Jurisprudence : Jurisprudences
Tribunal de commerce de Paris, 15e ch., jugement du 27 novembre 2023
Facil'iti / Koena
accessibilité numérique - concurrence - dénigrement - divulgation d’information - handicap - personnes en situation de handicap - réseaux sociaux
La société Facil’iti propose à une clientèle en situation de handicap une solution « d’accessibilité numérique » qui adapte l’affichage des sites internet en fonction des besoins de l’internaute, en rendant accessible en temps réel les pages web.
La société Koena est une société spécialisée dans les systèmes informatiques et formation professionnelle destinée aux adultes. Dans le cadre de son activité, elle s’est spécialisée « en accessibilité numérique», effectue des audits de conformité aux standards français et internationaux RGAA/WCAG (Référentiel général d’amélioration de l’accessibilité/ Web Content Accessibility Guidelines) et propose des conseils et la mise en place de stratégies en vue d’une conformité auxdits standards.
Deux tweets postés sur twitter par Koena sont à l’origine du présent litige considérés par Facil’iti comme dénigrant sa solution en ce qu’ils jettent le discrédit sur elle dans des conditions de nature à nuire à son activité en portant notamment atteinte à son image et à sa réputation.
Les propos litigieux sont les suivants :
« Arrêtons les messages mensongers !
Non,@FAcilit’I ne permet pas de rendre accessible son site aux personnes en situation de handicap, mais modifie seulement l’apparence des pages : cette solution ne répond pas aux besoins des internautes ».
« Donc pour être clair, @FACIL_ITI ne rend pas #accessible des #formulaires, #images cliquables ou autres obstacles rencontrés par les #internautes en situation de #handicap (nos surlignements), et n’assure pas + la conformité au #RGAA ! Ce n’est pas une solution miracle d’#Accessibilité Numérique ! »
Facil’iti a vainement demandé le 21 avril 2021 à Koena de procéder au retrait desdits tweets et de s’engager pour l’avenir à ne plus les publier, mise en demeure que Koena qui réfute tout dénigrement a publiés au travers de son blog accessible à l’adresse suivante https://koena.net/publications/blog/ avec la réponse négative qui lui a été apportée ainsi que la totalité des courriers et actes de procédure de la présente instance.
Facil’iti demande à présent à ce tribunal d’ordonner la cessation de ces pratiques qui dépassent le droit à la libre critique et de l’indemniser du préjudice subi du fait du dénigrement dont elle estime avoir été victime et du préjudice économique et moral en découlant.
Koena considère quant à elle que Facil’iti, en présentant sa solution comme une solution d’accessibilité innovante a commis des actes de concurrence déloyale en se livrant à des pratiques commerciales trompeuses et demande réparation de son préjudice du fait de ces pratiques qu’elle entend dénoncer et faire cesser.
Ainsi se présente le litige.
LA PROCEDURE :
C’est dans ces conditions que :
Par acte de commissaire de justice du 21 juin 2021 signifié à personne se déclarant habilitée, FACILIT’I a fait assigner Koena.
Un calendrier de mise en état a été établi à l’audience du juge chargée d’instruire l’affaire du 7 avril 2023 fixant les conclusions de :
– Facil’iti au 21 avril 2023
– Koena au 12 mai 2023
Aux audiences des 4 février, 10 juin, 25 novembre 2022 puis par des conclusions en date du 20 avril 2023 suivant le calendrier fixé, Facil’iti demande au tribunal, dans le dernier état de ses prétentions, de :
Vu le code civil et notamment ses article 1240, 1383 et 1383-2 ;
Vu le code de procédure civile et notamment ses articles 46, 6, 9, 146, 699 et 700 ; Vu le code de commerce et notamment son article L721-3 ;
Vu le code de la consommation et ses articles L121-1 et suivants ;
IN LIMINE LITIS,
– DEBOUTER la société Koena de sa demande d’incompétence du tribunal de céans;
– DEBOUTER la société Koena de sa demande de nullité de l’assignation délivrée le 21 juin 2021 à la requête de la société Facil’iti ;
Y FAISANT DROIT,
– DECLARER la société Facil’iti recevable et bien-fondée en toutes ses demandes, fins, moyens et prétentions,
A TITRE PRINCIPAL, sur les actes de dénigrement de la société Koena,
– CONSTATER que les propos tenus par la société Koena sont de nature à jeter le discrédit sur le service d’accessibilité de Facil’iti et à lui nuire en répandant des informations malveillantes, dépassant le droit à la libre critique ;
– PRENDRE ACTE de l’aveu judiciaire de Koena quant aux faits de malveillance et quant au caractère répréhensible des tweets litigieux à travers ses conclusions du 12 novembre 2021 ;
– DIRE ET JUGER que la société Koena s’est rendue coupable de dénigrement, faute de nature à engager sa responsabilité civile délictuelle en application de l’article 1240 du code civil ;
En conséquence,
– CONDAMNER la société Koena au paiement de la somme de 20.100€ à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice économique découlant directement de tels agissements ;
– CONDAMNER la société Koena au paiement de la somme de 5.000€ à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice d’image et réputationnel induit par de tels agissements ;
– ORDONNER à la société Koena de retirer les tweets litigieux et de cesser pour l’avenir tout propos de nature à jeter le discrédit sur la solution Facil’iti en la dénigrant et ce, sur tout support et notamment, sur les réseaux sociaux, blogs, sites web et webinars ;
Sur les demandes reconventionnelles de la société Koena,
– DEBOUTER la société Koena de sa demande reconventionnelle fondée sur de prétendues pratiques commerciales trompeuses commises par la société Facil’iti;
En conséquence,
– DEBOUTER la société Koena de sa demande d’expertise aux fins d’évaluation du préjudice en découlant et de sa demande de provision ;
Si par extraordinaire, le tribunal faisait droit à la demande d’expertise de la société
Koena:
o ORDONNER que la mesure soit intégralement supportée par cette dernière.
– DEBOUTER la société Koena de ses demandes de publication du jugement sur le site internet de la société FACIL’TTI et de cessation sous astreinte de toute référence à l’accessibilité dans le cadre de la commercialisation de sa solution ;
Si par extraordinaire, le tribunal faisait droit à la demande d’expertise de la société Koena :
– ORDONNER que la mesure soit intégralement supportée par cette-dernière.
EN TOUT ETAT DE CAUSE
– CONDAMNER la société Koena à payer à la société Facil’iti la somme de
20.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile;
– CONDAMNER la société Koena aux entiers dépens.
Aux audiences des 12 novembre 2021, 1er avril, 16 septembre 2022, 17 mars 2023 puis par des conclusions récapitulatives en défense n°2 du 12 mai 2023 suivant le calendrier fixé, Koena demande au tribunal de :
ln limine litis
Vu les articles 112 et suivants du code de procédure civile, ensemble les articles 45 et 53 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse
– SE DÉCLARER incompétent ;
À titre subsidiaire,
– ANNULER l’assignation délivrée à Koena à la requête de Facil’iti ;
A titre plus subsidiaire, sur le fond :
Vu l’article 1240 du code civil, ensemble les articles L. 121-1 et suivants du code de la consommation, interprétés à la lumière des Directives de 2016 et 2019
– DIRE que la solution proposée par Facil’iti n’est pas une solution d’accessibilité numérique au sens du droit communautaire et du RGAA
En conséquence,
– DÉBOUTER Facil’iti de l’ensemble de ses prétentions
– DIRE que Facil’iti a commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de Koena, au travers de pratiques commerciales trompeuses ;
– DIRE que ces actes de concurrence déloyale ont causé un préjudice économique et un préjudice moral à Koena ;
Avant dire droit,
– ORDONNER une expertise comptable afin d’évaluer le préjudice subi par Koena au regard de l’avantage concurrentiel indûment tiré par Facil’iti au travers de ces actes;
– CONDAMNER Facil’iti à payer à Koena une provision de 100.000€ à valoir sur dommages-intérêts ;
– ORDONNER la publication du jugement à intervenir sur la page d’accueil du site Internet de Facil’iti pendant une durée de deux mois à compter de sa signification, sous astreinte de 5.000€ par jour de retard et par infraction constatée ;
– ENJOINDRE à Facil’iti de cesser toute référence à l’accessibilité dans ses messages commerciaux à compter de la signification du jugement à intervenir, sous astreinte de 1.000€ par jour de retard et par infraction constatée ;
En tout état de cause :
– CONDAMNER Facil’iti à verser à Koena la somme de 15.000€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– CONDAMNER Facil’iti aux entiers dépens de l’instance.
L’ensemble de ces demandes a fait l’objet du dépôt de conclusions; celles-ci ont été échangées en présence d’un greffier qui en a pris acte à la procédure ou ont été régularisées à l’audience collégiale de plaidoirie.
A l’audience de mise en état du 17 mars 2023 l’affaire a été confiée à l’examen d’un juge chargé de l’instruire en application de l’article 871 du code de procédure civile et les parties sont convoquées à son audience du 7 avril 2023 pour fixation d’un calendrier de procédure conformément à l’article 446-2 du code de procédure civile.
Les parties ayant sollicité lors de l’établissement dudit calendrier une audience collégiale de plaidoirie, elles sont convoquées à l’audience du 22 septembre 2023 à 14h00, à laquelle elles se présentent toutes les deux. Après avoir entendu leurs observations, le président prononce la clôture des débats et annonce que le jugement, mis en délibéré, sera mis à disposition au greffe le 27 novembre 2023, conformément à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
LES MOYENS
Après avoir pris connaissance de tous les moyens et arguments développés par les parties, tant dans leurs plaidoiries que dans leurs écritures, appliquant les dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, le tribunal les résumera succinctement de la façon suivante :
Sur les fins de non-recevoir
ln limine litis
Sur la qualification de diffamation
Koena, défendeur au fond soutient que les messages litigieux s’adressent à la personne morale et non à la solution elle-même. Elle considère que la demande en réparation d’un préjudice ciblé sur une atteinte à l’image et à la réputation est exclusive de la notion de diffamation. Le fait de soutenir comme en l’espèce que la publication de tweets faisant notamment état de « messages mensongers » aurait eu des répercussions préjudiciables sur l’image et la réputation de Facil’iti établit que ce ne sont pas les produits ou services de Facil’iti qui sont visés mais la personne de FACl’LITI qui a diffusé lesdits messages.
Il s’agit dès lors de diffamation et non de dénigrement, le tribunal de commerce est donc incompétent matériellement et l’assignation qui ne contient pas les éléments exigés par l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881 sur la presse dont la diffamation relève est nulle.
Facil’iti réplique que les tweets litigieux sont clairs et ne laissent place à aucune interprétation.
Les propos tenus par Koena dans la réponse à la mise en demeure qui lui a été faite, dans son blog et dans ses écritures montrent qu’ils ont trait à l’outil et non à la société Facil’iti. Facil’iti ne permet pas de rendre» accessible « son site aux personnes en situation de handicap Cette solution ne répond pas aux besoins des internautes.
Il s’agit donc de dénigrement qui relève de la compétence de ce tribunal qui peut parfaitement réparer un préjudice d’image et de réputation, lequel n’est pas exclusif de la diffamation.
En ce qui concerne le fond
Facil’iti soutient que :
Par les propos tenus, Koena a exprimé publiquement une opinion péjorative qui jette le discrédit sur la solution en laissant croire à son inutilité et son inefficacité. Lesdits propos sont exprimés sans base factuelle suffisante et sans mesure. Les appels à témoins lancés par Koena attestent de l’absence de base factuelle. L’expression « messages mensongers» n’est ni neutre, ni objective ni justifiée
Facil’iti prétend en outre que ces tweets sont révélateurs de l’intention malveillante de leur auteur et que Koena en a fait l’aveu.
Koena a dénigré la solution en divulguant l’existence d’une action n’ayant pas donné lieu à une décision de justice allant jusqu’à créer un mot-clé « FACILITIGE » et a relayé sur les réseaux sociaux les différentes étapes de la procédure comme dans un feuilleton.
Les agissements de Koena sont d’autant plus graves que les sociétés en présence sont en situation de concurrence directe.
Son préjudice est économique. Elle l’estime à 20.100€ ce qui correspond au devis du Conseil Départemental des Hauts de Seine qu’elle n’a pas obtenu outre un préjudice d’image et réputationnel qu’elle évalue à 5.000€.
Koena en réplique, Facil’iti s’autorise à présenter sa solution comme une solution
« d’accessibilité numérique », ce qu’elle n’est pas et prétend interdire à Koena de dire le contraire.
Koena considère que : soit la solution de Facil’iti est une solution d’accessibilité et dans ce cas, les messages litigieux ne sont pas dénigrants compte tenu de la mesure du ton et des propos soit la solution de Facil’iti n’est pas une solution d’accessibilité et dans ce cas, les messages litigieux sont fondés et Facil’iti a commis des actes de concurrence déloyale par l’emploi de pratiques commerciales trompeuses.
Koena conteste tout caractère dénigrant à ses propos en ce que la solution de Facil’iti ne permet pas de rendre les sites accessibles aux personnes en situation de handicap. Il s’agit d’une constatation objective, neutre et justifiée. Elle n’a fait qu’user de sa liberté d’expression sans caractère malveillant. Le qualificatif de « mensonger » qu’il se rapporte aux messages ou à la solution, n’a rien de dénigrant.
En tout état de cause, les propos de Koena se rapportent à un sujet d’intérêt général et reposent sur une base factuelle suffisante et avec mesure.
Les sujets liés à l’accessibilité numérique et au handicap sont des sujets d’intérêt général. En publiant l’ensemble des actes de procédure en cours, il ne saurait y avoir de dénigrement.
Concernant le préjudice tiré du refus des sociétés du CAC 40 ou des collectivités territoriales de contracter avec elle alors qu’elles sont légalement tenues d’appliquer le RGAA, il n’existe pas. Facil’iti sera donc déboutée de sa demande en réparation.
En ce qui concerne la demande reconventionnelle du fait de pratiques commerciales trompeuses
L’article L 121-1 du code de la consommation répute trompeuse la pratique commerciale qui repose sur des indications de nature à induire en erreur notamment quant aux caractéristiques essentielles du bien ou du service proposé.
Trois textes sont à prendre en considération : le RGAA qui est un référentiel d’amélioration de l’accessibilité sans valeur contraignante qui vise à rendre accessible aux personnes ayant des handicaps divers un site internet, le WCAG qui sont des lignes-guides et la norme européenne n° EN 301 549.
On ne peut pas s’affranchir de ces textes sauf à apporter la preuve de la fourniture d’un niveau d’accessibilité équivalent.
Le fait pour tout éditeur d’une solution de communication au public en ligne ou tout fournisseur d’une solution destinée à rendre accessible un service de communication au public en ligne, de faire croire que ces solutions sont accessibles sans avoir respecté le RGAA ou offrir un niveau équivalent, est constitutif de pratiques commerciales déloyales au sens de l’article 1240 du code civil.
Facil’iti se présente sur la page d’accueil de son site internet comme une solution
« d’accessibilité numérique » alors que selon les attestations produites aux débats il s’agit simplement d’une surcouche logicielle sur un site non accessible permettant un confort de navigation.
L’utilisation de la notion d’accessibilité numérique est trompeuse dans ce contexte.
En ce qui concerne son préjudice économique, Koena estime que Facil’iti a pu capter une clientèle. Elle sollicite des dommages-intérêts liés à la perte de chance d’attirer la clientèle captée par Facil’iti.
Sur la base d’un coût d’installation de 7.000€ communiqué par Facil’iti, d’un abonnement mensuel sur 3 ans et d’un portefeuille estimé à 500 clients, le chiffre d’affaires qui a ainsi pu être généré est de l’ordre de 14 millions d’euros.
Une expertise visant à évaluer le préjudice subi au regard de l’avantage concurrentiel dont a bénéficié Facil’iti apparait nécessaire. Une provision de 100.000€ à valoir sur dommages intérêts est demandée.
Sur les autres mesures de réparation, Koena demande la cessation des pratiques en interdisant à Facil’iti d’indiquer que sa solution est une solution « d’accessibilité numérique » et ordonnant la publication du jugement à intervenir sur la page d’accueil de son site internet pendant une durée de deux mois sous astreinte.
En réplique, sur la demande reconventionnelle, Facil’iti conteste que sa communication soit trompeuse dans la mesure où la FAQ qui figure sur son site Internet est transparente et indique de façon claire que sa solution ne permet pas de répondre aux exigences du RGAA ni d’ailleurs aux besoins de tous les internautes. La simple référence aux termes d’ « accessibilité numérique » ne justifie pas d’une quelconque tromperie et n’est pas réservée à la seule accessibilité numérique prévue par les textes.
Il n’y a aucune confusion entre l’accessibilité du site et la solution elle-même.
Koena ne rapporte ni la preuve d’une communication trompeuse quant au fait que sa solution relèverait de l’accessibilité règlementaire ni la preuve du risque d’altération du comportement économique du consommateur moyennement attentif.
En ce qui concerne le préjudice et en particulier la demande d’expertise de Koena, celle-ci est vouée à l’échec.
Koena ne propose pas de solutions techniques permettant de rendre un site web accessible, il n’y a donc aucun lien de causalité directe entre les agissements reprochés et le préjudice prétendument subi par Koena.
Il n’y a ni preuve ni commencement de preuve du détournement de clientèle invoqué. Koena devra être déboutée de ses demandes.
DISCUSSION
Sur la qualification des propos dénoncés
Les propos portant atteinte à l’honneur ou à la considération d’une personne physique ou morale relèvent de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. La diffamation est définie par son article 29, alinéa 1er, comme » toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé ». Les abus de la liberté d’expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881 ne peuvent être parés sur le fondement de l’article 1240 du code civil.
En l’espèce, Facil’iti invoque à l’appui de ses prétentions les propos suivants publiés via le compte twitter de Koena : Facil’iti ne permet pas de rendre accessible son site aux personnes en situation de handicap ; cette solution ne répond pas aux besoins des internautes ; Facil’iti ne rend pas accessible des formulaires, images cliquables.
Il résulte de ces tweets que Koena vise par des propos que le tribunal qualifie de clairs, la solution de la société Facil’iti et non la société elle-même.
Le tribunal retient que ces propos mettent en cause la qualité du produit fourni par Facil’iti ce que confirme la réponse de Koena à la mise en demeure de Facil’iti en date du 22 avril 2021 (la solution de Facil’iti n’est pas un outil d’accessibilité numérique) et le contenu même de ses écritures (ces messages ne constituent que des critiques parfaitement objectives de la solution Facil’iti).
La demande en réparation d’un préjudice d’image et réputationnel n’est pas exclusive de la notion de diffamation. Un tel préjudice peut être réparé pour des agissements relevant de la qualification de dénigrement.
En l’espèce, le tribunal retient que les propos litigieux ont porté atteinte à l’image commerciale de Facil’iti et revêtent un caractère fautif.
Au regard de ces éléments, le tribunal retient que les propos incriminés s’analysent en un dénigrement et non en une diffamation Par suite, le litige relève de la compétence du tribunal de commerce et Koena sera déboutée de sa demande en nullité de l’assignation.
Sur la demande au titre du dénigrement
Cette demande est formée au visa de l’article 1240 du code civil qui édicte que tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Le dénigrement se définit comme une pratique qui consiste à jeter le discrédit sur un concurrent en répandant à son propos, ou au sujet de ses produits et ou services, des informations malveillantes dans le but de lui nuire, peu important que cette information soit exacte ou non.
Le fait de dénigrer les produits et services d’une entreprise est condamnable même en l’absence d’une situation de concurrence directe et effective.
La divulgation, par l’une, d’une information de nature à jeter le discrédit sur un produit commercialisé par l’autre constitue un acte de dénigrement, à moins que l’information en cause ne se rapporte à un sujet d’intérêt général et repose sur une base factuelle suffisante, et sous réserve qu’elle soit exprimée avec une certaine mesure.
Il convient pour le tribunal d’apprécier en l’espèce si les propos querellés caractérisent ou non du dénigrement et non pour le tribunal de se prononcer sur le point de savoir si la solution de Facil’iti est ou non une solution d’accessibilité numérique, peu important à cet égard que la divulgation de cette information soit exacte dès lors qu’elle jette le discrédit sur un concurrent.
Facil’iti produit à l’appui de sa demande de caractérisation d’actes de dénigrement :
Le procès-verbal de Maître Thomazon des 6 et 12 mai 2021 établissant qu’au travers du compte twitter de Koena les deux posts litigieux ont été publiés et relayés sur le compte twitter de la présidente de Koena.
Les lettes de mise en demeure de Facil’iti et celles en réponse de Koena publiées sur le blog accessible à l’adresse https://koena.net/publications/blog/ puis tous les actes de la procédure au fur et à mesure de son déroulement.
Le tribunal retient que par les propos tenus dans les deux tweets litigieux reproduits ci-après (« arrêtons les messages mensongers », « cette solution ne répond pas aux besoins des internautes », « Non, la solution ne permet pas de rendre accessible son site aux internautes en situation de handicap », « Facil’iti n’assure pas la conformité au RGAA ! » « ce n’est pas une solution miracle d’accessibilité numérique »), Koena a exprimé publiquement une opinion péjorative sur la solution de Facil’iti.
L’utilisation même du terme « mensonger » dans l’expression « arrêtons les messages mensongers » à propos du message de l’offre d’emploi de Facil’iti qui propose une solution clé en main qui permet d’adapter l’affichage d’un site Internet aux besoins de navigation des personnes en situation de handicap, atteste d’une absence de neutralité et de mesure.
Le fait qu’il soit indiqué que la solution de Facil’iti ne permettrait pas de rendre accessible son site aux personnes en situation de handicap est sans nuance au regard de la multiplicité des handicaps possibles susceptibles d’affecter la capacité des personnes à interagir sur le web.
Si le droit à la libre critique peut être opposé pour justifier la critique de produits et services d’un concurrent, ce droit n’est pas absolu et trouve ses limites dans l’abus de cette liberté au rang duquel figure le dénigrement.
Le tribunal retient que les propos publiés par Koena dans les tweets et les réseaux sociaux s’ils s’inscrivent à l’évidence dans un débat d’intérêt général, ne reposent pas sur une base factuelle suffisante et sont exprimés sans mesure.
Le tribunal constate que les propos incriminés ne reposent sur aucune étude et ne précisent pas quels handicaps ne seraient pas pris en compte par la solution de Facil’iti alors que Facil’iti a toujours précisé que sa solution n’était pas accessible aux non-voyants à la différence d’autres types de handicap.
La base factuelle alléguée en défense ne saurait reposer sur une interprétation de ce que recouvre la notion d’« accessibilité numérique » qui serait réservée, selon Koena, aux seuls opérateurs qui respectent le RGAA.
Le tribunal retient l’absence de toute définition juridique des termes « accessibilité numérique » malgré une dizaine de pages consacrée par Koena à cette question, l’usage de ce terme n’étant pas réservé aux seuls opérateurs économiques d’importance assujettis au RGAA.
Le tribunal retient encore que rendre un site web accessible aux personnes en situation de handicap est une obligation légale pour les sites internet des collectivités territoriales, sites de l’état et opérateurs économiques à l’exception des entreprises employant moins de dix personnes et dont le chiffre d’affaires annuel n’excède pas deux millions d’euros. La solution de Facil’iti peut, à tout le moins, être un site d’accessibilité numérique pour les sites web de ces petites entreprises.
Le tribunal retient, par ailleurs, que Koena, a publié l’ensemble des actes de procédure en cours sur les réseaux sociaux, a organisé un appel à témoignages visant à discréditer la solution d’un concurrent, qu’aucune décision de justice n’est intervenue à ce jour et que l’information diffusée par Koena sur les courriers et actes de procédures est accompagnée de commentaires malveillants. « je pleure de rire en lisant l’assignation …J’attends mon rdv avec mes avocats avant de partager, mais ça vaut son pesant de cacahuètes ! » et du blog (pièce n°48) comportant une vidéo de 5 minutes pour donner des nouvelles du procès intenté par Facil’iti contre Koena (tweets de Madame A.).
Au regard de ces éléments, le tribunal retient que la base factuelle de Koena ne justifie pas les propos tenus et ne saurait lui ôter tout caractère fautif. En conséquence, le tribunal dit que les propos en cause tenus par Koena sont dénigrants et engagent sa responsabilité délictuelle.
Sur les mesures de réparation
– Sur la demande de dommages-intérêts
Il résulte des échanges avec le conseil départemental des Hauts de Seine en septembre 2021 que celui-ci a mis fin aux échanges avec Facil’iti concernant le déploiement de sa solution. Ledit conseil écrivait le 21 septembre 2021 « que l’outil Facil’iti n’a pas trop bonne presse chez nous. Ci-dessous un article envoyé par une personne qui travaille sur l’accessibilité https://koena.net/koena-mise-en-demeure-par-faciliti ». Le tribunal retient que Facil’iti a ainsi perdu le marché.
Facil’iti fournit comme élément justificatif de son préjudice économique le devis du département des Hauts de Seine en date du 6 décembre 2021 d’un montant de 20.100€ HT correspondant les prestations qui auraient dû être réalisées et qui ne l’ont pas été.
Facil’iti estime ainsi son préjudice à l’intégralité du chiffre d’affaires perdu alors qu’il s’agit d’une perte de chance qui ne correspond pas au gain manqué. Facil’iti a indiqué à l’audience collégiale que sa marge était de 56% que le tribunal retient comme étant plausible.
En conséquence de quoi, le tribunal évalue le préjudice économique subi par Facil’iti à la somme de 11.256€ que le tribunal condamnera Koena à payer à Facil’iti.
En ce qui concerne le préjudice moral, Le tribunal trouve suffisamment d’éléments dans la cause pour établir le préjudice d’image et réputationnel à la somme de 5.000€, que le tribunal condamnera Koena à payer à Facil’iti.
– Sur le retrait des tweets litigieux
Eu égard aux agissements dénigrants de Koena, il lui sera ordonné de retirer les tweets litigieux et de cesser pour l’avenir tout propos de nature à jeter le discrédit sur la solution de FACl’ITI sur tout support et notamment sur les réseaux sociaux, blogs, sites web et webinars.
Sur la demande reconventionnelle de Koena
– Sur les pratiques commerciales déloyales commises au préiudice de Koena du fait de l’utilisation du terme d’ « accessibilité numérique ».
Les pratiques commerciales trompeuses constituent des pratiques commerciales déloyales définies à l’article L 121-1 du code de la consommation comme étant contraires à la diligence professionnelle et de nature à altérer ou susceptibles d’altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l’égard d’un bien ou d’un service.
L’article L 121-2 2° du code de la consommation dispose qu’une pratique commerciale est trompeuse lorsqu’elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur l’un ou plusieurs éléments suivants :
a) L’existence, la disponibilité ou la nature du bien ou du service ;
b) Les caractéristiques essentielles du bien ou du service,
Il appartient à Koena de rapporter la preuve d’une pratique contraire à la loyauté professionnelle et d’une altération substantielle du comportement économique du consommateur moyen.
Il résulte de la page d’accueil du site www.facil-iti.fr que la solution est présentée comme rendant l’affichage des sites web plus accessibles aux personnes avec des difficultés de navigation ou en recherche de confort. Il est précisé les besoins couverts : besoins visuels et besoins moteurs, besoins cognitifs et temporels ce qu’attestent les constats d’huissier réalisés par Koena (pièce n°16).
Il résulte de la FAQ (pièce n°16) présente sur son site internet que Facil’iti indique « en complément de sa solution, nous recommandons à nos clients de mettre en place sur leur site une démarche d’accessibilité numérique prenant en compte les critères règlementaires du WCAG et du RGAA …. Facil’iti est une solution externe qui permet de modifier l’affichage d’un site sans entrer dans le code. Elle ne se substitue pas au RGAA ».
Il résulte de l’interview du directeur général de Facil’iti publiée sur le blog de Koena (pièce n°17) que « en l’état actuel de la règlementation, Facil’iti ne permet pas de répondre aux exigences du RGAA et de la réponse faite par le président de Facil’iti en 2020 à un article critiquant la solution « Comme vous le précisez, Facil’iti ne se réclame en aucun cas de l’accessibilité normative mais bien par contre de l’accessibilité d’usage » .
Le tribunal retient que le simple usage du terme « accessibilité numérique » n’est pas en soi de nature à justifier une tromperie dès que la communication n’est pas trompeuse, que ce terme n’est pas réservé aux seuls acteurs d’importance tenus de respecter les 106 critères du RGAA dont le tribunal rappelle qu’il constitue une liste de bonnes pratiques afin de remplir un objectif d’accessibilité et qu’il ne constitue pas la seule et unique méthode pour y parvenir.
Koena échoue donc dans la preuve qui lui incombe de rapporter la preuve d’une communication trompeuse.
Le tribunal constate que Koena n’a pas fait la démonstration que la communication en cause aurait altéré le comportement économique du consommateur ce qui constitue une condition essentielle à la caractérisation, entre professionnels, d’une pratique commerciale trompeuse.
Koena échoue donc dans la preuve d’altération substantielle du consommateur moyennement attentif.
Le tribunal déboutera en conséquence Koena de sa demande de ce chef.
Sur les demandes à titre d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et les dépens
Facil’iti a dû, pour défendre ses intérêts, supporter des frais irrépétibles qu’il serait inéquitable de laisser à sa charge. Le tribunal condamnera en conséquence Koena à payer la somme de 10.000€ à titre d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, déboutant pour le surplus.
Koena succombant, le tribunal la condamnera aux dépens.
Sans qu’il apparaisse nécessaire de discuter les demandes et moyens autres, plus amples ou contraires que le tribunal considère comme inopérants ou mal fondés et qu’il rejettera comme telles, il sera statué dans les termes suivants :
DECISION
Le tribunal statuant par jugement contradictoire en premier ressort,
Déboute la SAS Koena de sa demande de nullité de l’assignation,
Condamne la SAS Koena à payer à la SASU Facil’iti la somme de 11.256€ à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice matériel subi,
Condamne la SAS Koena à payer à la SASU Facil’iti la somme de 5.000€ en réparation du préjudice moral.
Ordonne à la SAS Koena de retirer les tweets litigieux et de cesser pour l’avenir tout propos de nature à jeter le discrédit sur la solution de la SASU FACl’ITI sur tout support et notamment sur les réseaux sociaux, blogs, sites web et webinars.
Déboute la SAS Koena de sa demande reconventionnelle,
Déboute les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,
Condamne la SAS Koena à payer à la SASU Facil’iti la somme de 10.000€ à titre d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne la SAS Koena aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 70,86€ dont 11,60€ de TVA.
Rappelle que l’exécution provisoire est de droit conformément à l’article 514 du code de procédure civile.
En application des dispositions de l’article 871 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 22 septembre 2023, en audience publique, devant Mme Dominique Entraygues, présidente et Mme Marie-Claire Bizot, M. Jean-Pierre Junqua-Salanne, juges.
Un rapport oral a été présenté lors de cette audience.
Délibéré le 13 octobre 2023 par Mme Marie-Claire Bizot, Mme Dominique Entraygues et M. Jean-Pierre Junqua-Salanne.
Dit que le présent jugement est prononcé par sa mise à disposition au greffe de ce tribunal, les parties en ayant été préalablement avisées lors des débats dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.
Le Tribunal : Dominique Entraygues (présidente du délibéré), Jérôme Couffrant (greffier)
Avocats : Me Gérard Haas, Me Martine Leboucq-Bernard, Me Matthieu Juglar
Source : Legalis.net
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