Jurisprudence : Contenus illicites
Cour d’appel de Paris 11ème chambre correctionnelle, section A Arrêt du 15 décembre 1999
Jean-Louis C. / Ministère public, la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (Licra), la Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen, le Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples (Mrap) et l'Union des étudiants juifs de France (Uejf).
contenus illicites - délit de presse - diffamation publique raciale - injures publiques raciales - prescription - provocation à la violence et à la haine raciale
Faits et Procédure
La prévention
Par ordonnance d’un juge d’instruction en date du 15 avril 1998, Jean-Louis C. a été renvoyé devant le tribunal correctionnel pour avoir le 10 juillet 1997, en diffusant sur le réseau internet, sur le site « http://C..org » trois textes intitulés :
– « Apprenez le caniveau aux bicots »
– « Les races puent »
– « Blanchette, tapette à bicots »,
commis les délits d’injures publiques raciales, diffamation publique raciale, provocation à la violence et à la violence raciale, provocation non suivie d’effet à des atteintes à la vie et à l’intégrité de la personne, infractions prévues par les articles 23, 24 (al. 1-1er, 6 et 7), 29 (al. 1 et 2), 32 (al. 2 et 3), 33 (al. 3 et 4) de la loi du 29 juillet 1881.
Le jugement
La 17ème chambre du TGI de Paris, par jugement contradictoire rendu le 28 janvier 1999 :
– a constaté l’extinction de l’action publique par la prescription ;
– a déclaré irrecevables les constitutions de parties civiles.
La procédure d’appel
L’Union des étudiants juifs de France (Uejf), puis le ministère public, la Ligue française de défense des droits de l’homme et du citoyen, la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra) et le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (Mrap) ont régulièrement et respectivement interjeté appel les 29 janvier, 2, 4 et 5 février 1999 du jugement rendu contradictoirement par le TGI de Paris (17ème chambre) le 28 janvier 1999.
Par arrêts interruptifs en date des 14 avril, 16 juin et 8 septembre 1999, l’affaire a été renvoyée contradictoirement au 17 novembre 1999 pour plaider.
Les parties civiles sont représentées et déposent des écritures tendant à voir la cour :
– réformer le jugement déféré,
– constater que la prescription n’est pas acquise, les poursuites ayant été engagées dans les délais de l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881,
– déclarer Jean-Louis C. coupable des délits visés dans la prévention,
– le condamner à verser des dommages et intérêts à chacune d’elles, soit :
– 1 F pour l’Uejf et la Ligue française de défense des droits de l’homme et du citoyen,
– 10 000 F pour le Mrap,
– 50 000 F pour la Licra,
– et, à titre de réparation complémentaire :
– ordonner l’affichage intégral de l’arrêt à intervenir en page d’ouverture du site de Jean-Louis C. (Uejf, Licra),
– ordonner la publication de l’arrêt à intervenir dans trois journaux de son choix aux frais du prévenu (Licra),
– ordonner sous astreinte la suppression des textes litigieux du site du prévenu sous astreinte de 1 000 F par jour à compter de l’arrêt à intervenir (Licra),
– condamner le prévenu, par application de l’article 475-1 du code de procédure pénale, à verser 1 F à l’Uejf, 10 000 F à la Ligue française de défense des droits de l’homme et du citoyen, à la Licra ainsi qu’au Mrap.
Jean-Louis C., intimé, est présent et assisté. Son conseil dépose des conclusions par lesquelles il sollicite de la cour, à titre principal, la confirmation du jugement déféré et, à titre subsidiaire, sa relaxe.
Il a été renvoyé devant les premiers juges par une ordonnance du juge d’instruction de Paris rendue le 15 avril 1998 pour avoir, le 10 juillet 1997, diffusé sur le réseau internet via le site « http://C..org » trois textes intitulés :
– « Apprenez le caniveau aux bicots »
– « Les races puent »
– « Blanchette, tapette à bicots »,
susceptibles de constitués les délits d’injures publiques raciales, diffamation publique raciale, provocation à la violence et à la haine raciale, provocation non suivie d’effet à des atteintes à la vie et à l’intégrité de la personne, prévus et punis par les articles 23, 24 (al. 1-1er, 6 et 7), 29 (al. 1 et 2), 32 (al. 2 et 3), 33 (al. 3 et 4) de la loi du 29 juillet 1881.
Les faits, tels qu’ils résultent de la procédure, sont les suivants :
L’Uejf a fait constater par huissier le 10 juillet 1997 entre 19 h et 20 h 17 que les trois textes incriminés étaient consultables sur le site internet de Jean-Louis C., intitulé « http altern.org://C./ », ainsi, à l’identique, que sur le site intitulé « http://C..org », comme indiqué sur la page de garde du premier site.
Le parquet de Paris, ainsi que la Licra, faisait effectuer une enquête le 29 septembre 1997 qui attestait de ce que le 31 novembre 1997 les textes en cause étaient consultables sur le site « http://C..org », mais n’a pu déterminer la date de début de diffusion.
Dans ce cadre, Jean-Louis C. était entendu et exposait qu’il avait d’abord édité des disques à partir des textes en cause, puis avait décidé en 1996 de créer un site internet pour les faire connaître à un public plus large susceptible de les lui acheter, en y diffusant les paroles de certaines de ses chansons. Il ajoutait que, dans son esprit, ces textes n’étaient pas racistes, mais constituaient une parodie des fantasmes racistes.
Il confirmait ces éléments devant le juge d’instruction après que le parquet ait ouvert une information par un réquisitoire introductif daté du 29 décembre 1997.
Le prévenu a soulevé in limine litis devant les premiers juges l’exception de prescription de l’action publique à laquelle ceux-ci ont fait droit, estimant que les textes litigieux identifiés le 10 juillet 1997 étant les mêmes que ceux à propos desquels l’Uejf avait délivré une assignation le 8 avril 1997 devant le juge civil, c’était à compter de cette dernière dat (antérieure de plus de trois mois à la demande d’enquête du parquet du 29 septembre) que le délai de prescription avait couru.
Devant la cour, Jean-Louis C. expose les conditions dans lesquelles il a diffusé les textes litigieux sur internet : il a d’abord installé son site chez la société Altern qui propose un hébergement gratuit et un stockage automatique, ce qui explique que la première adresse se soit intitulée « http altern.Org://C./ », puis en juin 1997 il a fait en sorte que l’adresse du site change de manière à ce qu’il soit plus facilement accessible en achetant un nom de « domaine » à une société Internik, le site restant le même, chez Altern.
Il précise que le numéro de référence du site est resté identique, seule une voie d’accès directe au site ayant été ajoutée à la voie initiale.
Il indique que s’il lui arrive de modifier certaines configurations de son site, en particulier concernant la maquette de présentation, les textes de ses chansons – dont les passages sont l’objet de poursuites – qui constituent ses « œuvres », restent identiques à ce qu’ils étaient lors de leur première diffusion.
Ces textes, précise-t-il, demeurent actuellement consultables sur son site où il a fait en sorte qu’ils soient précédés d’un avertissement, ajouté à son initiative depuis l’audience des premiers juges.
A l’appui de leur demande de réformation du jugement concernant l’exception qui résulterait de la prescription de l’action publique retenue par les premiers juges, les parties civiles font valoir les arguments suivants :
Il résulte de la procédure et des différentes dépositions du prévenu que les textes visés dans la prévention sont toujours accessibles au public sur le site que celui-ci a créé à cette fin, et ce depuis 1996.
Le jugement civil, intervenu le 10 juillet 1997 à la suite de l’assignation qui lui était délivrée le 8 avril 1997 par l’Uejf, fait état de ce que Jean-Louis C. a invoqué pour sa défense, entre autres moyens, le fait que les textes en cause avaient été publiés sur le réseau internet le 14 septembre 1996 et que, en conséquence, au cas où ils seraient constitutifs d’une infraction à la loi de 1881, ils ne sauraient faire l’objet de poursuites au pénal, l’action publique étant déjà prescrite.
C’est de cette prescription, dont le principe est posé par l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881 sur la presse, que le prévenu entend bénéficier.
L’application des dispositions dudit article 65, qui pose le principe d’un délai de trois mois à dater du premier jour de publication au-delà duquel l’action publique est éteinte, fait l’objet d’une jurisprudence constante s’agissant d’écrits ou d’images diffusés sur support papier (livres, journaux, affiches, …) ou audiovisuels (radio, télévision, cinéma, …) pour lesquels la détermination du premier jour de mise à disposition du public est aisée ne serait-ce que parce qu’elle résulte du support lui-même (journaux, message audiovisuel), soit parce que le moment de mise à disposition du public correspond à un acte précis (routage pour les livres).
Si la mise en œuvre de ce principe est aisément applicable à des messages périssables, voire furtifs, dès lors qu’ils ont fait l’objet d’une publication sur support papier ou audiovisuels, il n’en va pas de même lorsque le message a été publié par internet qui constitue un mode de communication dont les caractéristiques techniques spécifiques obligent à adapter les principes posés par la loi sur la presse qui visent tout à la fois à protéger la liberté de pensée et d’expression et à en condamner les excès dès lors qu’ils portent atteinte à des valeurs consacrées par ladite loi et, le cas échéant, à des intérêts particuliers ou collectifs.
Pour appliquer l’article 65, il est nécessaire de déterminer la date de la première mise à disposition du public, le principe étant ainsi posé par le législateur qu’au-delà de trois mois, dérogatoire du droit pénal commun, le ministère public et les parties civiles n’ont plus vocation à déclencher l’action publique concernant des écrits dont le trouble à l’ordre public censé en être résulté ou le préjudice causé à des tiers devait être considéré comme éteint ou apaisé.
Dans une telle hypothèse, la publication résulte de la volonté renouvelée de l’émetteur qui place le message sur un site et choisit de l’y maintenir ou de l’en retirer quand bon lui semble.
L’acte de publication devient ainsi continu. Cette situation d’infraction inscrite dans la durée est d’ailleurs une notion du droit positif en droit pénal où elle s’applique dans l’incrimination de plusieurs délits.
Dès lors, il y a lieu de considérer qu’en choisissant de maintenir accessible sur son site les textes en cause aux dates où il a été constaté que ceux-ci y figuraient, et en l’espèce au 10 juillet 1997, Jean-Louis C. a procédé à une nouvelle publication ce jour-là et s’est exposé à ce que le délai de prescription de trois mois court à nouveau à compter de cette date.
Il y a donc lieu de considérer que, contrairement à l’appréciation des premiers juges, c’est à une nouvelle mise à disposition du public que s’est livré le prévenu en modifiant l’adresse de son site et que c’est à compter du 10 juillet 1997, date du constat d’huissier fondant la prévention, que le délai de prescription de l’article 65 a couru. Le premier acte de poursuite ayant été effectué le 27 septembre, l’action publique n’était pas éteinte à cette date.
La décision
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré :
reçoit les appels des parties civiles et du ministère public,
infirme le jugement déféré,
déclare les faits poursuivis non prescrits,
renvoie l’affaire pour indication à la date du 9 février 2000,
rejette toute autre demande des parties comme inopérante ou mal fondée.
La cour : M. Charvet (président), MM. Blanc et Deletang (conseillers).
Ministère public : M. Bartoli (avocat général).
Avocats : Mes Thierry Levy, Philippe Schmidt, Florence Fredj, Didier Seban et Stéphane Lilti.
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