Jurisprudence : E-commerce
Cour d’appel de Versailles 31ème chambre Arrêt du 15 avril 2005
Françoise M., UFC Que Choisir / EMI Music France
consommation - droit d'auteur - e-commerce - phonogrammes
FAITS ET PROCEDURE
Françoise M. a acheté un disque compact (CD) de chansons d’Alain Souchon, édité par la société EMI Music France (ci-après EMI). Fonctionnant sur divers appareils, ce disque était inutilisable sur l’autoradio de son véhicule.
Par jugement du 2 septembre 2003, le tribunal de grande instance de Nanterre a déclaré irrecevable l’action intentée par l’association UFC Que Choisir à l’encontre de la société EMI et de la société Auchan et a débouté Françoise M. de sa demande à l’égard de la société Auchan, faute de preuve d’un achat effectué auprès de cet établissement. L’action rédhibitoire de Françoise M. à l’encontre de la société EMI a été déclarée recevable et cette société a été condamnée à verser à Françoise M. la somme de 9,50 €. Françoise M. et la société Auchan ont été déboutées de leurs demandes de dommages-intérêts, la société Auchan a été déboutée de sa demande de publication. L’exécution provisoire de la décision a été ordonnée. La société EMI a été condamnée à payer à Françoise M. la somme de 150 € sur le fondement de l’article 700 du ncpc et, sur ce fondement, l’association UFC Que Choisir a été condamnée à verser à la société Auchan la somme de 2000 € et la même somme à la société EMI. Elle a été condamnée aux dépens.
PRETENTIONS ET MOYENS
Les appelants
Françoise M. et l’association UFC Que Choisir demandent d’infirmer la décision en ce qu’elle a déclaré l’action de l’association UFC Que Choisir irrecevable, condamné l’association UFC Que Choisir à payer à la société EMI la somme de 2000 € sur le fondement de l’article 700 du ncpc, débouté Françoise M. de sa demande de réparation du préjudice par la société EMI. Elles demandent sa confirmation en ce qu’elle a fait droit à l’action estimatoire de Françoise M. en raison de l’existence d’un vice caché affectant le disque produit par la société EMI et en ce que cette société a été condamnée à restituer à Françoise M. la somme de 9,50 € et à lui payer la somme de 150 € sur le fondement de l’article 700 du ncpc.
Françoise M. réclame la condamnation de la société EMI à lui payer la somme de 50 € en réparation de son préjudice.
L’association UFC Que Choisir demande à être reçue dans son action et d’interdire à la société EMI de commercialiser le disque litigieux et d’utiliser une mesure technique de protection, dans un délai de huit jours à compter de la signification de la décision à peine d’astreinte de 10 000 € par jour de retard pour chacune des interdictions.
L’association UFC Que Choisir sollicite la diffusion d’un communiqué judiciaire à insérer dans trois périodiques de son choix sans que le coût de chaque insertion puisse être inférieur à 10 000 € le texte du communiqué judiciaire étant le suivant :
« par décision en date du, la cour d’appel de Versailles a constaté, à la requête de Françoise M. et de l’association UFC Que Choisir, que la société EMI commercialisait un disque compact d’Alain Souchon dont le titre est « j’veux du live », comportant un vice caché résultant de l’utilisation d’un système de protection anti-copie rendant le disque compact inaudible sur certains autoradios.
En conséquence, la cour a enjoint à la société EMI de cesser d’utiliser cette mesure technique de protection et de commercialiser le CD litigieux. Le présent communiqué est diffusé pour informer les consommateurs et permettre à ceux-ci de faire valoir leurs droits auprès de la société EMI Music France ».
L’association UFC Que Choisir demande aussi la condamnation de la société EMI à lui verser la somme de 20 000 € en réparation du préjudice causé à la collectivité des consommateurs, outre la somme de 150 € pour Françoise M. et celle de 4500 € pour elle-même, sur le fondement de l’article 700 du ncpc.
L’intimée
Constatant que l’association UFC Que Choisir a engagé l’instance conjointement avec Françoise M., la société EMI demande de juger que l’article 421.7 du code de la consommation n’autorise pas les associations de consommateurs à agir conjointement avec le consommateur lorsque l’action est engagée sur le fondement de la garantie des vices cachés et que les demandes formées par les associations de consommateurs sur ce fondement doivent prendre la forme de l’intervention au sens de l’article 66 et 68 du ncpc.
Ecartant des débats les pièces communiquées par l’association UFC Que Choisir numérotées 7, 9, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 25, 29, 32, 33, 34, 42, 43 et 45, la société demande la confirmation du jugement en ce qu’il a déclaré irrecevable l’action intentée par l’association. Elle fait valoir que les témoignages écrits de tiers à la procédure communiqués par l’association UFC Que Choisir ne sont pas rédigés dans les formes prescrites par les articles 199 et 202 du ncpc, que les extraits des forums de discussion du site internet de l’association UFC Que Choisir ne répondent pas davantage aux exigences des textes et ne permettent pas d’identifier – dans un cas – l’auteur du témoignage, que ces lacunes ne permettent pas de considérer ces témoignages valables, leurs auteurs n’ayant notamment pas pu prendre conscience de la portée d’une déclaration et de l’usage qui en serait fait.
La société EMI estime que Françoise M. et l’association UFC Que Choisir ne démontrent pas l’existence d’un vice caché affectant le disque d’Alain Souchon. Les autres causes possibles de dysfonctionnements, telles que le défaut du lecteur utilisé, n’ont pas été explorées. Les limitations d’usage du disque d’Alain Souchon ne sont pas démontrées. La société EMI a, au contraire, démontré que ce disque fonctionnait normalement sur des lecteurs similaires à ceux employés par Françoise M. et que les causes de dysfonctionnements pourraient être multiples.
Ainsi la société EMI demande d’infirmer le jugement du tribunal de grande instance de Nanterre en ce qu’il a reconnu l’existence d’un vice caché du disque d’Alain Souchon et conclut au rejet de la demande de Françoise M. et de l’association UFC Que Choisir.
Subsidiairement, Françoise M. ne rapporte pas la preuve d’un préjudice distinct de celui qui pourrait être compensé au titre de l’action estimatoire. La preuve d’un défaut affectant l’ensemble des exemplaires du disque d’Alain Souchon n’est pas rapportée ni la preuve d’un défaut lié aux systèmes techniques de production du disque. Les mesures d’interdiction de commercialisation du disque d’Alain Souchon et plus généralement des disques protégés sont inadaptées et disproportionnées.
Les mesures de publication sollicitées n’ont pas lieu d’être. La preuve d’un préjudice subi par l’association UFC Que Choisir du fait de la commercialisation du disque litigieux n’est pas rapportée. La société EMI demande la confirmation du jugement en ce qu’il a débouté Françoise M. de sa demande de dommages-intérêts et l’association UFC Que Choisir de l’ensemble de leurs demandes.
Elle sollicite la condamnation de l’association UFC Que Choisir à lui verser la somme de 15 000 € sur le fondement de l’article 700 du ncpc.
DISCUSSION
Sur la recevabilité de l’action de l’association UFC Que Choisir
L’article L 421-7 du code de la consommation prévoit que : « les associations mentionnées à l’article L 421-1 peuvent intervenir devant les juridictions civiles et demander notamment l’application des mesures prévues à l’article L 421-2 lorsque la demande initiale a pour objet la réparation d’un préjudice subi par un ou plusieurs consommateurs à raison de faits non constitutifs d’une infraction pénale ».
A juste titre l’intimée et le tribunal ont relevé qu’en l’espèce l’association UFC Que Choisir n’avait pas agi par voie d’intervention au sens des articles 66 et 68 du ncpc mais avait formé une demande aux cotés de Françoise M., dans la même assignation.
Mais l’article L 421-7 précité interdit aux associations ayant pour objet statutaire la défense des intérêts des consommateurs d’agir seules. Il exige, pour que l’action soit recevable, une demande initiale d’au moins un consommateur sollicitant la réparation de son préjudice en dehors d’une infraction pénale, condition qui n’est pas en l’espèce discutée. Il n’interdit pas à l’intervenant volontaire de se joindre au demandeur principal dans l’acte introductif d’instance. En l’espèce la demande initiale introduisant l’instance est celle de Françoise M. Elle constitue le support obligatoire de la demande de l’association UFC Que Choisir laquelle avait pris soin de préciser dans l’assignation qu’elle intervenait aux côtés du consommateur.
L’action de l’association UFC Que Choisir est recevable.
Sur les demandes de Françoise M.
L’article 1641 du code civil sur lequel Françoise M. fonde son action prévoit que : « le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l’usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage, que l’acheteur ne l’aurait pas acquis, ou n’en aurait donné qu’un moindre prix, s’il les avait connus ».
Le constat d’huissier de justice du 5 mai 2003 produit aux débats prouve que le disque compact acheté par Françoise M. fonctionne normalement sur ses lecteurs domestiques ou portables mais pas sur le lecteur dont est équipé son véhicule de marque Renault alors que cet appareil est en état de marche puisqu’il permet d’écouter d’autres disques.
La société EMI fait observer que ce constat n’identifie ni la nature, ni les références, ni la marque du lecteur installé sur la voiture de Françoise M. et ajoute qu’aucun test technique n’a été réalisé et que le constat a été effectué avant toute réclamation auprès de ses services.
Cependant ce constat constitue une preuve suffisante d’un fait dans un domaine ou la preuve est libre. Certes, ce fait est limité au non fonctionnement d’un disque. Françoise M. n’avait pas l’obligation, avant de s’adresser à la justice, de prévenir les services de la société EMI ni celle d’apporter des démonstrations techniques.
En prouvant que le disque ne fonctionne pas dans un lecteur cependant adapté, elle établit que le disque est atteint d’un vice. Il était mentionné sur la pochette, en caractères à peine lisibles, que le CD contenait « un dispositif technique limitant les possibilités de copies ». Aucune réserve d’usage sur des lecteurs n’était mentionnée. Ainsi à juste titre le premier juge a admis la qualification de vice caché du disque le rendant impropre à son usage et a condamné la société EMI à payer à Françoise M. la somme de 9,50 €, prix du CD.
La demande de dommages-intérêts de Françoise M. a été écartée au motif que le vendeur ignorait les vices de la chose. Mais la société EMI étant un vendeur professionnel, tenu de connaître les vices de ce qu’il vend, le tribunal de grande instance a fait une application erronée des dispositions de l’article 1646 du code civil : « si le vendeur ignorait les vices de la chose, il ne sera tenu qu’à la restitution du prix, et à rembourser l’acquéreur les frais occasionnés par la vente ».
Le préjudice de jouissance supporté par Françoise M. n’est pas réparé par l’action rédhibitoire, contrairement à ce que soutient la société EMI. Il justifie la demande de la somme de 50 € à titre de réparation.
Sur les demandes de l’association UFC Que Choisir
Le constat d’huissier de justice a été complété par d’autres constats effectués le 23 mai 2003, le 18 septembre 2003 qui confirment que d’autres exemplaires de CD diffusés par la société EMI du même titre et du même auteur connaissent des difficultés de lecture sur d’autres supports.
La société EMI produit, de son coté, des constats révélant que d’autres exemplaires de CD du titre en question fonctionnent sur d’autres autoradios du même type que celui de Françoise M.
Le constat réalisé le 25 février 2004 à la demande de la société EMI a, ainsi, montré un fonctionnement normal dans plusieurs véhicules mais aussi quelques défaillances. La société EMI en conclut que le système de protection contre la copie illicite dont certains de ses CD sont équipés ne peut avec certitude être mis en cause et que des modèles de lecteurs de disque pourraient être à l’origine de difficultés de lecteur. Elle ajoute que le nombre des réclamations parvenues à la connaissance de l’association UFC Que Choisir est dérisoire malgré le « battage médiatique » auquel cette association se serait livrée. Elle fait état cependant de 184 réclamations en septembre 2003, qu’elle met en parallèle avec les 800 000 ventes intervenues durant la même période.
L’association UFC Que Choisir a produit, en outre, de nombreux témoignages de consommateurs s’adressant à elle pour signaler leurs déconvenues avec les CD protégés. Ces lettres versées aux débats ne répondent pas aux formes prescrites pour les attestations prévues par l’article 202 du ncpc. Cependant, elles ne sont pas nulles ou irrecevables et sont reçues aux débats en tant que présomption de preuve par écrit dans la mesure où elles sont précises sur les circonstances des incidents survenus, des CD et supports utilisés, dans la mesure aussi où elles sont concordantes. La société EMI fait observer que la plupart de ces courriers sont antérieurs à l’assignation. Mais la cour estime que cela n’affaiblit pas la portée de ce qui est relaté dans ces courriers.
Tous ces faits constituent des présomptions suffisamment graves et concordantes de ce que le système de protection apposée sur le CD de Françoise M., comme sur d’autres CD, est à l’origine des difficultés d’écoute sur certains supports, et que ces difficultés ne proviennent pas de supports défectueux ou obsolètes comme le prétend la société EMI.
L’association UFC Que Choisir demande la cessation de l’usage de la mesure de protection contre la copie qu’elle qualifie d’agissement illicite et l’interdiction de commercialiser le CD, ces mesures étant chacune assorties d’astreinte.
Mais d’une part la preuve de l’illicéité d’une mesure technique de protection contre la copie n’est pas rapportée et d’autre part rien n’interdit à la société EMI de commercialiser un CD avec une mesure de protection dont le fonctionnement serait normal à condition que l’acheteur en soit prévenu. Les demandeurs de l’association UFC Que Choisir relatives à ces interdictions sont rejetées. Il n’a pas été demandé l’apposition d’une mention plus complète sur le CD pour informer l’acheteur.
En raison de l’insuffisance des explications techniques apportées sur le vice inhérent au CD et des délais écoulés depuis la date des constats de dysfonctionnements dans un domaine d’évolution rapide des technologies, il n’est pas approprié d’ordonner la diffusion d’un communiqué judiciaire dans des périodiques.
En revanche, la demande d’indemnité fondée sur les dispositions de l’article L 421-1 du code de la consommation en vue de réparer le préjudice causé à l’intérêt collectif des consommateurs est justifiée à hauteur de 10 000 €.
La société EMI est déboutée de ses demandes et condamnée aux dépens de première instance et d’appel. Il est équitable d’allouer à Françoise M. la somme de 150 € et à l’association UFC Que Choisir la somme de 2000 € sur le fondement de l’article 700 du ncpc pour les frais non répétibles exposés par les appelants pour leur défense en première instance et devant la cour d’appel.
DECISION
Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
. Confirme le jugement du 2 septembre 2003 du tribunal de grande instance de Nanterre en ce qu’il a déclaré recevable l’action rédhibitoire de Françoise M. et condamné la société EMI à lui restituer la somme de 9,50 € ; l’infirme pour le surplus ;
Statuant à nouveau quant à ce :
. Condamne la société EMI à verser à Françoise M. la somme de 50 € à titre de dommages-intérêts ;
. Déclare recevable l’action de l’association UFC Que Choisir ;
. Déboute l’association UFC Que Choisir de ses demandes d’interdiction de la commercialisation du CD litigieux, d’interdiction d’utiliser une mesure technique de protection et de publicité ;
. Condamne la société EMI à verser à l’association UFC Que Choisir la somme de 10 000 € en réparation du préjudice causé à l’intérêt collectif des consommateurs ;
. Condamne la société EMI à payer à Françoise M. la somme de 150 € et à l’association UFC Que Choisir une indemnité de 2000 € en application de l’article 700 du ncpc ;
. Condamne la société EMI aux dépens.
La cour : M. Patrick Henry-Bonniot (président), Mme Grandpierre et M. Regimbeau (conseillers)
Avocats : Me Franck, Me Pecnard
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