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Jurisprudence : Droit d'auteur

vendredi 21 décembre 2007
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Cour d’appel de Paris 4ème chambre, section B Arrêt du 14 décembre 2007

CNM Media / Groupe Entreprendre

droit d'auteur - photographie

FAITS ET PROCEDURE

La cour est saisie d’un appel interjeté par la société de droit américain CNM Media Limited Liability Company (ci-après CNM) à l’encontre d’un jugement contradictoire rendu le 12 mai 2006 par le tribunal de commerce de Paris dans un litige l’opposant à Monsieur H. et la société Groupe Entreprendre SA.

Il convient de rappeler que :
– la société CNM exploite un site internet www.carandmodel.com sur lequel sont diffusées des photographies de voitures et de mannequins, photos sur lesquelles apparaissent le logo du site « C&M” et la mention « copyright©2004 Car and Model »,
– la société Groupe Entreprendre a publié à compter de janvier 2004 un magazine ayant pour thème le tuning intitulé « Tuning Magazine” et a sous-traité la fabrication du magazine à Monsieur H.,
– ayant constaté que plusieurs photographies diffusées sur le site internet avaient été reproduites dans les numéros 3, 4, 5 et 6 de la revue, la société CNM a assigné par acte du 10 février 2005, la société Groupe Entreprendre sur le fondement de la contrefaçon et de la concurrence déloyale et, cette dernière ayant assigné Monsieur H. en garantie, la société CNM a également formé des demandes à son encontre.

Par le jugement entrepris, le tribunal a :
– dit qu’en utilisant sans l’autorisation de la société CNM les photographies diffusées sur le site internet www.carandmodel.com pour les besoins de la revue ”Tuning Magazine », Monsieur H. a commis des actes de contrefaçon, de concurrence déloyale au préjudice de la société CNM,
– condamné Monsieur H. à payer à la société CNM la somme de 1500 € à titre de dommages et intérêts,
– dit n’y avoir lieu d’ordonner l’exécution provisoire,
– débouté la société CNM de ses demandes à l’encontre de la société Groupe Entreprendre,
– débouté les parties de leurs demandes respectives plus amples ou contraires à la décision,
– condamné Monsieur H. à payer à la société CNM une indemnité de 1500 € au titre de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.

Par ses dernières conclusions du 5 octobre 2007, la société CNM prie la cour de :
– confirmer par le jugement sur la condamnation de Monsieur H. au titre de la contrefaçon,
– l’infirmer sur le rejet de la responsabilité de la société Groupe Entreprendre au titre de la contrefaçon,
– condamner in solidum Monsieur H. et la société Groupe Entreprendre à verser la somme de 181 098 € de dommages et intérêts à la société CNM (60 366 € au titre de l’atteinte au droit de reproduction, 60 366 € au titre de l’atteinte au droit de représentation et 60 366 € au titre de l’atteinte au droit moral),
– infirmer le jugement sur le rejet de l’action de la société CNM sur le fondement de la concurrence déloyale et du parasitisme,
– dire que la société Groupe Entreprendre et Monsieur H. ont commis des actes de concurrence déloyale, de parasitisme et de négligence,
– constater le caractère fautif de ces actes, et le préjudice qui en est résulté pour la société CNM,
– les condamner in solidum au titre de leur responsabilité délictuelle à lui verser la somme de 181 098 € de dommages et intérêts (60 366 € au titre de la concurrence déloyale, 60 366 € au titre du parasitisme, 60 366 € au titre de la négligence),
– confirmer le jugement sur la condamnation de Monsieur H. au titre de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile et aux dépens,
– condamner in solidum la société Groupe Entreprendre et Monsieur H. à payer à la société CNM la somme de 4500 € au titre de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile,
– les condamner in solidum aux entiers dépens de première instance et d’appel dont le montant pour ceux la concernant pourra être recouvré par la SCP Petit Lesenechal, avoué, conformément aux dispositions de l’article 699 du nouveau Code de procédure civile.

Par conclusions du 25 octobre 2007, Monsieur H. demande à la cour de :
– réformer le jugement en ce qu’il a retenu qu’il était coupable de contrefaçon au préjudice de la société CNM et l’a condamné à payer à cette société la somme de 4500 € à titre de dommages et intérêts, des frais irrépétibles et des dépens,
– le confirmer pour le surplus,
– condamner la société CNM au paiement de la somme de 4000 € au titre de l’article
700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu’aux dépens de première instance et d’appel.

Par ses dernières conclusions du 25 octobre2007, la société Groupe Entreprendre invite la cour à :
– rejeter l’appel formé par la société CNM et l’en débouter, ainsi que de toutes ses demandes, fins et conclusions,
– subsidiairement, réduire à de plus justes proportions les demandes de la société CNM, dans ce dernier cas, confirmer le jugement en ce qu’il a condamné Monsieur H. à verser les sommes correspondantes à l’appelante,
– à titre très subsidiaire, si la cour venait à la condamner, condamner Monsieur H. à la garantir de toute condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre en principal, intérêts et frais,
– en tout état de cause, condamner la société CNM à verser à la société Groupe Entreprendre une indemnité de 3500 € sur le fondement de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel.

DISCUSSION

Considérant que la société CNM fait grief aux premiers juges d’avoir écarté la responsabilité de la société Groupe Entreprendre dans les actes de contrefaçon reprochés, faisant en substance valoir que le fait de sous traiter la réalisation des magazines à Monsieur H. ne l’exonère en rien de sa propre responsabilité qui était de s’assurer de la réalité de l’autorisation de l’auteur pour publier les photographies incriminées ;

Considérant que Monsieur H. soutient que, contrairement à ce qui est affirmé par la société appelante, celle-ci lui avait donné l’autorisation de reproduire les photographies en cause et conteste également le nombre de photographies litigieuses invoquées (126 et non 189) ;

Considérant que la société Groupe Entreprendre estime, pour sa part, qu’elle a justement été mise hors de cause par le tribunal, n’ayant aucune responsabilité dans les actes litigieux incriminés ;

Considérant, cela exposé, que ni la qualité de titulaire des droits d’auteur de la société CNM ni l’originalité des photographies incriminées ne sont contestées ; que Monsieur H. prétend avoir reçu l’autorisation de les reproduire, selon un courriel qu’il n’a pas conservé, et que l’accord ainsi donné se déduit également de l’absence de réaction de la société CNM après envoi du n°3 de la revue en deux exemplaires à cette société et après envois des autres numéros à Monsieur G. (qui travaille pour la société Vision Entertainment organisatrice d’événement en liaison avec la société appelante), ainsi que de la parution de plusieurs photographies avec mention du nom de “Car and model”, ce qu’il n’aurait pas fait s’il n’avait pas eu l’autorisation ;

Mais considérant que le tribunal a par des motifs pertinents que la cour fait siens retenu qu’en l’absence de tout document de nature à prouver l’existence d’une autorisation de la société CNM, la publication des photographies litigieuses constituait des actes de contrefaçon ; qu’en effet, le défaut de protestation à des publications qui auraient été envoyées à CNM et à un tiers, Monsieur G. dont les liens avec la société CNM ne sont pas établis, ne saurait être interprétée comme une acceptation tacite des publications ; que le jugement qui a condamné Monsieur H. pour contrefaçon sera confirmé ;

Qu’il sera cependant infirmé en ce qu’il a retenu que la contrefaçon ne portait que sur 50% des photographies incriminées, ayant à tort estimé que celles sur lesquelles apparaissaient le nom Car and Model et le logo “C&M”, ne devaient pas être prises en compte alors qu’il n’est pas davantage justifié d’une autorisation sur ces photographies ; qu’en outre, contrairement à ce qui est prétendu par Monsieur H., la société CNM démontre, en versant aux débats les numéros 3, 4, 5 et 6 du magazine “Tuning” que 189 photographies ont été reproduites ;

Considérant que la société Groupe Entreprendre, société éditrice de la revue « Tuning Magazine” est, en cette qualité, responsable du contenu des articles et des photographies qui y sont intégrées ; qu’elle ne saurait, à l’égard de la victime de la contrefaçon, s’exonérer de sa responsabilité du seul fait qu’elle a fait réaliser la revue en cause par un sous-traitant, en l’occurrence, Monsieur H. que le jugement qui I’a mise hors de cause sera en conséquence infirmé de ce chef ;

Considérant que la société CNM critique le jugement qui l’a déboutée de ses demandes en concurrence déloyale et parasitisme ; qu’elle invoqué en appel l’existence d’un comportement fautif tenant à :
– des actes de concurrence déloyale caractérisés par le risque de confusion dans l’esprit du public, faisant croire qu’un partenariat existait entre les deux sociétés et, ce faisant, détournant la clientèle du site “Car and Model”, ajoutant que les deux sociétés sont en situation de concurrence, étant toutes deux éditrices, l’une, sur support internet et l’autre, sur support papier,
– des actes parasitaires, la société Groupe Entreprendre et Monsieur H. ayant bénéficié de manière gratuite, de son travail,
– des actes de négligence, car la société Groupe Entreprendre aurait dû s’assurer de l’autorisation des droits sur les photographies communiquées par Monsieur H. ;

Mais considérant que le magazine Tuning Magazine, qui comporte une centaine de pages est essentiellement constitué de photographies ; que celles qui ont été reproduites par la société Groupe Entreprendre n’en représente qu’une infime partie ; qu’elles ne sont pas mises en valeur par rapport aux autres photographies qui y sont insérées de telle sorte que, contrairement à ce qui est soutenu, le public ne peut risquer de confondre les produits et les deux entreprises et être détourné de la consultation du site internet de la société appelante pour acheter le magazine, étant, au surplus, observé que le site de la société Car and Model est en anglais alors que la revue s’adresse à un public de langue française ;

Considérant, par ailleurs, qu’aucun élément autre que celui de la reproduction sans autorisation, qui est déjà retenue au titre de la contrefaçon ne permet d’affirmer que les intimées auraient par un comportement parasitaire tiré profit du travail de la société appelante ; qu’il est constant que par lui-même un acte de contrefaçon qui consiste dans la reproduction de l’oeuvre d’autrui comprend intrinsèquement un comportement parasitaire puisqu’il est tiré profit du travail accompagnant la création et son exploitation, élément qui est pris en compte dans l’appréciation du préjudice causé par les actes de contrefaçon ;

Considérant, enfin, que la faute de négligence reprochée à la société Groupe Entreprendre a déjà été prise en compte au titre de la contrefaçon ; qu’en effet, en la reconnaissant responsable des actes de contrefaçon en sa qualité d’éditeur de la revue, sa négligence a déjà été retenue dès lors qu’il a été dit qu’elle aurait dû s’assurer de ce que les photographies publiées étaient libres de droits ;

Considérant, en conséquence, que le jugement qui avait rejeté les demandes fondées sur les dispositions de l’article 1382 du Code civil sera confirmé ;

Considérant sur le montant des dommages et intérêts que la société appelante fait essentiellement grief aux premiers juges de n’avoir pas suffisamment pris en compte son préjudice tant patrimonial que moral, ayant refusé d’appliquer le barème de l’Union des Photographes Créateurs (UPC) qui ne concernerait que les photographies d’art ;

Mais considérant que les barèmes versés aux débats par les parties (Monsieur H. ayant produit le barème de la chambre syndicale des photographes de presse) n’ont qu’un caractère indicatif ; que c’est donc exactement que le tribunal a apprécié le préjudice subi par référence au nombre de pages concernées par les reproductions en cause et au nombre d’exemplaires du magazine diffusé ; que toutefois, étant donné que la contrefaçon porte sur la totalité des photographies et non pas sur 50%, la cour estime que le préjudice tant patrimonial que moral (le nom n’ayant pas été systématiquement indiqué et les photographies ayant été reproduites avec des modifications) sera exactement réparé par la somme globale de 7000 € ; que le jugement sera infirmé sur ce point ;

Considérant que la société Groupe Entreprendre demande à être garantie par Monsieur H. ; qu’elle ne se réfère cependant à aucune clause contractuelle et ne démontre pas s’être assuré auprès de son sous-traitant de ce qu’il avait l’autorisation de reproduire les photographies ; que dès lors qu’elle ne démontre pas que son sous-traitant aurait à son égard commis une faute, elle ne saurait, en l’absence de clause de garantie contractuelle, être garantie de son propre comportement fautif ; que cette demande sera rejetée ;

Considérant que l’équité commande d’allouer à la société appelante la somme supplémentaire de 2000 € au titre des frais d’appel non compris dans les dépens ;

Considérant que les dépens seront supportés in solidum par les intimés ;

DECISION

Par ces motifs :

. Confirme le jugement sur la contrefaçon sauf sur la mise hors de cause de la société Groupe Entreprendre SA et sur le montant des dommages et intérêts ;

. L’infirmant de ces chefs, statuant à nouveau et ajoutant,

. Dit que la société Groupe Entreprendre SA a commis des actes de contrefaçon au préjudice de la société CNM Media Limited Liability Company ;

. La condamne in solidum avec Monsieur H. à payer la somme totale de 7000 € à titre de dommages et intérêts à la société CNM Media Limited Liability Company ;

. Condamne en conséquence la société Groupe Entreprendre SA in solidum avec Monsieur H. à payer la somme de 1500 € fixée par les premiers juges au litre de l’article 700 du nouveau Code de procédure ainsi que la somme complémentaire de 2000 € sur ce fondement pour les frais d’appel non compris dans les dépens ;

. Rejette toutes autres demandes ;

. Condamne in solidum Monsieur H. et la société Groupe Entreprendre SA aux entiers dépens ;

. Autorise la SCP Petit Lesenechal, avoué, à recouvrer les dépens d’appel conformément aux dispositions de l’article 699 du nouveau Code de procédure civile.

Le tribunal : M. Girardet (président), Mme Regniez et M. Marcus (conseillers)

Avocats : Me Arnaud Dimeglio, Me Christophe Laverne, Me Francis Duringer

 
 

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