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Jurisprudence : Droit d'auteur

mardi 02 septembre 2003
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Tribunal de Grande Instance de Nanterre 6ème chambre Jugement du 2 septembre 2003

Françoise M. / EMI France, Auchan France

consommateur - droit d'auteur - mesure technique de protection - musique - vice caché

Les faits et procédure

Par actes en date des 28 mai et 3 juin 2003 l’UFC Que Choisir et Françoise M. ont fait assigner à jour fixe la société EMI Music France et la société Auchan France.

Aux termes de leurs dernières écritures du 24 juin 2003, elles exposent que :

– l’UFC Que Choisir a reçu de nombreuses plaintes de consommateurs qui se sont aperçus à leur détriment qu’il était impossible de lire et d’écouter certains compacts disques (CD) sur des autoradios ;

– Françoise M. a acquis un CD du chanteur Alain Souchon, dont le titre est « J’veux du Live » auprès de la société Auchan France, qui fonctionne sur son poste de radio et sa chaîne Hi-Fi mais est inutilisable sur le poste de radio de son véhicule Renault Clio,

– des différents constats, il ressort que ce CD ne fonctionne pas sur d’autres autoradios alors qu’aucune indication ne figure sur l’emballage ou sur le produit. Seule la mention « Ce CD contient un dispositif technique limitant les possibilités de copie » yfigure,

– des mesures de protection utilisées par le producteur, la société EMI Music France, empêchent la lecture et donc l’écoute de ce CD dans de bon nombre d’autoradios.

Ainsi, l’UFC Que Choisir et Françoise M. demandent au tribunal sur les fondements des articles L 421-1, L 421-7, L 421-9 et L 111-1 du code de la consommation et des articles 1641 et suivants du code civil de :

– constater que le CD produit par la société EMI Music France dont le titre est « J’veux du Live » d’Alain Souchon est affecté d’un vice caché le rendant inapte à un usage normal,

– condamner solidairement les sociétés EMI Music France et Auchan France à restituer à Françoise M. la somme de 9.50 euros,

– condamner in solidum les sociétés EMI Music France et Auchan France à payer à Françoise M. la somme de 50 euros à titre de dommages-intérêts,

– faire interdiction à la société EMI Music France de commercialiser le CD litigieux et ce dans un délai de huit jours à compter de la signification de la décision à intervenir à peine d’astreinte de 10 000 euros par jour de retard,

– faire interdiction à la société EMI Music France d’utiliser une mesure technique de protection et ce dans un délai de huit jours à compter de la signification de la décision à intervenir à peine d’astreinte de 10 000 euros par jour de retard une fois expiré ledit délai,

– ordonner la diffusion d’un communiqué judiciaire qui sera inséré dans trois périodiques au choix de l’UFC Que Choisir, sans que le coût de chaque insertion ne puisse être inférieur à 10 000 euros, le texte du communiqué judiciaire étant le suivant :

« Par décision en date du … le tribunal de grande instance de Nanterre a constaté, à la requête de Françoise M. et de l’UFC Que Choisir, que la société EMI Music France commercialisait un CD d’Alain Souchon, dont le titre est « J’veux du Live », comportant un vice caché, en l’espèce un système de protection anti-copie le rendant illisible sur certains autoradios.

En conséquence, le tribunal a enjoint la société EMI Music France de cesser d’utiliser cette mesure technique de protection et de commercialiser le CD litigieux,

Le présent communiqué est diffusé pour informer les consommateurs et permettre à ceux-ci de faire valoir leurs droits auprès de la société EMI Music France ».

– condamner in solidum les sociétés EMI Music France et Auchan France à payer à l’UFC Que Choisir la somme de 20 000 euros en réparation du préjudice causé à la collectivité des consommateurs,

– condamner solidairement les sociétés EMI Music France et Auchan France à payer respectivement les sommes de 150 euros à Françoise M. et 3000 euros à l’UFC Que Choisir en application de l’article 700 du ncpc ainsi qu’aux entiers dépens,

– rejeter des débats l’intégralité des pièces versées par la société EMI Music France compte tenu du caractère tardif de leur communication,

– rejeter les exceptions de nullité et fins de non recevoir soulevées par les sociétés EMI Music France et Auchan France,

– débouter les sociétés EMI Music France et Auchan France de toutes leurs demandes fins et conclusions,

– ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir,

Par conclusions du 24 juin 2003, la société EMI Music France soulève l’irrecevabilité de l’action intentée par l’UFC Que Choisir aux motifs que :

– l’UFC Que Choisir a engagé la présente instance conjointement avec Françoise M. alors que son action n’est prévue par aucun des articles du code de la consommation,

– les statuts de l’UFC Que Choisir ne désignent pas l’organe habilité à représenter l’association en justice,

– le président de l’UFC Que Choisir a reçu une délégation de pouvoir pour représenter l’association en justice du conseil d’administration et dans le silence des statuts, seule l’assemblée générale de l’association est habilitée à autoriser le président de l’association à agir en justice ;

La société EMI Music France sollicite que soient écartées des débats les pièces communiquées par lettre du 19 juin 2003,

Sur le fond la société EMI Music France conclut au débouté des demandes et sollicite la somme de 5000 euros à titre de l’article 700 du ncpc.

Elle soutient à titre principal que :

– les constats d’huissier réalisés sur demande de Françoise M. et de l’UFC Que Choisir relatifs au disque d’Alain Souchon « J’veux du Live » et le témoignage de M. R. sont impropres à prouver que les exemplaires litigieux de ce disque seraient affectés d’un vice caché ;

– la preuve d’un vice inhérent à ce disque n’est pas rapportée et les autres causes possibles de dysfonctionnement, telles notamment qu’un défaut du lecteur utilisé, n’ont pas été explorées ;

– les limitations d’usage du disque d’Alain Souchon « J’veux du Live » ne sont pas démontrées ;

– la société EMI Music France a au contraire démontré que ce disque fonctionnait normalement sur des lecteurs similaires à ceux employés par les demandeurs,

A titre subsidiaire, elle indique que :

– la preuve d’un défaut affectant l’ensemble des exemplaires du disque d’Alain Souchon « J’veux du Live » n’est pas rapportée,

– la preuve d’un défaut lié au système technique de protection des disques n’est pas rapportée,

– les mesures d’interdiction de commercialisation du disque d’Alain Souchon « J’veux du Live », et plus généralement des disques protégés sont inadaptées et disproportionnées ,

– aucune restriction à la commercialisation de ces produits ne pourrait être ordonnée sans qu’une expertise technique mettant en présence l’ensemble des fabricants impliqués, tant dans le développement des systèmes de protection des disques, que celui des nouveaux lecteurs CD audio non standards ne soit diligentée.

A titre infiniment subsidiaire, elle fait valoir que les taux de réclamation sur les disques protégés sont minimes et que rien ne justifierait l’exécution provisoire du jugement à intervenir ;

La société EMI Music France sollicite qu’il lui soit donné acte des diligences mises en oeuvre à l’occasion du lancement et lors de la commercialisation des disques protégés ;

Par conclusions du 24 juin 2003 la société Auchan France soulève l’irrecevabilité de l’action de l’UFC Que Choisir au motif que les conditions requises par l’article L 421-7 du code de la consommation ne sont pas réunies, l’UFC Que Choisir ne disposait que d’un droit d’intervention ;

Sur le fond la société Auchan France conclut au débouté des demandes, sollicite la condamnation de l’UFC Que Choisir au paiement d’un euro symbolique à titre de dommages-intérêts, la condamnation de l’UFC Que Choisir et de Françoise M. au paiement de la somme de 5000 euros sur le fondement de l’article 700 du ncpc, la publication du présent jugement et l’exécution provisoire.
La société Auchan France sollicite la condamnation de la société EMI Music France à la garantir dans le cas où une condamnation serait prononcée à son encontre à raison de l’existence d’un vice caché dont serait affecté le CD litigieux.

La société Auchan France soutient que la preuve n’est pas reprochée que le disque testé dans l’autoradio de Françoise M. par l’huissier, aurait été acheté par Françoise M. dans un magasin exploité par la société Auchan France.

La discussion

Sur les notes en délibéré

En vertu de l’article 445 du ncpc et conformément au principe du contradictoire, la note en délibérée des demandeurs du 25 juin 2003 et la réponse de la société Auchan France du 30 juin 2003 seront écartées des débats.

Sur la communication des pièces

S’agissant d’une procédure à jour fixe, la communication de pièces effectuée le 19 juin 2003 par l’UFC Que Choisir pour l’audience du 24 juin 2003 n’est pas tardive. Il n’y a pas lieu de les écarter.

Sur la recevabilité de l’action de l’UFC Que Choisir

L’article L 421-7 du code de la consommation autorise les associations de consommateurs agréées à « intervenir devant les juridictions civiles et demander notamment l’application des mesures prévues à l’article L 421-2 lorsque la demande initiale a pour objet la réparation d’un préjudice subi par un ou plusieurs consommateurs à raison de faits non constitutifs d’une infraction pénale. »

Cette disposition reconnaît aux associations le droit d’intervenir au soutien de l’action en réparation d’un préjudice subi à raison de faits ne constituant pas une infraction pénale, introduite par un consommateur et de demander, notamment, d’ordonner toute mesure destinée à faire cesser des agissements illicites ou à supprimer dans le contrat ou le type de contrat proposé aux consommateurs une clause illicite.

Cette demande de l’association ne peut être formée que par voie d’intervention et non par voie principale.

En effet, dans l’hypothèse de fautes civiles, les associations de consommateurs ne disposent pas de moyens d’action directe mais peuvent intervenir comme « partie jointe ».

En l’espèce, Françoise M. et l’UFC Que Choisir ont fait assigner par un même acte d’huissier de justice la société Auchan France et la société EMI Music France sur le fondement des vices cachés ;
L’UFC Que Choisir agit avec Françoise M. en qualité de partie principale pour demander le fondement des vices cachés allégué par Françoise M. et l’application des mesures prévues à l’article L 421-2 du code de la consommation.

Si certaines décisions ont admis l’action directe d’une association de consommateurs liée à celle d’un consommateur, force est de constater que l’action de ces associations portait sur la suppression de clause abusive, action dont elles disposent personnellement ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

Ainsi l’action formée par l’UFC Que Choisir à l’encontre des sociétés Auchan France et EMI Music France, faute d’avoir été exercée par voie d’intervention est irrecevable.

Sur l’action de Françoise M.

Françoise M. soutient qu’elle a acquis un CD du chanteur Alain Souchon « J’veux du Live » auprès de la société Auchan France qui est inutilisable sur son poste autoradio, ce qui constitue un vice caché puisque ce CD est inapte à l’emploi.

A l’appui de sa demande Françoise M. produit :

– un procès verbal d’huissier du 5 mai 2003 constatant que le CD « J’veux du Live » ne fonctionne pas dans la voiture Renault Clio appartenant à Françoise M., celle-ci précisant l’avoir acheté le 23 avril 2003 au centre commercial d’Auchan,

– un ticket de caisse d’Auchan du 28 avril 2003 portant sur l’achat d’un CD de Alain Souchon dont le titre est « C’est déjà ça » et la facture correspondante,

De ces éléments, il ressort que Françoise M. a bien acheté un CD à Auchan le 28 avril 2003 d’Alain Souchon s’intitulant « C’est déjà ça » ;

Le CD ne concerne pas l’objet litigieux de la présente instance à savoir le CD « J’veux du Live »,

Ainsi, faute de rapporter la preuve que le CD litigieux a été acheté auprès de la société Auchan France, Françoise M. sera déboutée de ses demandes à son encontre.

Le vice caché est dans la délivrance d’une chose bien conforme au type promis mais affecté d’une anomalie ou d’une défectuosité qui en restreint l’usage.

Il est justifié par le constat d’huissier que le CD « J’veux du Live » de Françoise M. distribué par la société EMI Music France fonctionne à l’intérieur de sa maison tant sur son poste radio que sur sa chaîne Hi-Fi mais ne fonctionne pas sur le lecteur CD de son véhicule Renault Clio alors qu’un autre CD s’écoute normalement sur cet autoradio ;

Ainsi Françoise M. établit que le CD litigieux n’est pas audible sur tous ses supports, cette anomalie restreint son utilisation et constitue un vice caché au sens de l’article 1641 du code civil.

En conséquence, Françoise M. est fondée à exercer son action rédhibitoire à l’encontre du distributeur. Il convient de condamner la société EMI Music France à restituer à Françoise M. la somme de 9.50 euros ;

Françoise M. ne justifie pas que la société EMI Music France avait connaissance que le CD ne pouvait s’écouter sur tous les supports. Conformément à l’article 1646 du code civil, sa demande de dommages-intérêts doit être rejetée.

Sur les demandes de la société Auchan France

En assignant la société Auchan France, l’UFC Que Choisir a usé de son droit sans que celui-ci constitue un abus. Il convient de rejeter la demande de dommages-intérêts.

La publication sollicitée par la société Auchan France, compte tenu des éléments de la présente instance, ne se justifie pas.

Sur les autres demandes

La nature de l’affaire justifie l’exécution provisoire. L’équité commande d’allouer à Françoise M. la somme de 150 euros sur le fondement de l’article 700 du ncpc.

L’équité commande d’allouer à la société EMI Music France et à la société Auchan France une indemnité de procédure à la charge de l’UFC Que Choisir d’un montant de 2000 euros chacune.

L’UFC Que Choisir succombant dans ses demandes supportera la charge des dépens.

La décision
Le tribunal statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort,

. Déclare irrecevable l’action intentée par l’UFC Que Choisir à l’encontre de la société EMI Music France et de la société Auchan France ;

. Déboute Françoise M. de ses demandes à l’égard de la société Auchan France ;

. Déclare recevable l’action rédhibitoire de Françoise M. à l’encontre de la société EMI Music France ;

. Condamne la société EMI Music France à payer à Françoise M. la somme de 9.50 euros ;

. Déboute Françoise M. de sa demande de dommages-intérêts ;

. Déboute la société Auchan France de ses demandes de dommages-intérêts et de publication ;

. Ordonne l’exécution provisoire ;

. Condamne la société EMI Music France à payer à Françoise M. la somme de 150 euros au titre de l’article 700 du ncpc ;

. Condamne l’UFC Que Choisir, sur le fondement de l’article 700 du ncpc à payer :

– à la société Auchan France la somme de 2000 euros,
– à la société EMI Music France la somme de 2000 euros ;

. Rejette toutes autres demandes ;

. Condamne l’UFC Que Choisir aux dépens.

Le tribunal : Isabelle Schmelck (vice président), Mmes De Mersseman et Cadart (juges)

Avocats : Me Jérôme Franck, Me Jean Louis Guin, Me Pecnard

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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.