Jurisprudence : Droit d'auteur
Tribunal de grande instance de Paris 3ème chambre, 2ème section Jugement du 06 avril 2007
Guillaume P. / Groupe Berchet
droit d'auteur
FAITS ET PROCEDURE
Guillaume P. est le créateur d’un modèle de voiture d’enfant à pédales dénommé du fait de sa conformation particulière « Voiture-bidon ».
Ce modèle a fait l’objet d’un dépôt à l’Inpi le 8 juillet 1996 enregistré sous le n°96 3968. Il a également été déposé au Royaume Uni, aux USA, au Japon, en Chine et a fait l’objet d’un dépôt à l’Ompi le 2 décembre 1996 sous le n°DM/03 417.
Guillaume P. a conclu un contrat de licence exclusive avec la société Jouet Favre le 22 janvier 1997 pour une durée initiale de trois ans qui s’est poursuivie pour une durée indéterminée. Ce contrat conférait au licencié une exclusivité de fabrication et de commercialisation en Europe, au Maroc, au Sénégal, en Côte d’Ivoire, au Bénin, en Tunisie, en Egypte, en Yougoslavie, en Moldavie, en Roumanie, en Hongrie et en Slovénie. En contrepartie, la société Jouet Favre, devenue société Groupe Berchet s’engageait à verser à Guillaume P. une rémunération forfaitaire de 70 000 francs et une rémunération proportionnelle de 4% du chiffre d’affaires hors taxes, porté à 7% s’agissant des clients apportés par le titulaire du modèle, avec un minimum garanti de 50 000 francs pour la première année, 30 000 francs pour la deuxième et 25 000 francs à compter du 1er avril 2001.
Par courrier en date du 28 mars 2002, la société Groupe Berchet a notifié à Guillaume P. la résiliation du contrat de licence à effet du 28 septembre suivant motif pris de l’insuffisance des ventes.
Estimant que la société Groupe Berchet avait manqué à ses obligations contractuelles, notamment du fait d’une absence d’exploitation sérieuse et de redditions de comptes conformes et ayant constaté que les ventes se poursuivaient en particulier sur l’internet, Guillaume P. a fait dresser des constats d’huissier en date des 18, 19 et 22 novembre 2002, puis a assigné la société Groupe Berchet en référé devant le président du tribunal de grande instance de Paris aux fins notamment d’obtenir le retrait de la vente d’un Cdrom intitulé « Je joue avec Nax et Oyo » reproduisant l’image de la voiture-bidon. La société Groupe Berchet ayant justifié par attestation du retrait de cette reproduction sur ses sites internet, et une tentative de médiation judiciaire n’ayant pas abouti, le juge des référés a rejeté la demande.
Un nouveau constat Agence pour la Protection des Programmes ayant montré que le 30 décembre 2004, le modèle était toujours représenté sur les sites internet du Groupe Berchet et le Cdrom étant toujours en vente, Guillaume P. a sais ce tribunal par acte en date du 14 novembre 2005 après une ultime mise en demeure en date du 15 mars 2005.
Dans le dernier état de ses écritures signifiées le 1er juin 2006, Guillaume P. demande de :
– dire que la société Groupe Berchet a manqué à ses obligations contractuelles en ne procédant pas à une exploitation sérieuse et loyale de la voiture-bidon, en ne payant pas les minima garantis, en ne procédant pas à une reddition complète et régulière de la comptabilité afférente au modèle concédé ainsi qu’en ne permettant pas l’accès aux documents comptables par un expert-comptable,
– dire que le Groupe Berchet a contrefait le modèle de la voiture-bidon en l’exploitant en dehors du territoire contractuel, en procédant à la reproduction au sein du Cdrom intitulé « Je joue avec Nax et Oyo-La chasse aux nuages » et en le reproduisant et le représentant sur les sites internet « groupeberchet.com », « berchetmedia.com » et « babynaute.com » et sur ses produits dérivés,
– dire que le Groupe Berchet a porté atteinte au droit moral de Guillaume P. en ne précisant pas sa qualité de créateur notamment sur les sites internet, sur les emballages du jouet, sur les cartes postales, les autocollants et sur le Cdrom.
Il demande en conséquence de condamner la société défenderesse à lui payer les sommes suivantes :
– 7620 € au titre des minima garantis avec intérêts au taux légal à compter du 26 mars 2002,
– 372 404 € au titre du préjudice résultant du défaut d’exploitation sérieuse et loyale,
– 20 000 € en réparation des autres manquements contractuels,
– 103 270 € en réparation de la contrefaçon résultant de l’exploitation du modèle sur les territoires non concédés par le contrat de licence,
– 7622 € en réparation de la contrefaçon résultant de la vente du modèle postérieurement à la résiliation du contrat,
– 27 000 € et 7500 € en réparation des actes de contrefaçon résultant respectivement de la reproduction du modèle sur le Cdrom et sur les sites internet,
– 7500 € en réparation des atteintes à son droit moral.
Il demande en outre d’ordonner la publication du jugement dans la presse et sur internet sous astreinte et de condamner la société Groupe Berchet à lui payer la somme de 20 000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du ncpc, le tout sous le bénéfice de l’exécution provisoire.
La société Groupe Berchet a signifié ses écritures récapitulatives le 6 septembre 2006.
Aux termes de celles-ci, elle conclut au débouté de l’ensemble des demandes estimant avoir entièrement satisfait à ses obligations contractuelles et considérant que les actes de contrefaçon reprochés ne sont pas établis et sollicite l’allocation de la somme de 20 000 € au titre de ses frais non taxables.
Subsidiairement, elle demande de condamner le demandeur à lui remettre sous astreinte les factures correspondant aux redevances dont il demande le paiement et de subordonner l’exécution provisoire à la constitution d’une caution bancaire.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 14 septembre 2006.
DISCUSSION
Sur les manquements contractuels
* Sur le défaut de paiement des redevances :
Attendu qu’il n’est pas contesté que le demandeur n’a pas perçu les redevances minimales garanties correspondant aux années 2001 et 2002 ; que la société Groupe Berchet oppose que la dette ne porte que sur une année et demi dès lors que la résiliation est intervenue le 28 septembre 2002 et que Guillaume P. a refusé le paiement de la somme de 5716,84 €, le chèque lui ayant été retourné ; qu’elle subordonne le paiement de cette somme à la remise des factures ;
Attendu qu’il est constant qu’en application de l’article 12 du contrat le licencié était redevable d’une redevance minimale de 3810 € par an calculée pour la période allant du 1er avril de l’année N au 31 mars de l’année N+ ; qu’aucune disposition contractuelle n’impose au licencié de payer intégralement la redevance annuelle en cas de résiliation du contrat en cours d’année ; qu’en conséquence, il y a lieu de condamner la société Groupe Berchet à payer à Guillaume P. la somme de 5716,84 € correspondant à la période du 1er avril 2001 au 28 septembre 2002 ; que les intérêts légaux sont dus à compter de l’assignation, la lettre de Guillaume P. en date du 26 mars ne comportant pas une interpellation suffisante pour valoir mise en demeure ;
Attendu que le paiement est subordonné à l’envoi préalable par le demandeur des factures annuelles correspondantes, sans qu’il y ait lieu de prononcer une astreinte ;
* Sur le défaut d’exploitation sérieuse et loyale :
Attendu que Guillaume P. fonde ses demandes sur les dispositions des articles 5 et 10 du contrat de licence qui imposent au licencié d’exploiter le modèle « de manière effective, sérieuse, loyale et continue » et « de tout mettre en œuvre pour fabriquer le modèle en quantité suffisante pour répondre à la demande de la clientèle » ainsi que pour sa « diffusion et commercialisation… afin d’en assurer la vente optimum tant par son réseau de représentants que par tous autres moyens ou médias » ;
Qu’il fait valoir que la société Groupe Berchet n’a vendu que 750 voitures-bidons par an alors que les prévisions avancées lors des négociations précontractuelles envisageaient 38 000 voitures vendues en trois ans dans une hypothèse basse pour en déduire que son modèle a été utilisé essentiellement comme vecteur de l’image de marque de Berchet, la société n’ayant jamais réellement envisagé de procéder à une commercialisation conforme à son potentiel ; qu’il considère que le jouet en cause a été mis en vente à un prix public trop élevé, 999 francs au lieu des 899 francs prévus à l’origine, prix qui n’a cessé d’augmenter pour atteindre 2000 francs, soit 300 €, directement lié à une politique de prix trop élevé en direction des distributeurs ; qu’il ajoute que la société Groupe Berchet n’a engagé aucun démarchage en direction de la grande distribution qui pourtant représente plus de 40% du marché du jouet et aurait permis la vente de 30 000 modèles en quatre ans selon les estimations du Cabinet Sorgem ;
Attendu que la société Groupe Berchet oppose qu’il appartenait au demandeur de mettre en œuvre la sanction contractuellement prévue en cas de défaut d’exploitation sérieuse, à savoir la résiliation, ce qu’il s’est gardé de faire ; qu’elle n’était tenue que d’une obligation de moyen à laquelle elle a satisfait en réalisant pendant la durée du contrat un chiffre d’affaires de 1,9 millions de francs (290 000 €) ; qu’elle souligne que le dossier technique remis par le demandeur était insuffisant et que le modèle prévu ne répondait pas aux normes en vigueur pour les jouets de sorte qu’elle a dû faire procéder à des modifications importantes ; que les coûts de fabrication étaient très élevés et n’ont pu être réduits en dépit des suggestions présentées par Guillaume P., suggestions qui n’étaient pas adaptées ; qu’elle indique encore avoir investi dans une importante campagne publicitaire pour lancer ce produit (dossier de presse, cartes postales, expositions dans les salons professionnels, présentation au salon de l’Auto), et précise qu’elle n’avait nullement l’obligation de réduire sa marge ; quant au marché de la grande distribution, il n’a pu être touché précisément en raison du prix de revient qui conduisait à un prix public incompatible avec la politique des hyper et supermarchés ;
Attendu que le contrat de licence met à la charge du licencié une obligation de moyen qui doit être qualifiée d’obligation de moyen renforcée en ce qu’il lui incombait de tout mettre en oeuvre pour parvenir à une commercialisation optimale ;
Attendu qu’étant rappelé que la société Groupe Berchet est l’un des acteurs majeurs du marché du jouet en France et que sa filiale Toys Toys parvient à commercialiser 150 000 voitures pour enfants par an sur 15 marques et trois modèles par marque, ce qui n’est pas contesté, il apparaît de prime abord surprenant que les ventes du modèle « Bidon » ne soient pas parvenues au fil des années à dépasser le seuil de 750 pièces par an ;
Que pour expliquer un tel échec, la société Groupe Berchet, qui a développé une communication conséquente sur le produit en cause ainsi que le démontrent notamment les coupures de presse et les diffusions sur internet, se borne à invoquer une inadaptation du produit tel que conçu par le demandeur et un prix de revient excessif ;
Attendu cependant, qu’en professionnelle avertie, la société Groupe Berchet pouvait se convaincre dès l’origine de la nécessité de mettre au point un prototype conforme à la législation en vigueur dans le domaine du jouet et donc des coûts induits par les modifications à apporter ;
Attendu par ailleurs, que la signature du contrat de licence a, comme il est de règle, été précédée d’une étude de faisabilité de manière à appréhender un prix de revient, dont la société Groupe Berchet ne peut prétendre qu’il a été fixé « approximativement » se fondant en cela sur le seul document à disposition du demandeur, affirmation qui manque à l’évidence de sérieux ;
que s’il incombe au demandeur à l’instance d’apporter la preuve des manquements qu’il allègue, il revient au débiteur de l’obligation de justifier des diligences accomplies pour y parvenir lorsque, comme c’est le cas en l’espèce de demandeur ne peut que rapporter des commencements de preuve, les éléments déterminants étant entre les mains du défendeur ; que force est de constater que la société Groupe Berchet se garde de verser aux débats quelques pièces que ce soit, hormis les documents publicitaires ;
Attendu que sachant au moment de la signature du contrat que le prix de revient serait élevé, la société Groupe Berchet ne pouvait qu’en déduire un marché limité et destiné à un public ciblé, ce que démontre du reste la publicité de lancement indiquant un « tirage limité à 500 exemplaires » positionnant le produit comme une « pièce de collection », incompatible avec les engagements contractuels de commercialisation optimale qui doit s’entendre comme une commercialisation large et non limitée à un marché de niche ;
Attendu qu’aucun élément du dossier ne vient étayer le fait que la société Groupe Berchet aurait cherché comme elle le prétend à réduire le prix de revient ;
Qu’ainsi le marché de la grande distribution se trouvait-il effectivement fermé et ne semble du reste pas avoir été même seulement abordé, alors qu’il représente le plus large potentiel ;
Attendu que le choix stratégique d’une large communication sur un produit volontairement placé dans le très haut de gamme du jouet confirme l’analyse du demandeur selon lequel le contrat de licence a été détourné de son objet, en cela que le produit a été principalement utilisé comme un vecteur de communication pour le groupe et non comme un objet de commerce ; qu’en cela la défenderesse a commis une faute dont elle doit réparation ;
Attendu en revanche que le demandeur ne peut faire grief à la société Groupe Berchet de n’avoir pas donné suite aux contacts qu’il avait eus avec la société américaine Texaco, les Etats-Unis ne faisant pas partie des territoires concédés par le contrat ; qu’il ne saurait être reproché à la défenderesse de ne pas avoir signé un avenant, ce à quoi rien ne l’obligeait ;
Attendu que Guillaume P. reproche également la perte d’un marché avec la société BP Amoco ; que cependant la lettre versée aux débats, si elle manifeste un vif intérêt pour le produit et autorise l’apposition de la marque BP, ne laisse entrevoir aucune perspective de commercialisation au sein du groupe britannique BP autre que l’achat de deux exemplaires pour des manifestations internes ; qu’aucune faute contractuelle ne peut être reprochée dans ce cadre à la société Groupe Berchet ;
Attendu que le demandeur ne peut davantage se prévaloir d’un manque à gagner postérieur à la résiliation du contrat du fait d’une prétendue impossibilité de commercialisation liée à la mauvaise exploitation pendant la période contractuelle, grief qui, s’il était retenu, aboutirait à pénaliser l’auteur de la résiliation du fait de celle-ci alors qu’elle est intervenue dans les conditions contractuellement prévues ;
Attendu que Guillaume P. fait encore grief à la société Groupe Berchet de ne pas lui avoir réglé ses redevances aux termes prévus par le contrat, de ne pas avoir permis l’accès aux documents comptables à un professionnel de la comptabilité dans le courant du mois d’août 2002 et de n’avoir pas établi d’inventaire de fin de contrat ;
Attendu qu’il est établi qu’à la date du 27 mai 1998, le demandeur n’avait pas perçu les redevances de l’exercice clos au 31 mars, que de même les redevances de 2001 n’ont été adressées à Guillaume P. qui les a refusées qu’avec celles de l’année 2002 ; qu’il n’est pas discuté que l’inventaire de fin de contrat n’a pas été dressé ; que ces manquement sont fautifs ;
Attendu qu’en revanche, bien qu’il soit avéré que la société Groupe Berchet n’était pas fermée pour congés en août 2002 ainsi qu’elle l’avait initialement prétendu, il est permis d’admettre que la période choisie par Guillaume P. n’avait pas sa convenance ; que force est de constater que le demandeur n’a pas cherché à obtenir un autre rendez-vous ; que ce grief sera écarté ;
Sur les actes de contrefaçon
* Sur les ventes hors contrat de licence
Attendu qu’il n’est pas contesté que la société Groupe Berchet a vendu dans le courant de l’exercice 2001, 505 exemplaires du modèle concédé aux Etats-Unis, territoire sur lequel elle ne disposait d’aucune autorisation ainsi que déjà relevé ; que le demandeur a perçu des redevances sur ces ventes ; que la défenderesse ne saurait arguer d’une quelconque bonne foi, inopérante en matière de contrefaçon ;
Attendu qu’il n’est pas davantage contesté que la société défenderesse a commercialisé 25 exemplaires du modèle au Japon, 12 en Autriche, 5 au Portugal et 6 en Australie, tous territoires exclus du contrat ; que ces exportations constituent également des actes de contrefaçon ;
Attendu que s’il est établi par deux constats que les voitures-bidons étaient encore en vente les 30 novembre 2002 et 30 décembre 2004, soit postérieurement à la résiliation du contrat, ces faits ne sont pas imputables à la société Groupe Berchet dès lors que les offres en ventes ont été constatées sur des sites internet dont elle n’est pas titulaire ; que ce grief doit donc être écarté ;
* Sur les reproductions du modèle sur le Cdrom « Nax et Oyo » :
Attendu qu’à compter de l’année 2000, la société Groupe Berchet a développé une gamme de produits multimédias parmi laquelle un Cdrom intitulé « Je joue avec Nax et Oyo-La chasse aux nuages » contenant six jeux au cours desquels les personnages se déplacent avec la voiture conçue par Guillaume P. ; que cette forme d’exploitation n’a donné lieu à aucune autorisation de sa part ;
Attendu que la société Groupe Berchet fait valoir que cette utilisation entrait bien dans les prévisions du contrat de licence en ce qu’il s’agissait de promouvoir le jouet ;
Attendu cependant que si le contrat de licence précise que la société Groupe Berchet s’engage « à tout mettre en œuvre pour diffuser le modèle », il ne s’agit pas d’une autorisation de diffusion de l’image de cette voiture au sens donnée à ce terme dans le domaine de l’audiovisuel ainsi que tente de le soutenir la défenderesse mais d’une diffusion commerciale de l’objet lui-même, or, le Cdrom ne précise à aucun moment que ce jouet serait en vente et quel serait son prix de sorte que ces reproductions ne peuvent s’analyser en une action publicitaire ;
* Sur la reproduction du modèle sur les sites internet de la société Groupe Berchet :
Attendu qu’il résulte des constats d’huissier dressés les 18 et 19 novembre 2002 que les sites internet exploités par la société défenderesse : « groupeberchet.com », « berchetmedia.com » et « babynaute.com » présentaient encore plusieurs reproductions de la voiture-bidon dont l’une pouvait être utilisée comme carte de vœux électronique ;
Attendu que la société Groupe Berchet expose ici encore qu’il s’agissait d’une action de promotion à l’occasion des fêtes de fin d’années, autorisée par le contrat de licence ;
Attendu cependant que les utilisations étant postérieures à la résiliation du contrat intervenue à l’initiative de la société Groupe Berchet, celle-ci ne peut utilement prétendre en avoir fait un usage licite ;
Que ces exploitations ont cessé après l’engagement de la procédure de référé commercial, soit dans le courant du mois de décembre 2002 ;
* Sur l’atteinte au droit moral de Guillaume P. :
Attendu que le demandeur reproche à la société défenderesse de n’avoir pas mentionné sa qualité d’auteur en regard de la représentation de la voiture-bidon sur les emballages, sur des exemplaires de la voiture elle-même produits dérivés de la marque Renault, sur la documentation accompagnant le produit, dans le Cdrom, sur les sites internet, dans les catalogues ainsi que sur les cartes postales promotionnelles ;
Que la société Groupe Berchet réplique que le nom de Guillaume P. était indiqué sur tous les catalogues et les autocollants apposés sur le modèle mais que pour le surplus, le demandeur avait donné son accord pour que son nom soit omis ;
Attendu que cependant qu’aucune preuve d’un tel accord n’étant rapportée, l’atteinte au droit moral est constituée à l’exception des reproductions sur les catalogues qui mentionnent effectivement le nom de l’auteur ;
Sur les mesures réparatrices
* Au titre des manquements contractuels :
Attendu qu’au titre du défaut d’exploitation sérieuse et loyale du modèle, Guillaume P. demande une indemnité de 118 800 €, étant rappelé que les griefs portant sur les marchés Texaco et BP-Amoco ont été écartés ainsi que le préjudice allégué sur la période postérieure à la résiliation ;
Attendu que selon les conclusions du rapport du Cabinet Sorgem, commandé par Guillaume P. aux fins d’évaluation de son préjudice, les ventes manquées résultant de l’absence de démarchage de la grande distribution peuvent être estimées à 30 000 sur la période contractuelle en retenant qu’il existe au total 9700 hyper et supermarchés en France qui auraient pu vendre chacun 15 jouets par an la première année et 5 au cours des trois années suivantes, soit un chiffre d’affaires de 2 970 000 € en retenant un prix de vente de 99 € ; que la redevance contractuelle étant de 4%, le préjudice subi par le demandeur s’établit à 118 800 €, étant observé qu’il n’a pas intégré dans sa prétention l’actualisation proposée par le Cabinet Sorgem ;
Attendu que la société Groupe Berchet ne propose aucune alternative à ce mode de calcul quelle estime fantaisiste et sans rapport avec la réalité économique de l’époque considérée ;
Que cependant, s’agissant de la réparation d’une perte de chance, les estimations réalisées pour le compte du demandeur se situent à juste titre dans le cadre d’un modèle économique connu permettant au tribunal de disposer d’une approche cohérente du marché du jouet, le prix de vente proposé reposant sur un prix de revient réaliste et une marge couramment pratiquée dans ce secteur (coefficient de 1,5) ;
Attendu que ce chiffre sera en conséquence retenu ;
Attendu qu’au titre des autres manquements contractuels, le demandeur réclame l’allocation de la somme de 20 000 € ;
Qu’en considération des seules fautes retenues, il sera alloué à Guillaume P. la somme de 5000 € de ce chef ;
* Au titre de la contrefaçon :
Attendu qu’en réparation des actes de contrefaçon résultant de la vente hors des territoires autorisés, Guillaume P. demande une indemnité de 103 270 € ;
Attendu que ces ventes portent sur un total avéré de 553 pièces pour lesquelles le demandeur a perçu des redevances ; qu’il n’est nullement démontré que d’autres ventes auraient été réalisées à son insu ;
Qu’il sera alloué à ce titre la somme de 5000 € ;
Attendu que le demandeur ne peut prétendre faire supporter à la société Groupe Berchet les frais afférents à la protection de son modèle sur ces territoires, frais étrangers aux faits de la cause ;
Attendu qu’au titre des exploitations illicites de l’image de la voiture-bidon sur le Cdrom « Nax et Oyo », Guillaume P. demande la somme de 27 000 € et celle de 7500 € au titre des exploitations sur les sites internet de la société Groupe Berchet ;
Attendu que ce préjudice résultant de la vente de Cdrom peut être calculé sur la base de redevances de licence dès lors que l’autorisation qui aurait pu être accordée aurait nécessairement eu pour contrepartie une rémunération proportionnelle ; que toutefois, il doit être retenu qu’une partie de cette demande est couverte par la prescription de trois ans de sorte que seule peut être prise en considération la période comprise entre les 14 novembre 2002 et le 14 novembre 2005, date de l’assignation alors que le Cdrom en cause a été commercialisé depuis 2000 ;
Qu’ainsi que le montre le constat, ce produit était encore en vente sur internet en décembre 2004 ; que la société Groupe Berchet précisant que son chiffre d’affaires global sur le produit s’est élevé à 216 641 €, sans toutefois indiquer la répartition par année, il sera retenu la moitié de ce chiffre, de sorte que le préjudice à réparer s’établir à 4333 € (108 320 x 0,4), somme qui sera donc allouée au demandeur ;
Attendu que le préjudice résultant de la diffusion du modèle sur les sites internet de la société Groupe Berchet postérieurement à la résiliation du contrat sera réparé par l’allocation de la somme de 3000 € ;
Attendu qu’en réparation des atteintes à son droit à la paternité, le demandeur réclame l’allocation de la somme de 7500 € ;
Mais attendu que le préjudice subi de ce chef est relativement limité, la société Groupe Berchet ayant pour une part non négligeable assuré la connaissance effective du nom du créateur du jouet notamment sur ses catalogues annuels ; qu’en conséquence, l’indemnité allouée sera fixée à 1500 € ;
Attendu qu’à titre de réparation complémentaire, il sera fait droit à la demande de publication par voie de presse exclusivement, selon les modalités précisées au dispositif ;
Attendu que la nature et l’ancienneté du litige commandent d’ordonner l’exécution provisoire de la présente décision et ce sans constitution de garantie ;
Sur les autres demandes
Attendu qu’il serait inéquitable que le demandeur supporte la charge de ses frais non compris dans les dépens ; qu’il lui sera alloué à ce titre la somme de 10 000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du ncpc ;
Attendu que la société Groupe Berchet sera condamnée aux entiers dépens de l’instance qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du ncpc ;
DECISION
Le tribunal, statuant en audience publique, par décision contradictoire et en premier ressort,
. Dit que la société Groupe Berchet a manqué à ses obligations contractuelles envers Guillaume P. en ne procédant pas à une exploitation sérieuse et loyale du modèle de jouet dit « voiture-bidon » dont ce dernier est titulaire, en ne payant pas les redevances selon la régularité prévues et en ne faisant pas procéder à un inventaire de fin de contrat,
En conséquence,
. Condamne la société Groupe Berchet à payer à Guillaume P. la somme de 118 800 € à titre de dommages-intérêts du chef de défaut d’exploitation conforme au contrat et la somme de 5000 € à titre de dommages-intérêts au titres des autres manquements,
. Condamne la société Groupe Berchet à payer à Guillaume P. la somme de 5716,84 € au titre des redevances impayées pour les exercices 2001 et 2002 ladite somme portant intérêts au taux légal à compter de l’assignation, le paiement étant subordonné à l’établissement préalable par Guillaume P. des factures correspondantes,
. Dit qu’en exploitant le modèle sur des territoires non autorisés, en procédant à sa reproduction sur le Cdrom « Nax et Oyo » qu’elle édite et commercialise, et en procédant, postérieurement à la résiliation du contrat à la diffusion du modèle sur ses sites internet, la société Groupe Berchet a commis des actes de contrefaçon, portant atteinte aux droits patrimoniaux de Guillaume P. ;
En conséquence,
. La condamne à payer à Guillaume P. les sommes de 5000 €, 4333 € et 3000 € à titre de dommages-intérêts en réparation de chacune des contrefaçons ci-dessus précisées,
. Dit qu’en ne mentionnant pas le nom de Guillaume P. sur les emballages des produits, sur les sites internet, le Cdrom et les cartes postales, la société Groupe Berchet a porté atteinte au droit moral de l’auteur,
En conséquence,
. La condamne à payer à Guillaume P. la somme de 1500 € à titre de dommages-intérêts,
. Autorise la publication de la présente décision par extraits dans trois journaux ou revues au choix du demandeur et aux frais avancés de la défenderesse sur présentation de devis dans la limite de 3500 € hors taxes par insertion,
. Déboute Guillaume P. du surplus de ses demandes,
. Ordonne l’exécution provisoire de la présente décision sans qu’il y ait lieu à constitution de garantie,
. Condamne la société Groupe Berchet à payer à Guillaume P. la somme de 10 000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du ncpc,
. La condamne aux entiers dépens de l’instance.
Le tribunal : M. Claude Vallet (président), Mmes Véronique Renard (vice président), Sophie Canas (juge)
Avocats : Me Julie Jacob, Me Yves Bizollon
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