Jurisprudence : Logiciel
Cour d’appel de Paris, 4ème chambre, arrêt du 6 octobre 1995
Microformatic / Jean-Bernard C. et l'Agence pour la protection des programmes (APP)
antériorité - droit d'auteur - salarié - titulaire de droit
Dans des circonstances de fait exactement rapportées par le tribunal de grande instance de Bobigny dans sa décision du 14 septembre 1993, à laquelle il convient de se référer, Jean-Bernard C. et l’Agence pour la protection des programmes (APP) ont assigné la société anonyme Microformatic pour constater, à compter du 9 août 1991, date de la rupture de leurs relations contractuelles, la contrefaçon du logiciel créé par Jean-Bernard C., la voir condamner au paiement de dommages-intérêts en réparation de leurs préjudices, obtenir l’annulation du dépôt de la marque GPF ainsi que sa radiation, le prononcé de mesures d’interdiction et de publication, ainsi que paiement d’une somme sur le fondement de l’article 700.
Par la décision du 14 septembre 1993 déférée à la cour, les premiers juges ont :
– constaté que Jean-Bernard C. est resté propriétaire du logiciel exploité par Microformatic depuis octobre 1990,
–prononcé la nullité du dépôt de la marque GPF effectué par Microformatic en novembre 1990,
–ordonné la radiation de cette marque sous astreinte,
–interdit sous astreinte la poursuite de la diffusion par Microformatic du logiciel,
–condamné Microformatic au paiement à Jean-Bernard C. de la somme de 100 000 F en réparation de ses préjudices matériel, commercial et moral, à l’APP la somme de 20 000 F en réparation de ses divers préjudices et aux deux demandeurs la somme de 10 000 F sur le fondement de l’article 700,
–ordonné une mesure de publication,
–rejeté toutes autres demandes.
Microformatic a interjeté appel ; au cours de la procédure, elle a fait l’objet d’un jugement de redressement judiciaire, puis d’un jugement de liquidation judiciaire ; sont donc intervenus dans la procédure successivement Me Schmitt en qualité d’administrateur judiciaire, remplacé par Me Brignier, et Me Katz-Sulzer en qualité de représentant des créanciers de Microformatic, puis ce dernier en qualité de liquidateur judiciaire de la société ; seul, en conséquence, en dernier lieu, ce dernier représente Microformatic ;
Me Katz-Sulzer ès qualités sollicite l’infirmation de la décision en toutes ses dispositions ; sans contester à Jean-Bernard C. la paternité du produit GPF, il soutient que le tribunal a fait abstraction des droits consentis par Jean-Bernard C. à la société ; que, selon lui, le logiciel proposé par Jean-Bernard C. à la société n’était qu’un prototype et que la mise au point de ce logiciel a été effectuée dans la société alors que Jean-Bernard C. en était salarié à compter du 1er janvier 1991 ; que ce logiciel a donc été mis au point pour le compte de la société et appartient en application de l’article 45 de la loi du 3 juillet 1985 (article L. 113-9 du code de la propriété intellectuelle) à l’employeur ;
Il fait encore valoir que Jean-Bernard C. était lié par un contrat soumis le 3 janvier 1991 qu’il n’a pas signé mais dont il a néanmoins accepté les conditions puisqu’il a accepté le paiement des royalties stipulées dans cet acte à lui revenir sur l’exploitation du logiciel ; que ce contrat prévoyait une clause d’exclusivité que Jean-Bernard C. n’a pas respectée puisqu’il a passé une convention en juillet 1991 avec une société américaine portant sur un transfert de technologie de son logiciel ; il fait valoir que Jean-Bernard C. n’avait aucun motif pour rompre brutalement le contrat ; que d’ailleurs le conseil de prud’hommes, saisi du conflit relatif au contrat de travail, a considéré que la démission de Jean-Bernard C. était fautive, que cette rupture du 9 août 1991 lui a causé un grave préjudice ; il ajoute encore que le dépôt de la marque GPF a été effectué dans l’intérêt de Jean-Bernard C. qui n’avait pas pris de protection sur la désignation du logiciel ;
Il demande, en conséquence, de : déclarer valable et licite le dépôt de marque GPF par Microformatic ; dire que cette société est titulaire des droits d’auteur sur le logiciel GPF, objet de la commercialisation ; dire abusive la résiliation de la convention par Jean-Bernard C. ; constater la réalité du préjudice subi par Microformatic et condamner Jean-Bernard C. à payer la somme de 2 072 000 F ; subsidiairement, constater l’absence de tout préjudice ; faire application des dispositions de l’article 47 de la loi du 25 janvier 1985 et condamner Jean-Bernard C. au paiement de la somme de 30 000 F au titre de l’article 700.
Jean-Bernard C. et l’APP reprennent les moyens développés en première instance ; ils sollicitent la confirmation de la décision, excepté sur le montant des dommages-intérêts et sur le montant de l’astreinte ; formant appel incident de ces chefs, ils demandent la fixation de l’astreinte pour radiation de la marque à 50 000 F, de fixer à 500 000 F les préjudices subis par Jean-Bernard C. (250 000 F pour le préjudice résultant des actes de contrefaçon et 250 000 F pour les préjudices commercial et moral), à 50 000 F celui subi par l’APP et à 100 000 F celui subi par les membres de l’APP ; ils sollicitent en outre paiement de 50 000 F au titre de l’article 700.
DISCUSSION
Considérant que Jean-Bernard C. reproche à l’appelant d’avoir, après la notification de la rupture de leurs relations le 9 août 1991, continué à exploiter le logiciel GPF alors que ce logiciel est sa propriété et que Microformatic n’avait plus aucun droit à compter de leur rupture ;
Considérant qu’à cette demande en contrefaçon, Microformatic oppose les dispositions de l’article 45 de la loi du 3 juillet 1985 selon lesquelles un logiciel créé par le salarié dans l’exercice de ses fonctions appartient, sauf disposition contraire, à l’employeur ;
Considérant qu’en l’espèce et, comme l’ont constaté les premiers juges par des motifs pertinents que la cour adopte, le logiciel a été créé par Jean-Bernard C. avant son embauche le 1er janvier 1991 dans la société Microformatic puisque ce logiciel a été enregistré à l’APP pour la première fois le 12 septembre 1990 et que la version développée au sein de Microformatic au début de l’année 1991 n’est qu’une version du logiciel, comme l’a relevé l’expert désigné en première instance et dont les conclusions ne sont pas contredites par de nouveaux documents produits, déjà évoqués en première instance (analyse du logiciel par M. Hoffsaes, expert, et consultation du professeur Vivant) n’ont pas été établis de manière contradictoire et ne suffisent pas à combattre les conclusions de l’expert désigné par le tribunal ; qu’ainsi, cette version procède du logiciel, création de Jean-Bernard C. seul, avant tout contrat de travail passé avec Microformatic ; que cette dernière est sans droit de propriété sur ce logiciel ; que la décision sera confirmée de ce chef ;
Considérant que Microformatic soutient encore qu’elle avait le droit d’exploiter le logiciel ; que Jean-Bernard C. était tenu par une clause d’exclusivité et qu’il a rompu de manière abusive le contrat qui les liait, elle-même n’ayant commis aucune faute ;
Considérant que Microformatic se réfère à un contrat du 3 janvier 1991 non signé par Jean-Bernard C. mais qu’il aurait accepté dans toutes ses modalités ; que Jean-Bernard C. reconnaît l’existence d’un contrat de commercialisation de son logiciel mais en conteste les termes puisque, précisément, le contrat du 3 janvier 1991 n’a pas été signé en raison de son désaccord sur les modalités ;
Considérant, cela exposé, qu’aucun écrit ne lie les parties ; que l’acceptation des termes du contrat ne saurait résulter du seul encaissement des royalties par Jean-Bernard C. alors que, précisément, le contrat écrit qui lui avait été soumis n’a jamais été signé, ce qui démontre qu’il n’y a eu aucun accord sur les clauses du contrat ; qu’il s’ensuit que Microformatic qui n’apporte aucun élément de preuve pour établir l’accord de Jean-Bernard C. ne peut opposer la clause d’exclusivité inscrite dans ce contrat ;
Considérant, de plus, comme l’ont souligné les premiers juges, que la tractation reprochée à Jean-Bernard C. avec la société américaine Intersolv a été effectuée par l’intermédiaire de Microformatic USA, alors liée à la société appelante et avec l’accord du dirigeant de cette société ;
Considérant que, dans des circonstances non clairement exposées, Jean-Bernard C. et Microformatic ne se sont plus entendus, Jean-Bernard C. contestant le montant des royalties versées et reprochant à cette société de se présenter comme propriétaire du logiciel ; que constatant l’impossibilité d’une concertation pour l’exploitation du logiciel créé par lui, Jean-Bernard C. a rompu les relations par la lettre susvisée du 9 août 1991 ; que c’est à bon droit que les premiers juges ont estimé que le contrat d’exploitation avait été résilié justement par Jean-Bernard C. en raison de l’attitude de Microformatic qui se considérait comme titulaire du logiciel et qui avait déposé la dénomination GPF du logiciel à titre de marque à son nom ; que la condamnation de Jean-Bernard C. par le conseil de prud’hommes (décision pour laquelle ce dernier se réserve de faire appel) qui a jugé que la démission de Jean-Beranrd C. était fautive, n’a aucune incidence sur les relations contractuelles extérieures au contrat de travail ; que la décision des premiers juges sera donc confirmée ;
Considérant que Microformatic expose que la marque GPF a été déposée pour préserver les droits de Jean-Bernard C. ; qu’il est cependant constant que ce dépôt a été effectué au nom de Microformatic et non pas au nom de Jean-Bernard C. ; que ce dépôt a été effectué en fraude de ses droits puisque son logiciel avait été enregistré sous ce nom à l’APP en septembre 1990 avant le dépôt de marque intervenu en novembre 1990 ; que la décision sera également confirmée en ce qui concerne l’annulation de la marque ;
Considérant qu’en application de l’article L. 714-3 du CPI qui est d’application immédiate, la décision d’annulation ayant un effet absolu, la demande en radiation n’est pas justifiée ; que la décision sera seulement inscrite au registre national des marques conformément aux dispositions de l’article 25 du décret n° 92-100 du 30 janvier 1992 (art. R. 714-3 du CPI) ;
Considérant que la décision sera également confirmée en ce qui concerne le montant des dommages-intérêts alloués à Jean-Bernard C., ce dernier ne justifiant pas d’un préjudice autre que celui à bon droit réparé par les premiers juges ; que les mesures d’interdiction et de publication seront également confirmées, sauf à préciser que la publication portera sur le présent arrêt ;
Considérant que la décision des premiers juges sera également confirmée en ce qui concerne les condamnations en paiement de dommages-intérêts au bénéfice de l’APP qui justifie de son intérêt à agir pour son propre compte en sa qualité d’organisme de défense des créateurs de logiciel et pour le compte de ses membres adhérents ;
Considérant, toutefois, qu’en raison du prononcé de la liquidation judiciaire et en application de l’article 47 de la loi du 25 janvier 1985, il y a lieu non pas de condamner mais de fixer la créance dans les termes du dispositif ci-dessous énoncé ;
Considérant que l’équité commande d’allouer aux intimés la somme de 10 000 F au titre des frais non compris dans les dépens de première instance et d’appel.
DECISION
La cour,
Par ces motifs et ceux non contraires des premiers juges,
. confirme la décision en toutes ses dispositions, excepté sur la mesure de radiation,
Statuant de nouveau de ce chef et la précisant en raison du prononcé de la liquidation judiciaire de Microformatic,
. fixe la créance de Jean-Bernard C. à l’encontre de Microformatic à la somme de 100 000 F et celle de l’APP à la somme de 20 000 F,
. rejette la demande en radiation de la marque,
. dit que le jugement et le présent arrêt seront inscrits sur le registre national des marques,
. dit que la mesure de publication portera sur le présent arrêt,
. rejette toutes autres demandes,
. condamne Me Katz-Sulzer, ès qualités de liquidateur judiciaire de Microformatic, aux entiers dépens.
La Cour : M. Guerrini (président), M. Ancel et Mme Régniez (conseillers).
Avocats : Mes Itéanu et Spira.
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