Jurisprudence : Marques
Tribunal de grande instance de Paris Ordonnance de référé 11 février
Laurent D. / Franck T.
marques
PRETENTIONS
Vu l’assignation délivrée le 18 janvier 2008 par Laurent D., suivant laquelle il est en substance demandé en référé de :
Vu l’article L713-3 du Code de la Propriété Intellectuelle,
– faire interdiction à Franck T. de reproduire ou imiter la marque Blogotop,
– enjoindre à Franck T. de communiquer les coordonnées des éditeurs de l’ensemble des sites inscrits au programme “blogotop/blogometrie2.0”, sous astreinte de 50 € par jour de retard à compter de l’ordonnance à intervenir,
– ordonner la publication de l’ordonnance à intervenir sur la page d’accueil du site “caledosphere.com”, sous astreinte de 50 € par jour de retard à compter de l’ordonnance à intervenir,
– condamner Franck T. à verser à Laurent D., à titre provisionnel, la somme de 30 000 € à valoir sur le préjudice subi,
– condamner Franck T. à verser à Laurent D. la somme de 1000 € sur le fondement de l’article 700 du nouveau code de procédure civile, et au paiement des dépens de l’instance, y compris les frais de constat.
DISCUSSION
Sur la procédure
Attendu que l’acte d’huissier fait mention du fait qu’il n’a pas été possible de joindre le défendeur à l’adresse indiquée en Nouvelle Calédonie, la boîte postale dans la commune de Bourail n’existant pas ; qu’il est fait état d’une nouvelle adresse à Nouméa trouvée à la suite des recherches effectuées par l’huissier, à laquelle il n’a pas été possible de trouver les nom et prénom de l’intéressé sur les boîtes aux lettres, des appels téléphoniques étant restés vains, l’un des numéros communiqués s’avérant avoir été réattribué ;
que le procès-verbal établi le 8 janvier 2008 fait mention par conséquent de ces vaines recherches au sens des dispositions de l’article 659 du code de procédure civile, de l’envoi d’une lettre recommandée avec demande d’avis de réception, dont la copie fait apparaître l’envoi de la copie de l’acte, et de l’envoi d’un avis par lettre simple, les copies jointes faisant apparaître que ces diligences ont été effectuées le même jour, et aux deux adresses mentionnées dans l’acte ;
Que Franck T., régulièrement assigné, ne comparaissant pas, la décision sera réputée contradictoire en application des dispositions de l’article 473 du code de procédure civile, et il ne pourra être fait droit aux demandes que pour autant qu’elles apparaîtront régulières, recevables et bien fondées, en application de l’article 472 du même code ;
Sur les demandes
Laurent D., qui se présente comme prestataire de service pour la création de blogs, explique qu’il est titulaire de la manque Française verbale “Blogotop » n°0713503066, déposée le 25 mai 2007, pour les classes 35, 38 et 41, ainsi que du nom de domaine “blogotop.com”, déposé le 6 décembre 2005 auprès de l’unité d’enregistrement Gandi, qu’il exploite dans le cadre de son activité de création de blogs.
Il explique avoir constaté l’exploitation par l’éditeur du site internet “caledosphere.com” du terme “blogotop2.0″, identifiant un programme classant les blogs s’inscrivant sur son site en fonction de leur fréquentation et du nombre de pages lues, et qui se présente comme “la liste des blogs les plus influents de la blogosphère”, et précise que la dénomination de ce classement a récemment été modifiée, pour prendre désormais celle de “Blogométrie 2.0”, mais que ce changement n’ayant pas été abouti continue à produire ses effets sur le réseau.
Il précise que le nom de domaine “caledosphere.com” a été enregistré par Franck T. le 22 octobre 2006, qui exploite le site internet correspondant sans identification de l’éditeur ni même, ainsi que lui en fait pourtant obligation la loi du 21 juin 2004, mention des nom et coordonnées du prestataire d’hébergement.
Il invoque les dispositions de l’article 713-3 du code de la propriété intellectuelle, et la similitude des signes en cause, soit la marque verbale “Blogotop”, et la dénomination “blogotop2.0”, l’adjonction des chiffres 2.0 en référence à l’univers du web 2.0, basé sur l’interaction et la participation des internautes, propres au domaine des blogs ; à ses yeux le terme utilisé ne se distingue en rien de celui protégé par la marque, au regard de la similitude des produits et services en cause, soit ceux visés par les classes 35, 38 et 41 pour lesquels la marque a été enregistrée, et le service fourni par Franck T. dans le cadre du programme de référencement et de classement des blogs inscrits sur son site.
Il relève encore le fait que celui-ci se présente également à l’occasion en qualité de “président directeur général en chef de Blogotop » ce qui accroît à son sens le risque de confusion dans l’esprit du public, alors que plusieurs échanges par courriels entre les parties n’ont pas permis de trouver une solution amiable au litige.
Laurent D. s’appuie sur un constat réalisé le 4 décembre 2007 par l’Agence pour la Protection des Programmes ; il relève que les résultats de ce classement sont encore repris sous l’intitulé “blogotop2.0” par les différents sites références par le biais de ce programme, et que le terme “blogotop” continue d’apparaître en sous-adresse d’une page du site “caledosphere.com” consacrée au programme concerné.
La modification de l’appellation effectuée par Franck T., de “blogotop2.0” en “blogometrie2.0”, suivant courrier électronique au 8 octobre 2007, n’a pas au sens du demandeur entraîné de modification dans la référence faite par les blogs enregistrés à ce programme, tels que “yayamusic.canalblog.com, “leweb.be”, « blog.thierry.p…fr” ou encore “koodji.com” ou « da-kolug.com » reproduisant le terme “blogotop » sur leurs pages internet ou comme sous-domaine, pour présenter leur classement par le biais du programme établi par le défendeur.
Au titre du préjudice invoqué, il est fait état de l’exploitation injustifiée par Franck T. du terme “blogotop” sur son site pour présenter son programme de référencement, mais également l’effet “boule de neige” induit par le principe même du programme, conduisant les blogs référencés à ce titre à se prévaloir de ce classement sur leur propre site, en faisant référence au programme “blogotop2.0”.
La multiplication, de ces références au terme « blogotop2.0” renvoyant sur le site “caledosphere.com” ferait subir au demandeur un préjudice en terme de référencement par les différents moteurs de recherche sur l’internet, alors que le site du demandeur est légitimement exploité sous le nom de domaine “blogotop.com” :
il explique que les requêtes effectuées sur les principaux moteurs de recherche à partir du terme “blogotop” notamment, affichent en effet des résultats correspondant soit au site du défendeur, soit aux sites référencés par celui-ci par le biais du programme de classement des blogs, comme “blog.thierry.p…fr », ou “koodji.com”.
Cette situation affecterait fortement le caractère distinctif de la marque du demandeur, et le demandeur évalue son préjudice à la somme de 30 000 €, au paiement de laquelle il est demandé la condamnation de Franck T. à titre provisionnel.
Laurent D. sollicite également que soit prononcée à son encontre l’interdiction de toute exploitation de la marque protégée “Blogotop”, et qu’il lui soit fait injonction de communiquer les coordonnées de l’ensemble des éditeurs de sites inscrits à ce programme, ainsi que la publication sur le site “caledosphere.com” de la décision, pour information des éditeurs de blogs référencés au sujet de cette interdiction.
Attendu qu’il résulte des termes mêmes de l’acte introductif tant dans son dispositif que dans ses motifs, que la demande tend en premier lieu à interdire l’utilisation par Franck T. de la dénomination “blogotop” déposée par Laurent D. à titre de marque, en ce qu’elle constitue des actes de contrefaçon au sens de l’article 713-3 du Code de la propriété intellectuelle ;
Que s’agissant donc bien d’interdire la poursuite d’actes de contrefaçon d’une marque, il convient, eu égard à la promulgation le 30 octobre 2007 de la loi n°2007-1544 du 29 octobre 2007 modifiant notamment les dispositions de l’article 716-6 du code de la propriété intellectuelle, de déterminer si celles-ci sont applicables ;
Attendu que suivant les nouvelles dispositions, cette juridiction peut être saisie en référé afin en particulier d’ordonner toute mesure destinée à empêcher la poursuite d’actes argués de contrefaçon, sans désormais que s’impose l’engagement préalable d’une action au fond ;
Que toutefois, l’article 716-6 dernier alinéa précise que lorsque les mesures prises pour faire cesser une atteinte aux droits sont ordonnées avant l’engagement d’une action au fond, le demandeur doit se pourvoir dans un délai fixé par voie réglementaire ;
Qu’il est constant qu’aucun décret n’est venu à ce jour préciser le délai en question ;
Que pour autant, la loi du 29 octobre 2007 ne comportant aucune disposition transitoire, les règles de procédure qu’elle modifie se trouvent immédiatement applicables, et le délai en question s’entend comme raisonnable à la lumière des dispositions de la directive n°2004/48/CE du 9 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle qu’il s’est agi notamment de transposer en droit interne ; qu’il peut ainsi être fait référence à l’article 9 paragraphe 5 de cette directive, qui, à moins que ce délai ne soit fixé par l’autorité judiciaire, le limite à vingt jours ouvrables ou trente et un jours civils si ce délai est plus long ;
Que la demande de M. Laurent D. est par conséquent régulière ;
Attendu qu’aux termes de l’article 713-3 du code de la propriété intellectuelle, le droit conféré par une marque permet à son titulaire d’interdire toute imitation de celle-ci pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés dans l’enregistrement, dès lors qu’il peut en résulter un risque de confusion dans l’esprit du public ;
Qu’il est justifié du fait que la marque française Blogotop, déposée par Laurent D. le 25 mai 2007, a été enregistrée sous le numéro 3503066, avec publication au B.O.P.I. 2007-44, assurant sa protection pour les produits et services appartenant aux classes 35, 38 et 41 ; qu’il peut être relevé que le nom de domaine blogotop.com avait été enregistré le 6 octobre 2005 par le même auprès d’une unité d’enregistrement, et que le nom de domaine du site caledosphere.com exploité par le défendeur n’a pour sa part été créé que le 23 octobre 2006 ;
Attendu ensuite que le service principal offert par le demandeur peut s’apparenter à la publicité en ligne ou aux relations publiques évoqués par la classe 35, en ce qu’il offre une aide à la création de blogs et à leur référencement, et tend ainsi à leur promotion auprès des internautes en suggérant l’amélioration de leur communication ; qu’il donne des informations via des terminaux d’ordinateurs à leur sujet, au sens des services tels que définis par la classe 38, et peut comporter des informations en matière de divertissement au sens des services visés par la classe 41 ;
Que le service proposé par le site caledosphere.com qu’exploite Franck T. est de même nature, étant consacré aux blogs, et présentant en particulier un classement des blogs les plus consultés, ainsi que le constat dressé le 4 décembre 2007 le fait ressortir ;
Attendu que cette juridiction apprécie les demandes telles qu’elles se présentent à la date où elle statue, et doit, aux termes de l’article 716-6, vérifier si les éléments de preuve raisonnablement accessibles au demandeur rendent vraisemblable l’atteinte alléguée à ses droits ;
Attendu qu’il est constant que Franck T. avait donné pour désigner le classement de blogs qu’il propose sur le site qu’il exploite l’intitulé “Blogotop 2.0”, et que celui-ci a été modifié pour celui de “BloGoMetrie 10”, ainsi que le constat dressé le 4 décembre 2007 le fait ressortir, et ce dans le courant du mois d’octobre au vu des pièces communiquées ;
Que pour autant, alors qu’il peut être relevé que le sous-titre “la liste des blogs les plus influents de la « Blogosphère” n’a pas été modifié, le même constat fait apparaître que la page du site caledosphere.com affichant ce classement et permettant aux éditeurs de blogs de s’inscrire pour concourir, est accessible en cliquant sur le bouton “Blogométrie 2.0” placé en partie basse de la page d’accueil ; que cette page comporte toujours le terme “blogotop”, qui figure dans le document source (annexe 3 bis) ; qu’enfin, la requête de recherche avec ce terme fait effectivement apparaître en 4ème position (page 39 du constat), sous le titre “Blogométrie 2.0 – S’inscrire” une adresse développée du site caledosphere.com comportant bien ce terme “blogotop” ;
Que ces éléments rendent par conséquent vraisemblable l’atteinte alléguée par Laurent D. à ses droits de propriété intellectuelle, et justifient qu’il soit fait interdiction à Franck T., dans les conditions précisées au dispositif de la décision, de continuer à utiliser le terme en question, en particulier au niveau du document source du site, seul ou associé ou non à “2.0”, référence au réseau de l’internet dénommé web 2.0 pour souligner l’interactivité s’y développant, notamment au niveau des blogs ;
Attendu qu’il est demandé ensuite la communication des coordonnées des éditeurs inscrits sur le site du défendeur, dans le but de demander à ceux-ci la suppression de toute référence au terme litigieux ; qu’il résulte des pièces versées au débat que le lancement par le défendeur du classement sous le nom litigieux remonte à début septembre 2007, vraisemblablement le 11 ; que c’est à cette époque du lancement que remonte la présentation du défendeur comme “président directeur général en chef de Blogotop”, rien ne permettant d’indiquer que l’auto-promotion ainsi alléguée se soit poursuivie ; que le demandeur a formulé sa réclamation pour la première fois le 25 septembre 2007 par courriel ;
que la saisie le 4 décembre 2007 de la requête “blogotop 2.0” pour effectuer une recherche à l’aide du moteur Google entraîne l’affichage de celui-ci en 4ème position des résultats (page 37 du constat), sous l’intitulé Calédosphère “Blog Archive” Blogotop -, et la saisie de la requête “blogotop” l’affichage en 3ème position de ce site, mais sous l’appellation Calédosphère “Blog Archive” 1er Classement Blogométrie, avec l’annonce du fait que “le blogotop va … changer de nom très rapidement à cause d’une requête déposée par le propriétaire de ce nom de domaine…” (page 39 du constat) ;
Qu’ensuite, le constat a fait apparaître le 4 décembre 2007 le terme litigieux, mais sur l’affichage direct des adresses développées de neuf sites, indiquées par le demandeur ; que la plupart des pages affichées font apparaître des informations remontant à septembre ou octobre 2007 ;
Qu’en conséquence, la mesure demandée, alors que l’agent rappelait qu’il n’était pas garant de l’actualisation des informations extraites des bases de données reproduites le jour de ses constatations, apparaît disproportionnée ; que par ailleurs l’incidence éventuelle de l’utilisation du terme litigieux sur le développement de la fréquentation du site du défendeur, alors qu’il n’est pas clairement invoqué une baisse de fréquentation de celui du demandeur, ne justifie pas, en plus de l’interdiction demandée, la publication sur le site caledosphere.com de la présente décision, pour prévenir la poursuite de l’utilisation du terme litigieux et des actes ainsi allégués de contrefaçon ;
Qu’il appartiendra au demandeur, au cas où la mesure d’interdiction s’avérerait insuffisante, d’en tirer toutes conséquences dans le cadre de l’instance au fond ;
Sur la provision
Attendu que dans les cas où l’existence du préjudice n’est pas sérieusement contestable, cette juridiction peut accorder une provision au demandeur, aux termes de l’alinéa 3 de l’article 716-6 modifié du code de la propriété intellectuelle ;
Que Laurent D. fait valoir que les résultats affichés sur les requêtes effectuées avec le terme litigieux sur les principaux moteurs de recherche correspondent soit au site du défendeur, soit à ceux référencés par le programme de classement de celui-ci ;
Que si la réalité du préjudice subi par Laurent D. du fait du maintien du terme litigieux dans le contenu du site sous forme notamment d’adresse développée du site caledosphere.com utilisée pour accéder au programme et dans le fichier source n’est pas contestable, il résulte des éléments relevés qu’en l’absence de comparaison de la fréquentation des deux sites concurrents, dont le caractère marchand n’est pas clairement affirmé, constatée tant sur la période antérieure à l’utilisation par le défendeur du terme litigieux, que sur la période précédant l’assignation, alors qu’il n’est donné aucune précision sur le chiffre d’affaires éventuellement réalisé par le demandeur et son évolution, il est sérieusement contestable de le chiffrer au montant demandé de 30 000 € ;
Que le préjudice résultant de l’atteinte aux droits de Laurent D. attachés à la marque dont il est propriétaire peut toutefois s’évaluer au vu des éléments versés au débat au montant non sérieusement contestable de 5000 € ;
Qu’il n’y a lieu à faire droit au surplus des demandes ;
Qu’il apparaîtrait inéquitable de laisser à Laurent D. la charge de ses frais irrépétibles ;
Que Franck T. sera condamné à lui verser à ce titre la somme de 2000 € ;
Que les dépens seront laissés à sa charge, frais de constat non justifiés par une facture exclus.
DECISION
Par ordonnance en la forme des référés, réputée contradictoire et en premier ressort, mise à disposition au greffe,
.Vu les dispositions de l’article 716-6 du code de la propriété intellectuelle telles que modifiées par la loi n°2007-1544 du 29 octobre 2007,
. Faisons interdiction à Franck T. de reproduire sous quelque forme que ce soit, associée ou non à la mention “2.0”, la marque française Blogotop déposée sous le n°3503066 par Laurent D., et ce sous astreinte provisoire de 50 €, courant pendant un délai de quatre semaines, par infraction et jour de retard prenant effet à l’expiration d’un délai de 48 heures faisant suite à la signification de la décision,
. Nous réservons la liquidation éventuelle de l’astreinte provisoire,
. Condamnons Franck T. au paiement à Laurent D. à titre d’indemnité provisionnelle, à valoir sur les dommages et intérêts auquel il peut prétendre, la somme de 5000 €,
. Déboutons Laurent D. du surplus de ses demandes,
. Disons que faute pour le demandeur de se pourvoir devant la juridiction compétente au fond dans le délai de 21 jours la présente décision sera de nul effet,
. Condamnons Franck T. au paiement des dépens, frais de constat exclus, ainsi à Laurent D. que la somme de 2000 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Le tribunal : M. Emmanuel Binoche (président)
Avocat : Me Blandine Poidevin.
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