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Jurisprudence : Contenus illicites

lundi 12 mai 2003
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Tribunal de Grande Instance de Paris Ordonnance de référé du 12 mai 2003

Melle L.P. dite Lorie / M. G.S., Wanadoo Portails

agent assermenté app - contenus illicites - déréférencement - droit à l'image - moteur de recherche - référencement moteur de recherche - site internet

Vu l’assignation délivrée les 28 et 29 avril 2003 par Mlle L. P., dont le pseudonyme est Lorie, suivant laquelle il est demandé en référé de :

Vu les articles 9, 1382, 1384 du code civil,

– dire et juger qu’en représentant sur le site « http://lorienue.free.fr » les attributs de la personne de Lorie dans des poses obscènes et dégradantes, l’exploitant du site M. S. a violé de façon flagrante le droit à l’image, au nom et au respect de la vie privée de celle-ci,

– constater le trouble manifestement illicite à elle causé, et l’urgence,

– ordonner à M. S. la fermeture du site litigieux et la réparation de son préjudice sous astreinte de 10 000 € par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir,

– dire et juger que le moteur de recherche « voilà.fr » de la société Wanadoo référence les sites litigieux et, en conséquence, ordonner à cette société de déréférencer ces sites sous astreinte de 10 000 € par jour et de la condamner à lui payer la somme de 100 000 € à titre de dommages-intérêts provisionnels,

– ordonner à la société Wanadoo Portails, sous astreinte de 10 000 € par jour de retard, de mettre en oeuvre tous les moyens de nature à rendre impossible toute connexion entre le moteur de recherche voilà.fr et le site litigieux,

– condamner conjointement et solidairement l’exploitant du site M. S. et la société Wanadoo Portails au paiement d’une provision sur dommages-intérêts de 100 000 € en réparation de son préjudice, ainsi que la somme de 10 000 € sur le fondement de l’article 700 du ncpc et aux dépens.

Vu les conclusions de M. S. et de la société Wanadoo Portails ;

La discussion

Attendu que bien que l’acte introductif ne les vise pas, dès lors qu’il s’agit de former les demandes visées ci-dessus en référé, cette juridiction a vocation à intervenir dans le cadre des dispositions des articles 808 et 809 du ncpc ;

Mlle L. P., connue sous le pseudonyme de Lorie, jeune artiste-interprète de chansons, précise avoir toujours souhaité garder la parfaite maîtrise de son image, notamment à l’égard de son plus jeune public, et fait valoir qu’elle n’entend pas se départir d’une conduite faite de pudeur, discrétion et respect, afin de préserver sa vie privée et conserver une image digne.

Elle se plaint du fait qu’en effectuant une recherche sur le nom de « Lorie » à l’aide du moteur « voilà.fr », il est donné accès à un site internet intitulé « lorienue.free.fr », et s’appuie sur un constat dressé par un agent assermenté de l’Agence pour la Protection des Programmes (APP), le 4 avril 2003 pour dénoncer la présentation d’images réalisées par photomontage de son visage reconnaissable sur le corps d’une jeune fille entièrement nue, dans une position très suggestive, sous le titre en page d’accueil : « Découvrez les photos secrètes de Lorie toute nue ! ».

Elle souligne le fait qu’un encadré porte indication pour obtenir tout renseignement de l’adresse « starstoutesnues@free.fr, et d’un numéro de téléphone surtaxé, avec barre de saisie permettant d’entrer un code d’accès, soit, suivant ce que la demanderesse affirme, moyennant le prix de 1,349 € par appel puis de 0,337 € la minute, service téléphonique dont elle précise l’éditeur.

Le code d’accès obtenu et entré, l’internaute est dirigé vers une page web à l’adresse http://jaremilly.free/pages/stades.htm , qui affiche des photos de stades, site personnel par conséquent sans relation à ses yeux avec le contenu dénoncé.

Elle précise avoir obtenu sur requête la communication par la société Free, prestataire d’hébergement qui apparaissait lors du constat, l’identité de l’exploitant du site « lorienue.free.fr », soit M. S., au login (code d’accès) « jaremilly ».

M. S., qui demande de constater qu’il a procédé à la fermeture du site litigieux, et conclut au rejet de la demande d’allocation d’une indemnité provisionnelle, ne conteste pas avoir porté sur celui-ci trois photomontages représentant l’artiste dénudée, tout en précisant qu’il n’est pas l’auteur de ceux-ci.

La société Wanadoo Portails sollicite sa mise hors de cause, en demandant de débouter Lorie de ses demandes présentées à son encontre, et à titre subsidiaire de constater que le site n’est plus référencé sur le moteur de recherche « voilà.fr ».

Sur le trouble invoqué

Attendu qu’il n’est pas réellement contesté qu’en violation du droit de Lorie au respect de sa vie privée, son image a fait l’objet sans son autorisation d’une reproduction et d’une diffusion, M. S. admettant avoir affiché trois photographies sur le site par lui créé, comme le fait qu’il s’agit de montages purs et simples ;

Qu’il n’est pas contestable qu’après avoir accédé à ces images, l’internaute était invité à en consulter d’autres en procédant à un appel surtaxé, même si le résultat promis n’était pas en réalité offert ;

Que M. S. ne conteste pas avoir ainsi engagé en qualité d’exploitant du site litigieux sa responsabilité, étant l’auteur d’un trouble manifestement illicite auquel il a d’ailleurs mis fin, comme cette juridiction le constatera ;

Que la demande tendant à ordonner la fermeture du site sous astreinte apparaît dès lors sans objet, étant précisé qu’en outre il résulte d’un constat dressé à la demande de la société Wanadoo Portails le fait qu’au 2 mai 2003 toute référence au site litigieux avait disparu à l’issue d’une recherche effectuée à partir du nom de « Lorie » à l’aide du moteur « voilà.fr » ;

Sur les demandes dirigées à l’encontre de société Wanadoo Portails

Lorie, soulignant le fait que la recherche d’information sur l’internet passe le plus souvent par l’utilisation d’un moteur de recherche, relève le fait qu’il permet de répertorier à intervalles réguliers les différentes ressources présentes sur internet en fonction des mots contenus, le moteur « voilà.fr » étant lié au fournisseur d’accès Wanadoo, dont il est affirmé la position dominante sur le marché, et qui le met à disposition des internautes sur sa page d’accueil.

Elle explique que pour cette raison elle a, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 4 avril 2003, mis en demeure cette société d’entreprendre toutes les actions nécessaires afin de faire cesser immédiatement le trouble causé.

Elle met dès lors en cause sa responsabilité pour le dommage causé par son moteur de recherche, visant les dispositions de l’article 1382 du code civil, ainsi que celles de l’article 1384 du même code, le moteur de recherche étant à ses yeux une chose sous sa garde.

La société Wanadoo Portails aurait à sa charge une obligation d’alerte dès lors qu’elle a connaissance de l’existence d’éléments illicites sur l’un des sites qu’elle a référencés, ainsi que de contrôler et supprimer tout référencement ou lien en sa qualité de professionnel sérieux et diligent.

Elle fait valoir qu’au surplus cette société ne pouvait raisonnablement ignorer le caractère illicite du site référencé au vu de son titre visant une artiste notoirement connue.

La société Wanadoo Portails conteste l’existence de telles obligations à sa charge, invoquant les dispositions de la loi 00-719 du 1er août 2000, et les spécificités propres aux moteurs de recherche.

Attendu tout d’abord que les demandes tendant à supprimer toute référence et à rendre impossible toute connexion par le moteur de recherche au site litigieux apparaissent désormais sans objet, eu égard à la suppression de toute référence au site lorsque celui-ci est recherché à l’aide du moteur voilà.fr par le mot-clé cité, et celle du site litigieux ;

Que la société Wanadoo Portails met à disposition des internautes, en les indexant, dans le cadre du site voilà.fr qu’elle exploite, des références sous forme de liens hypertextes permettant d’accéder au contenu de divers sites comme celui exploité par M. S., et en particulier, à l’appel du nom de « Lorie », aux images stockées directement et en permanence par la société Free pour le compte de l’exploitant du site litigieux ;

Attendu qu’il ne peut être sérieusement discuté que le responsable au premier chef du contenu d’un site est son exploitant, soit l’éditeur au sens des dispositions de l’article 43-10 de la loi ci-dessus visée ;

Que le législateur n’a entendu permettre l’engagement de la responsabilité des personnes morales ou physiques prestataires d’hébergement – comme ici la société Free, qui n’est pas dans la cause – qu’à des conditions restrictives, soit pour n’avoir pas agi promptement, saisies par une autorité judiciaire, pour empêcher l’accès au contenu ;

Que la demanderesse, qui ne soutient pas que le législateur aurait entendu que ces dispositions s’appliquent aux personnes physiques ou morales mettant à disposition un moteur de recherche, met en cause la responsabilité de la société Wanadoo Portails à ce titre dans le cadre du droit commun ;

Qu’elle n’assure pas le stockage direct et permanent des données, et en particulier des images, que le site litigieux contenait ;

Que la société Wanadoo Portails rappelle qu’il s’agit, pour le logiciel qu’elle utilise, de visiter de manière continue les pages de la toile, et de les indexer automatiquement dans une base de données en fonction des mots-clé que ces pages contiennent ;

Qu’il convient à cet égard de rappeler que ces expressions ou mots clés sont choisis par les auteurs des sites, et non par la société en question ;

Qu’elle entend souligner la différence existant entre ce type d’outil, et celui couramment dénommé « annuaire », qui suppose une indexation manuelle, et oppose le fait que la mise en place d’un contrôle conduirait à opérer une sélection à caractère discriminatoire ;

Qu’elle émet enfin des réserves sur la possibilité effective, au plan technique, de procéder à la suppression de la référence à laquelle elle serait tenue, aux yeux de la demanderesse ;

Attendu ceci exposé qu’il n’est pas démontré voire même clairement allégué l’existence d’une erreur de conception du système logiciel exploité par la société Wanadoo Portails, à savoir par exemple que le renvoi au site tiendrait aux critères d’indexation par elle retenus, ou d’un dysfonctionnement, susceptibles d’être à l’origine de la mise en relation des internautes avec le site litigieux, et donc en relation avec le dommage ;

Qu’il est fait état en réalité d’une obligation de surveillance à la charge de ce professionnel, et de suppression de la référence au site dès lors qu’elle n’a pu qu’avoir eu connaissance du caractère manifestement illicite de son contenu compte tenu de l’identité de la personne concernée, notoirement connue ;

Qu’il s’agirait donc d’instaurer à la charge de l’exploitant de moteur de recherche l’obligation de surveiller les conditions, en réalité mises en oeuvre par le créateur du contenu du site lui-même, et qui sont de nature à lui permettre de porter à la connaissance des internautes son existence, par l’indication du cheminement à suivre ;

Que la liberté d’établir un lien, sauf à répondre des abus résultant de son utilisation, apparaît inhérent au principe de fonctionnement de l’internet ;

Qu’il n’apparaît pas évident de conclure en l’espèce à l’existence d’une intervention positive de la part de l’exploitant du moteur de recherche au plan de l’élaboration du cheminement, qui soit assimilable à une intégration du contenu litigieux ou à sa reproduction sur son propre site, voilà.fr, et alors que celui-ci n’assure pas l’hébergement du site contesté ;

Attendu au total que les obligations invoquées à la charge de la société Wanadoo Portails se trouvent par conséquent sérieusement contestables, et l’appréciation de ces prétentions ressortit à un débat devant le juge du fond ;

Qu’il n’y a donc lieu à référé sur ce point ;

Sur l’indemnité

Attendu aux termes de l’article 809 § 2 du ncpc, que dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, il peut être accordé une provision au créancier ;

Attendu que le principe de l’obligation de l’auteur du contenu, soit M. S., de réparer le préjudice subi de son fait par Lorie n’est pas sérieusement contestable, chacun, quelle que soit sa notoriété, ayant droit au respect de son image, qui participe plus largement de celui de l’intimité de la vie privée ;

Que pour justifier le montant demandé à titre provisionnel, soit 100 000 €, il est invoqué l’association de la personne de Lorie à des images obscènes et à une entreprise visant à tirer un profit indu de leur exposition ;

Que le défendeur fait valoir que celle-ci a duré de début à fin avril 2003 ;

Que le constat dressé par la demanderesse remonte au 4 avril, la date de suppression du site n’étant pas exactement connue, mais en tout cas antérieure à la tenue de l’audience le 5 mai 2003 ;

Qu’il convient de relever qu’en se gardant de s’adresser au prestataire d’hébergement dont elle connaissait l’identité depuis le 4 avril 2003, la demanderesse s’est privée d’une possibilité de mettre fin plus rapidement au trouble invoqué ;

Qu’il peut être relevé que sur deux des photomontages, c’est le seul buste qui est en partie ou en totalité dévoilé, et sur la troisième image, le corps dénudé, vu de dos ;

Que la présentation faite, sans se caractériser par une obscénité ou lascivité agressive, n’en constitue pas moins une atteinte aux droits attachés à la personne de Lorie, chanteuse qui a pour public des adolescents pour l’essentiel ;

Que M. S. fait valoir par ailleurs qu’il a repris ces images à partir d’un autre site, ce qui apparaît établi pour deux d’entre elles, l’une d’elles apparaissant d’ailleurs de médiocre qualité, site dont il justifie qu’il fonctionne toujours à la date de l’audience ;

Que le site « lorienue.free.fr » n’apparaissant référencé qu’en deuxième page par le moteur de recherche, le risque d’atteindre et de choquer le jeune public de cette artiste est à apprécier dans ce contexte ;

Que le nombre d’internautes ayant visité le site n’est pas connu ;

Attendu qu’en l’état de ces éléments, la nature de l’atteinte portée à l’image de Lorie permet de retenir à la charge de M. S. une obligation non sérieusement contestable d’indemnisation à hauteur de 6000 € pour la réparer ;

Qu’il apparaîtrait inéquitable de laisser à Lorie la charge de la totalité de ses frais irrépétibles ;

Que M. S., eu égard à sa situation socio-économique, sera condamné à lui verser à ce titre la somme de 1500 € ;

Qu’il serait également inéquitable de laisser à la charge de la société Wanadoo Portails la charge des frais irrépétibles qu’elle a du engager, suite à l’assignation dont elle a été l’objet ;

Que la demanderesse, qui succombe dans ses prétentions à son égard, devra lui payer la somme de 1500 € ;

Que les dépens seront laissés à la charge de M. S. ;

La décision

Publiquement, par ordonnance contradictoire et en premier ressort,

Vu les dispositions de l’article 809 du ncpc, de l’article 9 du code civil,

. Constatons que le trouble manifestement illicite résultant du fonctionnement du site « http://lorienue.free.fr », à l’origine duquel se trouve M. S., a cessé,

. Déboutons Lorie de ses demandes à l’encontre de la société Wanadoo Portails,

. La condamnons à lui payer la somme de 1500 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du ncpc,

. Constatons l’existence d’une obligation non sérieusement contestable à charge de M. S. d’indemniser Lorie du préjudice subi,

. Condamnons M. S. au paiement d’une indemnité provisionnelle à Lorie de 6000 €, à valoir sur les dommages-intérêts,

. Disons n’y avoir lieu à référé pour le surplus,

. Le condamnons à payer à Lorie la somme de 1500 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du ncpc ;

. Laissons les dépens à la charge de M. S.

Le tribunal : M. Emmanuel Binoche (premier vice président)

Avocats : SCP Simon Tahar et Barbara Rosnay, Me Nizou Lesaffre, Me Denis Hubert, Me Bertrand Potot, Me Marguerite Bilalian

Notre présentation de la décision

 
 

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