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Jurisprudence : Droit d'auteur

mercredi 05 avril 2006
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Cour d’appel de Paris 4ème chambre, section B Arrêt du 17 février 2006

Vecteur Plus / SPQR et autres

autorisation - contrefaçon - copie privée - droit d'auteur - numérisation - panorama presse

FAITS ET PROCEDURE

La société anonyme Vecteur Plus a reproduit par numérisation des extraits de divers journaux, afin de les mettre à disposition de sa clientèle, par des procédés électroniques.

Le Syndicat de la presse quotidienne régionale (SPQR), les sociétés éditrices concernées l’ont, après une mise en garde effectuée en 2002 et des constatations opérées en 2003, fait assigner, ainsi que le Centre français du droit de copie (SCCV), par actes des 6 et 9 février 2004, devant le tribunal de grande instance de Paris, lequel (en sa troisième chambre première section) a, le 30 juin 2004, rendu le jugement contradictoire aujourd’hui entrepris, aux termes duquel il a :
– dit que la société Vecteur Plus, en réalisant et transmettant à ses clients, dans le cadre de son service « Veille Presse » des numérisations d’articles publiés dans les journaux quotidiens régionaux : L’Alsace, Le Bien Public, Les Dernières Nouvelles d’Alsace, Midi Libre, La Nouvelle République, Ouest France, Le Progrès, Le Républicain Lorrain, le Télégramme, La Voix du Nord et le Journal de la Saône et Loire, sans autorisation des sociétés éditrices a porté atteinte à leurs droits dans les conditions constitutives de contrefaçon ;
– prononcé diverses condamnations et mesures d’interdiction et de suppression (avec exécution provisoire), ainsi que de publication ;
– condamné la société Vecteur Plus aux dépens (comprenant divers frais complémentaires) et à payer au SPQR ainsi qu’aux sociétés éditrices la somme de 7000 € sur le fondement de l’article 700 du ncpc.

Dans ses dernières conclusions, signifiées le 3 novembre 2005, la société Vecteur Plus, appelante, invite la cour à :
– lui donner acte de la cessation de son activité de « veille presse » dès 2003,
– « de l’opportunité de procéder à la distinction entre les annonces relevant de la responsabilité du domaine public et celle relative aux articles en matière économique, et partant, l’infirmation pure et simple du jugement entrepris et la condamnation solidaire des intimés au paiement d’une somme de 10 000 € au titre de l’article 700 du ncpc »,
– à défaut, vu les liens contractuels « de voir le CFC condamné à la garantir solidairement de toute condamnation susceptible d’être prononcée à son encontre » et, dans cette hypothèse, le condamner à lui verser la somme de 5000 €, en vertu de l’article 700 du ncpc.

Selon leurs dernières conclusions, en date du 30 novembre 2005, le SPQR, les sociétés Alsacienne de publications, Le Bien Public, Editions des Dernières Nouvelles d’Alsace, Midi Libre, La Nouvelle République du Centre Ouest, Les éditions Ouest France, Groupe Progrès, Le Républicain Lorrain, le Télégramme de Brest et de l’Ouest, La Voix du Nord et les journaux de la Saône et Loire et le Gie Panorama PQR, intimés, invitent essentiellement la cour à rejeter ces prétentions, retenir l’existence des contrefaçons reprochées et confirmer le jugement déféré, en y ajoutant des éléments relatifs aux publications et insertions, et aussi la condamnation de la société Vecteur Plus à payer à titre de dommages-intérêts à la société des Journaux de Saône et Loire la somme de 7600 €, outre (globalement à l’ensemble des intimés) la somme de 10 000 € sur le fondement de l’article 700 du ncpc.

Suivant ses dernières conclusions, du 9 novembre 2005, la société civile à capital variable Le Centre français d’exploitation du droit de copie (CFC) demande que le jugement attaqué soit confirmé en ce qu’il l’a mise hors de cause sur la demande de garantie formée par la société Vecteur Plus et réformé en ce qu’il a ordonné l’insertion d’un communiqué sur son site. Il sollicite qu’en tout état de cause les intimés soient condamnés à lui verser la somme de 5000 € au titre de l’article 700 du ncpc.

DISCUSSION

Considérant que la société Vecteur Plus expose qu’elle a notamment pour activité de réaliser pour ses clients une « veille commerciale » qui consiste uniquement, depuis qu’en 1983 elle a abandonné celle qu’elle consacrait à la presse, à « détecter l’ensemble des marchés publics par le biais d’annonces en provenance des collectivités territoriales, des administrations et d’une façon générale de tout organisme relevant de l’autorité de l’Etat et à « exercer une surveillance sur l’ensemble des investissements privés » ;

Qu’elle revendique le droit de reproduire les annonces propres aux marchés publics, sur lesquelles les intimés n’ont à son sens aucun droit, car elles émanent de services officiels et doivent pouvoir librement circuler, étant ajouté que le fait qu’elles figurent dans les pages « d’annonces légales » desdites publications est tout à fait analogue à leur publication dans les journaux officiels ;

Qu’elle soutient que les bases de données non protégeables par le droit d’auteur, comme c’est le cas en l’espèce, dès lors qu’il n’y a eu aucune « valeur ajoutée », peuvent être librement reproduites ;

Mais considérant que les entreprises de presse intimées, qui ne prétendent nullement avoir un droit de propriété intellectuelle sur les textes des annonces légales en question, font à bon droit valoir que la mise en forme et la présentation qu’elles en font dans les pages de leurs journaux leur appartiennent, car un journal est une œuvre protégée dans sa globalité, ce qui inclut tout ce qui lui confère une physionomie spécifique et originale ;

Que si la reproduction du contenu des annonces est parfaitement licite, celle de l’annonce elle-même, par reprise pure et simple de ce qui en constitue le support mis en place par l’organe de presse ne l’est pas ;

Qu’il ressort notamment des constats d’huissiers dressé les 18 et 23 décembre 2003 que la société Vecteur Plus ne s’est pas contentée de transmettre à ses clients des éléments d’information extraits des journaux concernés, mais permettait la prise de connaissance d’articles entiers puisés dans ceux-ci ;

Qu’en agissant ainsi, elle a commis des actes de contrefaçon, ce qu’elle ne conteste au demeurant pas sérieusement par rapport aux articles de fond dont elle déclare avoir cessé l’exploitation, et s’estime à tort en droit de continuer à faire relativement à certaines informations officielles ;

Que, dans ces conditions, c’est avec pertinence que les premiers juges ont constaté l’existence de tels manquements et prononcé, les concernant, des mesures d’interdiction, dont le maintien s’impose, afin de prévenir la réitération des actes illicites dont il est affirmé qu’ils ont cessé et de mettre un terme à la commission de ceux dont l’illicéité a persisté à être déniée ; qu’il sera seulement ajouté que les publications tiendront compte du présent arrêt ;

Considérant que la société Vecteur Plus conteste par ailleurs avoir été à l’origine de préjudices indemnisables et excipe de sa bonne foi ; qu’elle ajoute que son activité de « veille presse » n’a concerné au maximum que quarante clients ;

Qu’il apparaît cependant que les actes répréhensibles par elle commis ont entraîné les préjudices qui ont été exactement chiffrés par le tribunal, dont le jugement doit être complété par rapport à la société Les journaux de Saône et Loire, également en droit de bénéficier de l’allocation de la somme de 7600 € à titre de dommages-intérêts ;

Considérant que la société Vecteur Plus reproche au tribunal d’avoir rejeté sa demande de garantie dirigée contre la CFC ;

Qu’elle expose qu’elle était fondée à s’estimer en droit de procéder aux diffusions en l’espèce contestées, car celles-ci étaient autorisées aux termes de contrats des 22 novembre 1999 et 28 octobre 2003, passés avec cette société, laquelle lui a d’ailleurs écrit le 14 juin 2001 : « J’ai bien pris note que les articles de presse accessibles dans le cadre de cette prestation de services ne peuvent être lus que sur support papier après impressions… Dans cette configuration votre prestation de service est conforme au contrat d’autorisation signé l’année dernière » et encore, le 5 mars 2002 : »Nous vous sommes reconnaissants de votre volonté de travailler dans le respect des droits de propriété littéraire. Il est certain que cette information ne serait pas suffisante si elle n’était accompagnée des dispositions techniques de votre logiciel Inforum Presse et des stipulations de votre contrat d’abonnement qui rendent plus certain le respect des droits d’auteur et des éditeurs » ;

Qu’elle estime que ces correspondances révèlent son souci permanent de « se mettre en conformité avec les droits d’auteur en faisant confiance à l’expertise du CFC » et rappelle que ce dernier, aux termes de l’article 3 du contrat du 22 novembre 1999 peut interdire au titre du droit moral et sur la demande des auteurs ou de leurs ayants droit, la reproduction des œuvres déterminées et qu’autrement dit le CFC « de part l’existence même de cette disposition contractuelle a prévu la responsabilité pour lui de se dégager de toute responsabilité dès lors qu’un auteur ou un de ses ayants droit était à même de revendiquer une quelconque atteinte à la notion du droit d’auteur » ; qu’elle fait observer qu’il « n’a jamais été question d’une telle manifestation de la part du CFC à son adresse » ; qu’il lui apparaît en conséquence que dans l’hypothèse où sa responsabilité serait engagée, la condamnation solidaire du CFC devrait être prononcée ;

Considérant toutefois que sa condamnation solidaire avec le CFC n’est pas sollicitée par les intimés ; que même en tenant cette prétention pour une demande de garantie, comme cela est formulé dans un titre et le dispositif des dernières conclusions, il ne saurait y être fait droit ; qu’en effet, il ne ressort pas des contrats produits que le CFC avait autorisé les utilisations reprochées ; qu’il ne peut être tenu de garantir les conséquences d’actes que la société Vecteur Plus a pris l’initiative de commettre, étant ajouté que la preuve n’est pas rapportée qu’il aurait eu à lui adresser une mise en garde particulière ;

Que, dans ces conditions, les premiers juges ont légitimement rejeté la demande de garantie ;

Considérant que le CFC reproche aux premiers juges d’avoir ordonné une insertion forcée sur son propre site ; qu’il fait valoir qu’une telle mesure, qui constitue une restriction à la liberté d’expression et de communication, ne peut être décidée que dans des circonstances exceptionnelles, inexistantes en l’espèce, puisqu’il n’a commis aucune faute ; qu’il fait valoir que le message en question est de surcroît de nature à induire en erreur les utilisateurs et est pour lui dommageable ;

Mais considérant que le texte dont il s’agit tout au contraire de nature à informer exactement les lecteurs, tant sur la position qui dans le domaine de la reproduction des journaux par voie électronique est celle du CFC, dont la responsabilité n’est aucunement mise en cause, que sur la démarche première à accomplir en vue de recueillir les autorisations nécessaires à une telle reproduction, et aussi relativement à la condamnation prononcée contre la société Vecteur Plus, soit à une sanction appartenant à la catégorie de celles qui sont, sur décision de justice, spécialement portées à la connaissance du public lorsque, comme c’est en l’espèce le cas, les circonstances s’avèrent l’imposer ;

Que le communiqué en question devra être complété pour tenir compte du présent arrêt ;

Considérant que des raisons tirées de considération d’équité conduisent à écarter l’application des dispositions de l’article 700 du ncpc, au titre des frais de procédure non compris dans les dépens, exposés en cause d’appel, le jugement étant confirmé en ses dispositions fondées sur ce texte ;

DECISION

La cour :

. Confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris ;

Y ajoutant :

. Dit que les publications et l’insertion qu’il a ordonnées devront tenir compte du présent arrêt ;

. Condamne la société Vecteur Plus à payer la somme de 7600 € à titre de dommages-intérêts à la société Les journaux de Saône et Loire ;

. Rejetant toute autre prétention, condamne la société Vecteur Plus aux dépens d’appel.

La cour : Mme Pezard (président), Mme Regniez et M. Marcus (conseillers)

Avocats : Me Frédéric Gourdain, Me Philippe Solal, Me Jean Martin

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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.