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Jurisprudence : Contenus illicites

mardi 30 mars 2021
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Tribunal judiciaire de Toulouse, ordonnance de référé du 10 mars 2021

M. X. / M. Y.

injure publique - personnalité politique - réseaux sociaux

Par acte d’huissier en date du 13.11.2020 Monsieur X. a fait assigner devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Toulouse Monsieur Y. :
– pour voir dire et juger que les propos publiés par Monsieur Y. sur le groupe Facebook « … » :  « eh oui mais M. X. est le ptit toutou de M. Z. qui lui même fellationne macron » constituent un trouble manifestement illicite à l’encontre de Monsieur X.
– en conséquence pour qu’il soit ordonné à Monsieur Y. de supprimer, sous astreinte de 200 euros par jour de retard passé le délai de 8 jours à compter de la signification de l’ordonnance à intervenir, le commentaire publié sur le groupe Facebook « … » et accessible à l’URL : hhtps://www.facebook.com/…
– de condamner Monsieur Y. à lui verser la somme de 3000 euros en réparation de son préjudice moral et la somme de 3000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de
procédure civile et à supporter les dépens comprenant les frais des deux procès verbaux de constat des 5 et 8 septembre 2020.

Aux termes de ses dernières conclusions il reprend ses demandes initiales et expose qu’il est maire de la commune de …, qu’il a a mis en place des mesures sanitaires en relation avec l’épidémie de la covid 19, qu’il a régulièrement communiqué sur les obligations incombant à ses administrés, que ce communiqué a été relayé sur la page Facebook d’un groupe public d’entraide entre particuliers intitulé …, qu’un commentaire a été posté par « Y. » qui est Monsieur Y., dont il demande la suppression.
Il indique que son action est parfaitement recevable et que le défendeur confond intérêt à agir et la caractérisation de l’injure.
Il indique que sa demande est fondée au regard des dispositions de l’article 29 alinéa 2 et de l’article 33 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881 compte tenu des termes injurieux employés.
Il conteste le fait que le commentaire ait été supprimé.
Il conteste l’atténuation de responsabilité que fait plaider Monsieur Y.

Aux termes de ses conclusions Monsieur Y. demande au juge des référés :
– de constater que Monsieur X. n’a pas qualité à agir et de constater la fin de non recevoir de l’action,
– si par extraordinaire le défaut de qualité à agir n’était pas retenu de constater que la
publication a été supprimée il y a plus de 11 semaines,
– par conséquence de rejeter la suppression sous astreinte de 200 euros par jour de retard du
commentaires,
– de constater qu’il n’existe aucun préjudice et si par extraordinaire un préjudice devait être retenu, de ramener les dommages et intérêts à de plus justes proportions au vu du contexte de la crise sanitaire et de sa situation personnelle,
– de débouter Monsieur X. de sa demande de 3000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et de dire que chaque partie supportera l’intégralité de ses dépens.

Il rappelle que l’action en justice est ouverte aux personnes qui ont un intérêt à agir, que cet intérêt doit être personnel, direct, né et actuel, et il soutient que Monsieur X. n’a pas qualité à agir car n’ayant pas d’intérêt à agir au regard du commentaire publié dont seule la première partie de la phrase concerne Monsieur X. et ne constitue pas une insulte mais une expression familière.
Subsidiairement il expose qu’il a réagi maladroitement mais n’avait aucune intention de nuire directement à Monsieur X., qu’il convient de contextualiser les propos et que par ailleurs ceux ci constituent l’expression d’une opinion politique liée à l’arrêté pris concernant le port du masque dans la commune protégée par l’article 10 de la convention des droits de l’homme et du citoyen.
Enfin il fait valoir qu’il souffre d’un syndrome anxieux généralisé avec phobie sociale qui explique le ton du commentaire.
Il soutient que le commentaire a été supprimée dans la semaine suivant sa publication.

 

DISCUSSION

Le commentaire litigieux a été posté sur la page Facebook du compte « … » le 31.08.2020 après qu’un communiqué de la mairie de … informant du post du masque obligatoire à … ait été relayé sur ce compte, et ait fait l’objet d’un commentaire par Mme W.

Le titulaire du compte facebook « Y. » a rebondi sur le commentaire posté par Mme W. en postant lui même un commentaire débutant par les termes :
Mme W. eh oui mais M. X. est le ptit toutou de M. Z. qui lui même fellationne macron, la mascarade prend de l’ampleur et tout ça n’est que politique car … n’est pas Toulouse et après 20h il n’y a plus grand monde dans les rues mais bon 135 ça permet de renflouer tes caisses de l’etat, il faut bien que M. X. apporte sa contribution au pillage des français.

Monsieur X. a engagé une action sur le fondement de la loi de 1881 soutenant que les propos écrits par le titulaire du compte Facebook « Y. » dont il n’est pas contesté qu’il s’agit de Monsieur Y., s’agissant des termes « M. X. est le ptit toutou de M. Z. qui lui même fellationne macron » constituent le délit d’injure publique envers un citoyen chargé d’un service de mandat public.

Sur l’intérêt à agir

Le commentaire incriminé vise spécifiquement Monsieur X., maire de cette commune au regard des termes utilisés.

Celui ci a donc un intérêt à agir s’agissant de faire supprimer le commentaire litigieux.

Le fait de déterminer si les propos écrits par Monsieur Y. sont ou non injurieux à l’égard de Monsieur X. relèvent de l’examen au fond s’agissant de caractériser l’existence d’un trouble illicite et non de l’intérêt à agir qui est constitué du fait même que le commentaire vise le demandeur.

L’action de Monsieur X. est donc recevable.

Sur le trouble illicite

Il résulte des dispositions de l’article 835 alinéa 1 que le président peut toujours même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
L’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 dispose dans son alinéa 2 que tout expression outrageante, terme de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait est une
injure.

En l’espèce le commentaire litigieux met en cause le demandeur en le subordonnant à un autre homme politique local à qui il est attribué des pratiques sexuelles avec le Président de la République.
L’expression « le ptit toutou » est à ce titre utilisée de façon méprisante pour établir une
soumission entre Monsieur X. et Monsieur Z., le comportement politique de l’un étant aligné sur les décisions du second.
Par ailleurs le fait d’attribuer des pratiques sexuelles entre Monsieur Z. et le Président de la République est outrageant pour l’un et l’autre.
Certes ce n’est pas directement Monsieur X. à qui sont attribuées les pratiques sexuelles en question mais la construction de la phrase associe le demandeur à celles-ci par l’expression de son inféodation à l’égard de Monsieur Z.

Le commentaire posté constitue donc une expression outrageante pour Monsieur X. remettant en cause son indépendance politique par l’utilisation de termes méprisants et sexuels et constitue donc une injure publique.

Le trouble manifestement illicite est donc caractérisé et justifie qu’il soit fait droit à la demande principale de suppression du commentaire.

Monsieur Y. soutient que ce commentaire a été supprimé mais n’en rapporte pas la preuve : les copies d’écran produites aux débats n’établissent pas en effet la preuve de la suppression.

Il convient donc d’ordonner la suppression du commentaire sous astreinte.

S’agissant des dommages et intérêts réclamés le préjudice causé à Monsieur X. est établi par le caractère injurieux des propos qui porte atteinte à sa probité et à sa dignité et ce d’autant plus qu’il est une personne exerçant un mandat public.

Si la critique de l’action politique relève du droit d’expression reconnu par la constitution il n’en demeure pas moins que ce droit d’expression ne permet pas de légitimer les propos injurieux tenus.

Les troubles anxieux présentés par Monsieur Y. peuvent expliquer en partie l’outrance de ses propos au regard des contraintes supplémentaires imposées aux habitants de … alors même que celles ci, s’agissant des mesures sanitaires à mettre en place, étaient déjà fortes et pesaient lourdement sur la vie quotidienne de tous.

Au regard de ces éléments il convient de condamner Monsieur Y. à verser une provision d’un montant de 300 euros à Monsieur X. à valoir sur le préjudice subi.

Il est inéquitable de laisser le demandeur supporter les frais irrépétibles engagés pour sa défense et il convient de lui allouer la somme de 1000 euros à ce titre.

Les dépens sont mis à la charge de Monsieur Y.

 

DECISION

Nous, Sophie Mollat, Première Vice-présidente adjointe, statuant en qualité de juge des référés, par ordonnance contradictoire et en premier ressort,

DISONS que les propos publiés par Monsieur Y. sur le groupe Facebook « … » « eh oui mais M. X. est le ptit toutou de M. Z. qui lui même fellationne macron » constituent un trouble manifestement illicite à l’encontre de Monsieur X.

En conséquence ORDONNONS à Monsieur Y. de supprimer le commentaire publié sur le groupe Facebook « … » et accessible à l’URL https://www.facebook.com/… dans un délai de 8 jours suivant la signification de la présente décision et à défaut sous astreinte provisoire de 200 euros par jour de retard pendant un délai de trois mois.

CONDAMNONS Monsieur Y. à payer à Monsieur X. une provision de 300 euros en réparation de son préjudice moral et la somme de 1000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

CONDAMNONS Monsieur Y. à supporter les dépens comprenant les frais des deux procès verbaux de constat des 5 et 8 septembre 2020.

Ainsi rendu les jour, mois et an indiqués ci-dessus, et signé du président et du greffier.


Le Tribunal :
Sophie Mollat (première vice-présidente adjointe), Sophie Frugier (greffier), Virginie Mongil (greffier)

Avocats : Me Laurent Depuy, Me Romain Darriere, Me Emma Delaunay

Source : Legalis.net

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