigne notre association et son président en référé” ;
– des mesures de publication judiciaire sous astreinte, tant sur le site internet de l’association Vivre le Marais, que dans trois quotidiens ;
– la condamnation de Gérard S. au paiement des sommes provisionnelles de 7000 € Frédéric H. et de 7000 € à la société BRV exerçant sous l’enseigne Cox ;
– la condamnation de Gérard S. aux dépens et au paiement de la somme de 5000 €, par application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Vu la dénonciation de l’assignation au procureur de la République le 15 décembre 2010 ;

Vu les conclusions déposées à l’audience par Gérard S. tendant à voir :
• prononcer la nullité de l’assignation, en application de l’article 53, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881 ;
• condamner conjointement et solidairement les demandeurs à lui payer la somme de 10 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile

A l’audience du 7 janvier 2011, les conseils des parties ont soutenu leurs écritures et développé leur argumentation respective.

DISCUSSION

L’article 53 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, dont les dispositions sont applicables aux instances civiles et à l’assignation en référé, exige que l’acte introductif d’instance, qui fixe irrévocablement la nature, l’objet et l’étendue de la poursuite, précise et qualifie le fait incriminé, et indique le texte de loi applicable à la poursuite, lequel s’entend, y compris en matière civile, du texte répressif, de sorte que les personnes poursuivies sachent exactement, et sans la moindre ambiguïté, à la lecture de l’acte, ce qui leur est reproché et soient ainsi pleinement en mesure de préparer utilement leur défense.

En l’espèce, il résulte de la simple lecture de l’assignation qu’en raison d’une rédaction particulièrement peu claire le défendeur est dans la réelle impossibilité de connaître avec précision l’objet exact des poursuites engagées à son encontre, ainsi que leur fondement juridique spécifique, et n’est, de ce fait, pas à même d’organiser utilement sa défense en réplique.

Il convient ainsi de constater notamment que :
– la lecture de l’assignation ne permet pas de déterminer si les trois articles dont la suppression intégrale est demandée dans le dispositif de l’assignation sont poursuivis en leur entier ou au seul titre des quelques phrases reproduites dans le corps de l’acte, étant précisé que pour le troisième article, seule une mention apposée sur une photographie est incriminée, au seul motif qu’elle “vise encore une fois à induire en erreur le lecteur et énonce des faits inexacts” ;
– dans le corps de l’assignation les demandeurs invoquent “pèle mêle” l’injure, la diffamation, la “dénonciation d‘une infraction inexistante”, « l’affirmation qui ne repose sur aucun élément”, “une volonté de dénigrement à l’égard d’une profession” et écrivent, en page 7 de leur acte introductif d’instance : “L‘Association “Vivre le Marais” ayant pour but d’évoquer la vie du quartier dans le Marais et ses problématiques, son opposition obstinée à l‘encontre des requérants révèle en elle-même l’intention et la volonté de nuire pour s‘opposer à un projet ou à une existence d’établissement, non pas par des pratiques légales qui pourraient être utilisées si l’association en avait la possibilité mais par la réalisation des infractions précitées en termes d’injure générale ou spéciale et de diffamation.” ;
– la lecture de l’assignation ne permet aucunement de déterminer avec précision l’objet exact des poursuites respectivement engagées par chacun des deux demandeurs et leur qualification juridique spécifique ;
– certains propos sont poursuivis sous la double qualification de diffamation et d’injure, ainsi les demandeurs poursuivent les termes “recettes exceptionnelles” aux motifs :
* que “l’allégation de bénéfices exceptionnels laisse à penser que ceux-ci ne peuvent provenir que de l‘exercice d’une activité illégale. Cette information est inexacte et donc porteuse d’un contenu diffamatoire”. (page 5) ;
• qu’ “il résulte de ce qui précède et encore plus nettement à l’éclairage des précédentes publications de Gérard S. et de l‘Association Vivre le Marais, qu‘il existe dans les propos ci-dessus relatés l’utilisation d’expressions outrageantes et de termes de mépris qui ne renferment l’imputation d‘aucun fait justifiant les termes de compère, de recettes exceptionnelles…” (page 7) ;
– le fait que les demandeurs visent globalement les articles 32 et 33 de la loi du 29 juillet 1881, sans autre précision, peut, en l’espèce, laisser subsister une ambiguïté dans l’esprit du défendeur quant à l’objet des poursuites, dès lors que les demandeurs font eux-mêmes référence à une orientation sexuelle spécifique en écrivant, en page 6 de leur assignation, dans une rédaction particulièrement sibylline : “Par ailleurs, il existe un lien créé entre d’une part, les requérants et d’autre part un élu parisien qui est Monsieur Mao P. et enfin avec le S.N.E.G., Syndicat National des Entreprises Gays, qui laisse sous entendre un lien ou une communauté entre l’ensemble de ces personnes et donc un lien dont la nature n‘est volontairement pas précisé mais qui vise évidemment à provoquer l’interrogation des lecteurs ».

Pour l’ensemble de ces motifs, il convient de considérer que faute pour les demandeurs d’avoir respecté les dispositions de l’article 53, alinéa 1”, de la loi sur la liberté de la presse, la nullité de l’assignation introductive d’instance doit être constatée.

Les demandeurs seront condamnés aux entiers dépens de l’instance, ainsi qu’au paiement au défendeur de la somme de 2000 €, par application de l’article 700 du code de procédure civile.

DECISION

Statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en premier ressort ;

. Constatons la nullité de l’assignation introductive d‘instance du 15 décembre 2010 ;

. Condamnons in solidum Frédéric H. et la société BRV aux entiers dépens de l’instance, ainsi qu’au paiement à Gérard S. de la somme de 2000 €, par application de l’article 700 du code de procédure civile ;

. Constatons l’exécution provisoire de droit de la présente décision.

Le tribunal : M. Alain Bourla (président)

Avocats : Me Patrice Grenier, Me Ilana Soskin, Me Cyril Laroche

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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.