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Jurisprudence : Diffamation

mercredi 13 novembre 2013
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Cour d’appel de Versailles 8ème chambre Arrêt du 17 octobre 2013

Gilles S. / Sébastien D.

jugement - malveillance - publication - site internet

PROCÉDURE

Par jugement contradictoire en date du 04 septembre 2012, le tribunal correctionnel de Nanterre :

Sur l’action publique :
– a rejeté les conclusions de nullité,
– a relaxé S. Gilles pour les faits de :
* Diffamation envers particulier(s) par parole, écrit, image ou moyen de communication au public par voie électronique, faits commis le 30 septembre 2011 à Asnières sur Seine, infraction prévue par les articles 32 al.1, 23 al.1, 29 al.1,42 de la loi du 29/07/1881, l’article 93-3 de la loi 82-652 du 29/07/1982 et réprimée par l’article 32 al.1 de la loi du 29/07/1881,
– l’a déclaré coupable pour les faits de :
* Diffamation envers particulier(s) par parole, écrit, image ou moyen de communication au public par voie électronique, faits commis le 10 octobre 2011 à Asnières sur Seine, infraction prévue par les articles 32 al.1, 23 al.1, 29 al.1,42 de la loi du 29/07/1881, l’article 93-3 de la loi 82-652 du 29/07/1982 et réprimée par l’article 32 al.1 de la loi du 29/07/1881, .
– l’a condamné à une amende de 500 € ;

Sur l’action civile :
– a déclaré recevable la constitution de partie civile de D. Sébastien,
– a déclaré Gilles S. entièrement responsable des conséquences dommageables de l’infraction subie par la partie civile,
– a condamné Gilles S. à payer à Sébastien D. la somme de 1000 € au titre des dommages et intérêts et en outre la somme de 1000 € au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale.

[…]

FAITS

Sébastien D., avocat spécialisé dans la défense des automobilistes, a fait citer Gilles S. du chef de diffamation publique envers un particulier, expliquant qu’il avait récemment découvert sur internet que le site « www.sospoints.fr » comportait, sur sa page d’accueil, un encart intitulé « Sébastien D., Avocat condamné par la justice en juin 2010 pour « violences » sur une Avocate », et qu’après avoir cliqué sur cette rubrique, il avait découvert plusieurs messages le concernant, dont l’un renvoyait à un jugement du tribunal de Police en date du 9 juin 2010, le concernant, décision publiée également le 10 octobre 2011 en page d’accueil d’un blog du site « sos-point.fr » et qu’un lien PDF permettait d’accéder au contenu de la décision.

Sébastien D. a précisé que le site « sos-points.fr » appartenait à la société Concept France Réalisations, qui était alors gérée par Gilles S., et que ce site était exclusivement exploité par la société Concept France Réalisations, également gérée par ce dernier.

Il affirme que Gilles S. est donc le directeur de publication du site sos-points.fr. Sébastien D. a également découvert un blog intitulé « leblogdupermisdeconduire.blogspot.com », ne comportant sur sa page d’accueil que des articles le concernant, dont l’un, publié le 10 octobre 2010 (même date que l’article de « sos-point.fr ») faisait état du jugement du 9 juin 2010, et un autre publié le 30 septembre 2011, était consacré aux avocats spécialisés en droit routier. Ce dernier article faisait plus particulièrement allusion à l’un d’entre eux, non nommé, mais condamné pour avoir roulé à 224 km/h et, qui avait agressé un de ses confrères à l’audience.

Sébastien D. a fait valoir que cet article le désignait implicitement, dans la mesure où figurent sur la même page deux autres articles, l’un intitulé « Coup de poing au tribunal », comportant sa photo et narrant un incident avec un confrère, l’autre titré «Sébastien D. roulait à 224 km/h».

Sébastien D. soutient que cet article comporte les passages suivants, qui selon, lui porteraient atteinte à son honneur et à sa réputation :
«Il agressait un de ses confrères, spécialisé en droit routier, à coup de poing»
«Heureusement ce type d’avocat est peu fréquent(e) et celui-là sera sans doute sévèrement sanctionné par la justice et le conseil de l’ordre».

Saisi des poursuites engagées par la partie-civile, le tribunal correctionnel de Nanterre a statué par jugement contradictoire du 4 septembre 2012 dans les termes rappelés en tête du présent arrêt.

Le prévenu a relevé appel des dispositions civiles et pénales de ce jugement le 4
septembre 2012 ; le ministère public en a relevé appelle même jour.

[…]

DISCUSSION

– en la forme :

Attendu que les appels du prévenu et du ministère public, interjetés dans les formes et délais légaux, sont réguliers et recevables ;

– sur le fond :

I- sur la nullité de la citation :

Attendu que le conseil du prévenu soutient que la citation qui lui a été délivrée contrevient aux dispositions de la loi du 29 juillet 1881, en ce qu’elle ne vise pas le ou les faits incriminés avec une précision suffisante, contrairement aux exigences de l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881 ; qu’ainsi, la citation ne permettrait pas de savoir si les poursuites visent une rubrique du site internet « www.sos-point.fr » le titre de l’article, la publication du jugement, ou encore le titre et la publication du jugement ;

Mais attendu que, comme l’ont très justement relevé les premiers juges, la lecture de la citation permet de constater qu’il est très exactement reproché à Gilles S. d’avoir publié sur internet le jugement du 9 juin 2010 le concernant ; que la citation précise que « la publication de cette décision sur le site « sos-point.fr » constitue le délit de diffamation publique envers un particulier, telle que définie par l’article 29 alinéa premier de la loi du 29 juillet 1881″ ;

Attendu par ailleurs, que s’agissant des extraits d’un article publié sur le blog http://leblogdupermisdeconduire.blogspot.com, la citation précise les passages reprochés dans l’article en les soulignant et en les imprimant en caractères gras ; que le prévenu ne peut dès lors alléguer une imprécision qui ne lui permettrait pas de comprendre ce qui lui est reproché ; que du reste la partie civile n’a ni dans ses conclusions, ni dans ses propos à l’audience, maintenu de reproches à l’encontre du prévenu s’agissant des propos tenus sur le blog susnommé ;

Attendu que dès lors la citation ne souffre d’aucune imprécision ou ambiguïté ; que la demande de nullité sera rejetée ;

II – Sur l’action publique

– sur la culpabilité :

1- la publication :

Attendu qu’il ressort des éléments soumis à la cour, et en particulier de captures d’écran et du constat d’huissier établi par Me Dubois le 11 octobre 2011, qu’il est possible en se connectant sur internet, de parvenir rapidement via l’adresse http://leblogdupermisdetonduire.blogspot.com, en cliquant sur un simple lien hyperlien, au fac simile du jugement du 9 juin 2010 du tribunal de police de Paris, déclarant Sébastien D. coupable de violences volontaires ayant entraîné une incapacité inférieure à huit jours, le dispensant de peine, et allouant des dommages-intérêts à la partie civile ;

Attendu que ce jugement est visible sur une page dont l’adresse est : http://www.sos-points.fr/sebastien-D.pdf ;

Attendu dès lors, qu’il s’agit bien d’une publication, accessible à tout internaute ; que ce caractère public est d’autant plus patent que le site « www.sos-point.fr » comporte également un encart sur sa page d’accueil, intitulé « Sébastien D. avocat condamné par la justice en juin 2010 pour violence sur une avocate », à partir duquel il est possible d’accéder également au jugement ;

Attendu que le prévenu fait d’ailleurs écrire dans ses conclusions que « seule la publication du jugement sur le site internet « www.sos-point.fr » est prouvée par monsieur Sébastien D. » ;

2- l’allégation ou l’imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération

Attendu que la chambre criminelle de la Cour de cassation pose pour principe que « les propos incriminés ne doivent pas être pris isolément mais interprétés les uns par rapport aux autres », et incite les juges du fond à replacer « le passage incriminé dans son contexte pour en apprécier la nature et la portée » ;

Attendu que si la publication d’une décision de justice ne constitue pas en soi une diffamation, la cour de cassation estime qu’il en va différemment « lorsque cette publication a été faite avec malveillance pour donner à la condamnation une publicité particulière et supplémentaire » ;

Attendu que comme l’ont souligné à juste titre les premiers juges, la diffamation peut notamment résulter d’une simple insinuation de nature à porter atteinte à l’honneur ou à la réputation de la personne visée ;

Attendu qu’une condamnation pénale comporte par sa nature même une dimension infamante, a fortiori lorsqu’elle s’applique à un auxiliaire de justice sensé respecter la loi de plus fort ; que si en l’espèce le tribunal a prononcé une dispense de peine, signifiant par là-même le peu de gravité des faits et du trouble causé à l’ordre public, cette nuance n’est pas nécessairement connue du grand public ;

Attendu que dès lors, la publicité faite à la condamnation pénale de Me D. sur internet, accompagnée d’une reproduction du panneau routier signifiant « attention danger », constitue une allégation d’autant plus manifestement malveillante qu’elle est destinée à des internautes susceptibles de recourir aux services de cet avocat ; qu’en outre il s’agit d’une décision de dispense de peine, concernant des faits étrangers au contentieux routier, dont la publication ne comporte pas en soi d’intérêt, contrairement à ce que soutient le prévenu, si ce n’est de nuire à la réputation de Me D. ;

Attendu en l’espèce, que dans un contexte concurrentiel, sur fond de séparation entre deux anciens associés, la publication de cette condamnation pénale a été faite avec malveillance pour donner à la condamnation une publicité particulière et supplémentaire car elle insinue que Me D., condamné pour violences, peut être considéré comme un délinquant ;

3- la bonne foi :

Attendu que les imputations ou insinuations diffamatoires sont présumées faites dans l’intention de nuire ;

Attendu qu’à titre subsidiaire, Gille S. fait plaider sa bonne foi ;

Attendu qu’il prétend que la partie civile et lui ont été associés pendant des années et avaient noué une relation amicale, « loyale et fidèle », malgré « ses nombreuses incartades », avant que Sébastien D. ne quitte en 2010 la structure qu’ils avaient créée ; qu’il soutient n’avoir « malgré la déception humaine » et « malgré les coups et trahisons » aucune animosité envers ce dernier, et avoir été animé par la seule volonté d’informer le public, après avoir mené une enquête sérieuse puisqu’il a publié un jugement définitif, qu’il n’a pas commenté afin d’agir avec neutralité, prudence et mesure ;

Mais attendu que ces affirmations du prévenu sont contredites dans les faits par la façon dont est présentée sur le site internet la condamnation du tribunal de police, illustrée par le panneau « danger » ; que le prévenu n’explique pas en quoi la condamnation d’un avocat pour violences légères présenterait un intérêt pour un public intéressé par le contentieux routier ; que la première conséquence de cette publication est de porter à la connaissance du public une décision de justice gênante pour Me D. ; que Gilles S. ne peut dès lors prétendre avoir agi sans intention malveillante ;

Attendu que le délit qui lui est reproché est donc bien constitué ; que la décision du tribunal sur la culpabilité sera confirmée ;

Attendu que le tribunal était également saisi de poursuites également engagées pour diffamation publique à raison de la publication sur le blog http://leblogdupermisdeconduire.blogspot.com d’articles qui le désigneraient implicitement, et dont il estimait certains passages diffamatoires à son endroit ;

Attendu que si les constatations de l’huissier de justice, ainsi que les liaisons et les similitudes entre ce blog et le site « www.sos-point.fr » laissent penser qu’ils émanent de la même personne, il n’est pas suffisamment établi que Gilles S. en était l’auteur ou le responsable au moment de la publication ; que la décision de relaxe partielle du tribunal sur ce point sera confirmée ;

– sur la peine :

Attendu que ces faits, en raison de leur nature, seront suffisamment sanctionnés par une peine d’amende ;

Attendu en revanche que le prévenu ayant agi avec une intention malveillante, la cour estime devoir la porter à 1000 €.

III- Sur l’action civile

Attendu que la cour estime, au vu des conclusions et des explications de la partie civile, que son préjudice a été justement évalué par le tribunal ; qu’il convient de confirmer la somme qui lui a été allouée à titre de dommages-intérêts ;

Attendu qu’il est par ailleurs équitable de confirmer la somme allouée à la partie civile au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale, et de condamner Gilles S. à. payer à Sébastien D. une somme supplémentaire de 1000 € pour ses frais en cause d’appel ;

DÉCISION

La cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire à l’égard de Gilles S., prévenu et Sébastien. D., partie civile,

. Déclare recevables les appels formés par le prévenu et le ministère public,

. Rejette la demande de nullité de la citation,

– sur l’action publique :

. Confirme le jugement entrepris sur la culpabilité,

. Le réformant sur la peine,

. Condamne Gilles S. à une amende de 1000 €,

Si le condamné s’acquitte du montant des droits fixes de procédure et, s’il y a lieu, de l’amende dans un délai d’un mois à compter de ce jour, ce montant est diminué de 20 % sans que cette diminution puisse excéder 1500 €, le paiement de l’amende ne faisant pas obstacle à l’exercice des voies de recours et ce, en application de l’article 707-3 du code de procédure pénale. Dans le cas d’une voie de recours contre les dispositions pénales, il appartient à l’intéressé de demander la restitution des sommes versées.

– sur l’action civile :

. Confirme le jugement entrepris en ce qu’il a déclaré Sébastien D. recevable en sa constitution de partie civile, a condamné Gilles S. à payer à Sébastien D. 1000 € de dommages-intérêts, et l’a condamné à lui payer également 1000 € en application des dispositions de l’article 475-1 du code de procédure pénale,

. Condamne Gilles S. à payer à Sébastien D. une somme supplémentaire de 1000 € en application des dispositions de l’article 475-1 du code de procédure pénale pour ses frais en cause d’appel ;

La cour : M. Wyon (président), Mmes Morice et Mathe (conseillers)

Avocats : Me Olivier Descamps, Me Romain Darrière

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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.