Jurisprudence : Droit d'auteur
Tribunal de grande instance de Nanterre 6ème Chambre Jugement du 24 juin 2003
Association CLCV / EMI Music France
consommateur - droit d'auteur - mesure technique de protection - musique - obligation d'information
Faits et procédure
Par assignation à jour fixe en date du 07 mai 2003 délivrée à l’encontre de la société Emi Music France, l’Association Consommation Logement Cadre de vie (CLCV) a saisi le tribunal de grande instance de Nanterre.
Elle expose :
– qu’elle a reçu des plaintes de consommateurs qui se sont aperçus qu’il était impossible de lire, d’écouter certains compacts disques sur des lecteurs PC ou Mac ou des autoradios ;
– que tel est le cas du compact disque de Liane Foly dont le titre est « Au fur et à mesure » distribué par la société Emi Music France, non lisible sur des autoradios ;
– que la pochette CD comporte uniquement l’indication « ce CD contient un dispositif technique limitant les possibilités de copie » alors même qu’il s’avère qu’il n’est pas non plus lisible sur autoradio ;
– qu’elle entend faire cesser la diffusion d’une publicité trompeuse et d’une tromperie sur l’aptitude à l’emploi.
Ainsi la CLCV demande au tribunal de :
– constater le caractère trompeur et de nature à induire en erreur de la mention : « ce CD contient un dispositif technique limitant les possibilités de copie » ;
– constater qu’en commercialisant ce CD, en omettant d’informer les acheteurs des restrictions d’utilisation, la société Emi Music France a commis le délit de tromperie sur les qualités substantielles et l’aptitude à l’emploi du produit en cause.
En conséquence,
– faire injonction à la société Emi Music France de faire figurer, sur l’emballage du produit, la mention : « attention, ce CD ne peut être lu sur tout lecteur ou autoradios » ;
– dire que cette mention devra figurer au verso en caractères qui ne sauraient être inférieurs à 5 millimètres, et ce à peine d’astreinte de 15 000 € par jour de retard, une fois expiré un délai d’un mois à compter de la décision à intervenir ;
– ordonner la diffusion du communiqué judiciaire suivant, dans les trois quotidiens nationaux aux choix de la CLCV, sans que le coût de chaque insertion ne puisse être inférieur à 8000 € ;
« Par décision en date du … , le tribunal de grande instance de Nanterre a constaté, à la requête de l’association CLCV, que la société Emi Music France a trompé les acheteurs du CD de Liane Foly, dont le titre est « Au fur et à mesure », en omettant de les informer des restrictions d’utilisation et particulièrement de l’impossibilité de lire ce CD sur certains autoradios.
Le présent communiqué est diffusé pour informer les consommateurs, et permettre à ceux-ci de faire valoir leurs droits auprès de la société Emi Music France ».
– dire et juger que cette diffusion se fera aux frais de la société Emi Music France, en application de l’article L 421-9 du code de la consommation ;
– condamner la société Emi Music France à payer à la CLCV la somme de 20 000 € à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice causé à l’intérêt collectif des consommateurs ;
– condamner la société Emi Music France à payer à la CLCV la somme de 3000 € au titre de l’article 700 du ncpc ;
– ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir.
Par conclusions du 20 mai 2003, la société Emi Music France soutient que :
– le constat d’huissier réalisé sur demande de CLCV et les cinq témoignages reçus par elle relatifs au disque de Liane Foly « Best of » sont impropres à prouver que ce disque serait inapte à l’emploi ;
– la CLCV ne prouve pas l’intention d’Emi Music France de tromper les consommateurs sur les qualités substantielles du disque de Liane Foly « Best of » ;
– la mention « ce CD contient un dispositif technique limitant les possibilités de copie » ne constitue pas une publicité au sens de l’article 121-1 du code de la consommation ;
– en tout état de cause, cette mention ne saurait être considérée comme de nature à induire en erreur au motif qu’elle signifierait dans les faits l’impossibilité de lire le CD, dans la mesure où son unique objet est d’informer les consommateurs sur la présence du système anti-copie ;
– la CLCV ne démontre pas un préjudice causé à l’intérêt collectif des consommateurs du fait de la commercialisation par la société Emi Music France du disque de Liane Foly « Best of ».
Elle conclut à l’irrecevabilité de la demande car ni le délit de tromperie ni le délit de publicité mensongère ne sont constitués et la preuve d’un préjudice à l’intérêt collectif des consommateurs n’est pas rapportée. Elle sollicite la somme de 4000 € au titre de l’article 700 du ncpc.
A titre très subsidiaire, la société Emi Music France conclut au rejet de la demande de dommages-intérêts formulée par CLCV et demande de :
– dire et juger que l’apposition sur le disque de Liane Foly « Best of » de la mention « attention, ce CD ne peut être lu sur tout lecteur ou autoradio » constitue une mesure disproportionnée et infondée dans la mesure où il n’est pas prouvé que le problème allégué affecte l’ensemble des exemplaires de ce disque ;
– dire et juger que les mesures de publication sollicitées par CLCV seraient disproportionnées et infondées dans la mesure où il n’est pas prouvé que le problème allégué affecte l’ensemble des exemplaires de ce disque et où, à supposer établie l’existence de restrictions d’usage significatives, les consommateurs pourraient en être informés par d’autres mesures ;
– en conséquence, rejeter les demandes de CLCV tendant à voir apposer la mention « attention, ce CD ne peut être lu sur tout lecteur ou autoradio » sur le disque de Liane Foly « Best of », ainsi que les demandes de publication dans des quotidiens ;
– dire n’y avoir lieu à exécution provisoire.
La discussion
Sur la recevabilité de l’action
L’article L 421-1 du code de la consommation dispose que les associations régulièrement déclarées ayant pour objet statutaire explicite la défense des intérêts des consommateurs peuvent exercer les droits reconnus à la partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif des consommateurs.
Si l’intérêt collectif ne se confond pas avec la somme des intérêts individuels des consommateurs, cet intérêt collectif est mis en cause toutes les fois qu’une disposition législative ou réglementaire entrant dans le champ d’application du droit de la consommation n’a pas été respectée.
En l’espèce, l’association CLCV, s’appuyant sur des témoignages de consommateurs, agit en justice sur le fondement de la publicité mensongère et de la tromperie, conformément aux dispositions des articles L 121-1 et suivants et L 213-1 et suivants du code de la consommation.
Son action est recevable.
Sur la tromperie
L’article L 213-1 du code de la consommation réprime le fait de tromper ou de tenter de tromper le contractant par quelque moyen que ce soit notamment sur la nature, l’espèce, l’origine, les qualités substantielles, l’aptitude à l’emploi du produit.
L’infraction de tromperie pour être constituée nécessite d’une part un élément matériel caractérisé par un fait de nature à induire en erreur, portant sur l’aptitude à l’emploi du produit, d’autre part un élément intentionnel caractérisé par la conscience que l’auteur a du fait que la chose n’a pas la qualité qu’elle aurait dû avoir.
En l’espèce, l’association CLCV soutient que la mention en cause « ce CD contient un dispositif technique limitant les possibilités de copie » est une allégation de nature à induire en erreur car le consommateur normalement avisé ne peut comprendre qu’elle signifie, dans les faits, l’impossibilité de lire le CD et donc d’écouter de la musique sur un autoradio ou d’autres lecteurs, ce qui constitue une atteinte légitime du consommateur. En outre, la CLCV soutient que ce défaut d’aptitude à l’emploi, sciemment dissimulé par le producteur, constitue l’élément intentionnel du délit de tromperie.
La société Emi Music France soutient de son coté que le constat d’huissier réalisé sur la demande de CLCV et les 5 témoignages reçus par elle relatifs au CD de Liane Foly sont impropres à prouver le caractère généralisé du défaut d’aptitude à l’emploi et que l’intention de tromper les consommateurs sur les qualités substantielles du disque n’est pas rapportée.
Il est versé aux débats par l’association CLCV :
– 11 courriers électroniques de consommateurs qui indiquent avoir acheté des CD et s’être aperçus de l’impossibilité de les écouter sur des lecteurs ou autoradios ; cinq de ces témoignages concernent le CD de Liane Foly « Best of » « Au fur et à mesure » ;
– un procès-verbal d’huissier constatant l’impossibilité d’écoute du CD de Liane Foly sur l’autoradio d’un véhicule Peugeot et de 5 autres CD.
Il est versé aux débats par la société Emi Music France :
– un procès-verbal d’huissier établissant la possibilité d’écoute de deux CD de Liane Foly dotés du système anti-copiage sur les autoradios de trois véhicules Peugeot.
De ces éléments, il ressort que tous les CD de Liane Foly, dotés du système anti-copiage ne sont pas audibles sur tous les supports d’écoute.
Le fait que le consommateur ne puisse écouter un CD sur un autoradio ou un lecteur caractérise l’inaptitude à l’emploi du produit, quand bien même seuls certains CD sont atteints par ce vice et quelques utilisateurs concernés.
Le consommateur en lisant la mention « ce CD contient un dispositif technique limitant les possibilités de copie » ne peut savoir que ce système anti-copie est susceptible de restreindre l’écoute de son disque sur un autoradio ou un lecteur.
Si certes la société Emi Music France informe le consommateur de l’existence de ce système, elle garde le silence sur la restriction d’utilisation du CD sur certains supports. Ce silence est de nature à induire le consommateur en erreur.
La société Emi Music France qui a pour activité principale l’édition phonographique, la distribution et la vente de phonogrammes est tenue de vérifier et contrôler la conformité et l’aptitude à l’emploi du produit qu’elle commercialise.
En tant que professionnel averti, elle ne pouvait ignorer la possible inaptitude à l’emploi de certains CD de Liane Foly et devait effectuer les vérifications nécessaires.
Ainsi en omettant d’informer les acheteurs des CD de Liane Foly « Au fur et à mesure », dotés d’un système anit-copiage, des restrictions d’utilisation et particulièrement de l’impossibilité de lire ce CD sur certains autoradios ou lecteurs, la société Emi Music France s’est rendu coupable d’une tromperie sur l’aptitude à l’emploi de ces produits.
La tromperie ayant été retenue, il n’y a pas lieu d’examiner la demande fondée sur la publicité mensongère.
Sur les demandes de CLCV
L’article 421-2 du code de la consommation autorise les associations de consommateurs à saisir la juridiction civile aux fins d’ordonner, le cas échéant sous astreinte, toutes mesures destinées à faire cesser des agissements illicites.
La tromperie commise par la société Emi Music France justifie de lui imposer d’informer le consommateur de la possible inaptitude à l’emploi de certains CD de Liane Foly.
Il convient de lui enjoindre de faire figurer sur le verso de l’emballage desdits CD, la mention suivante, en caractères de 2,5 mm : « attention, il ne peut être lu sur tout lecteur ou autoradio » et ce sous astreinte de 1000 € par jour de retard une fois expiré un délai de 1 mois à compter du présent jugement.
Certains consommateurs en achetant le CD litigieux n’ont pu l’écouter. Le comportement de la société Emi Music France cause un préjudice à la collectivité des consommateurs. Ce préjudice doit être évalué à 10 000 €.
La nature de l’affaire et les éléments de l’espèce ne justifient pas la diffusion d’un communiqué judiciaire. L’injonction donnée dans un bref délai est suffisante pour informer les consommateurs.
L’équité commande d’allouer à la CLCV la somme de 1500 € au titre de l’article 700 du ncpc.
La nature de l’affaire justifie l’exécution provisoire.
La société Emi Music France sera condamnée aux dépens et déboutée de sa demande fondée sur l’article 700 du ncpc.
La décision
Le tribunal, statuant publiquement, par décision contradictoire, et en premier ressort :
. Déclare recevable la demande de l’association CLCV,
. Fait injonction à la société Emi Music France de faire figurer sur le verso de l’emballage du CD de Liane Foly « Au fur et à mesure », la mention suivante en caractères de 2,5 mm : « attention, il ne peut être lu sur tout lecteur ou autoradio », et ce sous astreinte de 1000 € par jour de retard une fois expiré un délai de 1 mois à compter du présent jugement.
. Condamne la société Emi Music France à payer à la CLCV les sommes de :
– 10 000 € à titre de dommages-intérêts,
– 1500 € au titre de l’article 700 du ncpc.
. Rejette toutes autres demandes.
. Ordonne l’exécution provisoire.
. Condamne la société Emi Music France aux dépens.
Le tribunal : Mme Schmelck (président), Mmes De Mersseman et Cadart (juges)
Avocats : Me Jérôme Franck, Me Christophe Pecnard
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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.