Jurisprudence : Vie privée
Cour d’appel de Paris 1ère chambre, section F Arrêt du 27 janvier 2005
Yves L. / Conseil de l'Ordre des avocats
déclaration - informatique et libertés - régularité - sécurité - vie privée - vote électronique
FAITS ET PROCEDURE
Les élections pour la désignation du successeur du Bâtonnier de l’Ordre des avocats à la Cour de Paris et des membres du Conseil de l’Ordre se sont déroulées les mardi 23 novembre 2004 et mercredi 24 novembre 2004.
Le Conseil de l’Ordre a décidé d’utiliser un système électronique pour enregistrer les votes et d’autoriser le vote à distance par le réseau internet.
Par déclaration reçue au greffe de la Cour le 1er décembre 2004, Me Yves L. a demandé à la Cour « d’annuler les élections au Conseil de l’Ordre du barreau de Paris ». Cette première procédure a été enregistrée sous le numéro 04/22318.
L’affaire a été fixée à l’audience du 6 janvier 2005 par ordonnance du 10 décembre 2004.
Me Yves L. a fait délivrer une assignation au Bâtonnier de l’Ordre des avocats le 17 décembre 2004 et au Procureur général près la cour d’appel de Paris à la même date.
Par déclaration reçues au greffe de la Cour les 30 novembre et 1er décembre 2004, Me Yves L. a sollicité l’annulation des « élections au dauphinat et au Conseil de l’Ordre » et l’annulation des « élections au dauphinat ». Cette seconde procédure a été enregistrée sous le numéro 04/22319.
L’affaire a également été fixée à l’audience du 6 janvier 2005 par ordonnance du 10 décembre 2004.
Me Yves L. a fait délivrer une assignation au Bâtonnier de l’Ordre des avocats le 17 décembre 2004 et au Procureur général près la Cour d’appel de Paris à la même date.
Le Conseil de l’Ordre et le Procureur général ont conclu au rejet des demandes de Me Yves L.
DISCUSSION
Considérant que dans le cadre des deux procédures les moyens et arguments développés par Me Yves L. comme les pièces produites sont identiques ;
Qu’il est conforme à une bonne administration de la justice d’ordonner la jonction des deux affaires.
Considérant que les recours ont été formés dans le respect des formes et dans les délais fixés par les articles 15 de la loi 71-1130 du 31 décembre 1971 et 12 du décret n°91-1197 du 27 novembre 1991 ;
Qu’ils sont donc recevables.
Considérant que Me Yves L., alors que les débats avaient été clôturés le 6 janvier 2005 et les affaires mises en délibéré au 27 janvier 2005, a cru devoir adresser une note en délibéré accompagnée de pièces le 10 janvier 2005 ;
Que le Conseil de l’Ordre a cru devoir répondre par une note en délibéré reçue le 13 janvier 2005, également accompagnée de pièces ;
Que conformément aux dispositions des articles 16 et 445 du ncpc, les parties ne peuvent déposer aucune note ni produire aucune pièce après la clôture des débats si ce n’est en vue de répondre aux arguments développés par le ministère public ou bien à la demande du président de la formation de jugement ;
Que les notes et pièces susvisées n’ayant pas été produites dans les conditions prévues par les textes de procédure civile, elles doivent être écartées des débats.
Sur le droit applicable
Me Yves L. fait valoir que les élections professionnelles aux instances dirigeantes des barreaux français sont soumises aux règles du droit électoral contenues dans le code électoral.
Le Conseil de l’Ordre répond que les dispositions du code électoral s’appliquent seulement aux élections au suffrage universel, qu’elles sont spécifiques aux élections politiques et en conséquence inapplicables à une élection professionnelle.
Considérant que les élections du successeur du Bâtonnier de l’Ordre des avocats et des membres du Conseil de l’Ordre sont régies par les dispositions :
– de l’article 15 de la loi 71-1130 du 31 décembre 1971 modifiée par la loi 2004-130 du 11 février 2004,
– des articles 5 et 6, 8 et suivants du décret n°91-1197 du 27 novembre 1991, et de l’article 24 du règlement intérieur du Barreau de Paris complété par l’annexe 1 ;
Qu’aucune disposition légale ne prévoit l’application des règles du code électoral à des élections professionnelles placées sous la responsabilité du Bâtonnier et de son ordre ;
Que de nombreuses prescriptions du code électoral seraient d’ailleurs inapplicables pratiquement à de telles élections professionnelles ;
Qu’en conséquence les dispositions du code électoral, réservées aux élections politiques n’avaient pas à être respectées pour les élections litigieuses ;
Que cependant comme toute élection, celles intéressant les organes dirigeants d’un barreau sont soumises au respect des principes généraux du droit électoral dont l’objet est d’assurer la complète information de l’électeur, le libre choix de celui-ci, l’égalité entre les candidats, le secret du vote, la sincérité du scrutin, et le contrôle du juge ;
Sur l’organisation du scrutin
Me Yves L. relève d’abord qu’aucune disposition du décret du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat ne prévoit le vote électronique lors des élections au dauphinat ou au Conseil de l’Ordre et « qu’aucune spécification n’existe quant à l’organisation du vote électronique ».
Il estime que dans l’hypothèse où le règlement intérieur d’un barreau pourrait suppléer l’absence de décret, voire l’imprécision d’un décret, un tel règlement intérieur devrait prévoir le vote électronique dans des conditions garantissant la plus grande sécurité.
Le demandeur prétend ensuite que l’information des électeurs a été insuffisante.
Il affirme également qu’il n’existe aucun organe au sein du barreau de Paris chargé de la surveillance et du contrôle des opérations électorales.
Il soutient que les noms des responsables du scrutin dans la salle des pas perdus du Palais de justice n’ont pas été précisés et que le procès verbal des élections n’a pas été communiqué.
Il expose aussi que lors des élections organisées par l’Ordre, seuls deux isoloirs étaient prévus dans la salle des pas perdus du Palais de justice de Paris de sorte que la majorité des avocats électeurs ne s’est pas présentée dans un isoloir pour préparer son vote.
Il observe que les résultats électoraux ne mentionnent pas le nombre des électeurs inscrits et affirme que seules des estimations de l’ordre de 18 000 à 19 000 inscrits ont été évoquées. Selon lui, « l’étendue du corps électoral » n’était donc connue « ni avant le scrutin ni à l’issue de celui-ci ».
Il s’étonne enfin de la durée anormale des opérations de dépouillement.
Le Conseil de l’Ordre répond qu’une large communication a été effectuée dans plusieurs numéros du bulletin du barreau et que chaque électeur a reçu un courrier personnalisé détaillant les modalités du vote à sa disposition – vote manuel par bulletin papier, vote par procuration ou vote électronique.
Il explique que les bureaux de vote installés dans la salle des pas perdus du Palais de justice pour permettre le vote manuel, ont été placés sous le contrôle de membres ou anciens membres du conseil de l’ordre, les électeurs disposant d’isoloirs ainsi que de bulletins et enveloppes.
Il fait valoir que Me Yves L. n’apporte aucune preuve d’un quelconque dysfonctionnement ayant pu porter atteinte à la liberté de choix des électeurs ou à la sincérité du vote. Il affirme qu’aucun incident n’a été signalé.
Il indique que la liste précise et nominative des personnes ayant la qualité d’électeur a été établie et a servi de liste d’émargement, ajoutant que tout candidat avait la possibilité de se faire communiquer cette liste constituée par le tableau des avocats inscrits et la liste des avocats honoraires.
Il soutient que la publication d’une liste électorale n’est pas obligatoire et qu’on ne voit pas comment l’absence de publication pourrait entraîner l’irrégularité des opérations de vote.
Quand à la durée des opérations de dépouillement, il considère qu’elle ne constitue ni la preuve ni même l’indice d’une irrégularité.
Considérant qu’il ne résulte d’aucune disposition légale qu’un texte règlementaire soit nécessaire pour permettre à un barreau d’utiliser le vote électronique à l’occasion des élections professionnelles ;
Qu’à la suite de deux délibérations du Conseil de l’Ordre des avocats des 19 mars et 30 avril 2002, transposées dans l’annexe I du règlement intérieur du barreau, les modalités du vote par internet on été fixées dans les conditions suivantes :
« Article 7.2 Vote par correspondance sur support électronique :
7.2.1 Tout avocat répondant aux conditions de l’article 15, alinéa 2, de la loi du 31 décembre 1971 peut voter par correspondance sur support électronique.
7.2.2 Le secrétariat de l’Ordre adresse à chaque avocat électeur, au moins 15 jours avant le scrutin, les modalités de vote qui comprendront notamment son code confidentiel et personnel.
7.2.3 Le jour du scrutin, l’électeur s’identifie en accédant au site de vote qui, l’ayant reconnu, lui présente les bulletins de vote.
Les écrans de vote sont ensuite déroulés jusqu’à confirmation du vote qui entraîne son dépôt dans l’urne électronique.
La confirmation du vote met à jour la liste d’émargement électronique.
7.2.4 Le vote par support électronique exclut toute autre modalité de vote pour le tour de scrutin à l’occasion duquel il a été exercé » ;
Que les deux délibérations susvisées, publiées au bulletin du barreau, n’ont fait l’objet d’aucun recours dans le délai légal ;
Qu’elles prévoient expressément la possibilité de voter à distance en utilisant un dispositif électronique permettant d’accéder au site du prestataire chargé d’organiser le vote et fixent les modalités d’un tel vote ;
Qu’il s’ensuit que Me Yves L. ne peut utilement soutenir que le vote par correspondance sur support électronique ne repose sur aucun texte et que les règles générales applicables à sa mise en œuvre ne sont pas précisées ;
Considérant qu’il résulte des pièces versées aux débats qu’une large communication sur l’organisation des élections et sur les différentes candidatures a été effectuée dans le bulletin du barreau de Paris en septembre, octobre et novembre 2004 ;
Que chaque avocat inscrit au tableau et sur la liste des avocats honoraires a été destinataire d’un code identifiant et d’un mot de passe contenus dans une enveloppe portant la mention « personnelle et confidentielle » ;
Que dans une lettre adressée à l’ensemble de ses confrères le 8 novembre 2004, le Bâtonnier a rappelé les modalités du vote électronique ;
Que Me Yves L. ne produit aucune pièce de nature à établir qu’une insuffisante communication a été de nature à porter atteinte au libre choix de l’électeur, à l’égalité entre les candidats ou à la sincérité du scrutin ;
Qu’il n’est pas davantage démontré que les électeurs aient été soumis à une propagande de nature à porter atteinte à leur libre détermination ;
Considérant qu’une partie des électeurs a pu voter au palais de justice de Paris en déposant un bulletin en papier dans une enveloppe ;
Qu’ainsi qu’il a déjà été dit, les dispositions du code électoral ne sont pas applicables aux élections professionnelles et que l’Ordre des avocats n’était donc pas tenu de prévoir un isoloir pour 300 électeurs inscrits conformément à l’article 62 de ce code ;
Qu’une grande partie des électeurs a utilisé le vote électronique et qu’il n’est nullement démontré qu’un nombre insuffisant d’isoloirs ait provoqué une attente prolongée de nature à dissuader de participer au scrutin ceux des électeurs qui souhaitaient voter de manière traditionnelle ;
Considérant que si on peut regretter qu’aucun procès verbal général des élections ne soit versé aux débats, il apparaît à l’examen de deux procès verbaux dressés les 23 et 24 novembre 2004, à la demande de l’Ordre des avocats, par Me Patrice N., huissier de justice de Paris :
– quinze cabines isoloirs de vote électronique comportant chacune un poste informatique,
– un poste de démonstration,
– quatre bureaux de vote comportant chacun deux urnes, l’une pour l’élection du dauphin l’autre pour l’élection des membres du conseil de l’ordre,
– deux isoloirs pour le « vote papier »,
– une grande table sur laquelle étaient disposés les bulletins de vote et les enveloppes ;
Que l’huissier a constaté que les bureaux de vote destinés au « vote papier » étaient tenus par des membres ou anciens membres du Conseil de l’Ordre assistés chacun d’une secrétaire ; que les votants se présentaient avec leur carte comportant leur nom, leur code identifiant et le mot de passe, qu’il était vérifié qu’ils n’avaient pas voté électroniquement et qu’il leur était demandé d’émarger sur les listes des avocats inscrits ;
Qu’il est ainsi justifié de l’établissement d’une liste d’émargement comportant le nom des électeurs inscrits ;
Que Me Yves L. ne prétend pas qu’il lui ait été refusé de procéder à un quelconque contrôle de cette liste d’émargement ;
Que l’huissier de justice a également relevé que l’urne électronique était vide au début des opérations électorales ;
Qu’il a noté qu’à 18 heures le Bâtonnier a déclaré le scrutin clos, qu’aucun « vote papier » n’a plus été reçu et qu’il a été procédé à la fermeture de l’urne électronique ;
Que Me N. a constaté pour le premier tour de l’élection du dauphin qu’au moment de l’ouverture des urnes dans la bibliothèque de l’Ordre plusieurs avocats étaient présents – le Bâtonnier de l’Ordre, le Bâtonnier F., Me F., des membres du Conseil de l’Ordre, des candidats ou leurs représentants ;
Qu’il a aussi relevé que sept bureaux de dépouillement étaient constitués, présidés respectivement par Me Y., V., L., P., C. et P. et que chaque président de bureau de vote était assisté de deux assesseurs ;
Que des constatations analogues ont été effectuées pour le premier tour de l’élection des membres du Conseil de l’Ordre pour le second tour de l’élection du Dauphin et pour le second tour de l’élection des membres du Conseil de l’Ordre, le nombre des bureaux de dépouillement étant porté à 15 pour cette dernière élection ;
Qu’il apparaît ainsi que les opérations électorales ont bien été contrôlées par des membres du Conseil de l’Ordre ;
Que des dispositions ont été prises pour permettre l’identification des électeurs et empêcher que ceux-ci votent à la fois par voie électronique et par bulletin placé sous enveloppe ;
Qu’il est aussi établi que les bulletins blancs et nuls ont été comptés séparément et que le dépouillement a été réalisé dans les conditions habituellement pratiquées ;
Que Me Yves L. ne peut dans ces conditions utilement soutenir qu’aucun organe du barreau de Paris n’a été chargé de la surveillance des opérations électorales et que celles-ci ont été organisées sans aucune garantie ;
Considérant que si le nombre des inscrits n’est pas indiqué sur les procès verbaux d’huissier versés aux débats, seul le nombre des votants étant mentionné, rien n’interdisait à Me Yves L. de procéder au comptage des noms figurant sur la liste d’émargement ;
Qu’en tout état de cause, l’absence d’affichage ou de mention sur un procès verbal du nombre des électeurs inscrits ne peut avoir entaché la régularité des opérations électorales, et porté atteinte à la sincérité du vote ;
Considérant enfin que la seule durée des opérations de dépouillement qui se sont prolongés, à l’issue du deuxième tour, jusqu’à 22h20 n’est pas de nature à établir une quelconque violation des principes généraux du droit électoral ;
Considérant qu’il n’existe en conséquence aucun motif d’annuler les élections en raison d’irrégularités ou de défaillances dans les conditions d’organisation du scrutin.
Sur les modalités d’utilisation du vote électronique
Me Yves L. énonce que le barreau de Paris a introduit le vote électronique sans l’organiser et le protéger.
Il souligne la vacuité du règlement intérieur du barreau et de son annexe I.
Il explique en premier lieu qu’il est indiqué dans le règlement intérieur du barreau que « le secrétariat de l’Ordre adresse à chaque avocat électeur … les modalités de vote ».
Selon lui, il n’appartient pas au secrétariat de l’Ordre de déterminer les modalités de vote électronique ».
Il ajoute que « la décision du Bâtonnier de du 8 novembre 2004 », qui est l’unique document mentionnant le vote par internet au sein des cabinets d’avocats, constitue une « décision manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir lui appartenant ».
Il fait ensuite état d’une délibération de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) n°02-022 du 2 avril 2002 relative à l’expérimentation d’un dispositif de vote électronique dont les préconisations auraient du être suivies.
Il énonce que les cabinets collectifs, qui seraient majoritaires au sein du barreau de Paris, ont pu voter via internet sur le lieu de travail. Le bureau de vote unique placé au palais de justice de Paris a donc, selon lui, éclaté en milliers de lieux de vote.
Il considère que le caractère personnel du vote n’a donc pas été garanti, chacun pouvant donner, en l’absence de tout contrôle, une procuration verbale, à une personne qui n’est même pas avocat au sein du cabinet.
Il prétend qu’il n’a existé dans les cabinets collectifs, aucun lieu préservé où le vote aurait pu être accueilli individuellement dans le secret de l’anonymat et que toutes sortes d’influences ont ainsi pu aisément se développer.
Il soutient en conséquence que la règle essentielle du secret du suffrage a été violée et que la validité du vote en est entachée.
Me Yves L. fait également valoir que la Cnil dans une délibération n°2003 du 1er juillet 2003 portant adoption d’une recommandation relative à la sécurité des systèmes de vote électronique, a prescrit différentes règles applicables aux élections professionnelles.
Il expose encore qu’aux termes de l’article 9 de l’annexe 1 du règlement intérieur du barreau de Paris « tout candidat ou son représentant dûment désigné à le droit de contrôler les opérations de vote, de dépouillement des bulletins, de décompte des voix, dans les locaux où s’effectuent les opérations « . Il soutient que les opérations de vote doivent pouvoir être contrôlées dans les locaux des cabinets d’avocats lorsque ceux-ci votent à distance et affirme qu’aucune mesure n’a été prise pour permettre un tel contrôle.
Me Yves L. invoque enfin des défaillances constatées lors d’opérations électorales intéressant le barreau de Lyon ou organisées à Paris, en relevant que la société prestataire de services retenue par le barreau de Paris, l’Eurl Election Europe, avait été chargée, à ces occasions, de la mise en œuvre du vote électronique. Il reproche aux représentants du barreau de Paris de n’avoir diffusé aucune expertise de nature à valider sur le plan technique le processus adopté par cette Eurl…
Le Conseil de l’Ordre réplique que le demandeur se fonde sur un présupposé selon lequel le vote électronique se prêterait à toutes sortes de pressions susceptibles d’en altérer la sincérité.
Or, tout avocat qui aurait pu faire l’objet de pressions et craindre de ne pouvoir résister, avait, selon lui, la possibilité de les rendre inopérantes en se déplaçant au palais de justice pour voter.
Il observe qu’aucune preuve voire indice n’est présenté par Me Yves L. à l’appui de ses allégations.
Le Conseil de l’Ordre expose que l’avis de la Cnil du 2 avril 2002 cité par Me Yves L. concerne des élections politiques prévues par la commune de Vandoeuvre les Nancy et n’intéresse donc pas l’espèce.
Il relève, au contraire, que la même commission a énoncé dans une délibération du 21 septembre 2004 relative à la mise en œuvre d’un système de vote électronique à distance pour l’élection des membres des chambres de commerce « il est transmis à chaque électeur des données personnelles permettant son authentification lors des opérations de vote : cette authentification est rendue possible par l’envoi, sous enveloppe cachetée et pli sécurisé, d’un identifiant et d’un code strictement personnel ; outre ces éléments chaque électeur devra pour procéder au vote, faire état d’une donnée qui lui est personnelle. La commission considère que ces dispositions permettent, compte tenu de la nature professionnelle des élections, d’assurer l’authentification de l’électeur dans des conditions satisfaisantes et analogues à celles prévues pour le vote par correspondance… ». Il affirme que les élections au barreau de Paris se sont déroulées dans des conditions exactement identiques à celles ainsi avalisées par la commission.
Il observe qu’aucun commencement de preuve d’une quelconque défaillance du système de vote n’est rapporté.
Pour ce qui est des élections du barreau de Lyon, il considère qu’elles ne présentent aucune analogie dans la mesure où c’est une erreur humaine qui est à l’origine de l’absence de tout enregistrement des votes électroniques.
Considérant que les modalités du vote électronique ont été déterminées par le règlement intérieur du barreau de Paris de manière suffisamment précise et qu’il ne saurait être soutenu qu’elles l’ont été par le seul secrétariat de l’Ordre ou par le seul Bâtonnier ;
Considérant que la recommandation de la Cnil du 1er juillet 2003 ne constitue pas une décision administrative normative ;
Que si par son caractère très complet, elle représente, à l’évidence, un guide particulièrement utile pour tous ceux qui envisagent de mettre en œuvre le vote électronique et doivent établir un cahier des charges pour fixer leurs relations contractuelles avec le prestataire de services chargé d’assurer la gestion technique des opérations électorales, aucune disposition légale ne permet de considérer que les règles contenues dans cette recommandation s’imposaient à l’Ordre ;
Considérant qu’il ne résulte d’aucune des pièces versées aux débats que des pressions aient pu être exercées sur les membres des cabinets de groupe ayant utilisé la possibilité de voter à distance sur leur lieu de travail en utilisant le réseau internet ;
Que la charge de la preuve d’une atteinte à la sincérité du vote repose sur Me Yves L. qui sollicite l’annulation des élections ;
Considérant que dans un courrier adressé à Me Yves L. le 12 octobre 2004, le Bâtonnier a précisé qu’il avait demandé à une société indépendante spécialisée dans les tests d’intrusion d’effectuer de façon inopinée un test sur le site mis en place pour les élections des 23 et 24 novembre 2004 et que le rapport d’expertise conclut de la manière suivante : « le niveau de sécurité de la plate forme est très élevé… l’application proposée permet la réalisation d’élections sans craindre que les résultats du scrutin soient modifiées de manière illicite » ;
Que Me Yves L. n’a pas cru utile de demander communication de ce rapport ;
Qu’il ne procède dans ses écritures à aucune analyse critique précise du dispositif technique retenu par la société prestataire de services avec laquelle l’Ordre a contracté ;
Qu’il ne verse aux débats aucun élément de nature à établir la vulnérabilité de ce dispositif ;
Qu’il ne fait état d’aucun incident autre que quelques difficultés de connexion rencontrées par certains de ses confrères sans qu’il soit soutenu que ceux-ci se soient trouvés dans l’impossibilité de participer au scrutin ;
Considérant qu’il n’est pas envisageable sur le plan pratique d’autoriser tous les candidats à envoyer un représentant dans chaque cabinet d’avocats afin de suivre le déroulement des opérations lorsque les électeurs votent à distance en utilisant le réseau internet ;
Que seules sont susceptibles d’être mises en œuvre des mesures destinées à assurer le secret du vote et la sécurisation des transmissions ainsi que la possibilité offerte de voter au Palais de justice ;
Que le vote par internet était subordonné à l’indication par l’électeur de son login, de son mot de passe personnel et de sa date de naissance ;
Qu’il apparaît à la lecture du contrat daté du 15 octobre 2004 liant l’Ordre des avocats à l’Eurl Europe Elections qu’un cryptage des votes à distance a été mis en place ;
Que Me Yves L. n’établit pas que ce cryptage ait été insuffisant pour empêcher la violation du secret du vote ;
Qu’en définitive, le demandeur se contente d’énumérer des risques ;
Considérant qu’il s’ensuit qu’il n’existe aucun motif de mettre en doute la régularité du scrutin, le libre choix des électeurs, le secret du vote et la sincérité des opérations de vote du fait de l’utilisation d’un procédé de vote électronique.
Sur la saisine préalable de la Cnil
Me Yves L. fait valoir que dans une délibération en date du 21 septembre 2004, la Cnil interrogée sur la mise en œuvre d’un système de vote électronique à distance pour l’élection des membres des chambres de commerce et d’industrie, a indiqué « les systèmes de vote électronique nécessitent le recours à des fichiers nominatifs au sens de la loi du 6 janvier 1978 et sont donc soumis à l’accomplissement des formalités auprès de la commission préalablement à leur mise en œuvre ».
Selon lui, le barreau de Paris est une personne de droit privé gérant un service public, soumis au régime prévu par l’article 15 de la loi informatique et libertés dans son ancienne rédaction et ce texte impose pour tout traitement automatisé d’informations nominatives un acte réglementaire pris après avis motivé de la commission.
Il prétend en effet que les dispositions de l’article 20 de la loi n°2004-801 du 6 août 2004 qui a modifié la loi informatique et libertés, ont maintenu les dispositions antérieures pendant un délai de trois ans lorsque, comme en l’espèce, le vote électronique a été introduit avant la nouvelle loi. Il en tire la conclusion que le vote électronique ayant été introduit au barreau de Paris en 2002, soit avant la loi du 6 août 2004, il reste soumis à l’article 15 de la loi du 6 janvier 1978 dans sa rédaction antérieure et, en conséquence, au régime de l’acte réglementaire précédé d’un avis préalable de la commission.
En tout état de cause, il soutient que la mise en œuvre du traitement automatisé n’est possible en application de l’article 23 de la loi du 6 juin 1978 modifiée qu’après déclaration préalable à la commission et à compter de la réception du récépissé adressé par celle-ci. Or, il observe que le récépissé produit par le Conseil de l’Ordre est daté du 25 novembre 2004 alors que les élections ont eu lieu les 23 et 24 novembre. Il conclut que l’absence de saisine régulière entache la validité des opérations électorales.
Le Conseil de l’Ordre répond que les prescriptions de l’article 22 de la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 dans sa nouvelle rédaction issue de l’article 4 de la loi n°2004-801 du 6 août 2004 ont été rigoureusement suivies, qu’une déclaration a été régulièrement souscrite par courrier en date du 4 novembre 2004 et que la commission a délivré un récépissé le 25 novembre 2004.
Pour ce qui est de l’application de l’article 20 de la loi du 6 août 2004, il soutient que ce texte a seulement pour effet d’imposer aux responsables de traitements automatisés de données personnelles la mise en conformité de leur dispositif dans un délai de trois ans.
Il observe que la déclaration est uniquement requise par la loi en raison de la constitution d’un fichier informatique nominatif, qu’elle n’a qu’un rapport indirect avec les élections elles-mêmes et qu’en conséquence l’éventuelle tardiveté de la réception du récépissé n’a pu avoir pour effet de rendre les opérations électorales irrégulières.
Considérant qu’il n’est pas contesté que le barreau de Paris ait la personnalité morale et soit une personne de droit privé chargée d’une mission de service public ;
Considérant que la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, modifiées par la loi 2004-801 du 6 août 2004, dispose dans son article 27 que sont autorisés par acte réglementaire, après avis motivé de la Cnil les traitements de données à caractère personnel mis en œuvre pour le compte d’une personne morale de droit privé gérant un service public « qui portent sur des données parmi lesquelles figure le numéro d’inscription des personnes au répertoire national d’identification des personnes physiques » ou bien « qui requièrent une consultation » de ce répertoire national sans inclure le numéro d’inscription ;
Que le fichier de données à caractère personnel adopté pour la mise en oeuvre du vote électronique lors des élections au barreau de Paris n’entre pas dans les catégories de traitement automatisé susvisées, aucune utilisation du répertoire des personnes physiques n’étant nécessaire ;
Que l’emploi de ce fichier n’était donc pas soumis au régime de l’autorisation préalable ;
Considérant qu’aux termes des dispositions de l’article 22 de la loi du 6 janvier 1978 modifiée, les traitements automatisés de données à caractère personnel autres que ceux nécessitant une autorisationpréalablefont l’objet d’une déclaration auprès de la Cnil ;
Considérant que l’article 20 de la loi n° 2004-801 du 6 août 2004 ayant modifié la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 dispose d’une part (alinéa 1) que « les responsables de traitements de données à caractère personnel dont la mise en œuvre est régulièrement intervenue avant la publication de la présente loi disposent, à compter de cette date, d’un délai de trois ans pour mettre leur traitement en conformité avec les dispositions de la loi numéro… du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés dans leur rédaction issue de la présente loi », d’autre part (alinéa 2) que « les dispositions de la loi… du 6 janvier 1978 dans sa rédaction antérieure à la présente loi, demeurent applicables aux traitements qui y étaient soumis jusqu’à ce qu’ils aient été mis en conformité avec les dispositions de la loi… du 6 janvier 1978… dans leur rédaction issue de la présente loi et au plus tard, jusqu’à l’expiration du délai de trois ans prévu… » ;
Que le deuxième alinéa de l’article 20 impose aux responsables de traitement de données à caractère personnel de respecter les dispositions de l’article 15 de la loi du 6 janvier 1978 dans son ancienne rédaction jusqu’à ce qu’ils se soient mis en conformité avec les dispositions de la loi nouvelle du 6 août 2004 ;
Qu’en l’espèce, le Conseil de l’Ordre s’est bien mis en conformité avec les nouvelles dispositions légales en effectuant une déclaration conformément à l’article 22 de la loi du 6 janvier 1978 modifié par la loi du 6 août 2004 ;
Qu’ainsi il ne saurait lui être reproché de ne pas avoir respecté les dispositions de l’article 15 de la loi du 6 janvier 1978 dans son ancienne rédaction ;
Que le Conseil de l’Ordre a adressé à la commission une déclaration datée du 4 novembre 2004 ;
Que la commission a délivré un récépissé le 25 novembre 2004 ;
Que les élections ayant eu lieu les 23 et 24 novembre 2004, l’établissement du récépissé est postérieur à l’utilisation du traitement automatisé ;
Qu’il résulte des dispositions de l’article 23-1 de la loi du 6 janvier modifiée que la commission doit délivrer sans délai un récépissé, le cas échéant par voix électronique, et que le demandeur « peut mettre en œuvre » le traitement automatisé de données à caractère personnel « dès réception de ce récépissé » ;
Que si l’on doit considérer que l’Ordre aurait pu adresser sa déclaration plus tôt à la commission et qu’il a fait preuve d’imprudence en organisant des opérations électorales avant d’avoir reçu le récépissé, le fait que la déclaration soit datée du 4 novembre 2004 et que le récépissé porte la date du 25 novembre 2004 justifie suffisamment de l’accomplissement avant l’ouverture du scrutin de la formalité imposée par la loi ;
Qu’il n’est pas établi que la méconnaissance par le Conseil de l’Ordre des dispositions de l’article 23-1 de la loi du 6 janvier 1978 modifiée, ait été de nature à porter atteinte à la sincérité du scrutin.
Sur l’application du code des marchés publics
Me Yves L. invoque l’absence d’appel d’offres pour le choix du prestataire de services chargé de mettre en œuvre le vote électronique.
Le Conseil de l’Ordre estime que le barreau de Paris n’est pas une personne morale de droit public tenue de respecter les dispositions du code des marchés publics.
Considérant que le code des marchés publics s’applique à l’Etat, aux établissements publics n’ayant pas un caractère industriel et commercial, aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics ;
Que le barreau de Paris qui n’entre dans aucune de ces catégories de personnes morales de droit public n’était pas tenu de choisir un prestataire de services en utilisant une procédure d’appel d’offres.
Considérant que les résultats du vote électronique pour le premier tour comme pour le second sont semblables à ceux résultant du dépouillement du vote traditionnel.
Considérant qu’il n’existe dans ces conditions aucun motif de mettre en doute la régularité des opérations électorales, la complète information des électeurs, le libre choix de ceux-ci, l’égalité entre les candidats, le secret du vote et la sincérité du scrutin ;
Que Me Yves L. sera donc débouté de ses demandes.
DECISION
Vu les dispositions de l’article R 212-5 du code de l’organisation judiciaire ;
Statuant publiquement, par décision contradictoire et en dernier ressort ;
. Ordonne la jonction des procédures ouvertes sous les numéros 04-22 318 et 04-22 319 ;
. Déclare recevables les recours formés par Me Yves L. contre les élections pour la désignation du successeur du Bâtonnier de l’Ordre à la Cour de Paris et des membres du Conseil de l’Ordre qui se sont déroulées les mardi 23 novembre 2004 et mercredi 24 novembre 2004 ;
. Ecarte des débats les notes et pièces produites en cours de délibéré par Me Yves L. le 10 janvier 2005, par le Conseil de l’Ordre des avocats le 13 janvier 2005 ;
. Déboute Me Yves L. de toutes ses demandes ;
. Laisse les dépens à sa charge.
La cour : M. Chazal de Mauriac (premier président), MM. Grellier, Debu et Cabat (président de la 1ère chambre) M. Maunand (conseiller), Mme Gizardin (substitut du Procureur général)
Avocats : Me Petit, Me Jean Yves Dupeux
Notre présentation de la décision
Voir : Cour de cassation et Cour appel de Lyon
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