Jurisprudence : Diffamation
Tribunal de grande instance de Paris 17ème chambre correctionnelle Jugement du 7 octobre 2008
SOS Racisme et autres / S.C.C.
blog - condamnation - diffamation - directeur de la publication - internet
PROCÉDURE
Par exploit d’huissier en date du 12 mars 2008 délivré à la requête du procureur de la République, S. C. C. est cité devant ce tribunal sous la prévention :
d’avoir à Paris, le 21 octobre 2006, en tout cas depuis temps non couvert par la prescription, par un des moyens énoncés à l’article 23, en l’espèce par un message diffusé sur internet sur un blog accessible à l’adresse “http://nationde.canalblog.com”comportant les propos suivants :
– Dans la rubrique “Les interviews NatiOnde” – sous le titre “Interview de Kemi Seba” sont visés les passages suivants :
– “Officiellement, mon dernier procès avait trait à de prétendus propos antisémites que j’aurai tenu sur mon site. Mais la réalité est que j’ai tout simplement indexé la mafia sioniste qui est à la base des problèmes de mon peuple en l’accusant notamment, preuve à l’appui, d’être les planificateurs de l’esclavage des africains. Et comme vous vous en doutez, ça n‘a pas plu au juge dont le nom qui sonne très neutre est Mr Bin-Oche. D’ailleurs, toutes les officines sionistes ont participé à ce procès contre moi (SOS Racisme, la Licra, L’UEJF) pensant pouvoir me donner une bonne leçon (…)
(…) De ce fait, malgré que bien évidemment le procès fut gagné par la raclure sioniste, j’ai pu encore une fois tenir mon discours devant des millions de personnes à la télévision, et le lendemain de la fermeture de mon site, en ouvrir un autre connu des gens, tout ça grâce au manque de stratégie de mes ennemis (…) »
“(…) la colère qu’il y a dans les banlieues a depuis 20 ans été canalisée par les officines sionistes, tel que SOS Racisme et compagnie et redirigée vers la cible idéale que représente la droite nationale. J’ai moi même été élevé dans la haine de ceux qui aimaient leur pays, jusqu’à ce que j’ouvre les yeux sur ceux qui nous manipulaient tous, à savoir les sionistes (…)“
“(…) La France est devenue un camp de concentration asphyxiant la dignité raciale de chaque peuple. Chaque famille humaine a le droit de vivre dans son espace vitale, avec les biens qui lui sont propre. Voilà pourquoi les Kémites sont ici. Dès que nous auront obtenu dédommagements des mêmes qui en ont obtenu à Nuremberg, nous repartirons chez nous, (…)“,
lesdits propos contenant l’allégation ou l’imputation de faits de nature à porter atteinte à l’honneur ou à la considération, envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non- appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, en ce qu’il est imputé, sous le terme “sionistes”, aux personnes appartenant à la communauté juive d’exercer une hégémonie pluridisciplinaire en France au détriment des personnes d’origine africaine, d’être les planificateurs de l’esclavage des africains et de manipuler les différentes minorités ethniques à leur profit,
faits prévus et réprimés par les articles 23, 29 alinéa 1, 32 alinéas 2, 4 et 5, 42, 43, 47 et 48 de la loi du 29 juillet 1881.
Appelée pour fixation à l’audience du 15 avril 2008, l’affaire a été renvoyée au 2 septembre 2008, pour plaider.
A cette date, les débats se sont ouverts en présence du prévenu et des conseils des associations SOS Racisme-Touche pas à mon pote, Union des étudiants juifs de France (UEJF) et J’accuse…! Action internationale pour la justice qui se sont constituées parties civiles.
Les débats ont été tenus en audience publique.
Après avoir rappelé les faits et la procédure, le tribunal a procédé à l’interrogatoire du prévenu. Puis il a entendu dans l’ordre prescrit par la loi les conseils des parties civiles en leur plaidoirie et le représentant du ministère public en ses réquisitions, S. C. C. ayant eu la parole en dernier.
A l’issue des débats, l’affaire a été mise en délibéré et les parties ont été informées, conformément aux dispositions de l’article 462, alinéa 2, du code de procédure pénale, que le jugement serait prononcé le 7 octobre 2008.
A cette date, la présente décision a été rendue.
LES FAITS
Le 21 novembre 2006, un service de police signalait au parquet la présence en ligne, sur le site internet accessible à l’adresse http://nationde.canalblog.com, d’un texte publié sous le titre “Interview de Kemi Seba”, daté du 21 octobre 2006 et se présentant comme un entretien accordé par l’intéressé à ce site internet.
Le procureur de la République ordonnait une enquête qui permettait d’entendre S. C. C., dit Kemi Seba, qui reconnaissait avoir répondu par courrier électronique aux questions qui lui étaient posées par les animateurs du site et être l’auteur des propos qui avaient été ensuite mis en ligne sans subir aucune altération.
Les investigations n’aboutissaient en revanche pas à l’identification du directeur de la publication du site internet.
L’entretien était ainsi introduit :
“Kemi Seba Bonjour, bienvenue sur NatiOnde, vous deviez être interviewé sur notre média le samedi 14 octobre 2006, date anniversaire de la création de notre site. Cette interview a été annulée, dû à la censure de notre radio après le passage de Bruno Gollnisch délégué général du Front National qui revenait sur son attaque médiatique.
Rappelons que NatiOnde avait également été désactivé par les “chiens de garde” du système lors de votre premier passage chez nous au mois de juin 2006. Cette interview aura quand même lieu par écris sur notre nouveau blog d’information http://nationde.canalblog.com/.”
Suivait un échange de questions et de réponses.
Les premiers passages poursuivis (ci-après soulignés, le recours aux caractères gras reprenant, en revanche, la typographie utilisée sur le site) constituaient la réponse à la question suivante :
“D‘ailleurs vous êtes un habitué de la Censure, pouvez-vous nous parler de votre dernier procès ?
Officiellement, mon dernier procès avait trait à de prétendus propos antisémites que j‘aurais tenus sur mon site. Mais la réalité est que I‘ai tout simplement indexé la mafia sioniste qui est la base des problèmes de mon peuple en l’accusant notamment, preuve à l’appui d’être les planificateurs de l’esclavage de africains. Et comme vous vous en doutez, ça n‘a pas plu au juge dont le nom qui sonne très neutre est Mr Bin-Oche.
D‘ailleurs, toutes les officines sionistes ont participé à ce procès contre moi (SOS Racisme, la Licra, I‘UEJF), pensant pouvoir me donner une bonne leçon. Mais le problème est que, une fois de plus, leur procès, me donnant une nouvelle exposition médiatique s’est retourné contre eux, les médias ayant largement couvert l’événement. De ce fait, malgré que bien évidemment le procès fut gagné par la raclure sioniste. J’ai vu encore une fois tenir mon discours devant des millions de personnes à la télévision, et le lendemain de la fermeture de mon site, en ouvrir un autre connu des gens, tout ça grâce au manque de stratégie de mes ennemis.
J’ai encore une fois réussi à élargir mon auditoire.”
“Kemi Seba” est ensuite interrogé sur la façon dont il va organiser son action après la dissolution, en conseil des ministres, de l’organisation “Tribu KA”.
L’intéressé répond notamment qu’il prépare “I‘insurrection contre les intérêts de l’esclavagiste moderne qu’est le sioniste (qu’il soit blanc, juif arabe ou noir comme Harlem Désir)”.
Il est ensuite interrogé sur sa prochaine réunion publique, sur le thème “Orienter la rage des Banlieues”.
Il répond :
“Je n‘en dirai pas trop avant la conférence, mais je peux simplement déclarer que la colère qu’il y a dans les banlieues a depuis 20 ans été canalisée par les officines sionistes, tel que SOS Racisme et compagnie, et redirigée vers la cible idéale que représente la Droite nationale.
J’ai moi même été élevé dans la haine de ceux qui aimaient leur pays, jusqu‘à ce que j‘ouvre les yeux sur ceux qui nous manipulaient tous, à savoir les sionistes.
La vérité est que vous n‘êtes pas les ennemis des kémites. Car vous ne voulez pas vivre avec les noirs, mais les kémites (à différencier des nègres) veulent encore moins vivre avec vous. La France est devenue un camp de concentration asphyxiant la dignité raciale de chaque peuple. Chaque famille humaine a le droit de vivre dans son espace vital, avec les biens qui lui sont propres. Voilà pourquoi les Kémites sont ici. Dès que nous aurons obtenu dédommagements des mêmes qui en ont obtenu à Nuremberg, nous repartirons chez nous.”
Sur l’action pénale
Il convient de rappeler que le 1er alinéa de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 définit la diffamation comme “toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l‘honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé”, le dit fait devant être suffisamment précis pour pouvoir faire l’objet du débat sur la preuve de sa vérité organisé par les articles 35, 55 et 56 de la loi, quand bien même le prévenu, comme au cas présent, ne serait pas autorisé par la loi à rapporter cette preuve ce délit, qui est caractérisé même si l’imputation est formulée sous forme déguisée ou dubitative ou par voie d’insinuation, se distingue ainsi aussi bien de l’injure, que l’alinéa 2 du même article 29 définit comme “toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait”, que de l’expression subjective d’une opinion, dont la pertinence peut être librement discutée dans le cadre d’un débat d’idées, mais dont la vérité ne saurait être prouvée. Il résulte des dispositions de l’article 32, alinéa 2, de la même loi, qui fondent la présente poursuite, que le fait imputé doit l’être à une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.
Le prévenu, dans les propos incriminés, comme dans l’ensemble de l’interview, stigmatise ceux qu’il désigne comme les “sionistes”, évoquant, en termes violents, “la mafia sioniste”, “les officines sionistes”, “la raclure sioniste”.
C’est à juste titre que le ministère public soutient qu’il vise en fait les membres de la communauté juive. Rien, en effet, dans son propos, ne permet de comprendre qu’il désignerait les partisans du mouvement politique qui s’est donné pour projet la création puis la consolidation d’un Etat juif en Palestine, partisans qui ne sont pas protégés par les dispositions de l’article 32, alinéa 2, susvisées, alors que cette question n’est abordée à aucun moment.
Au contraire, lorsque le prévenu évoque la responsabilité de la “mafia sioniste” dans l’esclavage africain, il ne peut pas viser les tenants d’un mouvement politique né dans le dernier quart du XIXème siècle, à une époque où les traites négrières avaient presque intégralement disparu.
De même, dans le dernier paragraphe poursuivi, le prévenu multiplie les allusions qui désignent, non pas les partisans du mouvement sioniste, mais le peuple juif :
lorsqu’il évoque les “dédommagements” que les “kémites” -terme qu’il utilise pour désigner les êtres humains à la peau noire- doivent obtenir “des mêmes qui en ont obtenu à Nuremberg”, il se réfère au procès qui s’est tenu dans cette ville en 1945 et 1946 et au cours duquel plusieurs hauts responsables du régime nazi furent jugés pour crimes contre la paix, crimes de guerre et crimes contre l’humanité, au premier rang desquels le génocide du peuple juif, génocide dont le “camp de concentration” fut le lieu principal et qui fut commis au nom de la nécessité d’assurer un “espace vital” à la race aryenne et au peuple allemand.
Dans ces conditions, le prévenu soutient en vain qu’il utiliserait le terme de sionisme pour définir toutes les formes de colonialisme et que, dans sa pensée, le sioniste peut être, comme il le dit à un moment de l’interview, “blanc, juif arabe ou noir”, dès lors qu’il lui était loisible, en utilisant les mots appropriés selon leur sens connu de tous, si tel avait été son réel propos, de dénoncer expressément l’idéologie coloniale et ses partisans de toutes origines.
Il en résulte que le prévenu, en parlant, par précaution, des sionistes, désigne en réalité clairement les membres de la communauté juive, visés non pas au titre d’un quelconque choix politique lié à la création ou au renforcement de l’Etat d’Israël, mais en tant que tels.
Le premier fait précis qui leur est imputé, dans les propos poursuivis, est celui d’avoir planifié l’esclavage des africains. Ainsi que le mentionne lui-même le prévenu, un tel fait est susceptible d’un débat sur la preuve de sa vérité. Il est contraire à l’honneur et à la considération, l’esclavage étant universellement réprouvé et la traite négrière à laquelle il est précisément fait référence ayant constitué un crime contre l’humanité.
Le prévenu accuse par insinuation la communauté juive d’un second fait précis, celui d’avoir voulu et obtenu, en réplique à ses accusations relatives à la responsabilité juive dans l’esclavage africain, sa condamnation injuste pour de “prétendus propos antisémites”, dans le cadre d’un procès auquel ont participé “toutes les officines sionistes” -étant relevé qu’une des organisations qu’il cite à ce titre est l’Union des étudiants juifs de France- et qui était présidé par un juge dont il déforme le nom afin de le présenter comme étant à consonance juive, de sorte qu’il était gagné d’avance.
Le fait est, là encore, précis, étant susceptible d’un débat sur la preuve de sa vérité, et contraire à l’honneur et à la considération, puisque présenté comme une instrumentalisation de la justice sciemment organisée par la communauté juive.
C’est à tort, en revanche, que le ministère public lit dans les propos incriminés une troisième imputation diffamatoire, celle selon laquelle la communauté juive se livrerait à une manipulation des minorités ethniques des banlieues à son profit. Un tel propos ressort, en effet, plus du domaine de l’analyse politique, certes malveillante, mais qui reste, quel que soit l’objectif qui l’anime, dans le champ de la liberté d’expression.
Il y a lieu, en conséquence, d’entrer en voie de condamnation en prononçant contre le prévenu qui, au moment où l’infraction a été commise, n’avait pas de condamnation à son casier judiciaire, une peine d’emprisonnement assortie du sursis simple.
Sur l’action civile
Les associations SOS Racisme-Touche pas à mon pote, Union des étudiants juifs de France (UEJF) et J’accuse…! Action internationale pour la justice qui justifient toutes être régulièrement habilitées par leurs statuts dans les conditions prévues par l’article 48-1 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, seront reçues en leur constitution de partie civile.
Le prévenu sera condamné à payer à chacune d’entre elles un euro à titre de dommages et intérêts.
Il sera, par ailleurs, fait droit à la demande formée par l’UEJF et l’association J’accuse…! aux fins de publication d’un communiqué judiciaire, aux frais du prévenu, dans les conditions fixées au dispositif de la présente décision.
DECISION
Le tribunal statuant publiquement, en matière correctionnelle, en premier ressort et par jugement contradictoire à l’encontre de Stellio C. C., prévenu, à l’égard des associations SOS Racisme-Touche pas à mon pote, Union des étudiants juifs de France (UEJF) et J’accuse…! Action internationale pour la justice, (art. 424 du code de procédure pénale), parties civiles, et après en avoir délibéré conformément à la loi,
. Déclare S. C. C. coupable du délit de diffamation publique envers un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ;
. Le condamne à la peine de 4 mois d’emprisonnement ;
Vu les articles 132-29 à 132-34 du Code pénal :
. Dit qu’il sera sursis totalement à l’exécution de cette peine dans les conditions prévues par ces articles ;
L’avertissement prévu à l’article 132-29 du Code pénal n’a pu être donné au condamné absent au prononcé ;
. Reçoit les associations SOS Racisme-Touche pas à mon pote, Union des étudiants juifs de France (UEJF) et J’accuse…! Action internationale pour la justice en leur constitution de partie civile ;
. Condamne S. C. C. à payer à chacune entre elles un euro à titre de dommages et intérêts ;
. Ordonne la publication, dans un périodique au choix des associations Union des étudiants juifs de France (UEJF) et J’accuse…! Action internationale pour la justice, aux frais du prévenu et dans la limite d’un coût total de 4000 euros, du communiqué judiciaire suivant :
“Par jugement en date du 7 octobre 2008, le tribunal correctionnel de Paris, chambre de la presse, a condamné S. C. C. pour diffamation publique envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, faits commis sur un site internet le 21 octobre 2006, l’a condamné à une peine d’emprisonnement assortie du sursis et à assurer les frais de la présente publication, à la requête de l‘Union des étudiants juifs de France et de l’association J’accuse..! Action internationale pour la justice”.
Le tribunal : M. Nicolas Bonnal (vice-président), Mme Anne-Marie Sauteraud et M. Joël Boyer (vice-présidents)
Avocat : Me Lilti
Cette décision est frappée d’appel.
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