Jurisprudence : Diffamation
Tribunal de grande instance de Bobigny 14ème chambre correctionnelle Jugement du 15 novembre 2012
Eric R., MMA Vie / M. L.
1ère publication - adresse IP - constat - délai - e-réputation - loi 1881 - prescription - preuve - publication - site internet
FAITS ET PROCÉDURE
Ce jour, le tribunal vidant son délibéré conformément à la loi, a statué en ces termes.
Le prévenu a été renvoyé devant le tribunal correctionnel par ordonnance de Madame Thubin Emilie, juge d’instruction, rendue le 16 mai 2012.
M. L. a été cité à la requête du procureur de la République. Citation a été remise à étude d’huissier le 28 juin 2012, suivie d’une lettre recommandée avec accusé de réception signé le 29 juin 2012. Suivie d’un renvoi contradictoire ordonné à l’audience du 11 juillet 2012.
M. L. a comparu a l’audience assiste de son conseil, il y a lieu de statuer contradictoirement à son égard.
Il est prévenu :
D’avoir à Bagnolet (93) et sur le territoire national, le 22 mars 2010 et depuis temps non prescrit, par un moyen de communication audiovisuelle, en l’espèce suite à la publication sur le site internet http://www.viadeo.com d’une fiche de membre créée au nom d’Eric R. contenant des imputations portant gravement atteinte à l’honneur et à la réputation de la société MMA Vie en raison des passages suivants :
Titre : “broute cul, mma”
– sous lequel figure un paragraphe intitulé « Présentation” contenant le passage suivant : “je suis un gros con, un lâche, un broute cul, pour arriver à mon poste, je me suis soumis aux ardeurs de tous mes patrons, les PD”.
– sous un paragraphe intitulé “Etudes” figure le passage suivant : “je n’ai pas d’amis car je suis le seul à accepter la sodomie comme ascenseur social ».
– sous un paragraphe intitulé “expériences”, il est écrit “broute cul, mma”.
– puis dans une colonne figurant sur la droite de l’écran contenant la rubrique “Sa société”, il est écrit “mma (…). Une entreprise pourrie dans laquelle je m’épanouie car les patrons recrute des collaborateurs moins compétents qu’eux et qui acceptent la sodomie. J’y suis heureux car je peux harceler à ma guise. De la merde”,
Faits prévus par art.32 al.1, art.23 al.1, art.29 al.1, art.42 loi du 29/07/1881. Art.93-3 loi 82-652 du 29/07/1982, et réprimés par art.32 al.1 loi du 29/07/1881.
D’avoir à Bagnolet (93) et sur le territoire national, le 22 mars 2010 et depuis temps non prescrit, par un moyen de communication audiovisuelle, en l’espèce suite à la publication sur le site internet http://www.viadeo.com d’une fiche de membre créée au nom de Eric R. contenant des imputations portant gravement atteinte à l’honneur et à la réputation de M. Eric R. en raison des passages suivants :
Titre : “broute cul, mma »
– sous lequel figure un paragraphe intitulé “Présentation » contenant le passage suivant: « je suis un gros con, un lâche, un broute cul, pour arriver à mon poste, je me suis soumis aux ardeurs de tous mes patrons, les PD”.
– sous un paragraphe intitulé “Etudes” figure le passage suivant : “je n’ai pas d’amis car je suis le seul à. accepter la sodomie comme ascenseur social”.
– sous un paragraphe intitulé “expériences”, il est écrit “broute cul, mma ».
– puis dans une colonne figurant sur la droite de l’écran contenant la rubrique “Sa société” il est écrit : “mma (…) Une entreprise pourrie dans laquelle je m’épanouie car les patrons recrute des collaborateurs moins compétents qu’eux et qui acceptent la sodomie. J’y suis heureux car je peux harceler à ma guise. De la merde”,
Faits prévus par art.32 al.1, art.23 al.1, art.29 al.1, art.42 loi du 29/07/1881. Art.93-3 loi 82-652 du 29/07/1982, et réprimés par art.32 al.1 loi du 29/07/1881.
DISCUSSION
Sur les conclusions de nullité
Sur la prescription de l’action en diffamation
Monsieur L. soutient qu’au moment de la plainte avec constitution de partie civile de Monsieur R. et de la MMA Vie les faits étaient prescrits. Il soutient que la fausse fiche de Monsieur R. et les propos considérés comme diffamatoires ont été mis en ligne le 3 mars 2010, point de départ du délai de prescription de 3 mois et que les éventuelles modifications ultérieures ne constitueraient pas un nouveau point de départ du délai de prescription.
Toutefois si le délit de diffamation constitue un délit instantané, et si la première version de la fausse fiche de Monsieur R. a été mise en ligne le 3 mars 2010, la version modifiée de ce texte en date du 17 mais 2010 est assimilée à une nouvelle publication, sans qu’il faille distinguer les parties rajoutées et le texte d’origine. Le point de départ de la prescription de 3 mois de l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881 est donc le 17 mars 2010.
Au moment de la plainte avec constitution de partie civile le 16 juin 2010, les faits n’étaient donc pas prescrits.
Sur l’exception de nullité de la procédure au motif de l’absence de visa de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 dans l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel
En l’espèce, Monsieur L. a été renvoyé devant le tribunal correctionnel de Bobigny du chef de diffamation par ordonnance du juge d’instruction en date du 16 mai 2012. Or, si l’ordonnance vise expressément des faits de diffamation publique et renvoie à l’article 32 de la loi de 1881, prévoyant les peines encourues, l’article 29 de ladite loi, définissant le délit de diffamation, n’est pas visé dans l’ordonnance.
Néanmoins, lorsque la poursuite a été introduite par une plainte avec constitution de partie civile, comme c’est le cas en l’espèce, c’est cet acte qui met en mouvement l’action publique. Dès lors, si cette plainte contient les mentions exigées par l’article 50 de la loi de 1881, l’action est régulièrement engagée, sans que sa validité puisse être entachée par un vice affectant l’ordonnance de renvoi. Dans la mesure où la plainte avec constitution de partie civile de Monsieur R. et de la MMA Vie en date du 10 juin 2010, mentionne l’article 29 de la loi de 1881, le tribunal correctionnel a été valablement saisi.
Il convient donc de rejeter cette exception de nullité.
Sur la nullité de la plainte avec constitution de partie civile en ce qu’elle vise l’infraction de diffamation et non celle d’injure
Monsieur L. estime que la plainte de Monsieur R. et de la MMA Vie est mal fondée en ce que les propos qu’il aurait tenus constitueraient des faits d’injures et non de diffamation, en l’absence d’imputation de faits précis.
Toutefois, le tribunal correctionnel étant saisi de faits de diffamation, il lui appartient d’examiner si ces faits sont constitués, sans pouvoir requalifier en injures. Il s’agit d’une question de fond et non d’une question de régularité de la plainte avec constitution de partie civile.
Il convient donc d’écarter l’exception soulevée par le prévenu de ce chef.
Sur le fond
Il ressort de l’instruction et des débats les éléments suivants :
Monsieur R. travaille en qualité de Directeur National du Réseau MMA Cap, secteur Assurances.
Dans le cadre de son activité, il a créé une fiche à son nom sur le site internet Viadeo, site de réseau social vocation professionnelle.
Or, le 3 mars 2010 était créée une seconde fiche sur ce site au nom de Monsieur R. contenant des assertions portant manifestement atteinte à l’honneur et à la réputation de ce dernier et également de la société MMA Vie. De nouveaux propos, tout aussi dégradants, étaient ajoutés le 17 mars et les jours suivants.
Il était ainsi écrit :
«broute cul mma», «je suis un gros con, un lâche, un broute cul, pour arriver à mon poste, je me suis soumis aux ardeurs de tous mes patrons les PD», «je n’ai pas d’amis car je suis le seul à accepter la sodomie comme ascenseur social», «une entreprise pourrie dans laquelle je m’épanouis car les patrons recrutent des collaborateurs moins compétents qu’eux et qui acceptent la sodomie. J’y suis heureux car je peux harceler à ma guise» s’est inscrit comme ancien élève de la Sainte Salope».
Or, les investigations réalisées auprès de la société Viadeo et de Free permettaient de découvrir que l’adresse IP de l’ordinateur, à partir duquel la fausse fiche avait été créée, était celle de Monsieur L. licencié de la société MMA en 2004.
Monsieur L. excipe de l’absence de force probante du constat d’huissier dressé à la demande des parties civiles le 22 mars 2010, au motif que l’huissier ne décrirait pas avec suffisamment de précisions son cheminement pour accéder à la fiche litigieuse, qu’il serait imprécis sur les horaires et ne mentionnerait pas l’heure exacte de la fin de son constat.
Au regard des diligences effectuées par l’huissier, il n’y a toutefois pas lieu de mettre en cause la force probante de ce constat, la précision de l’heure de fin de constat n’étant pas nécessaire à la régularité du constat.
Monsieur L. met également en cause la force probante de l’impression d’écran opérée par la société Viadeo, en l’absence de description du processus d’obtention de l’impression d’écran.
Néanmoins, dans la mesure où la société Viadeo est une société extérieure aux parties et donc neutre, il n’y a pas lieu de mettre en cause la force probante de l’impression d’écran opérée par cette société.
Monsieur L. était entendu par les services de Police dans le cadre dune commission rogatoire le 23 juin 2011.
Dans un premier temps, il ne reconnaissait ni ne niait les faits, indiquant ne plus avoir de souvenirs en raison de son état dépressif et du traitement lourd qu’il suivait. Il se reconnaissait toutefois dans les propos incriminés et y souscrivait, nourrissant encore en 2011 une rancœur à l’encontre de Monsieur R., responsable selon lui de son licenciement en 2004. Il admettait être le seul à son domicile à utiliser internet.
Aux termes de sa seconde audition, il reconnaissait avoir, par vengeance, créé la fausse fiche de Monsieur R. et avoir tenu les propos visés, il ne se souvenait plus s’il était retourné sur cette fiche pour la compléter.
Il maintenait ses déclarations devant le juge d’instruction le 14 septembre 2011. A l’audience du 20 septembre 2012, Monsieur L. reconnaissait avoir créé la fausse fiche le 3 mars mais niait l’avoir modifié par la suite.
Cette nouvelle version des faits apparaît cependant peu crédible, les termes rajoutés le 17 mars 2010 et les jours suivants étant du même acabit que ceux tenus le 3 mars 2010 lors de la création de la fiche.
Aux termes de l’instruction et des débats, il apparaît que Monsieur L. est l’auteur des propos contenus dans la fausse fiche de Monsieur R., créée le 3 mars et modifiée plusieurs fois à compter du 17 mars 2010. Ces propos ont été tenus publiquement sur un site consulté par des milliers de professionnels.
Ces propos portent manifestement atteinte à l’honneur et à la considération de Monsieur R. et de la société MMA Vie. Ils comportent pour certains l’allégation de faits précis.
Ainsi les termes «broute cul mma», «je suis un gros con, un lâche, un broute cul, pour arriver à mon poste, je me suis soumis aux ardeurs de tous mes patrons les PD», «je n’ai pas d’amis car je suis le seul à accepter la sodomie comme ascenseur social», «une entreprise pourrie dans laquelle je m’épanouis car les patrons recrutent des collaborateurs moins compétents qu’eux et qui acceptent la sodomie» sous entendent que la promotion des salariés au sein de la société MMA Vie serait subordonnée non pas à leurs compétences mais à l’acceptation de certaines faveurs sexuelles.
Ces mêmes termes ainsi que les suivants «J’y suis heureux car je peux harceler à ma guise» contiennent également des imputations de faits précis à l’encontre de Monsieur R., accusé d’avoir obtenu son poste en octroyant à ses supérieurs des faveurs sexuelles et de harceler ses collègues, ce qui constitue un délit pénal.
Au regard de ces éléments, ii y a lieu de déclarer Monsieur L. coupable des faits qui lui sont reprochés.
Sur la peine
Le casier judiciaire de Monsieur L. ne porte trace d’aucune condamnation.
Il est désormais retraité et perçoit environ 2000 € de revenus mensuels. L’expert psychiatre a conclu à l’altération de son discernement au moment des faits, en raison de son état de dépression grave.
Au regard de ces éléments, il convient de le condamner à une peine de 1000 € avec sursis.
Sur l’action civile
Le tribunal considère qu’il y a lieu de déclarer recevable les constitutions de parties civiles de M. R. Eric et de la société MMA Vie.
Attendu que le tribunal reçoit les demandes en réparation formulées par M. R. Eric, partie civile, qui sollicite :
– 1 euro à titre de dommages et intérêts
– 1000 € en vertu de l’article 475-1 du code de procédure pénale
Qu’il convient de faire droit en intégralité à la demande au titre des dommages et intérêts et de lui allouer la somme de 600 € au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale.
Attendu que le tribunal reçoit les demandes en réparation formulées par la société MMA Vie, partie civile, qui sollicite :
– 1 euro à titre de dommages et intérêts
– 1000 € en vertu de l’article 475-1 du code de procédure pénale;
Qu’il convient de faire droit en intégralité à la demande au titre des dommages et intérêts et de lui allouer la somme de 600 € au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale.
DÉCISION
Le tribunal, statuant publiquement, en premier ressort et par jugement contradictoire à l’égard de R. BEric et de la société MMA Vie, parties civiles et à l’égard de M. L. prévenu ;
Sur les exceptions de nullité
. Rejette les exceptions de nullité soulevées.
Sur l’action publique
. Déclare M. L. coupable pour les faits qualifiés de :
– diffamation envers particulier(s) par parole, écrit, image ou moyen de communication au public par voie électronique commis le 22 mars 2010 à Bagnolet ;
– diffamation envers particulier(s) par parole, écrit, image ou moyen de communication au public par voie électronique commis le 22 mars 2010 à Bagnolet ;
. Condamne M. L. au paiement d’une amende délictuelle d’un montant de 1000 € ;
Vu l’article 132-31 al.1 du code pénal ;
. Dit qu’il sera sursis totalement à l’exécution de cette peine, dans les conditions prévues par ces articles ;
Et aussitôt, la présidente, suite à cette condamnation assortie du sursis simple, a donné l’avertissement, prévu à l’article 132-29 du code pénal, au condamné en l’avisant que si il commet une nouvelle infraction, il pourra faire l’objet d’une condamnation qui sera susceptible d’entraîner l’exécution de la première peine sans confusion avec la seconde et qu’il encourra les peines de la récidive dans les termes des articles 132-9 et 132-10 du code pénal ;
La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure de 90 € dont est redevable M. L. ;
Le condamné est informé, par le présent jugement, qu’en cas de paiement de l’amende et du droit fixe de procédure dans le délai d’un mois à compter de la date où il a eu connaissance du jugement, il bénéficie de la suppression de la majoration du droit fixe de procédure le ramenant à 90 € et d’une diminution de 20% sur la totalité de la somme payer ;
Sur l’action civile
. Déclare recevable les constitutions de parties civiles de Monsieur R. Eric et de la société MMA Vie ;
. Condamne M. L à payer à Monsieur R. Eric, partie civile :
– la somme de 1 euro au titre du préjudice moral
– la somme de 600 € au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale ;
. Condamne M. L. à payer à la société MMA Vie, partie civile :
– la somme de 1 euro au titre du préjudice moral
– la somme de 600 € au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale ;
. Déboute M. L. de ses demandes au titre des articles 800-2 et R 249-5 du code de procédure pénale.
Le tribunal : Mme Laurence Mollaret (présidente), M. Pascal Lacord et Mlle Emilie Royal (assesseurs)
Avocats : Me Georges De Monjour, Me Anthony Bem
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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.