Jurisprudence : Diffamation
Tribunal de grande instance de Paris 17ème chambre correctionnelle Jugement du 21 janvier 2014
BVR, Frédéric H. / Gérard S.
annulation - articulation - blog - diffamation - injure - procédure - propos - qualification
FAITS
Par ordonnance rendue le 10 septembre 2012 par l’un des juges d’instruction de ce siège, à la suite de la plainte avec constitution de partie civile déposée le 9 février 2011 par Frédéric H. et la société BRV, Gérard S. a été renvoyé devant ce tribunal, sous la prévention :
– d’avoir à Paris et sur le territoire national, et depuis temps non prescrit, en qualité de directeur de publication du site internet accessible à l’adresse “http://vivrelemarais-typepad.fr/blog”, commis le délit de diffamation publique envers Frédéric H. et la société BRV, en mettant en ligne les propos suivants :
1/ dans un article mis en ligne le 10 novembre 2010 et intitulé “Dans sa conférence de presse, le Cox autoproclame sa souveraineté sur le 4ème arrondissement :
– “15 ans d’infraction journalière à la réglementation des terrasses : II dispose d’une autorisation de 80 cm, il occupe souvent tout le trottoir.
“Mais l’infraction est toujours là”; – “15 ans d’infraction journalière à l’arrêté préfectoral qui interdit la consommation d’alcool sur la voie publique en dehors des terrasses régulièrement constituées” ;
“le libre accès à l’espace public est un droit imprescriptible que le Cox bafoue de façon désinvolte” ;
2/ dans un article mis en ligne le 23 novembre 2010 et intitulé “Fort de sa pompe à Phynances, le patron du Cox joue les “pères UBU”” :
“Fort de recettes exceptionnelles qu’il tire du Cox dont les marges bénéficient de l’utilisation abusive et gratuite d’une bonne partie de l’espace public “ ;
“Il espère que son compère Mao P., Adjoint au maire de Paris, lui permettra de s’affranchir des lois de son pays” ;
“Quel stratagème nous réserve encore le Cox à ce propos ?
Précisons que le Cox se place en situation d’infraction pénale, dans la mesure où l’ouverture est déjà percée et la porte déjà posée et que deux enseignes du drapeau, qui ignorent les règles du PSMV (plan de sauvegarde et mise en valeur) du Marais, ont été fixés sur la façade.
Quant aux travaux d’intérieur, démolition et reconstruction des planchers, une visite s’impose car la masse de gravats qui ont été récemment évacués laisse supposer que les autorisations, là non plus, n‘ont pas été attendues” ;
3/ Suite à la publication d’un article mis en ligne le 3 décembre 2010 et intitulé : “Une boîte de nuit géante rue de la Pierre au Lard (IV) : les riverains ont remis hier une pétition à la mairie du IV Le Cox assigne notre association et son Président en référé”, les commentaires suivants :
– “Ce monsieur Frédéric H., qui bafoue la justice” (mis en ligne le 3 décembre 2010 à 21 h 45) ;
– “Les reproches qu’on vous faits sont un prétexte commode pour justifier les infractions à la loi que commet le Cox” (mis en ligne le 5 décembre 2010 à 16h34) ;
– “Ce faiseur de désagréments” (mis en ligne le 3 décembre 2010 à 10h56) ;
– “Il est totalement surréaliste de constater que dans un pays de droit, certains puissent passer outre (…) seraient hors la loi. ‘Outlaw’ puisqu’on est dans un western !“ (mis en ligne le 3 décembre 2010 à 11h56) ;
– “Monsieur le patron du Cox, (…), lorsqu’on est un homme d’affaire avisé et intelligent, on respecte les paramètres posés par la loi” (mis en ligne le 3 décembre 2010 à 12 h 39) ;
– “En tout cas, le Cox n’aime ni le respect des lois et règlements, ni la contestation” (mis en ligne le 3 décembre 2010 à 13 h 35 ;
– “Celui qui veut nous imposer sa loi” (mis en ligne le 3 décembre 2010 à 16h16).
Faits prévus et réprimés par les articles 23 alinéa 1 (s’agissant de la publicité), 29 alinéa 1, 32 alinéa 1, 42, 43, 47, 48 de la loi du 29 juillet 1881, 93-2 et 93-3 de la loi du 29 juillet 1982.
– d’avoir à Paris et sur le territoire national, depuis temps non prescrit, en qualité de directeur de publication du site internet accessible à l’adresse “http://vivrelemarais.typepad.fr/blog”, commis le délit d’injure publique envers Frédéric H. et la société B.R.V, en mettant en ligne les propos suivants :
1/ dans un article mis en ligne le 23 novembre 2010 et intitulé “Fort de sa pompe à Phynances, le patron du Cox joue les ‘pères UBU”, outre le titre, les propos suivants :
– “Père UBU (merde alors! Faudrait voir qu’on m’en empêche !) Sûr de lui et dominateur continue de conspirer” ;
– “son gérant [Monsieur Frédéric H.] cherche à poursuivre sa colonisation du Marais” ;
– “S’il est permis d’utiliser le mot cher à La Fontaine de compère en la circonstance, c’est que Mao P. s’en est servi pour qualifier la relation apaisée et constructive que notre association à su bâtir avec le S.N.E.G. (Syndicat national des entreprises gays) et son président, il revient en boomerang. Chacun appréciera lequel des deux a agressé l’autre” ;
2/ Suite à la publication d’un article mis en ligne le 3 décembre 2010 et intitulé : “Une boîte de nuit géante rue de la Pierre au Lard (IV) : les riverains ont remis hier une pétition à la mairie du IV Le Cox assigne notre association et son Président en référé”, les commentaires suivants:
– “Monsieur le patron du Cox, c’est vous qui voulez nous écraser de votre arrogance ! » (mis en ligne le 3 décembre 2010 à 12 h 32) ;
– “Outrecuidance indigne de quelqu’un d’honorable !” (mis en ligne le 4 décembre 2010 17 h 34) ;
– “Arrogance démesurée de ces affairistes de la nuit” (mis en ligne le 5 décembre 2010 à 10 h 02).
Faits prévus et réprimés par les articles 23 alinéa 1, 29 alinéa 2, 33 alinéa 2, 42, 43, 47, 48 de la loi du 29 juillet 1881, 93-2 et 93-3 de la loi du 29 juillet 1982.
Le 30 octobre 2012, le prévenu a fait notifier une offre de preuve dénonçant trente et une pièces et les noms de deux témoins.
Le 2 novembre suivant, les parties civiles ont fait notifier une offre de preuve contraire dénonçant trois pièces.
Appelée pour fixation à l’audience du 8 janvier 2013, l’affaire a été contradictoirement renvoyée aux audiences des 2 avril 2013, 25 juin 2013, 24 septembre 2013, pour relais, et 26 novembre 2013, pour plaider.
PROCÉDURE
A cette dernière audience, le président a constaté la présence de Gérard S., assisté de son conseil, la représentation de Frédéric H. et de la société BRV pur leur conseil ainsi que la présence d’Yvon L.G., cité en qualité de témoin, puis il a donné lecture de l’acte qui a saisi le tribunal.
Le témoin a été invité à se retirer dans la salle prévue à cet effet.
In limine luis, le conseil du prévenu a excipé :
– principalement, de la nullité de la procédure sur le fondement de l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881 aux motifs qu’une assignation civile en référé qui avait été délivrée au prévenu a fait l’objet d’une annulation à raison de poursuites cumulatives, ce qui ne permet plus aux plaignants de saisir la juridiction pénale des mêmes écrits sur des fondements juridiques différents,
– subsidiairement, qu’il n’est pas possible de connaître à la lecture de l’acte, la part des propos poursuivis par Frédéric H. et par la société BRV, ce qui créée un préjudice au prévenu pour l’organisation de sa défense,
– plus subsidiairement encore, que la poursuite de la phrase « Père UBU (merde alors ! Faudrait voir qu’on men empêche !) sûr de lui et dominateur continue conspirer » est nulle puisque le terme réellement employé, emprunté à Alfred J. est « merde ».
Le ministère public a eu la parole en ses réquisitions, observant que le troisième moyen relève du débat de fond mais que les deux autres ne sont pas dépourvus de sérieux.
Le conseil des parties civiles a plaidé le rejet de ces exceptions, la défense ayant eu la parole en dernier.
Après en avoir délibéré, le tribunal a décidé de rendre une décision distincte sur ces moyens de procédure en application l’article 459 alinéa 4 du code de procédure pénale.
Le président a informé les parties que le délibéré serait prononcé en date du 21 janvier 2014 conformément à l’article 462 alinéa 2 du code de procédure pénale.
À cette date, la décision suivante a été rendue :
DISCUSSION
Frédéric H. expose être le gérant de la société B.R.V qui exploite notamment un établissement-bar connu sous la dénomination commerciale «Le Cor» dans le troisième arrondissement de Paris tandis que Gérard S., est le fondateur et a été, au moment des faits reprochés, le président de l’association « Vivre Le Marais ».
Les propos poursuivis sont issus soit des articles publiés sur le blog de ladite association aux dates indiquées dans la prévention soit des commentaires postés en réaction à ces écrits sur ce même site.
L’article 50 de la loi sur la liberté de la presse dispose que “si le ministère public requiert une information il sera tenu, dans son réquisitoire, d’articuler et de qualifier les provocations, outrages, diffamations et injures à raison desquelles la poursuite est intentée, avec indication des textes dont l’application est demandée, à peine de nullité du réquisitoire de ladite poursuite”.
L’articulation ainsi exigée doit permettre de déterminer les propos incriminés avec la précision nécessaire pour que les personnes ultérieurement poursuivies sachent exactement ce qui leur est reproché et qu’elles puissent utilement préparer leur défense, dès lors que l’acte de poursuite initial fixe de façon irrévocable l’objet du litige.
Le texte de la loi qui doit être ainsi indiqué s’entend de l’article qui réprime l’infraction.
Ces dispositions bannissent qu’un même fait puisse recevoir des qualifications cumulatives ou alternatives, dès lors qu’elles sont incompatibles entre elles.
Elles exigent également, dans l’hypothèse où plusieurs parties civiles agissent, que le prévenu soit mis en mesure de connaître, avec précision, l’étendue de ce que chacune d’entre elles lui reproche et laquelle est visée par chacun des propos poursuivis.
Les dispositions de l’article 50 de la loi sur la presse tendent à garantir les droits de la défense, elles sont substantielles et prescrites à peine de nullité de la poursuite elle-même.
En l’espèce, la plainte, dans sa partie liminaire, énonce successivement que l’article du 10 novembre 2010 « vise directement le « Cox bar » et donc insidieusement la société B.R.V qui l’exploite et son gérant, Monsieur Frédéric H. », que l’article daté du 23 novembre 2010 « vise Monsieur Frédéric H. en sa qualité de gérant de la société B.R.V qui exploite le « Cox bar », que c’est avec surprise que « Monsieur Frédéric H. a appris la diffusion de tels propos » dont le contenu est destiné « à l’attaquer personnellement », ces allégations le visant « en sa qualité de gérant du Cox bar ».
Le chapitre consacré aux propos diffamatoires énonce quant à lui que le premier article est constitutif « d’une diffamation publique envers particulier au préjudice de « Monsieur Frédéric H. » et il en est de même des autres passages des articles et commentaires.
Ainsi que des premières et troisièmes injures poursuivies, la deuxième le visant « en qualité de gérant de la société B.R.V ».
Il y a lieu d’observer qu’aucun des propos poursuivis, sur l’un ou l’autre des fondements, ne l’aurait été, à la lecture de la plainte, au préjudice de la société B.R.V., qui se constitue pourtant expressément partie civile et qu’il résulte une ambiguïté manifeste de l’emploi tantôt du patronyme Frédéric H. seul et tantôt de l’ajout des termes « en qualité de gérant de la société B.R.V », ce qui est dépourvu de sens particulier s’agissant d’une diffamation envers particulier mais jette plus encore le trouble, compte tenu de ce qui précède, sur la détermination exacte des poursuivants et sur la distribution qui n’est pas réalisée par la plainte des propos en fonction de ces derniers.
En conséquence et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de nullité il y a lieu d’annuler la plainte et les poursuites subséquentes.
La demande de Gérard S. fondée sur l’article 475-1 du code de procédure pénale est irrecevable puisque son bénéfice est réservé à la partie civile.
En revanche il y a lieu de condamner Frédéric H. et la société BRV à lui payer la somme de 2000 € sur le fondement de l’article 800-2 du code de procédure pénale.
DÉCISION
Le tribunal statuant publiquement, en matière correctionnelle, en premier ressort et par jugement contradictoire à l’encontre de Gérard S., prévenu, à l’égard de Frédéric H. et de la société BRV parties civiles (article 415 du code de procédure pénale) ;
. Déclare nulles la plainte avec constitution de partie civile du 9 février 2011 et les poursuites subséquentes ;
. Déclare irrecevable la demande de Gérard S. fondée sur l’article 475-1 du code de procédure pénale ;
. Condamne Frédéric H. et la société BRV à payer Gérard S. la somme de 2000 € sur le fondement de l’article 800-2 du code de procédure pénale.
Le tribunal : Marc Bailly (vice-président), Anne-Marie Sauteraud (vice-président), Alain Bourla (premier juge)
Avocats : Me Ilana Soskin, Me Emmanuel Pierrat
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