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Jurisprudence : Responsabilité

lundi 02 avril 2012
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Cour d’appel de Paris Pôle 5, chambre 11 Arrêt du 16 mars 2012

Uzik / Moralotop

condamnation - contrat - inexecution - prestataire technique - réalisation - résiliation - rupture - site internet

FAITS ET PROCÉDURE

La société Moralotop a pour objet l’élaboration et l’exploitation d’une application sur internet de “coaching”, psychologie et santé.

Par contrat du 19 avril 2008, elle a confié à la société Uzik, prestataire informatique, la création d’un site présentant le concept qu’elle avait créé.

Reprochant à cette société de n’avoir pas mené à bien la première partie du contrat avant de le dénoncer, elle a engagé la présente procédure par exploit du 9 janvier 2009.

Par jugement du 1er avril 2010, assorti de l’exécution provisoire, le tribunal de commerce de Paris a :
– condamné la société Uzik à payer à la société Moralotop les sommes de :
* 7600 € portant intérêts de droit à compter du 23 avril 2008,
* 47 700 € de dommages intérêts,
* 5000 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration du 11 mai 2010, la société Uzik a interjeté appel de cette décision.

Dans ses dernières écritures, au sens de l’article 954 du code de procédure civile, déposées le 19 janvier 2012, la société Uzik demande à la cour de :
– infirmer le jugement,
– condamner la société Moralotop au paiement des sommes de :
* 6000 € hors taxes, solde lui restant dû,
* 15 000 € de dommages intérêts,
* 18 261,25 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières écritures, au sens de l’article 954 du code de procédure civile, déposées le 19 janvier 2012, la société Moralotop demande principalement à la cour de :
– confirmer le jugement,
– y ajoutant, de condamner la société Uzik à lui verser les sommes de :
* 95 400 € au titre du retard lié à l’abandon du projet,
* 43 860 € au titre du coût des investissements consécutifs,
* 15 000 € pour violation de son obligation de confidentialité,
* 20 086,10 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

DISCUSSION

Considérant que le contrat signé le 19 avril 2008 comportait deux phases :
– la réalisation d’un document de conception pour un prix de 12 000 € HT,
– la réalisation d’une plate-forme multimédia pour un prix de 33 000 € HT ;

Que dans le cadre de la seconde phase, la société Uzik s’engageait à produire “une première version du Produit, appelée “bêta fonctionnelle”, version commercialisable reprenant les fonctionnalités essentielles du logiciel Moralotop” ;

Considérant que deux documents de conception étaient remis, le premier le 24 juin, le second le 3 juillet suivant ;

Que par courriel du 11 juillet, la société Uzik estimait à 147 000 € le coût de sa prestation pour mener le projet à bien ;

Que le 5 août 2008, elle a résilié verbalement le contrat et recherché un autre partenaire pour la société Moralotop, cette dernière acceptant de la délier de ses obligations contractuelles à la signature d’un nouveau contrat ;

Considérant que les pièces produites suggèrent les observations suivantes ;

Considérant d’abord que les parties ont employé dans le contrat une terminologie manifestement inadaptée qu’elles ont interprétée différemment ;

Considérant ainsi que les notions de “version bêta” et de “commercialisable” sont antinomiques ;

Que la mise en ligne des nouveaux sites sous une version bêta est généralement gratuite pour permettre aux internautes, par leurs critiques, de contribuer à la mise en œuvre d’un produit fini alors que le terme “commercialisable” se réfère à une notion de profit immédiat ;

Considérant encore que le cahier des charges dont l’objet est de définir avec une grande précision toutes les fonctionnalités attendues du produit, pour permettre, notamment, au prestataire de facturer son travail, laisse trop de zones d’ombre ;

Que de nombreuses évolutions sont indiquées dans le document comme “à prévoir”, “à finaliser”, certains éléments étant encore “en cours de construction” ;

Considérant ainsi, et cela résulte également des échanges de courriels, que la société Moralotop ne considérait pas la société Uzik comme un technicien mais l’associait à la réalisation de son ambitieux projet ;

Qu’il ne peut être davantage considéré qu’elle ait aggravé ses exigences au cours de sa réalisation, le cahier des charges étant incomplet ;

Considérant encore que les commentaires de la société Moralotop à réception du premier document de conception démontrent sa volonté d’obtenir une version exhaustive, les critiques apportées ne concernant pas seulement les rubriques manquantes mais des points de détail ;

Considérant enfin que la société Moralotop ne donne aucun élément technique pour établir l’insuffisance de la version livrée le 3 juillet 2008, étant observé que les fonctionnalités ne présentant pas de difficultés d’exécution pouvaient ne pas figurer dans ce document de travail ;

Que la lecture du support papier (le logiciel contesté n’étant pas communiqué), bien que malaisée, permet de constater que contrairement à ce que soutient l’intimée, ses observations et critiques avaient été prises en compte, certains points étant rectifiés conformément à ses attentes ;

Considérant qu’il convient d’analyser les prétentions de la société Moralotop à la lumière de ces éléments factuels ;

Considérant que le contrat ne prévoyant aucune échéance, la société Moralotop ne peut reprocher à la société Uzik un retard, alors surtout que sa commande était incomplète ;

Considérant qu’elle ne démontre pas davantage que le projet fourni le 3 juillet 2008 n’était pas conforme à ce que l’on peut attendre d’un document de conception de “version bêta” ;

Mais considérant qu’elle reproche à bon droit à la société Uzik d’avoir unilatéralement rompu, sans motif l’y autorisant, le contrat à durée déterminée ;

Considérant en effet que contrairement à ce que soutient l’appelante, la société Moralotop n’a pas aggravé ses exigences mais complété sa commande selon ce qui était prévu dans le cahier des charges ;

Que, par ailleurs, aucune disposition contractuelle ne l’autorisait à imposer à la société Moralotop telle ou telle modification de son projet ;

Considérant qu’en l’espèce celui-ci permettait à l’internaute d’exposer une problématique, de la résoudre et d’analyser les résultats obtenus ;

Qu’il ne pouvait ainsi lui être demandé de renoncer à la phase d’analyse dite “Maestria” et que son refus, par courriel du 20 juin 2008, ne saurait lui être reproché ;

Considérant ainsi que la société Uzik a rompu le contrat du fait de son incapacité à proposer même une version simplifiée d’un projet d’une extrême complexité technique pour le montant contractuellement envisagé ;

Considérant que cette rupture est fautive, la consultation du cahier des charges pouvant lui permettre de se convaincre aussi bien de ces éléments que de l’inachèvement du projet et des attentes particulières du client ;

Qu’il résulte des échanges précédant la signature du contrat qu’elle a adhéré à ce projet, avant de réaliser qu’une telle mission était “chronophage”, les documents techniques produits permettant de penser qu’ainsi qu’elle le soutient, la première phase lui a imposé 15 jours de travail de plus que prévu ;

Considérant, sur le préjudice, que si la première phase du contrat a été accomplie, la société Uzik ne saurait demander paiement de la prestation et la société Moralotop est bien fondée à solliciter le remboursement de l’acompte versé, ce travail étant un préalable indissociable de l’installation d’un site internet, rendu inutile par l’abandon du projet ;

Considérant que la société Moralotop sollicite encore une indemnité de 95 400 € au titre “du retard lié à l’abandon du projet” ;

Considérant qu’elle soutient que son site était de nature à recevoir mille visites d’abonnés par mois, pour un montant unitaire de 15,90 € soit une perte mensuelle de 15 900 € de chiffre d’affaires, justifiant le montant sollicité, en retenant une marge brute de 50% et un retard d’une année du fait de la société Uzik ;

Mais considérant que :
– le retard imputable à la société Uzik est inférieur à un an,
– si l’application i-phone “Stop Problèmes”, version simplifiée du logiciel Moralotop, est un succès d’après les pièces produites, aucun élément comptable n’est donné sur le chiffre d’affaires réalisé au cours de ses deux mois d’existence,
– le préjudice s’analyse en droit comme la perte de chance pour la société Moralotop de trouver un prestataire acceptant de livrer un produit conforme à ses attentes pour le budget de l’ordre de 50 000 € qu’elle estimait devoir lui consacrer et que force est de constater que trois ans plus tard, ce site n’est toujours pas en ligne, le service proposé étant un forum de discussion gratuit ;

Considérant qu’au regard de ces éléments, le préjudice fixé par les premiers juges ne peut être retenu et qu’il convient d’allouer à l’intimée une somme de 30.000 € ;

Considérant que la société Moralotop ne saurait encore solliciter paiement de la somme de 43 860 € correspondant aux apports de ses associés au titre du coût de ses investissements après avoir obtenu la résolution du contrat conclu avec la société Uzik entraînant le remboursement du montant investi pour la création du site ;

Considérant enfin que la violation de l’obligation de confidentialité n’est pas établie, le seul prestataire ayant reçu de la société Uzik les documents lui permettant de fournir un devis ayant signé l’engagement de confidentialité souhaité par sa cliente ;

Considérant que l’équité commande encore de confirmer la condamnation prononcée par les premiers juges sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Que chaque partie succombant partiellement en cause d’appel, il ne saurait être fait droit aux demandes formées à ce titre devant la cour ;

DÉCISION

Par ces motifs :

. Infirme le jugement entrepris du chef du quantum des dommages intérêts alloués ;

Statuant à nouveau,

. Condamne la société Uzik au paiement de la somme de 30 000 € ;

. Confirme pour le surplus les dispositions du jugement non contraires au présent arrêt ;

. Rejette les autres demandes ;

. Condamne la société Uzik aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

La cour : M. Renaud Bouly de Lesdain (président), M. Bernard Schneider et Mme Françoise Chandelon (conseillers)

Avocats : Me Céline Braka, Me Sylvain Staub

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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.