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Jurisprudence : Marques

jeudi 29 janvier 2009
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Tribunal de grande instance de Nanterre 1ère chambre Jugement du 17 avril 2008

Laurent P. / Nestlé Waters

marques

FAITS ET PRETENTIONS

Laurent P. est propriétaire des marques « Chron ‘eau » déposées le 20 août 1997 pour les classes 16 (étiquette en papier) et 32 (eaux minérales, gazeuses et autres boissons non alcooliques (numéro 97692305), le 11 mai 1998 (numéro 98 732 536) et auprès de l’Ompi le 23 octobre 1998 (703778), toujours pour les classes 16 et 32.

Il a développé, dans le cadre de son activité professionnelle, un projet de mieux-être centré autour de l’eau et de la marque « Chron ‘eau ».

Il a contacté la société Nestlé Waters, en sa qualité d’entreprise distributrice d’eau, en avril 2004.

Laurent P. et la société Nestlé Waters ont signé le 6 juin 2004 un engagement de confidentialité aux termes duquel la société Nestlé Waters s’engageait à « [s’]interdire de la manière la plus absolue de divulguer, diffuser, copier les informations confidentielles en rapport avec le concept […] présenté ».

Il était également précisé que :
« pour les besoins du présent engagement, seront considérés comme informations confidentielles :
1- toutes les informations de quelque sorte qu‘elles soient, ayant trait au projet.
2- toutes les études, analyses et autres documents en rapport avec le concept de L. P. qui auront été remis à la société Nestlé Waters. »

Aucun partenariat n’a finalement été conclu entre les parties à l’engagement.

Par acte en date du 30 mai 2007, Laurent P. a assigné la société Nestlé Waters devant ce Tribunal aux fins, à titre principal, de voir interdire à la défenderesse de poursuivre l’exploitation de « Chron ‘eau » à quelque titre que ce soit, sous astreinte de 500 € par infraction constatée et de la voir condamnée à payer la somme de 350 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices subis, reprochant à la défenderesse la contrefaçon des marques « Chron ‘eau » n°97692305, 98732536 et 703778.

Par conclusions récapitulatives signifiées le 15 février 2008, Laurent P. demande la condamnation de la société Nestlé Waters à lui payer la somme de 350 000 € à titre de dommages et intérêts outre 5000 € au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile.

Il sollicite en outre l’exécution provisoire de la présente décision, la publication de la présente décision aux frais de Nestlé Waters dans trois journaux de son choix, chaque insertion ne pouvant excéder une somme de 2000 €.

Il allègue :
– qu’il a acquis une renommée certaine, en sa qualité de kinésithérapeute ;
– qu’afin d’optimiser le développement commercial de son concept, il a contacté la société Nestlé Waters ; qu’ils ont signé un engagement de confidentialité ; qu’aucun partenariat n’ayant été conclu, il a choisi de développer son concept par d’autres moyens ;
– qu’il a appris que la société défenderesse exploitait commercialement une marque identique, « Chron ‘eau », accompagnée d’une représentation graphique très proche ;
– qu’eu égard au poids de la défenderesse dans le secteur et à l’impact négatif sur le projet du fait de son utilisation par cette dernière, ses partenaires se sont désengagés ; qu’il n’a pas eu les moyens de poursuivre seul le financement de son activité ;
– qu’il établit, par un procès-verbal d’huissier, que la défenderesse utilisait et reproduisait sa marque nominative sur son site internet et se livrait à une copie quasi servile de l’élément graphique de sa marque ; qu’elle s’est rendue coupable de contrefaçon ;
– qu’en outre, elle n’a pas respecté son engagement de confidentialité ;
– qu’en exploitant directement, sur son site, cette marque, la société Nestlé Waters savait qu’elle porterait un coup d’arrêt à son projet ;
– qu’il verse aux débats les correspondances émanant des divers associés ou partenaires ; qu’il avait signé une promesse de vente pour l’achat d’un terrain aux fins de construction d’un centre « Chron ‘eau » ;
– que son préjudice est considérable ;
– que la valeur du constat d’huissier ne saurait être remise en cause en ce que les exigences alléguées par la défenderesse pour l’établissement des procès-verbaux ne sont en réalité que des précautions facultatives ;
– qu’il est hors de propos de discuter de l’originalité ou de la nouveauté de la méthode qu’il a mise au point afin de mincir en régulant sa consommation d’eau, mais bien de constater la contrefaçon des marques nominatives et semi-figuratives régulièrement déposées ;
– que l’utilisation de la marque « Chron ‘eau » date, selon les écritures de la défenderesse, de 2001, or il a déposé les marques litigieuses en 1997 et 1998 ; qu’il ne comprend pas pourquoi, si la défenderesse pensait être en droit de procéder à une telle diffusion, elle a accepté de le rencontrer et de signer avec lui une clause de confidentialité ;
– que le site internet reproduit le terme « chron ‘eau » mais aussi la gradation, soit un élément semi-figuratif ;
– que la défenderesse a utilisé cette marque comme « marque d’appel » pour la vente de ses produits ;
– que tous les partenaires et associés se sont retirés du projet après avoir appris la présence de la marque « chron ‘eau » sur le site Nestlé Waters.

Dans ses dernières conclusions signifiées le 5 février 2008, la société Nestlé Waters sollicite que le procès verbal établi le 31 janvier 2006 par Maître Christian Banet soit annulé et qu’en conséquence Laurent P. soit débouté de l’ensemble de ses demandes.

A titre reconventionnel, elle sollicite sa condamnation à lui payer la somme de 10 000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile.

Elle allègue :
– que dans son constat du 31 janvier 2006, aucune des formalités obligatoires permettant de s’assurer de manière certaine de la réalité de la diffusion des informations n’a été respectée ; que ces règles dégagées par la jurisprudence sont impératives ;
– qu’aucune pièce versée aux débats, en dehors du procès-verbal, ne vient démontrer avec certitude que la société Nestlé aurait utilisé la dénomination «Chron ‘eau » sur son site internet ;
– qu’elle démontre l’utilisation de la dénomination litigieuse avant la signature de l’accord de confidentialité ;
– qu’elle n’a pas divulgué le concept de Laurent P., objet de l’accord ;
– qu’il semblerait que le demandeur ait cédé ses marques en cours d’instance, de sorte qu’il est permis de douter de sa qualité pour agir ;
– qu’elle n’a repris, tout ou plus (à supposer le procès verbal valable) que la dénomination verbale et non les éléments figuratifs ;
– qu’il n’y a pas identité de produits en ce que la marque a été utilisée pour un écran de veille et non pour des étiquettes en papier, eaux gazeuses et autres boissons non alcooliques, classes 16 et 32, objets du dépôt de Laurent P. ;
– que la pratique de la marque d’appel n’est pas caractérisée en l’espèce ;
– qu’elle ne saurait être tenue responsable de la non réalisation du projet du demandeur ; que l’existence d’un économiseur d’écran est un prétexte facile pour tenter de lui faire supporter les conséquences de l’échec de son projet.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 18 février 2008.

DISCUSSION

Sur l’intérêt à agir

L’intérêt au succès ou au rejet d’une prétention au sens de l’article 31 du Code de Procédure Civile s’apprécie au jour de l’introduction de la demande en justice.

S’agissant de la seule question de recevabilité, il importe donc peu que Laurent P. ait cédé les marques dont il était propriétaire dans la mesure où il n’est pas contesté que ladite cession en date du 22 octobre 2007 est postérieure à l’introduction de la présente instance par acte extra judiciaire du 30 mai 2007.

En outre, Laurent P. sollicite l’indemnisation d’un préjudice qui lui est personnel.

Son action est donc recevable.

Sur la validité du procès verbal de constat du 31 janvier 2006

La contrefaçon implique une communication de la marque litigieuse au public.
Dès lors, s’agissant d’une utilisation d’une marque sur internet, il importe de démontrer que les pages litigieuses étaient accessibles à tous sur ce réseau au jour du constat.
Les constatations de l’huissier doivent démontrer les diligences et constatations techniques en ce sens.

En l’espèce, le procès verbal litigieux, très succinct (une seule page est relative aux constatations) ne contient aucune description du matériel utilisé, ni aucune vérification de la synchronisation de l’horloge interne.

Il ne précise pas non plus l’adresse IP du matériel qui permet pourtant d’identifier un matériel sur le réseau internet et de vérifier au moyen du journal des connexions du serveur interrogé la réalité des pages consultées.

L’huissier n’indique pas non plus s’il a vidé la mémoire cache de l’ordinateur, ni s’il a vérifié si la connexion internet se faisait par un serveur proxy – c’est-à-dire un ordinateur intermédiaire – éléments pourtant nécessaires pour déterminer, avec certitude, l’origine des informations recueillies, qui peuvent provenir, en l’absence de toute vérification, de l’ordinateur lui-même ou d’un ordinateur intermédiaire, alors même que l’accès aux pages web cibles n’existeraient en réalité pas, ou plus.

L’absence de ces mentions ne permet donc pas de vérifier la provenance des informations recueillies, ni leur actualité au jour du constat, privant ainsi cet acte de toute force probante.

Il y a lieu, non d’annuler le procès verbal, mais de constater qu’il est dépourvu de toute force probante.

Sur la demande principale

Aux termes de l’article L713-2 du Code de la Propriété Intellectuelle :
« Sont interdits, sauf autorisation du propriétaire :
a) La reproduction, l’usage ou l’apposition d’une marque, même avec l’adjonction de mots tels que : « formule, façon, système, imitation, genre, méthode”, ainsi que l’usage d’une marque reproduite, pour des produits ou services identiques à ceux désignés dans l’enregistrement ;
b) La suppression ou la modification d’une marque régulièrement apposée. »

Laurent P. fait état de la diffusion sur le site internet d’un économiseur d’écran faisant usage de la marque « Chron ‘eau » comme « marque d’appel ».

Il allègue que la société défenderesse a engagé sa responsabilité au titre :
– des actes de contrefaçons de la marque dont il était propriétaire ;
– du non-respect de son engagement de confidentialité.

Sur la contrefaçon

La société Nestlé Waters a contesté à juste titre le procès verbal établissant la preuve de la diffusion, ainsi qu’il a été relevé précédemment.

Il n’en demeure pas moins qu’elle fait également état du fait que, selon ses archives, « l’écran de veille » a été créé le 20 Septembre 2001, soit antérieurement à l’accord de confidentialité mais postérieurement au dépôt par Laurent P. des marques.

En tout état de cause, elle produit elle-même un CD rom contenant l’écran de veille litigieux.

Elle reconnaît ainsi implicitement mais nécessairement son existence.

II y a donc bien lieu d’examiner, au fond, les demandes de Laurent P. au titre de la contrefaçon qui invoque à ce titre, exclusivement les dispositions de I’article L 713-2 précitées.

En l’espèce, les marques déposées par Laurent P. sont des marques semi-figuratives qui comprennent la dénomination verbale « Chron ‘eau » ou « Chroneau » (97692305 et 98732536) avec le dessin d’une graduation verticale, sous la forme d’une étiquette apposée sur une bouteille de type «eau minérale» (98732536 et 703
778).

Or, l’écran de veille de la société défenderesse, au vu des pièces versées aux débats, représente sous l’intitulé « Chron ‘eau », certes une graduation mais sous la forme spécifique d’un cadran composé de gouttes d’eau soit une graduation circulaire et nullement verticale, comme la marque déposée par Laurent P.

En tout état de cause, les marques de Laurent P. ont été déposées pour les classes 16 et 32 « étiquettes en papier, eaux minérales, gazeuses et autres boissons non alcooliques ».

Or, la dénomination litigieuse a été utilisée par la défenderesse pour désigner un « écran de veille », soit un logiciel, relevant de la classe 42.

Il n’y a donc pas non plus identité des produits.

Enfin, Laurent P. reproche à la société Nestlé Waters d’avoir utiliser la marque « chron ‘eau » comme une marque dite «d’appel».

Cependant, il est constant que le terme « Chron ‘eau » n’a jamais été utilisé par la défenderesse comme nom de domaine, mais uniquement dans la rubrique « cadeaux ».

Aucun lien direct n’est établi entre ledit « écran de veille » et la commercialisation des produits Nestlé spécifiques auquel il ne renvoyait pas expressément.

Dès lors, les actes de contrefaçons ne sont nullement établis.

Laurent P. sera débouté de ses demandes à ce titre.

Sur l’inexécution de l’engagement de confidentialité

Il résulte de l’article 1147 du Code Civil que le débiteur est condamné s’il y a lieu à des dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée.

Laurent P. se place également sur un terrain contractuel en invoquant un non respect de l’accord de confidentialité conclu entre les parties le 6 juin 2004.

Cependant, comme sa dénomination l’indique, cet accord ne porte que sur des informations confidentielles et non sur la marque litigieuse qui a fait l’objet d’un dépôt et, selon les allégations du demandeur, d’une exploitation effective – et donc publique – exclusive de toute confidentialité.

L’accord ne pouvait donc concerner que sur le seul projet développé par Laurent P. et les documents communiqués lors des discussions.

Or, aucune pièce ne démontre l’existence d’un acte quelconque, en violation de l’accord, de nature à démontrer que la société défenderesse ait exploité ou tenté d’exploiter le concept/projet du demandeur, consistant, selon ses propres allégations, en un procédé de « graduation horaire favorisant la consommation régulière d’eau tout au long de la journée », complété de « protocoles relatifs à l’amélioration de la santé et de la silhouette. », ce qui est sans rapport avec la mise en ligne d’un « économiseur d’écran informatique » aujourd’hui reprochée.

Laurent P. ne démontre donc aucune inexécution par la société Nestlé Waters des clauses de cet accord.

II sera donc débouté de l’ensemble de ses demandes.

Sur l’article 700 du Code de Procédure Civile

Il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Nestlé Waters les frais non compris dans les dépens. Laurent P. sera condamné à lui payer la somme de 3000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile.

Sur l’exécution provisoire

Eu égard au caractère du litige, il n’y a pas lieu à exécution provisoire de la présente décision.

Sur les dépens

Laurent P., partie perdante, sera condamné aux dépens.

DECISION

Par ces motifs,

. Déclare l’action de Laurent P. recevable ;

. Constate que le procès verbal de constat du 31 janvier 2006 est dépourvu de toute force probante ;

. Déboute Laurent P. de l’ensemble de ses demandes ;

. Condamne Laurent P. à payer à la société Nestlé Waters la somme de 3000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;

. Dit n’y avoir lieu à exécution provisoire de la présente décision ;

. Déboute les parties de l’ensemble de leurs autres demandes ;

. Condamne Laurent P. aux dépens.

Le tribunal : Mme Marie-claude Hervé (président), Mme Marianne Raingeard (vice président), M. Laurent Najem (juge)

Avocats : Me Anne Alcaraz, Me Alain Cléry

 
 

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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.