Jurisprudence : Diffamation
TGI de Paris, 17e ch. corr., jugement du 28 février 2017 (copie de travail)
UAME / M. X. et M. Y.
absence d'enregistrement - courriel - débat contradictoire - faisceau d'indices - imputation des propos - preuve - site internet
Par plainte enregistrée le 18 mars 2013 auprès du doyen des juges d’instruction du TGI de Paris, l’Union des Associations Musulmanes d’Epinay-sur-Seine (ci-après l’UAME), association présidée par Monsieur Z., créée le 10 août 2010, fédérant plusieurs associations et ayant pour objet, selon l’article 2 de ses statuts, d’établir et renforcer le lien entre les différentes associations musulmanes d’Epinay, de faciliter les relations entre les associations musulmanes et les pouvoirs publics et de lutter contre l’islamophobie, la discrimination et le racisme, s’est constituée partie civile du chef de diffamation publique envers particulier à raison des propos ci-après reproduits, figurant dans un article intitulé « Mosquée d’Epinay : le maire interdit à une association musulmane de payer EDF », publié le 21 décembre 2012 sur le site www.saphimews.com, site internet consacré aux informations relatives à la communauté musulmane en France.
« Pour sortir du problème, le maire juge que l’UAME devrait remettre l’argent qu’elle a collecté à l’OGME, « l’argent qu’elle a spolié aux fidèles » selon lui».
Dans sa plainte, l’UAME rappelle qu’une mosquée a été ouverte à Epinay en 2009, par mise à disposition d’un bâtiment appartenant au domaine public de la commune à l’association Intégration Musulmane Spinassienne, présidée par un proche du maire, cette ouverture et cette mise à disposition engendrant la fermeture de deux mosquées locales et des contestations. En décembre 2010, ce local a été mis gratuitement – les charges devant toutefois être payées par des collectes de dons auprès des fidèles- pour une durée de 12 ans à disposition de l’Organisme de Gestion de la Mosquée d’Epinay (ci-après l’OGME) , dirigé par Monsieur W. , proche du maire, l’OGME étant, selon la partie civile, une émanation de la Grande Mosquée de Paris, proche de l’Etat algérien, les associations musulmanes locales n’ayant pas été consultées, toujours selon l’UAME, sur ces différents points et un conflit étant né de ce fait entre celles-ci d’un côté, le maire, Monsieur X., et l’OGME de l’autre.
L’OGME ayant été confrontée à des difficultés financières, et ne pouvant pas régler les factures d’électricité de la mosquée, l’UAME a proposé une première fois en 2011 de payer à sa place, ce qui a été refusé. La situation s’étant reproduite fin 2012, l’électricité a été coupée le 6 novembre 2012. L’UAME ayant à nouveau proposé de régler la facture, Monsieur X. a écrit à EDF le 12 décembre 2012 afin de lui « donner injonction de suspendre tous travaux ou toutes opérations visant à rétablir la fourniture d’énergie électrique des locaux… ».
C’est dans ce contexte qu’a été publié l’article incriminé, qui, après avoir évoqué une « tension toujours à son comble quant à la gestion de la mosquée d’Epinay-sur Seine », mentionne la volonté de l’UAME de régler la facture, l’interdiction faite par le maire à EDF – l’article comportant un fac-similé de la lettre du 12 décembre 2012 susmentionnée-, et donne successivement la parole à l’UAME et à Monsieur X., l’UAME rappelant les tensions engendrées par la décision de confier la gestion de la mosquée à l’OGME et le maire soulignant que l’UAME devrait remettre à l’OGME les sommes collectées par ses soins auprès des fidèles et qui reviennent de droit, selon lui, à l’OGME.
Lors de l’information judiciaire, Monsieur Y., directeur de publication du site incriminé, a refusé de donner le nom de l’auteur de l’article, tout en précisant que celui-ci s’était entretenu au téléphone avec Monsieur X. et que ce dernier avait bien tenu les propos incriminés, ce que l’intéressé a contesté.
Ils ont tous les deux été mis en examen à raison des propos visés dans la plainte et renvoyés devant le tribunal correctionnel.
Lors de l’audience, Monsieur Z., président et représentant légal de l’UAME, a tout d’abord rappelé que la population de confession musulmane représentait environ 50 % de la population totale d’Epinay -sur-Seine. Revenant sur le conflit avec Monsieur X., il a expliqué que tout était parti de la décision unilatérale du maire d’imposer et de maintenir à la tête de la mosquée un organisme non légitime, rejeté par la majorité des fidèles spinassiens., et que les tensions s’étaient aggravées en raison de l’entêtement de Monsieur X. et de son refus de tout dialogue.
Son conseil a sollicité la condamnation de Monsieur X., celui-ci ayant, contrairement à ses dires, bien tenu les propos qui lui étaient attribués et faisant preuve d’une évidente animosité personnelle à l’encontre de l’UAME. Il a, par ailleurs, déclaré ne pas s’opposer à la relaxe de Monsieur Y. dans l’hypothèse où il serait reconnu que Monsieur X. a bien tenu les propos contestés.
Le ministère public a requis la relaxe des prévenus, estimant que Monsieur Y. pouvait se prévaloir de n’avoir fait que rapporter les propos tenus par Monsieur X., et que les propos tenus par ce dernier ne relevaient que de l’expression d’une opinion, certes virulente, mais pas suffisamment précise pour faire l’objet d’un débat probatoire.
Monsieur Y. a souligné l’importance du site www.saphimews.com , premier site d’information national sur le fait musulman. Il a précisé que si la question des lieux de culte était effectivement centrale, elle avait pris une tournure particulièrement aigüe à Epinay-sur-Seine, raison pour laquelle son site y a consacré plusieurs articles. Enfin, témoignage de Madame V., auteur de l’article incriminé, à l’appui, il a à nouveau affirmé que Monsieur X. avait bien tenu les propos litigieux, tout en convenant que l’enregistrement de la conversation n’avait été conservé que trois mois et n’était donc plus disponible lors des poursuites.
Son conseil a demandé sa relaxe, son client étant selon lui parfaitement objectif et crédible et l’UAME n’ayant , par ailleurs, formulé aucune demande de droit de réponse.
Le conseil de Monsieur X. a également sollicité la relaxe de son client, rien ne démontrant selon lui qu’il ait tenu les propos incriminés, les propos contestés n’étant qu’un jugement de valeur et son client pouvant, enfin, exciper de sa bonne foi.
DISCUSSION
SUR L’ACTION PUBLIQUE
La démonstration du caractère diffamatoire d’une allégation ou d’une imputation suppose que celles-ci concernent un fait précis de nature à porter atteinte à l’honneur ou à la considération d’une personne identifiée ou identifiable.
Lorsque, comme en l’espèce, aucune offre de preuve de la vérité des faits diffamatoires n’a été formulée, les imputations diffamatoires peuvent être justifiées lorsque leur auteur établit sa bonne foi, en prouvant qu’il a poursuivi un but légitime, étranger à toute animosité personnelle, et qu’il s’est conformé à un certain nombre d’exigences, en particulier de sérieux de l’enquête, ainsi que de prudence dans l’expression, étant précisé que la bonne foi ne peut être déduite de faits postérieurs à la diffusion des propos et que l’ensemble des critères requis est cumulatif.
Ces critères s’apprécient différemment selon le genre de l’écrit en cause et la qualité de la personne qui s’y exprime et, notamment, avec une moindre rigueur lorsque l’auteur des propos diffamatoires n’est pas un journaliste qui fait profession d’informer, mais une personne elle-même impliquée dans les faits dont elle témoigne.
Sur l’imputabilité des propos
Selon Monsieur X., les propos qui lui sont prêtés n’ont jamais été tenus par ses soins et aucun élément ne viendrait corroborer la thèse inverse, aucun enregistrement n’étant disponible, l’article incriminé n’étant pas signé, le nom de la journaliste auteur de l’article, Madame V. étant demeuré inconnu jusqu’à l’audience et une autre journaliste, Madame U. ayant signé un article antérieur également consacré à ce sujet, contrairement aux affirmations du directeur de publication du site www.saphimews.com selon lequel ce serait nécessairement Madame V. qui aurait écrit sur ce thème.
Toutefois, outre que Monsieur X. ne s’est pas personnellement présenté à l’audience pour confirmer ses dénégations, force est de constater d’une part que Madame V., témoin ayant prêté serment, a affirmé avoir mentionné lors de l’entretien avec Monsieur X. sa qualité de journaliste et n’avoir fait que retranscrire les propos de son interlocuteur, celui-ci ayant parlé de spoliation à deux reprises, d’autre part qu’il ressort de l’article précédemment publié par ce site le 13 novembre 2012 sous la plume de Madame V. et intitulé « Mosquée d’Epinay : l’ingérence du maire derrière les conflits ? » que Monsieur X., interrogé par la journaliste, avait déjà mis en cause l’UAME, estimant que celle ci « n’a(vait) aucune légitimité » et « ne représent (ait) qu’elle-même », enfin que dans le courriel adressé par son conseil aux enquêteurs le 22 mai 2013, premier acte faisant état de sa position, il n’est nulle part mentionné que Monsieur X. ne reconnaît pas avoir tenu les propos, alors même que plusieurs lignes sont consacrées au fait que la plainte déposée s’inscrirait dans un contexte électoral et viserait à le déstabiliser.
Dans ces conditions, il y a lieu d’estimer qu’il existe un faisceau d’indices permettant de considérer que les propos incriminés ont bel et bien été tenus par Monsieur X..
Sur la personne visée par les propos
Il est soutenu par le conseil de Monsieur X. que l’UAME ne serait pas visée par les propos poursuivis, plusieurs associations étant appelées à collecter des dons auprès des fidèles.
Il résulte toutefois clairement tant de l’article incriminé, qui ne mentionne que le seul conflit entre le maire et l’UAME, que des propos précédant immédiatement Je membre de phrase « l’argent qu’elle a spolié aux fidèles », à savoir « Pour sortir du problème, le maire juge que l’UAME devrait remettre l’argent qu’elle a collecté à l’OGME », que le pronom « elle » renvoie nécessairement et exclusivement à l’UAME, et que celle-ci est bien fondée, par conséquent, à s’estimer visée par les propos.
Sur le caractère diffamatoire
Selon la partie civile, les propos poursuivis seraient diffamatoires en ce qu’ils lui imputeraient d’avoir détourné l’argent collecté auprès des fidèles et , ainsi, commis plusieurs infractions pénales, tels le vol, l’escroquerie, l’extorsion et l’abus de confiance et accompli des actes contraires à la probité et aux valeurs mêmes de l’association.
En l’espèce, il apparaît toutefois que l’accusation de spoliation renvoie à un comportement certes négatif mais insuffisamment précis, notamment sur la nature et les modalités de la spoliation alléguée, pour faire l’objet d’un débat probatoire, la partie civile hésitant d’ailleurs elle-même sur la qualification pénale dont les agissements incriminés pourraient relever.
Il y a lieu, par conséquent, de considérer que les propos poursu1v1s ne sont pas diffamatoires et de renvoyer, partant, l’ensemble des prévenus des fins de la poursuite.
SUR L’ACTION CIVILE
L’UAME est déclarée recevable en sa constitution de partie civile mais déboutée de ses demandes eu égard à la relaxe prononcée.
DÉCISION
Le tribunal, statuant publiquement, en matière correctionnelle, en premier ressort et par jugement contradictoire à l’égard de Monsieur Y. prévenu, de Monsieur X., prévenu (article 411 du code de procédure pénale) ; par jugement contradictoire à l’égard de l’association Union des Associations Musulmanes d’Epinay sur Seine, partie civile ;
Renvoie Monsieur Y. et Monsieur X. des fins de la poursuite ;
Déclare l’Union des Associations Musulmanes d’Epinay sur Seine recevable en sa constitution de partie civile ;
La déboute de ses demandes en raison de la relaxe prononcée.
Avocat : Me Romain Darrière
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