Jurisprudence : Actualités
Tribunal de grande instance de Nanterre, ordonnance de référé rendue le 17 septembre 2018
Reside Etudes Investissement, Reside Etudes / SARL Laurent Cohen, et M. X.
annonces - indication de la destination du produit - référence à la marque - risque de confusion dans l’esprit du public - site
Le groupe RESIDE ETUDES est promoteur et gestionnaire-exploitant de plus de 250 résidences de services en France sur trois marchés : les résidences pour étudiants, les résidence appart’hôtels (pour tourisme et/ou tourisme d’affaires) et les résidences pour seniors.
La société RESIDE ETUDES est la société holding du groupe RESIDE ETUDES et la société RESIDE ETUDES INVESTISSEMENT commercialise les logements et programmes construits par le groupe RESIDE ETUDES.
Par ordonnance sur requête rendue le 20 juin 2018, le Président du Tribunal de grande instance de Nanterre a autorisé les sociétés RESIDE ETUDES INVESTISSEMENT et RESIDE ETUDES à assigner d’heure à heure la SARL LAURENT COHEN et M. X.à l’audience de référé du 4 juillet 2018, l’assignation devant être délivrée au plus tard le 22 juin 2018.
Par acte du 21 juin 2018, les sociétés RESIDE ETUDES INVESTISSEMENT et RESIDE ETUDES ont assigné en référé d’heure à heure la SARL LAURENT COHEN et M. X., pris en son nom personnel et en sa qualité de gérant de la SARL LAURENT COHEN, aux fins de :
– constater que les faits reprochés à la SARL LAURENT COHEN et/ou à M. X., agissant à titre personnel et es qualité, sont constitutifs d’un trouble manifestement illicite,
– ordonner, sous astreinte journalière de 1.000 euros, courant sous 8 jours à compter de la date de prononcé de l’ordonnance à venir, la suppression immédiate de toutes références aux produits, marques logos, dessins et modèles, films publicitaires, textes et/ou photographies relatives à la société RESIDE ETUDES et/ou aux programmes immobiliers neufs ou en revente qu’elle commercialise sur les sites internet suivants :
– https://www.leguidedupatrimoine.com,
– https://www.leguidedupatrimoine.fr,
– https://www.youtube.com/user/loco2laurent,
– obtenir la désignation d’un expert,
– condamner solidairement la SARL LAURENT COHEN et M. X. à payer à la société RESIDE ETUDES la somme de 7.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre aux entiers dépens.
Aux termes de leurs conclusions reprises à l’audience, la SARL LAURENT COHEN et M. X. concluent comme suit :
– à titre liminaire,
– constater que les sites et pages Internet litigieuses sont exploités par la SARL Laurent Cohen et non par M. X. à titre personnel,
– déclarer, en conséquence, irrecevables les demandes des sociétés RESIDE ETUDES et RESIDE ETUDES INVESTISSEMENT à l’encontre de M. X. à titre personnel,
– sur la demande de suppression sous astreinte,
– constater que la situation litigieuse a cessé concernant les programmes neufs sur la demande d’expertise,
– débouter, en conséquence, les sociétés RESIDE ETUDES et RESIDE ETUDES INVESTISSEMENT de leur demande de suppression, sous astreinte, des contenus litigieux sur les programmes neufs qui est sans objet,
– débouter les sociétés RESIDE ETUDES et RESIDE ETUDES INVESTISSEMENT de leur demande de suppression, sous astreinte, des contenus litigieux sur les biens en revente d’occasion à défaut de justifier d’un trouble manifestement illicite,
– sur la demande d’expertise,
– à titre principal, débouter les sociétés RESIDE ETUDES et RESIDE ETUDES INVESTISSEMENT de leur demande d’expertise en l’absence de motif légitime,
– à titre subsidiaire, limiter le périmètre des opération d’expertise aux seuls programmes immobiliers neufs des sociétés RESIDE ETUDES et RESIDE ETUDES INVESTISSEMENT, à l’exclusion des biens faisant l’objet d’une revente sur le marché de l’occasion, et autoriser l’expert désigné à mettre en oeuvre une procédure dite de « confidentialité – expert » afin de concilier les droits et intérêts en présence,
– en tout état de cause, condamner les sociétés RESIDE ETUDES et RESIDE ETUDES INVESTISSEMENT à payer respectivement à la SARL LAURENT COHEN et à M. X. la somme de 6.000 euros chacun au titre de l’article 700 du code de procédure civil, outre aux entiers dépens de l’instance.
A l’audience du 4 juillet 2018, les sociétés RESIDE ETUDES et RESIDE ETUDES INVESTISSEMENT maintiennent leurs demandes, et notamment celle de suppression des annonces en ligne concernant les biens en revente en raison de l’existence d’un trouble manifestement illicite.
Elles font valoir que les agissements de la SARL LAURENT COHEN et de M. X. constituent un trouble manifestement illicite en arguant que :
– les reproductions des marques appartenant à la société RESIDE ETUDES constituent une violation de ses droits de propriété industrielle sanctionnées au titre de la contrefaçon de marque prévues par les dispositions des articles L.713-1 et L 713-2 du Code de la propriété intellectuelle,
– l’utilisation, l’exploitation ou publication, sans autorisation, de films publicitaires, textes ou photographies appartenant à la société RESIDE ETUDES constituent une atteinte portée à ses droits de propriété intellectuelle au titre de l’article L. 122-4 du Code de la propriété intellectuelle,
– des actes de concurrence déloyale et notamment, au titre du parasitisme et/ou détournement de clientèle subséquent ont découlé des violations des droits de propriété intellectuelle précités,
-les dits actes pouvaient laisser accroire au public que la société défenderesse était un revendeur agréé, les potentiels clients pouvant la contacter directement pour acheter les produits de la société demanderesse et la société défenderesse pouvant ainsi percevoir des commissions indues sur les ventes des biens immobiliers RESIDE ETUDES ou détourner la clientèle initialement intéressée par les produits RESIDE ETUDES vers d’autres produits concurrents commissionnés plus largement au bénéfice des défendeurs.
En réplique, la SARL LAURENT COHEN soutient que :
– il n’est pas contesté que la situation litigieuse a pris fin concernant les programmes neufs de la société RESIDE ETUDES,
– les références à RESIDE ETUDES effectuées par la SARL LAURENT COHEN concernant les biens en revente sont parfaitement légitimes dès lors qu’il s’agit de produits dits de défiscalisation permettant de bénéficier du statut de loueur meublé non professionnel.
Elle fait valoir que, dans ce cas de figure, la société RESIDE ETUDES INVESTISSEMENT n’est plus propriétaire du bien immobilier, mais juste le gestionnaire sans droit de regard sur la revente de ce bien qui ne lui appartient plus.
Pour un exposé plus détaillé des moyens des parties, il est renvoyé à leurs conclusions conformément à l’article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la recevabilité des demandes à l’égard de M. X.
L’article 32 du Code de procédure civile dispose qu’est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d’agir.
Il ressort des pièces produites et des débats que la SARL LAURENT COHEN est titulaire et exploitant des sites et pages Internet litigieux.
M. X. est donc étranger aux griefs allégués par les sociétés RESIDE ETUDES et RESIDE ETUDES INVESTISSEMENT.
Il convient donc de faire droit à la demande de mise hors de cause de M. X. en l’absence de griefs formulés à son encontre.
Sur les troubles manifestement illicites
L’article 809 du Code de procédure civile dispose que le président peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, préscrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Le trouble manifestement illicite s’entend de toute perturbation résultant d’un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit qu’il appartient au juge des référés de faire cesser.
Sur les programmes neufs
En application de l’article L 122-4 du code de la propriété intellectuelle, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite.
Il résulte des pièces versées et des débats qu’il n’est pas contesté que, à la fin du mois de mars 2018, les photographies des résidences de la société RESIDE ETUDES et les annonces relatives
aux programmes neufs de la société demanderesse ont été retirées des sites internet de la SARL LAURENT COHEN, suite à la mise en demeure de la société défenderesse.
La situation litigieuse concernant les programmes immobiliers neufs ayant cessé, il convient de dire n’y avoir lieu à référé sur la demande relative aux programmes neufs.
Sur les biens immobiliers en revente
En application de l’article L 122-4 du code de propriété intellectuelle, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite.
En application de l’article L. 713-1 du code de la propriété intellectuelle, l’enregistrement de la marque confère à son titulaire un droit de propriété sur cette marque pour les produits et services qu’il a désignés.
En application de l’article L. 713-2 alinéa 1er du code de la propriété intellectuelle, sont interdits, sauf autorisation du propriétaire : la reproduction, l’usage ou l’apposition d’une marque, même avec l’adjonction de mots tels que : « formule, façon, système, imitation, genre, méthode », ainsi que l’usage d’une marque reproduite, pour des produits ou services identiques à ceux désignés dans l’enregistrement.
Selon l’article L. 713-6 du code de la propriété intellectuelle, l’enregistrement d’une marque ne fait pas obstacle à l’utilisation du même signe ou d’un signe similaire comme :
b) Référence nécessaire pour indiquer la destination d’un produit ou d’un service, notamment en tant qu’accessoire ou pièce détachée, à condition qu’il n’y ait pas de confusion dans leur origine.
Il n’est pas contesté que la SARL LAURENT COHEN fait référence, sur ses sites internet litigieux, à des biens immobiliers en revente avec la mention de qualité de “bailleur” de la société RESIDE ETUDES.
Il n’est pas davantage contesté que la SARL LAURENT COHEN reprend les marques de la société RESIDE ETUDES dans les annonces qu’elle publie sur ses sites internet, notamment “RESIDE ETUDES” ou “LA GIRANDIERE”, sur les annonces de biens immobiliers en revente exploités et gérés par les dites sociétés.
Toutefois, il convient de relever que cette référence faite sur ces annonces à RESIDE ETUDES est explicitement indiquée pour identifier la société précitée en charge de la gestion de ces biens immobiliers en revente.
Il convient donc de constater que les références à la société RESIDE ETUDES, en indiquant dans ses annonces que la société précitée a en gestion ces biens immobiliers en revente, ne créent pas de confusion sur l’origine de ces biens et permettent de distinguer le gestionnaire et le vendeur des biens.
En outre, si la société RESIDE ETUDES INVESTISSEMENT a en charge la commercialisation des logements et programmes neufs construits par la société RESIDE ETUDES, ces deux sociétés n’interviennent pas dans la revente de ces biens immobiliers après première acquisition par des propriétaires privés.
Dés lors, faute de rapporter la preuve d’un contrat de commercialisation avec exclusivité conclus avec les dits propriétaires pour les biens immobiliers “ de seconde main”, elles ne peuvent leur interdire de recourir à des intermédiaires en transaction immobilière tels que la SARL LAURENT COHEN pour les vendre.
Il convient donc de constater que la SARL LAURENT COHEN n’a pas fait un usage illicite des marques de RESIDE ETUDES dans le libellé de ses annonces.
Les sociétés RESIDE ETUDES et RESIDE ETUDES INVESTISSEMENT ne démontrent pas davantage l’existence d’actes de concurrence déloyale et notamment, au titre du parasitisme et/ou du détournement de clientèle subséquent.
Les sociétés RESIDE ETUDES et RESIDE ETUDES INVESTISSEMENT font également valoir que les agissements de la SARL LAURENT COHEN sont constitutifs d’une publicité trompeuse en vertu des dispositions des articles L. 121-1 et suivants du code de la consommation.
En application de l’article L. 121-2 du code de la consommation, une pratique commerciale est trompeuse si elle est commise dans l’une des circonstances suivantes :
1° Lorsqu’elle crée une confusion avec un autre bien ou service, une marque, un nom commercial ou un autre signe distinctif d’un concurrent ;
2° Lorsqu’elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur l’un ou plusieurs des éléments suivants :
a) L’existence, la disponibilité ou la nature du bien ou du service ;
b) Les caractéristiques essentielles du bien ou du service, à savoir : ses qualités substantielles, sa
composition, ses accessoires, son origine, sa quantité, son mode et sa date de fabrication, les
conditions de son utilisation et son aptitude à l’usage, ses propriétés et les résultats attendus de son
utilisation, ainsi que les résultats et les principales caractéristiques des tests et contrôles effectués
sur le bien ou le service ;
c) Le prix ou le mode de calcul du prix, le caractère promotionnel du prix et les conditions de
vente, de paiement et de livraison du bien ou du service ;
d) Le service après-vente, la nécessité d’un service, d’une pièce détachée, d’un remplacement ou
d’une réparation ;
e) La portée des engagements de l’annonceur, la nature, le procédé ou le motif de la vente ou de
la prestation de services ;
f) L’identité, les qualités, les aptitudes et les droits du professionnel ;
g) Le traitement des réclamations et les droits du consommateur ;
3° Lorsque la personne pour le compte de laquelle elle est mise en œuvre n’est pas clairement identifiable.
Si la SARL LAURENT COHEN fait référence à la marque RESIDE ETUDES pour préciser sur ses annonces que cette société gère les biens immobiliers en revente présentés sur ses sites, il a été rappelé que cette référence ne crée pas de confusion avec les sociétés RESIDE ETUDES et RESIDE ETUDES INVESTISSEMENT entre son rôle d’intermédiaire dans la vente de ces biens et celui de la société RESIDE ETUDES qui en est le gestionnaire.
Les sociétés RESIDE ETUDES et RESIDE ETUDES INVESTISSEMENT arguent que les annonces de la SARL LAURENT COHEN comportent des erreurs sur les informations données ou les rentabilités économiques communiquées relatives aux produits RESIDE ETUDES, caractérisant une publicité trompeuse.
Il ressort des pièces versées au débat que la SARL LAURENT COHEN a commis des erreurs dans les informations données sur les annonces publiées sur ses sites en internet, notamment en faisant référence à des résidences en revente “LA GIRANDIERE” comme étant des résidences étudiantes alors qu’il s’agit de résidence pour seniors du groupe RESIDE ETUDES, ou en indiquant une durée de bail commercial de 10 ans au lieu de 9 ans.
Il existe donc une présentation erronée des caractéristiques essentielles des biens immobiliers en revente telles que ses qualités substantielles, les conditions de son utilisation concernant les personnes qui en sont locataires, ses propriétés et les résultats attendus de son utilisation et notamment sa rentabilité financière.
Toutefois, les sociétés RESIDE ETUDES et RESIDE ETUDES INVESTISSEMENT ne rapportent pas la preuve de l’intention coupable de la SARL LAURENT COHEN de tromper les consommateurs en publiant des annonces erronées.
A défaut de rapporter la preuve d’un trouble manifestement illicite, il n’y a pas lieu à référé sur les demandes des sociétés RESIDE ETUDES et RESIDE ETUDES INVESTISSEMENT de suppression sous astreinte de toutes références des contenus litigieux concernant les biens immobiliers en revente à l’encontre de la SARL LAURENT COHEN.
L’article 145 du code de procédure civile dispose que s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.
Les sociétés RESIDE ETUDES et RESIDE ETUDES INVESTISSEMENT font valoir que l’existence de ce trouble manifestement illicite aurait produit un préjudice dont le montant reste à être établi dans le cadre de la procédure de l’expertise demandée.
En l’absence de caractérisation d’un trouble manifestement illicite, constitutif du motif légitime à l’appui de la demande d’expertise des sociétés RESIDE ETUDES et RESIDE ETUDES INVESTISSEMENT, il convient de les débouter de leur demande de ce chef visant à établir le préjudice résultant de ce trouble.
L’équité commande de laisser à la charge de chacune des parties ses frais de procédure non compris dans les dépens. Il n’y a donc pas lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
Renvoyons les parties à se pourvoir sur le fond du litige,
Par provision, tous moyens des parties étant réservés,
Déclarons irrecevables les demandes formulées par les sociétés RESIDE ETUDES et RESIDE ETUDES INVESTISSEMENT à l’encontre de M. X.,
Constatons que l’absence de trouble manifestement illicite concernant les programmes neufs des sociétés RESIDE ETUDES et RESIDE ETUDES INVESTISSEMENT,
Disons n’y avoir lieu à référé sur les demandes concernant les programmes neufs,
Déboutons les sociétés RESIDE ETUDES et RESIDE ETUDES INVESTISSEMENT l’intégralité de ses demandes,
Disons n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile;
Condamnons les sociétés RESIDE ETUDES et RESIDE ETUDES INVESTISSEMENT aux dépens.
Le tribunal : Karima Zouaoui (1ère vice-présidente adjointe), Claire Amstutz (greffière)
Avocats : Guilhem Affre, Nicolas Herzog
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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.