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Jurisprudence : Diffamation

lundi 02 février 2009
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Tribunal de grande instance de Paris 17ème chambre Jugement du 4 décembre 2008

Serge M. / Stéphane Z.

auteur - ayant-droit - courrier électronique - diffamation - injure - internet

PROCEDURE

Par acte en date du 28 avril 2008, Serge M., ayant droit unique d’Antonin Artaud, a fait citer à comparaître devant ce tribunal (17ème chambre correctionnelle -chambre de la presse) pour l’audience du 8 juillet 2008, Stéphane Z. pour y répondre du délit d’injures publiques envers un particulier, prévu et réprimé par les articles 29, deuxième alinéa, et 33, deuxième alinéa, de la loi du 29 juillet 1881 à la suite de la mise en ligne sur le site internet accessible à l’adresse parolesdesjours.free.fr du texte d’un courrier électronique daté du 10 février 2008 et adressé à “pauvre étron”.

Le tribunal a fixé 1000 € le montant de la consignation, qui a été versée le 2 septembre 2008, et a renvoyé l’affaire aux audiences des 2 octobre 2008, pour relais, et 30 octobre 2008, pour plaider.

A cette dernière audience, les parties étaient présentes, assistées par leurs conseils.

Le prévenu a, avant tout débat au fond, soulevé la nullité de la citation aux motifs que l’acte n’aurait pas été notifié au ministère public et qu’il ne précisait pas la qualité d’auteur ou de complice en laquelle il serait recherché ; le ministère public a été entendu en ses observations sur ces incidents et la partie civile y a répliqué, le conseil du prévenu ayant eu la parole en dernier.

Le tribunal a décidé de joindre les incidents au fond et a examiné les faits.

Après avoir rappelé la prévention et la procédure, le tribunal qui a procédé à l’interrogatoire du prévenu et à l’audition de la partie civile, a entendu, dans l’ordre prescrit par la loi, le conseil de la partie civile – lequel s’en rapportant à ses conclusions écrites a sollicité une somme de 100 000 € à titre de dommages et intérêts, que soit ordonnée une mesure de publication judiciaire dans cinq journaux ou revues de son choix aux frais du prévenu sous la limite de 7000 € par insertion ainsi que, sous une astreinte de 500 € par jour de retard, sur le site internet parolesdesjours.free.fr, outre une somme de 5000 € sur le fondement des dispositions de l’article 475-1 du code de procédure pénale – le ministère public en ses réquisitions et la défense qui a conclu à la relaxe et a sollicité une somme de 5000 € au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale, le prévenu ayant eu la parole en dernier.

A l’issue des débats, l’affaire a été mise en délibéré et les parties ont été informées, conformément aux dispositions de l’article 462, alinéa 2, du code de procédure pénale, que le jugement serait prononcé ce jour.

DISCUSSION

Sur les incidents de procédure

La partie civile justifiant de la notification de la citation au ministère public avant la date à laquelle l’affaire a été appelée pour la première audience, l’exception de nullité soulevée à cet égard sera rejetée.

De même est-ce vainement qu’il est soutenu en défense que la citation délivrée serait nulle faute pour cet acte d’indiquer la qualité d’auteur ou de complice en laquelle la responsabilité du prévenu serait recherchée alors que s’il résulte de l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881 que la citation doit, à peine de nullité, préciser et qualifier le fait incriminé et indiquer le texte applicable à la poursuite -cet acte fixant ainsi irrévocablement la nature et le champ des poursuites-, le mode de participation du prévenu aux faits relève de l’appréciation de la juridiction du fond, laquelle dispose, à cet égard, d’un pouvoir de requalification sur la base des éléments préalablement et contradictoirement débattus devant elle.

Il sera relevé de surcroît, qu’en l’espèce, la citation précisait clairement que le texte litigieux avait été envoyé à la partie civile sous forme de message électronique signé par Stéphane Z. avant d’être mis en ligne sur le site personnel animé par ce dernier, de sorte que le prévenu était à la fois l’auteur de l’écrit litigieux et le responsable de sa publication, toutes qualités qui ne sont pas contestées, l’absence de visa des articles 93-2 et 93-3 de la loi du 29 juillet 1982, modifiée, n’étant d’aucune incidence sur la régularité de l’acte dès lors que celui-ci identifiait clairement le site internet parolesdesjours.free.fr comme étant le seul support de publication en cause.

Au fond

L’écrivain et philosophe Stéphane Z. qui a notamment publié un essai sur Antonin Artaud, “La mort dans l’oeil”, a créé et anime un site internet personnel à contenu essentiellement littéraire, accessible à l’adresse parolesdesjours.free.fr.

Stéphane Z. a mis en ligne sur ce site un texte de Marc D. relatif à un contentieux civil l’opposant à Serge M., neveu et ayant droit d’Antonin Artaud, à propos de la publication d’un inédit de ce dernier dans sa revue Luna Park, accompagné d’un extrait audio d’une conférence radiophonique d’Artaud intitulée “Pour en finir avec le jugement de Dieu”.

Le 9 février 2008, Serge M. a adressé un message électronique au site en cause qualifiant les propos de Marc D. d”élucubrations mensongères” et demandant, en sa qualité de titulaire des droits d’Antonin Artaud, le retrait de cet extrait radiophonique, précisant que l’association Luna Park Transedition avait fait l’objet d’une condamnation prononcée par jugement du tribunal de grande instance de Paris en date du 25 avril 2007 du chef de la reproduction illicite du texte “Le corps humain”.

Stéphane Z. s’est exécuté en effaçant le fond sonore litigieux et a adressé à Serge M. le message électronique suivant, lequel devait ensuite être mis en ligne sur le site parolesdesjours.free.fr, comme cela a été constaté par huissier le 20 mars 2008 – les expressions ci-dessous reproduites en caractères gras étant poursuivies sous la qualification d’injures :

“Paris, le 10 février 2008,

Pauvre étron,

Tout lecteur d’Artaud te méprise au plus haut point, sachant que tu es l’ultime chiure électrochoquante que Ferdière a déféquée avant de mourir en vue d’importuner l’âme limpide de ton oncle Antonin.

Non content d’être un impotent crétin chicaneur, tu gigotes en pure perte : cela fait longtemps que des milliers d’anonymes peuvent se procurer en quelques secondes sur internet l’intégralité des enregistrements d‘Artaud, gratuitement et sans avoir à rendre le moindre compte à ta malsaine caboche monomane, ainsi qu‘en témoigne la photo ci-dessus.

Contemple-la et souffre, sous-fifre

Stéphane Z.”

Constitue une injure, au sens de l’article 29, alinéa 2, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse “toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d‘aucun fait”.

Pour sa défense, le prévenu invoque tout à la fois la tradition pamphlétaire française, le style “incontestablement littéraire” du libellé et son caractère de pastiche d’évidence – en se prévalant notamment sur ce point d’un projet de lettre d’Artaud à Balthus (“Tu n‘es devant moi que l’ombre d’un morpion, ta gueule est verte et puante comme ta sueur […] Tu n‘as jamais été pour moi que la roulure d’un excrément”)-, ajoutant que le choix de métaphores qui renvoient pour l’essentiel à la thématique excrémentielle d’Antonin Artaud était de nature à ôter toute charge outrageante aux expressions poursuivies.

La familiarité avec un vitupérateur de génie -fut-elle assumée- n’exonère pas de toute intention maligne, ni la satisfaction du pastiche réussi, son auteur de ses responsabilités propres.

Le style s’assume comme les propos, en l’espèce intrinsèquement outrageants pour la partie civile qui s’est vue ainsi publiquement injuriée en réponse à une correspondance privée, sans que les éventuels lecteurs du texte litigieux puissent aisément se convaincre qu’il ne s’agirait que d’un exercice littéraire sans portée ou de métaphores vides de sens.

A cet égard, l’expression “ultime chiure électrochoquante que Ferdière a déféquée avant de mourir” constitue une invective particulièrement virulente que les allusions à certains épisodes de la vie d’Antonin Artaud n’atténuent en rien quand elles sont de surcroît opposées de la sorte à son neveu.

Le mot “étron” ne perd rien de sa force outrageante à se situer dans un registre scatologique qu’Antonin Artaud a pu quelquefois explorer.

Les expressions “impotent crétin chicaneur “, “malsaine caboche” et “sousfifre”, qui ne paraissent d’une moindre intensité que par comparaison, sont incontestablement empreintes de mépris et sont de ce fait, comme les précédentes, injurieuses à l’égard de la partie civile.

Stéphane Z. ne saurait sérieusement invoquer l’excuse de provocation alors qu’il a répondu publiquement et en de tels termes à une correspondance privée qui mettait principalement en cause Marc D., et non lui-même.

Enfin, ni la nature essentiellement littéraire du site sur lequel ce texte a été mis en ligne, ni la qualité d’écrivain du prévenu ne confèrent à ce dernier une immunité particulière.

Sur l‘action civile

Serge M. est recevable en sa constitution de partie civile.

Le tribunal relève que le texte litigieux ne figure plus sur le site litigieux, ce dernier, à vocation essentiellement littéraire, n’ayant au demeurant qu’une audience limitée.

En cet état, la partie civile se verra allouer une somme de 1000 € à titre de dommages et intérêts et sera déboutée de ses demandes de publication judiciaire, lesquelles excéderaient, compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’espèce, le souci d’une juste et équitable réparation.

Stéphane Z. sera condamné en outre à verser à Serge M. la somme de 1500 € par application de l’article 475-1 du code de procédure pénale.

DECISION

Le tribunal statuant publiquement, en matière correctionnelle, en premier ressort et par jugement contradictoire à l’encontre de Stéphane Z., prévenu, et à l’égard de Serge M., partie civile ;

. Déclare Stéphane Z. coupable d’injures publiques envers un particulier ;

. Condamne Stéphane Z. à une amende délictuelle de 500 € ;

Vu les articles 132-29 à 132-34 du Code pénal :

. Dit qu’il sera sursis totalement à l’exécution de cette peine dans les conditions prévues par ces articles ;

L’avertissement prévu par l’article 132-29 du code pénal n’a pu être donné à l’intéressé absent au prononcé.

. Reçoit la constitution de partie civile de Serge M. ;

. Condamne Stéphane Z. à lui verser la somme de 1000 € à titre de dommages et intérêts ;

. Ordonne le versement provisoire des dommages et intérêts ainsi alloués ;

. Déboute Serge M. de ses demandes de publication judiciaire ;

. Condamne Stéphane Z. à verser à Serge M. la somme de 1500 € en application des dispositions de l’article 475-1 du code de procédure pénale.

Le tribunal : Mme. Anne-Marie Sauteraud (vice-président), MM. Nicolas Bonnal et Joël Boyer (vice-présidents)

Avocats : Me Isabelle Wekstein, Me Philippe Eschasseriaux

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