Jurisprudence : Responsabilité
Tribunal de grande instance de Paris Ordonnance de référé Jugement du 04 avril 2013
H&M Hennes & Mauritz Logistics GBC France et H&M Hennes & Mauritz AB / Google Inc, Youtube
contenu illicite - contenu manifestement illicite - contrefaçon - diffamation - hébergeur - marque - obligation - réseaux sociaux - retrait
FAITS ET PROCÉDURE
Les sociétés H&M Hennes & Mauritz Logistics GBC France et H&M Hennes & Mauritz AB (ci-après les sociétés H&M) font partie du groupe suédois H&M spécialisé dans la conception et la commercialisation de vêtements et d’articles de mode en France et dans le monde. La seconde de ces deux sociétés est titulaire de la marque communautaire semi-figurative H&M déposée le 3 mars 2005 sous le n°004320371 pour désigner plusieurs produits et services des classes 3, 14, 18 et 25.
Elles indiquent avoir récemment découvert sur différents sites internet tels que Youtube, Google, Facebook et eBay des vidéos, images et photographies portant selon elles gravement atteinte à leurs droits puisque les associant à des images de sang, aux termes « Haine et mort, Harcèlement et mort, valeur de la vie d’une femme et combien de vies pour un vêtement ? » et reproduisant leur marque.
Elles ajoutent avoir immédiatement demandé aux sociétés éditant ces sites internet de supprimer lesdites vidéos, images et photographies mais, contrairement aux éditeurs des sites Facebook et eBay qui ont immédiatement déféré à leur demande, les sociétés Google et Youtube n’ont pas retiré les contenus litigieux.
Après un premier courrier resté infructueux, les sociétés H&M ont alors mis en demeure le 11 mars 2013 par la voix de leur conseil les sociétés Google et Youtube de supprimer les vidéos disponibles à leurs adresses respectives, mais ces dernières ont répondu, par l’intermédiaire de leur filiale française, qu’elles considéraient que ces contenus n’étaient pas manifestement illicites et qu’elles refusaient donc de les retirer.
C’est pourquoi, par actes du 25 mars 2013, les sociétés H&M ont fait assigner en référé d’heure à heure les sociétés de droit américain Google Inc. (ci-après société Google) et Youtube Llc (ci-après société Youtube), en demandant au juge des référés de :
Sur le refus par les défenderesses de supprimer les contenus litigieux ou d’en rendre l’accès impossible :
– dire et juger que les contenus litigieux hébergés à 4 adresses dont 3 sur youtube.com et 1 sur google.com sont manifestement illicites.
– dire et juger que les défenderesses ont connaissance du caractère manifestement illicite des contenus litigieux depuis le 11 mars 2013,
– en conséquence dire et juger que les défenderesses ont commis une faute qui engage leur responsabilité en refusant de retirer ou de rendre l’accès impossible aux contenus litigieux,
Sur le refus des défenderesses de déférer à l’ordonnance rendue le 12 mars 2013 par Madame le président du tribunal de grande instance de Paris leur ordonnant de communiquer les données permettant (l’identifier l’auteur des contenus litigieux :
– constater que les défenderesses ne leur ont pas communiqué ces données,
– en conséquence dire et juger que les défenderesses ont commis une faute qui engage leur responsabilité,
Sur la suppression des contenus litigieux et la communication de données :
– dire et juger que le refus par les défenderesses de retirer ou rendre l’accès impossible aux contenus litigieux constitue un trouble manifestement excessif,
– dire et juger que le refus par les défenderesses de déférer à l’ordonnance du 12 mars 2013 constitue un trouble manifestement illicite,
– ordonner aux défenderesses, sous astreinte de 5000 € par infraction constatée et par jour de retard à compter de l’ordonnance à venir de retirer ou rendre l’accès impossible aux contenus litigieux situés aux adresses suivantes :
* http://www.youtube.com/wtach?v=tyYTGjBilZg,
* http://www.youtube.com/watch?v=HO9PgjXrxoc,
* http://www.youtube.com/watch?v=vtpZCqyr_qs,
et
* http://plus.google.com/108236735236368312408,
– ordonner aux défenderesses, sous astreinte de 5000 € par jour de retard à compter de la signification de l’ordonnance à intervenir, de leur communiquer les données de nature à permettre l’identification de l’auteur du profil Brad M. et des vidéos publiées aux adresses reproduites ci-dessus,
Sur le paiement d’une provision :
– condamner solidairement les défenderesses au paiement d’une provision d’un montant de 30 000 € en réparation du préjudice subi à raison de l’atteinte à leur image et du fait qu’elles ont été privées des moyens d’identifier l’auteur des contenus litigieux,
– condamner solidairement les défenderesses au paiement d’une provision d’un montant de 30 000 € en réparation du préjudice moral subi,
– condamner les défenderesses au paiement d’une somme de 20 000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens, dont distraction au profit de leur conseil.
Par conclusions visées à l’audience du 29 mars 2013, les sociétés Google et Youtube, qui indiquent n’avoir pas été touchées par les significations de l’assignation envoyées aux Etats-Unis, mais qui interviennent toutes deux sur présentation volontaire conformément aux dispositions de l’article 54 du code de procédure civile, entendent voir le juge des référés :
– constater que la demande de communication de données à caractère personnel est sans objet, les données ayant été communiquées promptement à réception de l’ordonnance sur requête du 12 mars 2013,
– constater que la demande de provision est irrecevable, celle-ci ayant en réalité pour objet l’indemnisation d’un préjudice qui échappe à la compétence du juge des référés, et en tout état de cause mal fondée puisqu’elles n’ont commis aucune faute, s’agissant de la communication de données, et manqué à aucune de leurs obligations en leur qualité d’hébergeur, s’agissant de la suppression du profil litigieux,
En tout état de cause,
– débouter les sociétés H&M de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,
– condamner les sociétés H&M à verser à chacune d’elles la somme de 5000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens.
A l’audience, le conseil des sociétés H&M fait savoir que, les adresses IP de la ou des personne(s) ayant mis en ligne les contenus litigieux lui ayant été fournies, les sociétés H&M ne maintiennent pas leurs demandes relatives à la communication de données.
DISCUSSION
Sur les demandes des sociétés H&M
L’article 809 du code de procédure civile dispose que le président peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé des mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Dans le cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, il peut accorder une provision au créancier ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire.
Se fondant sur ce texte, les sociétés H&M exposent donc avoir découvert trois vidéos sur le site youtube.com et une vidéo sur le réseau social Google+ qui détournent selon elles de façon diffamante leur logo, leur marque et leur dénomination sociale en les associant notamment à des images de sang et aux termes « Haine et mort, Harcèlement et mort, valeur de la vie d’une femme et combien de vies pour un vêtement ? » en laissant entendre d’une part quelles cautionneraient le harcèlement moral et sexuel, d’autre part qu’elles seraient responsables d’une tentative de suicide commise par l’une de leurs employées, lesdites vidéos publiant des extraits de lettres adressées par elles à l’une de ces employées pour la convoquer à un entretien préalable à un licenciement en raison de son comportement calomniateur, et des messages sur le réseau social faisant référence à l’argent du sang.
Elles ajoutent que ces contenus litigieux reproduisent la marque communautaire H&M n° 004320371 « à l’identique, sans adjonction ni ajout », et que l’association de cette marque avec les termes évoqués ci-dessus révélerait l’intention de nuire de leur auteur, car il s’agirait d’une « association particulièrement grave qui relève de la calomnie ».
D’autre part elles considèrent que ces contenus, qui ainsi qu’il vient d’être dit les associent à des images de sang, de haine et de mort, et laissent entendre qu’elles cautionneraient le harcèlement moral et sexuel de leurs salarié(e)s, constituent une diffamation à leur encontre.
Cependant, il convient de rappeler que la présente instance, à ce stade du référé, n’a pas pour objet de dire si des atteintes ont été commises, tâche éventuelle du juge du fond, mais seulement d’apprécier leur vraisemblance.
En outre, pour ce qui est des sociétés défenderesses qui n’ont que le statut d’hébergeur, il y a lieu de s’attacher à déterminer si elles hébergent des contenus manifestement illicites.
Or, s’agissant de la marque, ainsi que le font valoir à juste titre les sociétés défenderesses, le signe reproduit sur leurs sites internet ne vise pas plus à désigner qu’à promouvoir un produit qui serait offert à la vente, mais seulement à informer l’internaute du comportement éventuel de la société titulaire de la marque en question, de sorte qu’il n’a pas pour but de renseigner le consommateur sur la nature ou l’origine d’un produit et n’est nullement utilisé dans la vie des affaires.
Par ailleurs, une appréciation du caractère éventuellement diffamatoire des vidéos, photographies et écrits litigieux suppose une analyse des circonstances ayant présidé à leur diffusion, laquelle échappe par principe à celui qui n’est qu’un intermédiaire technique. Cela a pour conséquence que cet intermédiaire ne peut, par le seul fait de cette diffusion ou du maintien en ligne, être considéré comme ayant eu un comportement fautif étant précisé en outre que diffamation, à la supposer constituée, n’égale pas forcément trouble manifestement illicite.
Dès lors, il apparaît que la contrefaçon de marque n’apparaît pas vraisemblable, et que le caractère éventuellement diffamatoire des contenus litigieux ne peut être discuté au stade du référé, en l’absence de leur auteur qui seul serait à même de donner toutes explications et d’apporter le cas échéant toutes preuves utiles.
De ce fait, il ne saurait être fautif pour les sociétés défenderesses de ne pas les avoir retirés lorsque sommation leur en a été faite, ni d’avoir rendu leur accès impossible.
Les obligations des sociétés Google et Youtube apparaissant au moins contestables, il ne saurait être question à ce stade de faire droit aux demandes tendant à l’allocation d’une provision.
En revanche, il apparaît que le maintien des contenus litigieux en ligne serait de nature à causer aux sociétés H&M un préjudice qu’il convient d’éviter, du moins tant que leur auteur n’a pas été identifié ni mis en mesure de s’expliquer.
Il convient donc, dans un souci d’apaisement et ces dernières s’en remettant sur ce point à notre appréciation, d’ordonner aux sociétés défenderesses de supprimer ces contenus, dans les conditions précisées au dispositif de la présente décision.
Sur les autres demandes
Les dépens de la présente instance seront réservés.
En outre, il n’apparaît pas équitable de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, de sorte que toutes les demandes présentées à ce titre seront rejetées.
DÉCISION
Nous, juge des référés, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par ordonnance contradictoire et rendue en premier ressort,
. Recevons les sociétés Google Inc. et Youtube Llc en leur intervention volontaire,
. Ordonnons aux sociétés Google Inc. et Youtube Llc de retirer sans délai ou rendre l’accès impossible aux contenus litigieux situés aux adresses suivantes :
* http://www.youtube.com/watch?v=tyYTGjBilZg,
* http://www.youtube.com/watch?v=HO9PqjXrxoc,
* htp://www.youtube.com/watch?v=vtpZCgvr_qs,
et
* http://plus.google.com/108236735236368312408, ce sous astreinte de 350 € par jour de retard à compter de la signification de la présente décision,
. Rejetons le surplus des demandes,
. Réservons les dépens.
Le tribunal : M. Eric Halphen (vice président)
Avocats : Me Matthieu Melin, Me Sébastien Proust
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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.