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Jurisprudence : Vie privée

mardi 19 juillet 2016
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Tribunal de grande instance de Nanterre, Pôle civil, 1ère ch., jugement du 2 avril 2015

M. X. / Purestyle

appel - article 9 du code civil - atteinte au droit à l'image - atteinte aux droits de la personnalité - caducité de la déclaration d’appel - délais - signification - site internet

JUGEMENT

prononcé en premier ressort, par décision Contradictoire et mise à disposition au greffe du tribunal conformément à l’avis donné à l’issue des débats.

EXPOSE DU LITIGE

Par acte dressé le 19 avril 2013 par Me Clothilde Griffon, huissier de justice à Colombes, M. X. a fait constater la diffusion depuis le 3 janvier 2013 par le site puretrend.com édité par la société Purestyle, d’un article intitulé « M. X. de nouveau célibataire (…) » illustré de huit clichés dont quatre le représentant aux côtés de l’actrice Mme S., de son ex-épouse Mme Y., de Mme B. à l’occasion d’un match, enfin de l’actrice Mme Z. dans un parking.

L’article retrace les différentes étapes de la vie sentimentale de M. X. depuis son mariage en 20XX, cite le nom de ses compagnes réelles ou supposées dont les photographies illustrent le propos, commente la durée et le sérieux de ces relations, enfin évoque le célibat de l’acteur à la suite de sa récente seconde séparation d’avec l’actrice Mme S.

Estimant ladite diffusion attentatoire à ses droits de la personnalité, M. X. a, par acte du 13 mai 2013, fait assigner la société Purestyle sur le fondement des dispositions des articles 9 du code civil et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il demande sa condamnation au paiement d’une somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts, à une mesure d’interdiction de reproduction du cliché le montrant dans un parking sous astreinte de 3. 000 euros par infraction constatée à compter de la signification de la décision, outre la publication durant 15 jours consécutifs d’un communiqué judiciaire à ses frais exclusifs et sous astreinte de 10.000 euros par jour de retard passé le délai de 8 jours de la signification du jugement, enfin au paiement d’une somme de 3.500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, le tout sous le bénéfice de l’exécution provisoire,

Dans ses conclusions signifiées le 7 mai 2014, il se prévaut de la valeur probante du constat d’huissier de justice effectué et de la validité du procès-verbal alors dressé, les constatations par huissier de justice faisant foi jusqu’à preuve contraire par application des dispositions de l’article 2 de la loi n°2010-1609 du 22 décembre 2010 et la société éditrice ne justifiant pas en quoi ledit procès-verbal ne serait pas conforme à la norme que celui-ci vise.

Il soutient que l’article est attentatoire à son droit au respect de la vie privée en ce qu’en absence de nécessité d’informer le public d’un sujet d’intérêt général et en dehors d’informations ou d’images volontairement livrées par ses soins, il suppute sur sa vie la plus intime en digressant sur ses prétendues relations sentimentales sans aucune précaution ni vérification, au mépris de sa discrétion que le propos souligne et sans que puisse lui être reprochée une quelconque complaisance à évoquer sa vie privée. Il ajoute que la publication non consentie de huit clichés détournés de leur contexte de fixation ou pris à son insu selon un procédé déloyal dans des moments strictement privés, au mépris de sa liberté fondamentale d’aller et venir, caractérise une double violation de sa vie privée et de son droit à l’image.

Il estime que son préjudice est renforcé par le sentiment désagréable de voir sa vie personnelle transformée en feuilleton à la seule fin de distraire le public et dans un but lucratif attesté par la présence de nombreux bandeaux publicitaires et par la nature du site se présentant comme celui de référence sur la mode et son actualité au service des marques, sur un ton dont rien ne justifie la familiarité, alors que le propos souligne sa discrétion, et ce nonobstant une précédente condamnation judiciaire.

Il sollicite le retrait du cliché fixé dans un parking, intrinsèquement attentatoire à sa vie privée, et la publication d’un communiqué judiciaire afin d’aviser le public qu’il n’a pas toléré la violation de ses droits de la personnalité.

En réponse, dans ses dernières écritures régularisées le 4 juillet 2014, la société Purestyle demande, au visa des articles 9 et 31 du code de procédure civile, que soit écarté des débats le constat d’huissier dépourvu de force probante quant à la matérialité des faits et l’exactitude des indications portées par l’huissier de justice à défaut de répondre aux exigences de la norme NF Z67-147, et conclut par voie de conséquence au débouté de la demande faute pour le requérant de rapporter la preuve de la matérialité des faits qu’il lui impute.

A titre subsidiaire, elle conteste une quelconque violation de la vie privée et du droit à l’image de M. X. Elle souligne la tardivité d’exercice de l’action en justice quasiment six mois après la diffusion litigieuse, le caractère consenti de la plupart des clichés dont seulement quatre sur huit représentent le demandeur, lesquels ont été pour la plupart posés, fixés dans des circonstances officielles et des lieux publics et ne révèlent rien d’intime, enfin leur divulgation antérieure par d’autres sites. Elle conteste une quelconque atteinte à la vie privée du demandeur par la reproduction d’un cliché le fixant aux côtés de Mme Z. avec laquelle il a entretenu une relation notoire et alors qu’il n’a pas contesté la publication d’un tel cliché sur d’autres sites.
Elle prétend que l’article revêt un caractère notoire ou anodin, les légendes critiquées évoquant non pas des supputations mais des faits notoires révélés à l’initiative du demandeur, chaque étape ou rebondissement des relations évoquées ayant fait l’objet de communiqués de presse par les intéressés.

Elle se prévaut enfin de la complaisance de M. X., qui accepte, contribue voire favorise la publication d’informations relevant de sa stricte intimité, de sa tolérance à l’égard des sites anglo-saxons à l’initiative de la divulgation des clichés que le demandeur ne poursuit pas, de son indifférence affirmée à l’égard des photographes, enfin de l’absence de démonstration de la réalité et de l’étendue de son préjudice du fait de la publication litigieuse, dont l’ampleur de la diffusion n’est au demeurant pas démontrée.

Elle conclut au débouté de la demande, subsidiairement, à une réparation symbolique et de principe et demande en tout état de cause qu’il soit constaté que le contenu litigieux n’est pas diffusé par son site, outre le bénéfice d’une somme de 4. 000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

DISCUSSION

Sur la force probante du constat d’huissier :

La défenderesse conteste la valeur probante du constat d’huissier dressé le 19 avril 2013 en méconnaissance de la norme française AFNOR NF Z67-147 en particulier les prescriptions figurant pages 9 paragraphes 4.2.1 b, 4.2.1 c, 4.1, pages 10 paragraphe 4.2.2 e, page 11 paragraphes 4.2.1 f, 4.3.

Néanmoins, le constat cite la norme AFNOR Z67-147 au titre des « Travaux préparatoires » et l’huissier de justice décrit le déroulement des opérations effectuées au préalable de ses constatations.

Surtout, la défenderesse se borne à opérer une énumération formelle des manœuvres prétendument omises par l’huissier de justice sans préciser en quoi une telle omission préjudicierait à la valeur probante du procès-verbal auquel sont adjointes des copies d’écran qu’il a réalisées, dont il fait foi de la constatation à défaut de preuve contraire par application des dispositions de l’article 2 de la loi n°2010-1609 du 22 décembre 2010.

Il convient par conséquent de rejeter la demande tendant à voir écarter du débat le constat d’huissier, lequel revêt toute sa valeur probante.

Sur l’atteinte à la vie privée et au droit à l’image :

Les articles 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 9 du code civil garantissent à toute personne, quelles que soient sa notoriété, sa fortune, ses fonctions présentes ou à venir, le respect de son droit au respect de sa vie privée et de son image.

L’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales garantit l’exercice du droit à l’information des organes de presse dans le respect du droit des tiers.

La combinaison de ces deux principes conduit à limiter le droit à l’information du public, d’une part, aux éléments relevant pour les personnes publiques de la vie officielle et, d’autre part, aux informations et images volontairement livrées par les intéressés ou que justifie une actualité ou un débat d’intérêt général.

Ainsi chacun peut s’opposer à la divulgation d’informations et d’images ne relevant pas de sa vie professionnelle ou de ses activités officielles et fixer les limites de ce qui peut être publié ou non sur sa vie privée, ainsi que les circonstances et les conditions dans lesquelles ces publications peuvent intervenir.

Le contenu de l’article s’intéresse à la vie sentimentale du demandeur. Après avoir rappelé que M. X. a été élu l’homme le plus sexy de l’année en 20XX, l’avoir qualifié de “don juan”, et mentionné sa récente seconde rupture sentimentale d’avec l’actrice Mme S., le propos prétend retracer les différentes conquêtes de l’acteur tout en soulignant son adresse à les dissimuler. Il est étayé de huit clichés représentant M. X. auprès des jeunes femmes dont le nom est cité ou celles-ci individuellement, et dont les légendes commentent les relations sentimentales évoquées.

Il est justifié en défense du caractère notoire du précédent mariage de M. X., élément de l’état civil, et de ses relations sentimentales avec Mme S.et Mme Z. à propos desquelles il s’est personnellement exprimé.

En revanche, s’agissant du surplus des relations sentimentales prêtées à M. X. et de sa rupture réelle ou supposée d’avec Mme S., aucune légitimité ne peut être retirée de la reprise de rumeurs illicites véhiculées par les articles de presse produits au débat, alors que le demandeur ne s’était pas exprimé à ce sujet au moment de la publication litigieuse.

En reprenant à son compte de telles informations illicites, la société éditrice méconnaît le droit au respect de la vie privée de M. X.

La publication d’un cliché représentant M.X. dans un moment de vie privée, dans un parking en compagnie de sa compagne notoire de l’époque, prolonge l’atteinte à sa vie privée, peu important l’ancienneté du cliché, son lieu public de fixation et le fait qu’il ait pu ou non être diffusé sur d’autres sites.

La reproduction non consentie de trois autres clichés consentis de M. X. auprès de jeunes femmes, détournés de leur contexte de fixation aux fins d’illustrer les propos fautifs, méconnaît en outre le droit dont il dispose sur son image.

L’absence de contestation par M. X. de publications similaires toujours accessibles sur Internet et la prétendue banalité du contenu de l’article sont indifférentes à la caractérisation de l’atteinte.

La reproduction de quatre clichés de jeunes femmes au soutien du propos, sur lesquels il ne figure pas, n’est en revanche pas attentatoire à aux droits de la personnalité du requérant.

Sur la réparation du préjudice :

La seule constatation de la violation de la vie privée ou bien de celle du droit à l’image ouvre droit à réparation, dont la forme est laissée à la libre appréciation du juge, qui tient de l’article 9 du code civil le pouvoir de prendre toute mesure propre à empêcher ou à faire cesser l’atteinte ainsi qu’à en réparer le préjudice, son évaluation étant appréciée par le juge au jour où il statue.

L’étalage de la vie privée de M. X. sur un site internet et l’exploitation de celle-ci à des fins commerciales, l’article qui lui est consacré étant publié parmi des annonces publicitaires, au mépris d’une précédente condamnation judiciaire, participe du préjudice du demandeur qui peut légitimement espérer préserver son intimité de la curiosité d’un large public.

Il y a lieu de tenir compte, également, du caractère intrusif des propos de l’article litigieux qui prétend rendre compte de relations sentimentales réelles ou supposées de M. X. à propos desquelles il ne s’est pas exprimé, et commenter la durée et le sérieux de celles-ci.

Néanmoins l’article est difficilement accessible par l’entrée de mots clés sur moteur de recherche et ne fait aucune révélation sensationnelle sur la vie privée du demandeur, qui ne conteste pas que de très nombreuses publications similaires, étayées de clichés le représentant lors de moments de vie privée, et diffusées sur des sites Internet anglo-saxons, sont toujours en ligne, sans qu’il justifie de l’exercice d’actions en justice à ce titre.

M. X. a par ailleurs livré au public de nombreux détails ayant trait à son intimité, tels que ses relations sentimentales passées, ses premières relations intimes, son goût envers les femmes, (…).

Il s’est par ailleurs exprimé à propos de sa relative indifférence à la captation et la diffusion de son image. Il a ainsi personnellement contribué à l’intérêt du public pour sa vie privée et manifesté sa moindre sensibilité à l’évocation de celle-ci.

En considération de l’ensemble de ces éléments, M. X. ne justifie pas de l’importance du préjudice allégué à la hauteur de sa demande d’indemnisation, lequel sera justement réparé par l’allocation de la somme de 8.000 euros, sans qu’il y ait lieu à publication d’un communiqué judiciaire.

La violation délibérée de la loi par la défenderesse rend nécessaire et proportionnée au but recherché la demande d’interdiction de toute nouvelle publication du cliché du demandeur saisi dans un parking, intrinsèquement attentatoires à sa vie privée, suivant les modalités précisées au dispositif.

– Sur l’article 700 du code de procédure civile :

Il serait inéquitable de laisser à la charge de M. X. aux frais par lui exposés et non compris dans les dépens. La société Purestyle sera condamnée à lui verser la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

– Sur l’exécution provisoire :

La nature de l’affaire, en particulier son caractère indemnitaire, justifie le prononcé de l’exécution provisoire.

DECISION

Le tribunal,

DIT n’y avoir lieu d’écarter des débats le constat d’huissier des débats

CONDAMNE la société Purestyle à payer à M. X. une indemnité de 8.000 euros en réparation de l’atteinte portée à ses droits de la personnalité

INTERDIT à la société Purestyle de procéder à toute nouvelle publication de la photographie litigieuse représentant M. X. dans un parking, sous astreinte de 2.000 euros par infraction constatée passé le délai de huit jours à compter de la signification du présent jugement,

SE RESERVE la liquidation de l’astreinte

REJETTE les autres demandes plus amples ou contraires.

CONDAMNE la société Purestyle à payer à M. X. la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

CONDAMNE la société Purestyle aux dépens, dont les frais de constat d’huissier de justice dressé le 19 avril 2013, et autorise Maître Toledano, conseil de M. X., à recouvrer directement auprès de ladite société ceux dont il aura fait l’avance sans avoir reçu provision.

ORDONNE l’exécution provisoire.

Le Tribunal : Estelle Moreau (vice-présidente), Gwenaël Cougard (vice-présidente), Claire Bohnert (vice-présidente), Geneviève Cohendy (greffier)

Avocats : Me Vincent Toledano, Me Armelle Fourlon

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