Jurisprudence : Diffamation
Tribunal de grande instance de Paris Ordonnance de référé 4 avril 2003
Philippe S., Jocelyn M. et Société Lenox / Société OVH, David M.
diffamation
Nous, Président,
Après avoir entendu les parties comparantes ou leur conseil,
Vu l’assignation délivrée le 20 mars 2003 par MM. Philipe S., Jocelyn M. et la Sarl Lenox, suivant laquelle il est demandé pour l’essentiel en référé de :
– constater que les propos tenus sur le site www.zouker.com sont dénigrants, portent atteinte à l’honneur et à la réputation des requérants,
– constater que la diffusion des propos litigieux semble avoir cessé, à tout le moins, sous la rubrique « proxenetisme black au clair obscur discothèque 11° arrondi »,
– faire injonction à la société OVH et à M. David M. de fournir toutes informations permettant l’identification du (des) créateur (s) du site, du (des) auteur (s) de la page litigieuse, du (des) hébergeur (s) nouveau (x), s’il en est, sous astreinte de 762,25 € par jour, dès le prononcé de la décision à intervenir,
– constater qu’aucun engagement précis n’a été pris pour l’avenir,
– dire et juger que le dommage demeure imminent,
– ordonner la suspension du site www.zouker.com sous astreinte de 152,45 € par jour de retard,
A titre subsidiaire :
– ordonner la suspension du forum de discussion ce, sous astreinte de 152,45 € par jour de retard,
– condamner conjointement et solidairement la société OVH et David M. à régler une astreinte de 152,45 € par jour, en cas de réitération des propos dénigrants,
– condamner conjointement et solidairement la société OVH et David M. à verser à Philippe S., Jocelyn M. et la société Lenox, à titre provisionnel, la somme de 762,25 € chacun à valoir sur préjudice final subi,
– condamner conjointement et solidairement la société OVH et David M., à verser à Philippe S., Jocelyn M. et la société Lenox la somme de 1214,69 € chacun au titre de l’article 700 du ncpc, réserver les dépens.
Vu les conclusions de la société OVH, de David M., et les conclusions en réplique des demandeurs ;
LA DISCUSSION
Sur l’exception
Attendu que David M. oppose l’irrecevabilité de la demande, en ce que les faits sont prescrits, dans la mesure où la qualification qui en est faite par les demandeurs correspond à celle visée par les dispositions de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881, et que les dispositions de l’article 65 § 1 de cette loi s’appliquent aux poursuites ;
Que le délai de trois mois commençant à courir à compter du premier acte de publication, il faut considérer à ses yeux la date à laquelle le message a été mis pour la première fois à la disposition des utilisateurs du réseau ;
Que la société OVH oppose également cette fin de non recevoir, en relevant que les faits relevés en dernier lieu par les demandeurs se situent au 13 novembre 2002, de sorte qu’à défaut d’acte interruptif antérieur au 13 février 2003, la prescription se trouve acquise ;
Attendu que les demandeurs opposent que l’objet de leur demande est déterminé par l’acte introductif, qui fait état de faits de dénigrement, propos tenus dans le cadre d’un forum de discussion insusceptibles d’être prouvés et de faire l’objet d’un débat contradictoire ;
Mais attendu, étant rappelé qu’il nous appartient de donner aux faits leur exacte qualification, ou de les restituer, que l’acte introductif précise lui-même que « le forum de discussion incriminé et diffusé les 19 août 2002, 9 octobre 2002, 10 novembre 2002 et 13 novembre 2002 sur le site… » fait apparaître « des propos dénigrants, insultants dirigés à l’encontre de Philippe S., Jocelyn M. et société Lenox » ;
Qu’il est allégué ensuite qu’ils « visent exclusivement et clairement les requérants », et que ces « imputations portent, par ailleurs, atteinte à l’honneur et la réputation des requérants », l’assignation précisant que Jocelyn M. et Philippe S. sont les gérants actuels de la société Lenox, exploitant sous l’enseigne le « Clair Obscur », et faisant valoir que de nombreux clients de la discothèque visitent ce site ; que de fait, les prénoms des requérants personnes physiques sont cités et leur qualité de gérants évoquée dans des messages datés des 19 août et 13 novembre 2002 ;
Qu’enfin, eu égard à la nature des faits mentionnés dans les messages, qui correspondraient selon certains d’entre eux – des 19 août et 10 novembre 2002 – à des infractions pénales, il ne peut être sérieusement envisagé, sous réserves de l’appréciation du juge du fond pouvant être saisi, de qualifier ceux-ci de dénigrement, susceptible de donner lieu à application des dispositions de l’article 1382 du code civil ;
Que ceux visés dans le deuxième message cité dans l’assignation imputent aux gérants des faits, dont les demandeurs eux-mêmes estiment qu’ils portent atteinte à leurs honneur et réputation, susceptibles d’être circonstanciés et débattus, puisque les propos émanent d’une ancienne cliente, et que la demande porte notamment sur l’identification des auteurs de la page litigieuse ;
Qu’il ne saurait être tiré enfin des écritures de la société OVH le moindre élément en ce qui concerne la date à laquelle les propos litigieux auraient été retirés du site, dès lors que les demandeurs – qui croient devoir préciser que la diffusion « semble » avoir cessé – ne versent aux débats que l’impression au 14 novembre 2002 de deux pages du forum litigieux ;
Qu’aucun autre constat ayant pu être établi à une date récente n’est versé aux débats permettant d’identifier et de qualifier des propos continuant éventuellement d’être tenus, et de contredire David M., qui confirme qu’immédiatement après avoir été contacté par l’un des demandeurs à la date approximative du 15 novembre 2002, il avait mis fin à la diffusion des propos susceptibles d’être qualifiés de diffamatoires ou injurieux ;
Attendu que les demandeurs ne visent pour fondement, outre les dispositions des articles 10 et 809 du ncpc, que les seules dispositions de l’article 1382 du code civil ;
Que l’usage de la liberté d’expression, principe à valeur constitutionnelle et consacré par la convention Européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, peut être l’objet de certaines restrictions, et les abus, auxquels il peut conduire, de sanctions, de nature à les prévenir ou réprimer ;
Que tel est l’objet des dispositions de la loi du 29 juillet 1881, de sorte que les faits évoqués, sauf à ce que le juge du fond estime ne pas devoir suivre la jurisprudence constante en ce sens, ne peuvent être visés en lieu et place de cette législation sous une qualification aussi générale que celle correspondant aux termes de l’article 1382 du code civil ;
Que ces dispositions ont vocation à s’appliquer aussi bien à l’action civile au fond, qu’à celle dont la juridiction de référé est en l’espèce saisie ;
Qu’en conséquence, si la juridiction des référés a vocation à intervenir lorsque de tels abus sont de nature à caractériser d’évidence un trouble illicite, afin de recourir aux mesures permettant d’y mettre fin immédiatement – étant observé qu’il s’agit en réalité pour les demandeurs de prévenir le dommage pouvant résulter de la réitération des faits -, encore fallait-il en l’espèce que les demandeurs veillent au respect du délai institué par la législation spécifique rappelée plus haut ;
Que la poursuite de faits de nature à constituer le trouble invoqué, et au sujet duquel il s’agirait de prévenir le dommage pouvant résulter de sa réitération, et pour lequel il est demandé une indemnité provisionnelle, se heurte par conséquent aux dispositions prévoyant sa courte prescription ;
Que les demandes dans leur ensemble se trouvent irrecevables ;
Qu’il serait contraire à l’équité de laisser aux défendeurs la charge de la totalité de leurs frais irrépétibles ; que les demandeurs seront condamnés à leur verser à chacun la somme de 700 € à ce titre ;
Que les dépens seront laissés à la charge des demandeurs.
LA DECISION
Publiquement, par ordonnance contradictoire et en premier ressort,
Vu les dispositions des articles 12, 122 du ncpc, 29, 65 § 1 de la loi du 29 juillet 1881,
. Constatons que la prescription de l’action est acquise ;
. Constatons que les demandes sont irrecevables ;
. Condamnons Philippe S. et Jocelyn M., la société Lenox in solidum à verser à David M. et à la société OVH la somme de 700 € à chacun de ces défendeurs en application des dispositions de l’article 700 du ncpc ;
. Laissons les dépens à la charge des demandeurs.
Le tribunal : M. Binoche (premier vice-président)
Avocats : SCP William Chamard, Me Poidevin, Me Labinsky
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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.