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Jurisprudence : Contenus illicites

vendredi 13 février 2009
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Cour d’appel de Paris 11ème chambre, section B Arrêt du 29 janvier 2004

Ministère public et autres / Jean-Louis C.

contenus illicites

RAPPEL DE LA PROCEDURE

La prévention

Jean-Louis C. a été renvoyé devant le tribunal correctionnel sur ordonnance de renvoi du juge d’instruction comme prévenu d’avoir, à Paris, le 10 juillet 1997, en tout cas sur le territoire national, et dans le temps de la prescription, en diffusant sur le réseau internet, sur le site “http://c .org.” trois textes intitulés :
– “Apprenez le caniveau aux bicots”
– « Les races puent”
– “Blanchette, tapette à bicots”,

commis les délits d’injures publiques raciales, diffamation publique raciale, provocation à la violence et à la violence raciale, provocation non suivie d’effet à des atteintes à la vie et à l’intégrité de la personne, prévus et punis par les articles 3, 24 alinéa 1-1°, 6 et 7, 29 alinéas 1 et 2, 32 alinéa 2 et 3, 33 alinéas 3 et 4 de la loi du 29 juillet 1881.

Le jugement du 28 janvier 1999

Par jugement contradictoire rendu le 28 janvier 1999, la 17ème chambre du Tribunal de grande instance de Paris :
– a constaté l’extinction de l’action publique par la prescription,
– a déclaré irrecevables les constitutions de parties civiles.

Les appels

[…]

L’arrêt du 15 décembre 1999

Par arrêt contradictoire rendu le 15 décembre 1999, cette chambre de la cour a :
– reçu les appels des parties civiles et du ministère public,
– infirmé le jugement déféré,
– déclaré les faits poursuivis non prescrits,
– renvoyé l’affaire pour indication au 9 février 2000,
– rejeté toute autre demande des parties comme inopérante ou mal fondée.

Pourvoi contre cet arrêt a été formé par Jean-Louis C.

L’arrêt de la cour de cassation du 21 mars 2000

Par arrêt en date du 26 janvier 2000 la cour de Cassation a ordonné l’examen immédiat du pourvoi et fixé à l’audience du 21 mars 2000.

Par arrêt en date du 21 mars 2000 la chambre criminelle de la cour de Cassation a constaté que le pourvoi était frappé de nullité et ordonné que la procédure serait continuée conformément à la loi devant la juridiction saisie.

L’arrêt du 20 décembre 2000

Par arrêt contradictoire rendu le 20 décembre 2000 cette chambre de la cour
– a déclaré Jean-Louis C. coupable d’avoir commis les délits d’injure publique envers un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou non appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, de diffamation publique envers un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou non appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, ainsi que de provocation à la violence et à la violence raciale, en diffusant sur internet sur le site “Http://C. .org” trois textes intitulés :

– “Apprenez le caniveau aux bicots”
– “Les races puent”
– “Blanchette, tapette à bicots”,

– l’a relaxé du délit de provocation non suivie d’effet à des atteintes volontaires à la vie et à l’intégrité de la personne à raison du dernier de ces trois textes,
– l’a condamné à 50 000 francs d’amende avec sursis,
– a confirmé la recevabilité des parties civiles,
– a condamné le prévenu à verser les sommes de :
* 1 franc à l’Union des Etudiant Juifs de France et à la Ligue française de défense des droits de L’Homme et du Citoyen,
* 5000 francs au Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples,
– a ordonné l’affichage de l’arrêt en page d’ouverture du site de Jean-Louis C. pendant trois mois sous astreinte de 1000 francs par jour de retard à compter de la date à laquelle l’arrêt serait devenu définitif,
– a ordonné la suppression des textes litigieux du site du prévenu sous astreinte de 1000 francs par jour de retard à compter de la date à laquelle l’arrêt serait devenu définitif,
– a condamné le prévenu à verser les sommes dues au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale, soit :
“1 franc à l’Union des Etudiants juifs de France,
* 5000 francs à la Ligue française de défense des droits de L’Homme et du Citoyen,
* 5000 francs à la Ligue Internationale contre le racisme et l’antisémitisme,
* 5000 francs pour le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples,
– a rejeté toute autre demande des parties comme inopérante ou mal fondée.

Pourvoi a été formé contre cet arrêt par Jean-Louis C.

L’arrêt de la chambre criminelle du 27 novembre 2001

Par arrêt en date du 27 novembre 2001, la chambre criminelle de la cour de Cassation a :
– cassé et annulé en toutes leurs dispositions les arrêts de la cour d’appel de Paris en date des 15 décembre 1999 et 20 décembre 2000,
– renvoyé la cause et les parties devant la cour d’appel de Paris autrement composée,
– ordonné l’impression de l’arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel de Paris, sa mention en marge ou à la suite des arrêts annulés,
– dit n’y avoir lieu à application au profit du Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples et de la Ligue française pour la Défense des Droits de L’Homme et du Citoyen de l’article 618-1 du code de procédure pénale.

Par arrêts interruptifs de prescription en date des 7 février 2002, 2 mai 2002, 27 juin 2002, 19 septembre 2002, 31 octobre 2002, 30 janvier 2003, 24 avril 2003,19 juin 2003, 11 septembre 2003, 30 octobre 2003, l’affaire a été renvoyée pour plaider au 18 décembre 2003.

[…]

MOYEN

Rendue après en avoir délibéré conformément à la loi,

Par arrêt en date du 27 novembre 2001, la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation a cassé et annulé en toutes leurs dispositions les arrêts de la cour d’appel de Paris en date des 15 décembre 1999 et 20 décembre 2000 et renvoyé la cause et les parties devant la cour d’appel de Paris autrement composée.

La présente Cour est donc saisie des appels qui ont été interjetés le 29 janvier 1999 par l’Union des Etudiants Juifs de France, partie civile, le 2 février 1999 par le procureur de la République, le 4 février 1999 par la Ligue Française pour la Défense des Droits de l’Homme et du Citoyen et la Ligue Internationale Contre le Racisme et l’Antisémitisme, parties civiles, et le 5 février 1999 par le Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples, du jugement contradictoire rendu le 28 janvier 1999 par la 17ème chambre du tribunal correctionnel de Paris.

Le 10 juillet 1997, Maître Philippe Coatmeur, huissier de justice, agissant à la requête de l’Union des Etudiants Juifs de France et de la Licra, constatait entre 19 heures et 20 heures 17, après connexion sur le réseau internet, sur le site “Http : alter. Org/C /” : la diffusion des trois textes incriminés.

La page de garde (“home page”), marquée « july 1997”, annonçant : “nouvelle adresse http://C .org”, l’huissier pouvait constater, en suivant la même procédure, que ces textes figuraient à l’identique à cette “adresse”.

Le conseil de la Licra transmettait ce procès-verbal de constat au parquet de Paris le 26 septembre 1997.

Une enquête préliminaire était ordonnée le 29 septembre 1997, par réquisitions visant l’article 65 alinéa 2 de la loi sur la presse, et confiée au 4ème cabinet de délégations judiciaires.

Les enquêteurs pouvaient à leur tour, constater la présence des textes litigieux sur le site “http:// C . Org.”, le 21 novembre 1997, en observant qu’il n’était pas possible de connaître la date de début de diffusion de ces textes.

Une information était ouverte par réquisitoire introductif du 29 décembre 1997 aucune investigation particulière n’était accomplie dans ce cadre pour rechercher la date de première mise à disposition du public des textes incriminés, à supposer une telle recherche techniquement possible.

Il résultait des déclarations de Jean-Louis C. que celui-ci avait créé un site internet en 1996 pour y diffuser les textes en cause qu’il avait d’abord édités sous forme de disques.

Le procureur de la République exposait dans son réquisitoire que le site “ http:// C . Org.” visé par la prévention avait été ouvert en juillet 1997 et que la création de ce site correspondait à une nouvelle publication dont la diffusion auprès du public était imputable à Jean-Louis C.

Le tribunal saisi par la défense de l’exception de prescription de l’action publique a relevé :

* que les textes litigieux avaient été diffusés le 10 juillet 1997, sur le réseau internet, à l’adresse “Http:// altern.Org.C .“ ainsi qu’il résultait du procès-verbal de constat établi par Maître Coatmeur, huissier de justice ;
* que ces textes figuraient, à l’identique, à la même adresse du réseau internet avant le 8 avril 1997, date de l’assignation délivrée par L’Union Ies Etudiants Juifs de France à Jean-Louis C. pour comparaître devant la juridiction civile, l’assignation les visant expressément ;
* la consultation effectuée au mois de juillet 1997 par l’huissier de justice faisait apparaître une nouvelle adresse, intitulée: “Http:// C .org.”;
* que la connexion sur cette nouvelle adresse permettait de constater la parfaite similitude des informations diffusées ;
* qu’il résultait des débats que la première adresse correspondait à un nom de domaine”, c’est à dire une “zone d’adressage”, empruntant l’une de ses composantes (« Altern.B”) au fournisseur d’hébergement (M.Valentin L. exerçant sous l’enseigne Altern.B), tandis que la seconde appartenait en propre à M. C.

Estimant qu’une simple adjonction d’un nouveau nom de domaine sur un site déjà existant ne pouvait être assimilé à un changement de site, à plus forte raison à un changement du lieu de stockage des informations et donc de l’origine de leur diffusion, même si l’accès du site s’en trouve facilité, et qu’en conséquence les règles relatives aux éditions nouvelles en matière d’écrit ne trouvaient pas à s’appliquer en l’espèce, les premiers juges, tout en énonçant que l’acte de publication demeurait, dans ce moyen de communication comme en droit de la presse, l’acte de mise à disposition du public, ont constaté que l’action publique était éteinte, la publication des textes incriminés ayant eu lieu plus de trois mois avant le premier acte de poursuite par la réquisition d’enquête du 29 septembre 1997.

Devant la cour

Jean-Louis C., présent et assisté, sollicite la confirmation du jugement déféré ; il fait valoir, par voie de conclusions déposées par son conseil :
* qu’il n’a pas créé de nouveau site internet, l’acquisition du nom de domaine “C .org.” n’ayant nécessité de modification ni du contenu du site ni du lieu de stockage,
* que le changement d’adresse humaine n’a pas crée de source différente et par voie de conséquence généré un nouveau fait de publication,
* que l’acquisition d’un nom de domaine ne peut être assimilé la réimpression ou réédition d’un ouvrage de librairie car elle n’exprime aucune intervention volontaire de l’auteur sur le niveau d’approvisionnement du public ;

Jean-Louis C., par conclusions distinctes de celles de son conseil, précise : qu’il a créé un site internet, en août 1996 accessible en tapant
“Http//w.w.w.altern.org/C.“, puis « http://altern.org.C.“ puis, à partir de juin 1997, en tapant simplement : « Http://C .org.”,
* que ces raccourcissements du texte à taper pour accéder au site avaient pour but de le rendre plus facilement mémorisable mais n’ont entraîné ni modification du contenu du site ni changement de lieu d’hébergement, ainsi qu’il résulte de l’attestation du dirigeant de la société Altern, qui héberge son site depuis sa création, et des explications de Laurent C., administrateur de réseaux internet,
* qu’il n’y a donc pas eu de nouvelle publication, laquelle exigerait, à tout le moins, une modification des textes ou leur publication sur un autre support.

Mme l’avocat général s’en réfère aux réquisitions écrites du ministère public.

L’Union des Etudiants Juifs de France, partie civile, sollicite de la cour qu’elle déclare non prescrits les faits reprochés à Jean-Louis C. et infirme le jugement déféré, en invoquant :
– à titre principal, que Jean-Louis C. ne rapporte pas la preuve que les textes incriminés auraient été mis en ligne à l’adresse Http/C .org. “plus de trois mois » avant l’engagement des poursuites,
– subsidiairement, qu’un site est identifié par un préfixe qui détermine le service internet auquel appartient le document et surtout par un nom de domaine renvoyant à l’adresse IP de l’émetteur,
– qu’ainsi composée, I’Url permet d‘identifier et de référencer de manière unique un fichier informatique situé sur un serveur,
– que tout changement d’Url permettant aux internautes de se connecter à un site s’analyse en une nouvelle édition, l’Url ainsi modifiée étant en même temps la matérialisation du site, son titre, son support et son vecteur de communication publique,
– qu’en conséquence, en tant qu’élément central de la publication, l’Url modifiée caractérise une nouvelle édition du site.

La Ligue des droits de l’Homme conclut à l’infirmation du jugement en exposant :
– que Jean-Louis C. a choisi d’acquérir un nom de domaine, en juillet 1997, afin de faciliter l’accès à son oeuvre,
– qu’il ne conteste pas avoir mis de nouveau à la disposition du public au moyen de l’acquisition d’un nom de domaine et à une nouvelle adresse les textes incriminés.

Subsidiairement, elle soutient que les délits de presse commis sur internet constituent bien des infractions successives puisque la présence quotidienne sur internet d’une page Web résulte de la volonté : renouvelée de son auteur de la maintenir sur le réseau à la disposition du public et qu’en conséquence le point de départ de la prescription de trois ans peut être fixé à la date de la dernière infraction constatée.

La Licra invoque au soutien de l’infirmation du jugement :
– que le site de Jean-Louis C., tel qu’il existait au 8 avril 1997, date de l’assignation délivrée par L’UEJF à Jean-Louis C. pour comparaître devant la juridiction civile et retenue par le tribunal correctionnel comme constituant la date de publication dudit site, n’est pas le même que celui qui a fait l’objet des opérations de constat le 10 juillet 1997,
– que cette modification d’un site constitue une publication nouvelle faisait courir un nouveau délai de prescription,
– qu’au surplus, la cour d’appel dans sa décision du 15 décembre 1999, cassée par l’arrêt du 27 novembre 2001, avait considéré à juste titre, que les délits de presse sur internet étaient des infractions continues et non pas instantanées et que le point de départ de la prescription se situait au jour où l’activité délictueuse prenait fin.

Le MRAP conclut à l’infirmation du jugement déféré en faisant valoir :
– qu’il y a nouvelle publication lorsque le texte en cause initialement publié à une adresse internet déterminée se retrouve ultérieurement à une autre adresse,
– qu’il incombait à Jean-Louis C. de rapporter la preuve que les messages en cause étaient déjà publiés à l’adresse internet citée par le constat du 10 juillet 1997, plus de trois mois avant cette date.

DISCUSSION

Considérant que les infractions prévues par la loi sur la presse se prescrivent par trois mois révolus à compter du jour de leur commission ; que pour les messages diffusés sur le réseau internet, connue pour tout écrit, le point de départ de la prescription doit être fixé à la date de la publication, c’est à dire à la date de la mise à disposition du public ;

Considérant qu’il est établi par les documents versés à la procédure que les textes incriminés diffusés sur le site internet pouvaient être consultés le 10 juillet 1997, soit à l’adresse “ http://alter.org. C “, soit à l’adresse « http:// C Org.” ;

qu’avant le 10 juillet 1997 et au moins depuis le 8 avril 1997, ces mêmes textes ne pouvaient être consultés qu’à l’adresse « http://altern.org.C » ;

Considérant que Jean-Louis C. et son conseil ont certes démontré que l’adjonction de la nouvelle adresse  » http:// C Org ” ne correspondait ni à la création d’un nouveau site, ni à un changement, soit du fournisseur d’hébergement, soit du lien de stockage des informations ;

Considérant néanmoins qu’en décidant de rendre son site accessible par une. nouvelle adresse, plus courte et donc plus simple que la dénomination initiale, Jean- Louis C., ainsi qu’il l’explique lui même, a voulu en accroître l’accès, et intervenir donc sur le volume d’approvisionnement du public ;

Considérant qu’en créant un nouveau mode d’accès à son site, Jean-Louis C. a ainsi renouvelé la mise à disposition des textes incriminés dans des conditions assimilables à une réédition ; que ce nouvel acte de publication est intervenu le 10 juillet 1997, soit moins de trois mois avant le premier acte interruptif de prescription en date du 29 septembre 1997 ; que la prescription le l’action publique n’étant pas acquise, le jugement déféré sera par conséquent infirmé ;

DECISION

La cour,

Statuant publiquement, contradictoirement, après délibéré,

Vu l’arrêt du 27 novembre 2001 de la chambre criminelle de la Cour de Cassation cassant et annulant les arrêts rendus les 15 décembre 1999 et 20 décembre 2000 par la 11ème chambre de la cour d’appel de Paris, autrement composée,

. Reçoit les appels des parties civiles et du ministère public,

. Rejette l’exception de prescription de l’action publique soulevée par Jean-Louis C.,

. Renvoie l’affaire pour indication au 19 février 2004 à 13 heures 30.

La cour : M. Castel (président), Mmes Chaubon et Portier (conseillers)

Avocats : Me Rezlan, Me Tessier, Me Savin, Me Laurent Levy, Me Stéphane Lilti.

Voir décision de Cour de cassation »

 
 

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