Jurisprudence : Jurisprudences
Cour d’appel d’Aix-en-Provence, Ch. 3-1, arrêt au fond du 9 décembre 2021
My Luxury Travel / My Luxury Voyage
contrefaçon - distinctivité - risque de confusion - site internet - validité
La société MY LUXURY TRAVEL, société de droit monégasque exerçant l’activité d’agence de voyage, a déposé le 8 novembre 2012 à l’Institut National de la Propriété Industrielle la marque semi-figurative LUXUARY pour désigner les services d’organisation et réservation de voyages.
La société MY LUXURY VOYAGE, société située à NICE exerçant elle aussi l’activité d’agence de voyage, a déposé le 15 janvier 2016 à l’Institut National de la Propriété Industrielle la marque semi-figurative MY LUXURY VOYAGE pour désigner les produits et services en classe 39 comprenant les services d’organisation et réservation de voyages.
Par acte en date du 19 octobre 2018, la société MY LUXURY TRAVEL a fait assigner la société MY LUXURY VOYAGE en annulation de marque, en contrefaçon de marque et subsidiairement en concurrence déloyale devant le tribunal de grande instance de MARSEILLE.
Suivant jugement en date du 23 janvier 2020, le tribunal a débouté la société MY LUXURY TRAVEL de l’ensemble de ses demandes et l’a condamnée à verser une somme de 3 500 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.
La société MY LUXURY TRAVEL a interjeté appel de cette décision par déclaration enregistrée au greffe le 9 mars 2020.
Le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de l’instruction par ordonnance en date du
27 septembre 2021 et a renvoyé l’examen de l’affaire à l’audience du 25 octobre 2021.
A l’appui de son appel, par conclusions déposées par voie électronique le 2 novembre 2020, la société LUXURY TRAVEL invoque tout d’abord le caractère distinctif de sa marque, insistant notamment sur le caractère uniquement évocateur du terme LUXURY au regard des prestations proposées et soutenant en toute hypothèse que ce caractère distinctif a été acquis par l’usage. Elle soutient en revanche que dans la marque MY LUXURY VOYAGE, la séquence d’attaque MY n’est pas distincte par sa police et sa couleur des autres éléments verbaux, ce qui devrait conduire à prononcer sa nullité pour défaut de distinctivité.
Sur la contrefaçon, après avoir rappelé les règles jurisprudentielles en matière d’appréciation du risque de confusion, la société MY LUXURY TRAVEL invoque notamment la proximité géographique des deux sociétés et le public par elles visée, l’antériorité de sa propre marque, la confusion résultant de recherches sur le net, l’utilisation sur la page Facebook d’une photographie représentant le rocher de MONACO et la similitude des services proposés pour affirmer que le risque de confusion est en l’espèce établi. Sur l’action en concurrence déloyale, elle invoque les mêmes faits en rappelant que ceux ci peuvent l’être sur ce fondement dès lors que l’action en contrefaçon est rejetée.
Elle rappelle enfin les dispositions du Code de la propriété intellectuelle afin de demander à la cour d’évaluer de manière forfaitaire son préjudice. Elle qualifie la résistance de la partie adverse d’abusive, et demande en conséquence la condamnation de l’intéressée à des dommages intérêts de ce chef.
Au terme de ses conclusions, la société LUXURY TRAVEL demande à la cour de :
DÉCLARER l’Appel partiel de la société MY LUXURY TRAVEL S.A.R.L recevable et bien fondé.
Y faisant droit :
CONSTATER le caractère distinctif de la Marque « MY LUXURY TRAVEL » ;
CONSTATER l’existence d’un risque de confusion dans l’esprit du public ;
CONSTATER l’existence de Contrefaçon par imitation et usage ;
CONSTATER l’existence de Concurrence déloyale ;
CONSTATER l’existence d’un préjudice pour la société MY LUXURY TRAVEL S.A.R.L.
En conséquence :
REFORMER partiellement le Jugement numéro 20/42 rendu par le Tribunal Judiciaire de MARSEILLE le 23 janvier 2020.
Statuant à nouveau :
ORDONNER l’interdiction pour la SAS MY LUXURY VOYAGE d’utiliser sa Marque et son logo ainsi que la dénomination « MY LUXURY TRAVEL » et en tirer toutes conséquences de droit, notamment de modifications légales ;
PRONONCER la Nullité de la Marque MY LUXURY VOYAGE numéro 4240996 ;
ORDONNER à la SAS MY LUXURY VOYAGE de modifier sa dénomination sociale ;
ORDONNER à la SAS MY LUXURY VOYAGE la publication de la décision à intervenir dans son catalogue de vente ;
ASSORTIR ces obligations d’une Astreinte de 500 € par jour de retard à compter de la Signification de la décision à intervenir ;
CONDAMNER la SAS MY LUXURY aux dépens.
La société MY LUXURY VOYAGE, par conclusions déposées par voie électronique le 19 janvier 2021, demande à la Cour d’infirmer la décision en ce qu’elle a retenu la validité de la marque MY LUXURY TRAVEL. Elle excipe de l’absence de caractère descriptif des termes TRAVEL et MY LUXURY au regard notamment tant des services désignés que de la clientèle visée.
Subsidiairement, la société MY LUXURY VOYAGE conclut à la confirmation de la décision ayant retenu l’absence de tout risque de confusion entre les signes, et donc l’absence de toute contrefaçon. Elle procède pour cela à une comparaison entre les deux marques et fait observer que le niveau d’attention du public pertinent, consommateur de voyages de luxe, est supérieur à celui du consommateur d’attention moyenne. Elle conteste par ailleurs les allégations concernant l’utilisation des signes dans la vie des affaires, et notamment sur les sites internet. Sur la concurrence déloyale, la société MY LUXURY VOYAGE reprend l’argumentation du tribunal sur le constat de l’absence de risque de confusion, et plus subsidiairement elle relève l’absence de justificatif sur le quantum des réparations demandées.
Au terme de ses écritures, la société MY LUXURY VOYAGE demande à la cour d’infirmer le jugement en ce qu’il avait jugé que la marque MY LUXURY TRAVEL avait un caractère distinctif, d’annuler cette marque et en conséquence de débouter la société MY LUXURY TRAVEL de l’intégralité de ses demandes. A titre subsidiaire, elle demande la confirmation du jugement sur les autres chefs, et sollicite l’octroi d’une somme de 6 000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.
DISCUSSION
Sur la validité de la marque MY LUXURY TRAVEL
L’examen de la distinctivité d’une marque au sens des articles L 711-1 et L 711-2 du Code de la propriété intellectuelle doit porter sur l’ensemble du signe constituant la marque ; en conséquence, dans le cas d’une marque complexe, cette distinctivité doit être recherchée non uniquement dans l’élément verbal, mais en prenant en compte la totalité du signe.
En l’espèce, le signe verbal MY LUXURY TRAVEL désigne de manière évidente le service désigné, à savoir la fourniture de voyages organisés luxueux et personnalisés ; l’utilisation de la langue anglaise n’est pas de nature à infirmer ce constat, les termes utilisés étant très usuels et de ce fait compréhensibles pour un public même peu familier de cet idiome ; en outre, les documents versés aux débats démontrent que la société MY LUXURY TRAVEL communique en anglais dans les documents destinés à sa clientèle, clientèle qui ne peut en conséquence ignorer la signification du signe verbal.
Si l’absence de distinctivité de l’élément verbal de la marque est ainsi établi, il n’en demeure pas moins que prise dans son ensemble, la marque complexe présente un caractère arbitraire pour désigner le service de voyage ou séjour organisé ; elle est en effet composée d’un globe terrestre en couleur évocateur certes de voyages, mais qui ne peut être considéré comme désignant l’activité elle-même, du signe MY en lettres manuscrites jaunes renforçant la symbolique du terme, du mot LUXURY en lettres capital, et enfin du mot TRAVEL, placé en dessous des deux autres et au demeurant difficilement lisible ; cet ensemble graphique pris dans sa globalité est certes évocateur du monde du voyage, et la marque ainsi composée est manifestement très faiblement distinctive, mais il ne peut être jugé qu’elle désigne le service proposé ; c’est dès lors à bon droit que les premiers juges ont refusé de prononcer la nullité de cette marque, observation étant faite au demeurant que consacrer le manque de distinctivité de la marque du seul fait du signe verbal aurait nécessairement pour conséquence de consacrer aussi celle de la marque MY LUXURY VOYAGE.
Sur la contrefaçon de marque
Tout comme en matière de distinctivité, l’appréciation d’une marque alléguée de contrefaçon doit se faire en comparant les marques litigieuses en leur ensemble.
Visuellement les marques MY LUXURY TRAVEL et MY LUXURY VOYAGE présentent d’importances différences ; la première a pour entame visuelle la représentation d’un globe terrestre avec en dessous les termes LUXURY TRAVEL différenciés par leur calligraphie et leur couleur, le tout sur fond blanc ; la seconde a pour entame visuelle le mot MY en lettres dorées enlacées portant un liseré noir, puis en lettres dorées plus petites les mots LUXURY VOYAGE, ces signes étant sur un fond noir ; phonétiquement, si les deux premiers mots sont rigoureusement identiques, la finale diffère totalement et ne peut porter à confusion ; il est par contre certain qu’existent entre les deux marques une quasi-identité conceptuelle, les deux signes verbaux désignant le monde du voyage luxueux et personnalisé, sans que la différence entre l’Anglais et le Français pour désigner le voyage ne puisse être considérée comme essentielle dès lors qu’il s’agit d’un terme courant compréhensible pour un public francophone.
Il apparaît ainsi que la comparaison entre les signes met en lumière essentiellement une similitude conceptuelle ; cependant, ainsi qu’il a été dit plus haut, les deux marques sont d’une très faible distinctivité, et leur similarité résulte précisément du fait qu’elles sont particulièrement évocatrices de l’activité qu’elles désignent ; dès lors, même si comme l’ont relevé les premiers juges le risque de confusion doit être apprécié en tenant compte comme en l’espèce de la similitude des produits désignés, il n’en demeure pas moins que le risque de confusion n’apparaît pas en l’espèce constitué, l’attention du public concerné se portant manifestement plus sur l’impression d’ensemble produit par les signes complexes, que sur le seul signe verbal qui, lui, est essentiellement évocateur de l’activité proposée ; la proximité géographique entre les deux sociétés, invoquée par la société MY LUXURY TRAVEL, ne peut être considérée comme modifiant l’appréciation du risque de confusion, et ce alors que les pièces versées démontrent que les deux agences fonctionnent essentiellement par l’intermédiaire du réseau internet ; enfin, le courriel et la capture d’écran versés par la société MY LUXURY TRAVEL n’apportent en rien la preuve qu’un ou plusieurs consommateurs auraient pu se tromper sur l’identité du prestataire de service du fait d’une similitude entre les deux marques déposées ; il convient en conséquence de confirmer la décision ayant rejeté la demande formée sur le fondement de la contrefaçon de marque en raison de l’absence de risque de confusion.
Sur l’action en concurrence déloyale
Le risque de confusion ayant été écarté, et l’utilisation par une société concurrente d’une dénomination évocatrice de l’activité commune pratiquée par les deux parties ne pouvant être considérée comme fautive, le jugement ayant là encore débouté la société MY LUXURY TRAVEL de sa demande sera confirmée.
Sur les demandes accessoires
La société MY LUXURY TRAVEL succombant à la procédure, elle devra verser une somme de 3 000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.
DÉCISION
– CONFIRME le jugement du tribunal de grande instance (tribunal judiciaire) de MARSEILLE dans l’intégralité de ses dispositions,
Y ajoutant,
– DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes.
– CONDAMNE la société MY LUXURY TRAVEL à verser à la société MY LUXURY VOYAGE la somme de 3 000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.
– MET l’intégralité des dépens à la charge de la société MY LUXURY TRAVEL.
La Cour : Pierre Calloch (président), Marie-Christine Berquet (conseillère), Stéphanie Combrie (conseillère), Alain Vernoine (greffier)
Avocats : Me Julia Braunstein, Me Nicolas Mattei, Me Sébastien Badie, Me Nicolas Herzog, Me Camille Tack
Source : Legalis.net
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