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Jurisprudence : Jurisprudences

mardi 26 septembre 2017
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TGI de Paris, ordonnance de référé du 19 juillet 2017

Monsieur X. / Monsieur Y.

contournement - cyber-harcèlement - infractions de presse - loi du 29 juillet 1881 - publication répétée - référé

Vu l’assignation en référé délivrée le 8 février 2017 à Monsieur Y. par Monsieur X., lequel nous demande, au visa des articles 809 du code de procédure civile et 222-33-2-2 du code pénal de bien vouloir juger que :

– les 18 articles mentionnés ci-après, tous publiés sur internet sur le blog « https://… » constituent un trouble manifestement illicite qu’il convient de faire cesser,

• « La marquise chambre « Bisque, bisque, basque » du 12 février 2016 »
• « mais fermez donc votre clapet » du 12 mars 2016
• « La sem’haine du … et son étonnante recrue » du 19 mars 2016
• « les inconpédants sont de sortie » du 23 mars 2016
• « Monsieur X. recycle ses intégristes et pille les journalistes » du 13 avril 2016
• « Monsieur X. fait marrer tout le monde…même L.! »
• « Derrière le pauvre pêcheur, le réel prédateur » du 27 avril 2016
• « C. W. à la Semaine » du 29 avril 2016
• « L. : Monsieur X. n’aura plus un sou » du 2 mai 2016
• « La Semaine a une bonne descente » du 30 mai 2016
• « A la Semaine, on ne paie plus les salaires » du 16 juin 2016
• « Monsieur X., le naufrageur qui se sauvegarde » du 27 juin 2016
• « Trois ans et toutes ses dents » du 8 septembre 2016
• « Les pieds nickelés au tribunal » du 14 septembre 2016
• « ne l’appelez plus qu’Alexcendres » du 17 septembre 2016
• « Et maintenant le programme Picrate contre articles » du 26 septembre 2016
• « Pas de racisme, pas d’intégrisme, de l’amour et de l’humour » du 3 octobre 2016
• « Une marquise plus dans l’indiscrétion que dans l’attaque en piqué » du 3 octobre 2016

– ordonner à Monsieur Y. de les supprimer sous astreinte dans les 8 jours à compter de la signification de l’ordonnance,

– à titre subsidiaire, ordonner à Monsieur Y. de procéder sous astreinte dans les 8 jours à compter de la signification de l’ordonnance à leur désindexation, de manière à ce qu’ils n’apparaissent plus dans les résultats des moteurs de recherche à partir des mots-clés « Monsieur X. »,

– en tout état de cause, condamner Monsieur Y. à lui payer la somme de 5000 euros à titre de provision à valoir sur dommages en intérêts et celle de 3000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens ;

Vu les conclusions déposées à l’audience du 6 juin 2017 par le conseil du défendeur, qui nous demande de :

– nous déclarer territorialement incompétent au profit du juge des référés du tribunal de grande instance de Bayonne,

– prononcer sinon la nullité de l’assignation pour défaut de mention du nom patronymique et de l’adresse véritable du demandeur,

– à titre plus subsidiaire, débouter le demandeur dans la mesure où l’action entreprise relève de la loi sur la presse et où l’existence d’un délit de harcèlement n’est pas démontrée,

– condamner le demandeur à lui payer une provision de 1000 euros pour procédure abusive ainsi que la somme de 6000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– le condamner aux dépens ;

Vu les conclusions récapitulatives déposées à l’audience du 6 juin 2013 par le conseil du demandeur, qui maintient ses demandes initiales, en portant à 10.000 euros le montant demandé à titre de provision sur dommages et intérêts ;

Vu les observations orales présentées par les conseils des parties ainsi que par Monsieur Y. lors de l’audience, à l’issue de laquelle il leur a été indiqué que la décision serait rendue le 7 juillet 2017 par mise à disposition au greffe des référés à partir de 15 heures, le délibéré ayant été prorogé au 19 juillet 2017.

*

LES FAITS

Monsieur X., propriétaire et directeur de publication de l’hebdomadaire A, a acquis en 2009 l’hebdomadaire B, diffusé dans le pays basque.

Il a été contacté quelques mois après cette acquisition par Monsieur Y., journaliste, ayant notamment travaillé pour le journal C. et le journal D et son offre de collaboration a été acceptée en mai 2012.

A partir de mai 2013, les relations entre les deux hommes se sont détériorées, Monsieur Y. estimant, selon le demandeur, que celui-ci ne respectait pas la déontologie journalistique, notamment en voulant imposer aux journalistes un logiciel « totalement irrespectueux » de leur travail.

Après avoir publié un dernier billet dans l’édition du 14 juin 2013, Monsieur Y. a décidé de ne plus collaborer à l’hebdomadaire B et a ouvert le 10 juillet 2013 son propre blog, « https://… ».

Le 12 avril 2014, il a témoigné contre Monsieur X. dans une affaire prud’homale opposant celui-ci à l’ancien rédacteur en chef de l’hebdomadaire A, lui reprochant d’être « quelqu’un qui méprise les journalistes et qui ne respecte pas la convention collective de la profession » et faisant allusion aux « logiciels piratés ou autres joyeusetés de la maison ».

Dans le courant de l’année 2016, l’hebdomadaire B a connu des difficultés financières et le titre a été cédé à la suite d’un jugement du tribunal de commerce de Bayonne du 3 octobre 2016.

A partir de février 2016, Monsieur Y. a publié une série d’articles -dix-huit en huit mois- consacrés à Monsieur X., et notamment à ses convictions religieuses supposées, au caractère opaque de ses montages économiques et financiers ou à ses manquements au droit du travail.

C’est dans ce contexte que, souhaitant, aux termes mêmes de l’assignation délivrée, que « son préjudice de réputation cesse », Monsieur X. a entrepris la présente action.

*

DISCUSSION

Sur la nullité de l’assignation :

Le conseil du défendeur, arguant de ce que le demandeur se nomme non pas Monsieur X., comme indiqué dans l’assignation, mais Monsieur LX., et de ce que son adresse exacte n’est pas celle figurant dans l’acte, à savoir … à Paris, mais … à Saint-Jean-de-Luz, soutient, au visa de l’article 648 du code de procédure civile, qui dispose que l’acte d’huissier de justice doit comporter les nom, prénom, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance du requérant, que l’assignation serait nulle de ce chef, au motif que ces erreurs ou omissions sont de nature à lui porter préjudice, dans l’hypothèse notamment où son client serait amené à recouvrer les sommes qui lui seraient allouées au titre de l’article 700 du code de procédure civile, procédure qui serait vouée à l’échec si elle était effectuée à l’endroit de Monsieur X. et non de Monsieur LX et à une adresse de surcroît inexacte.

Il affirme également que l’assignation encourrait l’annulation dès lors que, contrairement à l’article 56 du code de procédure civile, cet acte n’aurait été précédé d’aucune diligence pour parvenir à la résolution amiable du litige.

Sur le premier point, il convient de relever qu’il résulte des éléments et pièces versés par le demandeur et notamment des photocopies de sa taxe d’habitation ou de factures internet, ainsi que de son relevé d’identité bancaire ou d’articles de presse, qu’il est bien connu sous l’identité et à l’adresse mentionnées dans l’assignation et que, partant, il n’est pas démontré que les carences alléguées portent grief au défendeur.

Sur le second point, il y a lieu de souligner qu’aux termes mêmes de l’article 56 précité, l’obligation alléguée ne trouve pas à s’appliquer en matière de référé, le texte dudit article prenant soin de préciser « sauf justification d’un motif légitime tenant à l’urgence ».

Les moyens tendant à l’annulation de l’assignation doivent, par conséquent, être rejetés.

Sur l’exception d’incompétence territoriale :

Selon le défendeur, le tribunal de céans serait territorialement incompétent pour juger de ce litige, le demandeur comme le défendeur étant tous deux domiciliés dans le ressort du tribunal de grande instance de Bayonne et le demandeur n’ayant saisi la juridiction des référés parisienne que pour faire supporter des frais à son contradicteur.

Cette argumentation ne saurait toutefois prospérer, dans la mesure où les écrits de Monsieur Y. ayant tous été publiés sur internet et étant, ainsi, accessibles sur l’ensemble du territoire français, Monsieur X. pouvait parfaitement saisir le juge des référés de Paris.

L’exception d’incompétence territoriale doit, partant, être rejetée.

Sur le fondement juridique erroné de l’assignation :

Il est soutenu par le conseil du défendeur que l’action entreprise par Monsieur X. repose sur un fondement erroné, la finalité réelle de cette procédure prétendument pour harcèlement étant de faire sanctionner des abus de la liberté d’expression, qui ne peuvent l’être qu’au regard des dispositions de la loi du 29 juillet 1881.

De fait, il ressort de l’assignation délivrée à Monsieur Y. que sous couvert d’invoquer un trouble manifestement illicite engendré par le harcèlement dont il ferait l’objet, en raison de la multiplicité des articles qui lui sont consacrés et de leur teneur, Monsieur X. tend, en réalité, à faire sanctionner les abus de liberté d’expression dont Monsieur Y. se serait rendu coupable, ainsi que le prouve l’ensemble de l’assignation, qui s’attache à dénoncer les appréciations critiques portées par l’auteur des propos à son encontre -à titre d’exemples, non exhaustifs, « Monsieur X (étant) personnellement critiqué, moqué, injurié par le défendeur dans tous les articles qui le concernent. Monsieur Y. méprise le fait qu’il soit catholique pratiquant et porte une particule », l’auteur employant une « expression particulièrement méprisante » , dressant « un portrait sarcastique très méprisant et peu élogieux de Monsieur X. », « jet(ant) l’opprobre sur le demandeur », l’accusant d’être « l’auteur ou le complice de contrefaçon de droit d’auteur et de pratiques douteuses voire illicites », tenant des « propos haineux et injustifiables », se livrant à un « commentaire méprisant », présentant Monsieur X. « comme un menteur soutenant l’intégrisme religieux, voire, indirectement, les camps de travail forcé et les exécutions sommaires », l’accusant de véhiculer « une image globale…très négative », de violer le droit du travail, d’avoir essayé de « duper le tribunal sur l’offre de reprise », ou d’être « à l’origine d’un détournement d’argent russe portant sur une somme de 100.000 euros »-.

Dans ces conditions, il y a lieu d’estimer n’y avoir lieu à référé, Monsieur X. ne pouvant contourner le régime instauré par la loi du 29 juillet 1881 pour faire sanctionner les écrits publiés sur le blog de Monsieur Y., aussi virulents et désagréables que soient les propos incriminés à son encontre.

Sur les demandes relatives à l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens :

En l’espèce, il apparaît justifié de condamner Monsieur X. à verser au défendeur la somme de 3000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Il y a lieu, par ailleurs, de rejeter sa propre demande sur ce fondement ainsi que de le condamner aux dépens de l’instance.

Sur la demande de Monsieur Y. tendant à l’octroi d’une provision de 10.000 euros pour procédure abusive :

Cette demande sera rejetée, le défendeur ne démontrant pas de manière convaincante le caractère abusif de la procédure engagée à son encontre.

*

DÉCISION

Statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par ordonnance contradictoire et en premier ressort,

Rejetons les exceptions aux fins de nullité de l’assignation soulevées par Monsieur Y. ;

Rejetons l’exception aux fins d’incompétence territoriale soulevée par Monsieur Y. ;

Disons n’y avoir lieu à référé ;

Déboutons Monsieur X. de l’ensemble de ses demandes ;

Condamnons Monsieur X. à verser à Monsieur Y. la somme de 3000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens de l’instance ;

Rejetons le surplus des demandes de Monsieur Y.


Le Tribunal :
Fabienne Siredey-Garnier (vice-présidente), Brigitte Faillot (greffier)

Avocats : Me Romain Darriere, Me Jean-Benoît Saint Cricq

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