Jurisprudence : Responsabilité
Tribunal de commerce de Paris 6ème chambre Jugement du 20 mars 2014
Paul S. / Saxo France
banque - conditions générales d'utilisation - devoir de conseil - internaute - internet - mise en garde - plateforme - profane - services financiers - trading
FAITS
Au mois d’août 2011, M. Paul S., désireux de pouvoir procéder à des transactions de type trading sur de nombreux supports, se rapprochait de Saxo Banque, ci-après Saxo, et téléchargeait le 15 août, une version de démonstration de leur plateforme de trading. Celle-ci devait lui permettre de conduire de telles opérations portant sur des actions, des obligations, des contrats à terme ferme et contrats financiers pour différences (CFD) et contrats sur devises. Puis, le 22 août 2011, il signait un contrat avec Saxo pour l’ouverture d’un compte de trading premium, et versait sur ce compte la somme de 100 000 €.
M. S. remplissait en même temps un questionnaire demandé par Saxo destiné à déterminer son niveau d’expérience en matière de trading et ses connaissances des instruments financiers. Le 24 août il était appelé par Saxo pour lui confirmer que son compte serait ouvert dans les heures suivantes suite à la réception de son virement Ce même jour il se voyait aussi proposé une assistance au démarrage de ses opérations.
M. B. procédait dès le 25 août à 34 opérations sur des instruments spéculatifs de type Forex et CFD et son compte indiquait alors une position à 79 368,89 €.
Le 26 août 2011, Saxo prenait contact à nouveau avec M. S. pour lui parler des opérations écoulées et lui rappeler des régles de prudence comme la fermeture de ses positions le weekend, l’attention à porter sur les niveaux de marge et diminuer en général ses positions. Le même jour M. B. procédait à une trentaine d’opérations et perdait 26 000 €.
C’est ainsi que M S. réalisait 274 opérations sur la période du 24 août 2011 au 15 novembre 2011, son compte de trading n’affichant plus à cette date qu’une position de 29 789,34 €.
Le 24 novembre 2011, M. S. mettait en demeure Saxo de lui verser la somme de 70 000 € au titre de l’article 1147 du code civil. C’est ainsi qu’allait naître cette instance.
PROCÉDURE
Par un acte extra judiciaire en date du 23 avril 2012, M. S. attrait Saxo devant le tribunal de céans, puis aux audiences des 14 novembre 2012, 20 mars et 4 septembre 2013, demande au tribunal dans le dernier état de ses prétentions de :
Vu les articles L.533-12 II et L. 533-13 I du code monétaire et financier ;
Vu les articles 1147 et suivants du code civil ;
Vu les articles L.132-1 et R.132-1 5° et 6° du code de consommation ;
– A titre liminaire, prononcer l’irrecevabilité des enregistrements téléphoniques communiqués par la société Saxo Banque à savoir ses pièces n°10 à 13 ;
– Constater que M. Paul S. est un investisseur profane ;
– Constater que, de facto, la société Saxo Banque était tenue, à l’égard de M. Paul S., d’une obligation particulière de mise en garde ;
– Constater que la société Saxo Banque a manqué à son obligation particulière de mise en garde à l’égard de M. Paul S. ;
– Constater la particulière mauvaise foi de la société Saxo Banque ;
– Constater la particulière mauvaise foi de Saxo Banque ;
– Constater que la clause exclusive de responsabilité invoquée par la société Saxo Banque et prévue à l’article 22.3 des Conditions Générales est abusive et la déclarer non écrite ;
– Constater le préjudice financier subi par M. Paul S. du fait de la faute commise par la société Saxo Banque ;
En conséquence
– Condamner la société Saxo Banque à payer à M. S. la somme de 70 000 €, en indemnisation du préjudice subi du fait de la perte de 70 % du capital placé par ce dernier auprès de la société Saxo Banque ;
– Condamner la société Saxo Banque à payer à M. S. la somme de 10 000 €, en indemnisation du préjudice subi par le fait d’avoir perdu la chance de contracter un produit d’avantage adapté à son profil ;
– Condamner la société Saxo Banque à payer à M. S. la somme de 7000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamner la société Saxo Banque aux entiers dépens ;
– Ordonnance l’exécution provisoire de la décision à intervenir en application de l’article 515 du code de procédure civile.
Saxo dépose des conclusions aux audiences des 3 octobre 2012, 6 février, 20 mars, 29 mai et 13 octobre 2013, et demande au tribunal dans le dernier état de ses prétentions de :
Vu l’article D.321-1 du code monétaire et financier,
Vu les articles L533-12 et L533-13, II du code monétaire et financier,
Vu les articles 314-21, 314-34, 314-44, 314-50 et 314-51 du Règlement général de l’Autorité des marchés financiers,
Vu les articles 1134 et 1147 du code civil,
– Débouter, pour les causes sus-énoncées, M. Paul S. de toutes ses demandes, fins et conclusions,
– Condamner M. Paul S. à payer à la société Saxo Banque (France) une indemnité de 4500 € par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– Condamner le même aux entiers dépens de l’instance.
L’ensemble de ces demandes a fait l’objet du dépôt de conclusions ; celles-ci ont été échangées en présence d’un greffier qui en a pris acte sur la cote de procédure ou ont été régularisées par le juge chargé d’instruire l’affaire en présence des parties.
A l’audience en date du 12 février 2014, après avoir entendu les parties en leurs explications et observations, la juge rapporteur clôt les débats, met l’affaire en délibéré et dit que le jugement sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 20 mars 2014.
MOYENS
M. S. au soutien de ses demandes met en avant les éléments suivants :
– il n’a bénéficié ni de suivi ni d’aucun conseil de la part de Saxo contrairement à ce qui était dit sur le site internet de cette dernière,
– que les enregistrements audio versés aux débats sont irrecevables car réalisés à l’insu de M. S.,
– il était un investisseur profane et Saxo ne l’a pas mis en garde sur les risques liés à l’activité de trading en particulier sur l’utilisation d’instruments financiers spéculatifs, en particulier à la signature du contrat,
– que les termes de la section 7 de la demande d’ouverture de compte, signés par lui, ne permettent pas à Saxo d’établir une mise en garde de sa part, qu’il s’agit d’une clause « de pur style », qu’elle est insuffisante face à un profane non professionnel,
– que des dommages et intérêts sont dus par Saxo de ce fait.
Saxo au soutien de sa défense met en avant les éléments qui suivent :
– les enregistrements audio sont recevables car autorisés pour les établissements financiers pour vérifier les ordres passés par les clients en particulier suivant l’article 313-52 du règlement Général de l’Autorité des Marchés Financiers, que l’article 5.14 des conditions générales de vente permet ces enregistrements,
– que si M. S. était un investisseur non professionnel, il a bien été mis en garde à travers les termes des sections 7 et 9 de la demande d’ouverture de compte, que des fenêtres popup s’ouvraient à chaque fois qu’il procédait à des investissements spéculatifs lui rappelant le caractère non approprié de ces investissements en ce qui le concernait, que M S. a eu accès avant la signature du contrat à un document d’information sur les produits, instruments et services financiers détaillant les risques liés à ces investissements,
– que le caractère approprié ou non par rapport au profil de M. S., de certains instruments lui a été indiqué à la suite du questionnaire rempli par lui,
– que M. S. est bien le seul responsable des pertes qu’il a supportées, que cela est rappelé à la section 7 du document d’ouverture de compte, et indiqué à l’article 22.3 des conditions générales.
DISCUSSION
Sur l’irrecevabilité des enregistrements
Attendu que M S. met an avant le fait que des enregistrements ont été faits à son insu,
Attendu cependant que Saxo, organisme financier avait le droit de procéder à des enregistrements financiers suivant l’article 313-52 du règlement Général de l’Autorité des Marchés Financiers,
Attendu de plus que l’article 5.14 des conditions générales de vente permet ces enregistrements, conditions générales qui ont été visées par M. S.,
Attendu que si ces enregistrements ont été réalisés par Saxo, sans utiliser un huissier, que la bonne foi de Saxo est présumée s’agissant de son outil de travail,
Le tribunal dira que ces enregistrements étaient légaux et sont recevables.
Sur le caractère profane de M. S. et le devoir de mise en garde par Saxo
Attendu qu’à l’analyse du document rempli par M. S., concernant son expérience des produits accessibles sur la plateforme de trading, Saxo estime qu’il est un investisseur non professionnel, que cela n’est pas contesté par Saxo, il sera considéré comme un investisseur profane,
Attendu que dans la demande d’ouverture de compte signée par M. S., à la section 7 intitulée Reconnaissance des risques encourus il est détaillé sur 14 lignes les risques encourus lors des opérations de trading, particulièrement sur les instruments à effet de levier (type FOREX ou CFD), que cette section est particulièrement explicite, qu’elle reprend en les détaillant plusieurs avertissements,
Attendu que cette clause ne peut être considérée comme de « pur style » de la part d’un investisseur qui dit avoir entre 1 an et 5 ans d’expérience sur les opérations de trading,
Attendu de plus qu’à la section 9, il est dit au début « avoir lu, compris et accepté les Conciliions Générales (y compris l’avertissement concernant les risques)… »
Attendu que ces éléments représentent des mises en garde adressées à M. S. avant qu’il ne commence ses opérations,
Attendu enfin que lors des opérations de trading sur la plateforme accessible par internet par M. S., une fenêtre apparait avant le passage de ses ordres l’avertissant sur le caractère non approprié de certains types d’investissements en ce qui le concerne, comme les instruments à effets de levier, que la répétition de ces fenêtres ne peut qu’attirer l’attention,
Le tribunal dira que Saxo a rempli son obligation de mise en garde de M. S.
Sur les obligations de Saxo et le préjudice de M. S.
Attendu que M. S. avance qu’il n’a bénéficié d’aucun conseil alors qu’il a souscrit à l’offre « club Premium » de Saxo selon laquelle cette dernière s’engageait à un Suivi personnalisé avec un conseiller dédié, que ce dernier avait le loisir de recevoir son client ou se rendre à son domicile, que cela ne s’est pas produit,
Attendu que dans les conditions générales de Saxo auxquelles a souscrit M. S. il est précisé à l’article 4.7 « sauf convention contraire, Saxo banque n’est tenue de fournir aucun conseil, ni aucune information ou recommandation de nature personnalisée à ses clients sur les instruments objet des transactions »,
Attendu que les services de Saxo consistent essentiellement à mettre à disposition d’un investisseur une plateforme sur laquelle il passe directement ses ordres, qu’en ce qui concerne les opérations sur CFD et FOREX il s’agit de services d’investissements pour compte propre et d’exécution d’ordre pour compte de tiers, que ce type d’opération n’est pas lié à une obligation de conseil en investissement,
Attendu cependant que suivant le premier enregistrement audio dont la véracité n’est pas contestée, Saxo a contacté M. S. le 24 août pour l’avertir de la mise en route du compte et lui a proposé d’en discuter, que celui-ci n’y donne pas suite, que M. S. engage des opérations dès le 25 août sans en préalable en avoir discuté avec Saxo,
Attendu que le 25 août, ainsi qu’il est rapporté dans le deuxième enregistrement audio, M. S. est rappelé par Saxo qui lui donne des conseils sur les pratiques efficaces et prudentes sur la façon de conduire ses opérations d’investissements sans toutefois lui donner des conseils spécifiques sur les meilleurs investissements du moment,
Attendu que Saxo les 1 et 2 septembre renouvelle ses conseils de prudence à M. S. sans toutefois lui donner des conseils spécifiques sur les meilleures opportunités du moment mais en donnant une analyse sur les supports choisis par M. S.,
Dans ces conditions le tribunal dira que Saxo n’a pas manqué à ses obligations.
Attendu que si M. S. avance que la clause 22.3 des conditions générales de Saxo, excluant la responsabilité de celle-ci pour des pertes subies par lui lors de ses opérations d’investissement, est abusive, entre professionnels et non professionnels,
Attendu que ce n’est pas en vertu de cette clause 22.3 que la responsabilité de Saxo est dégagée mais parce qu’elle a rempli ses obligations,
Attendu que les pertes de M. S., sont le résultat d’investissements faits sur des supports dont le caractère inapproprié pour lui, lui avait été indiqué, que dès lors il ne peut avancer la perte de chance de contracter des produits mieux adaptés à son profil,
En conséquence le tribunal déboutera M. S. de sa demande d’indemnisation du fait de son préjudice.
Sur la demande au titre de l’article 700 du CPC
Attendu que Saxo a dû engager des dépenses irrépétibles pour sa défense, qu’il serait injuste de lui laisser supporter, le tribunal condamnera M. S. à payer à Saxo Banque la somme de 3000 € au titre de l’article 700 du CPC déboutant pour le surplus.
Sur les dépens
M. S. qui succombe sera condamné aux entiers dépens de l’instance.
DÉCISION
Le tribunal statuant par jugement contradictoire en premier ressort :
– Dit que les enregistrements audio réalisés par la Sas Saxo Banque (France) sont recevables,
– Déboute M. Paul S. de ses autres demandes, fins et conclusions,
– Condamne M Paul S. à payer à Sas Saxo Banque (France) la somme de 3000 € au titre de l’article 700 du GPC déboutant pour le surplus,
– Condamne M. Paul S. aux entiers dépens.
Le tribunal : M. Michel Hémonnot (président), M. Denis Mugnier et M. Louis Delmas (juges)
Avocats : Me Anthony Bem, Me André Watbot
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