Jurisprudence : Responsabilité
Tribunal de grande instance de Paris 12ème chambre/2 Jugement du 1er juin 2007
Oddo et Cie / Trinh Nghia T. et Trung T.
accès non autorisé - concurrence - courrier électronique - fraude informatique - recel - responsabilité - salarié - secret des correspondances
PROCEDURE
Par ordonnance de renvoi de l’un des juges d’instruction de ce siège en date du 14 février 2007, Trinh Nghia T. et Trung T. ont été renvoyés devant ce Tribunal pour :
avoir à Paris de janvier 2004 au 30 novembre 2005, en tout cas sur le territoire national et depuis temps non prescrit :
Trung T.
1/ accédé frauduleusement à tout ou partie de traitement automatisé de données et maintenu frauduleusement tout ou partie d’un système de traitement automatisé de données.
2/ de mauvaise foi, ouvert, supprimé, retardé ou de fournir des correspondances adressés à des tiers, en l’espèce celles M. D. Guy et M. C. Grégoire, ou frauduleusement pris connaissance de celle-ci.
Trinh Nghia T.
1/ sciemment recelé :
– des informations provenant d’un délit d’accès frauduleux de tout ou partie d’un système de traitement automatisé de données ;
– des correspondances de M. D. Guy et C. Grégoire obtenues frauduleusement et de mauvaise foi par M. T. Trung à l’aide d’un violation. Faits prévus et réprimés par les articles 321-1, 321-3, 321-4, 321-9, 321-10, 226-15, 323-1, 323-5 et 323-7 du Code Pénal.
[…]
DISCUSSION
Sur l’action publique
Prévention
Il est reproché à T. Trinh Nghia d’avoir à Paris, de janvier 2004 au 30 novembre 2005, sciemment recélé des informations provenant d’un délit d’accès frauduleux de tout ou partie d’un système de traitement automatisé de données ainsi que des correspondances de MM. D. Guy et C. Grégoire, obtenues frauduleusement et de mauvaise foi par M. T. Trung à l’aide d’une violation de correspondance.
Il est reproché à M. T. Trung d’avoir, à Paris, de janvier 2004 au 30 novembre 2005 accédé frauduleusement à tout ou partie de traitement automatisé de données et de s’y être maintenu et d’avoir, de mauvaise foi, et d’avoir violé le secret de correspondances adressées à M. D. et C.
Résumé de l’information
M. R. Olivier, directeur informatique de la société Oddo a déposé plainte le 18 novembre 2005. Un journal spécialisé, la Tribune, avait publié un mois plus tôt des informations confidentielles préjudiciables. Il s’agissait d’extraits d’un compte-rendu du comité exécutif de la société. Les premières recherches internes avaient permis de découvrir que les boîtes de messageries de deux membres du comité exécutif, MM. D. Guy et C. Grégoire, avaient été piratées. La police établissait que les accès frauduleux avaient pour origine le domicile de Mme T. dans le 13ème arrondissement et un cyber café dans le 4ème.
Or la société Oddo avait déjà employé des membres de la famille T., notamment Trung et Nghia Trinh.
L’interpellation de M. Trung T. et la perquisition effectuée à son domicile le 30 novembre 2005 établissaient rapidement son implication. Dans son ordinateur en effet les enquêteurs découvraient des traces de connexions au compte web mail G.D. Les comptes-rendus du comité exécutif de la société Oddo étaient découverts sur le disque dur. M. T. déclarait qu’il avait été consultant en informatique chez Oddo. Il avait alors eu, de par ses fonctions, connaissance des codes d’accès aux messageries de MM. D. Guy et C. Grégoire. Il les avait conservés puis utilisés épisodiquement à partir de janvier 2004 pour consulter des courriers électroniques. II récupérait au passage des documents confidentiels tels que les comptes rendus litigieux.
M. T. Trinh Nghia était lui aussi interpellé. Depuis son départ d’Oddo (il avait été salarié de 1997 à 2003), il travaillait chez son concurrent, la banque privée Fideuram Wargny spécialisée dans les marchés des capitaux et la gestion privée. Il avait eu connaissance par la presse des velléités de rachat de Wargny par Oddo. Sachant que son frère Trung avait accès à certaines informations sensibles chez Oddo – sans connaître, dit-il, les modalités de cet accès – il lui avait demandé de surveiller attentivement ce qui pouvait concerner le rachat.
M. Trung T. avait donc, chaque jour à partir d’octobre 2005 accédé aux boîtes de messageries de MM. D. Guy et C. Grégoire et avait transmis à son frère les informations concernant l’éventuel rachat. “Depuis la demande de mon frère, je me suis mis à regarder régulièrement et je téléchargeais certains fichiers et je les donnais à mon frère. En fait, je lui transmettais par messagerie électronique à son adresse hotmail”. Il devait revenir sur ce dernier point devant le juge d’instruction.
M. T. Trinh Nghia avait ensuite parlé de ces informations à quatre personnes qui admettaient les avoir reçues mais affirmaient ne pas les avoir sollicitées. Devant le juge d’instruction, il affirmait ne pas avoir reçu de son frère des documents ou fichiers de Oddo. Il niait avoir transmis des informations à la presse.
Déclarations lors de l’audience
M. Trung T. déclare : “je reconnais avoir accédé à la messagerie, mais j’étais persuadé que je pouvais le faire et je n’avais aucune intention malveillance. J’ai été menacé pendant la garde à vue. J’ai été anéanti par ces menaces. Les policiers m’ont menacé de me mettre en prison, si je ne leur disais pas ce qui s‘était passé. Il se peut que je me sois mal exprimé pendant cette garde à vue. J’ai travaillé sept ans chez Oddo. Je connaissais les codes d’accès. J’ai travaillé après pour des producteurs de vin. J’avais deux codes précis de MM. C. et D. J’avais seulement une veille technologique : la surveillance du système d’information pour vérifier que les règles de sécurité de base avaient été mises en oeuvre. Il est d’usage pour un technicien réseau de faire de la veille technologique sauf si la société qu’on quitte nous l’interdit et supprime notre code. Ça s‘est fait de façon très rapide. J’ai simplement vu que le système des mots de passe n‘avait pas été renouvelé. Je n’ai pas averti la société Oddo. Je ne voulais pas nuire à la personne qui s’occupe de ce changement de mot de passe vis à vis de son supérieur hiérarchique. Je n‘ai rien transmis à mon frère. Je ne sais pas comment il a su tout ça “.
M. T. Trinh Nghia déclare : “j’ai entendu des rumeurs de reprises de la société Wargny et j’ai pris peur. J’ai paniqué sur ce rachat. J’ai eu peur car j’avais été licencié par Oddo. Mon frère m’a dit sur ce dossier que c’était un racheteur possible. Je lui ai demandé d’avoir des renseignements sur ce rachat. Mon frère ne m’a jamais fourni de fichier, il ne m’a jamais remis de document papier.
Discussion sur la culpabilité
Il est soutenu que la violation du secret des correspondances ne saurait englober des correspondances de nature professionnelle. En l’espèce les correspondances litigieuses sont certes de nature professionnelle mais elles étaient à l’évidence identifiées comme étant personnelles puisqu’elles figuraient dans la messagerie personnelle des plaignants.
Il est soutenu également que le délit d’accès et de maintien frauduleux n’est pas caractérisé dans la mesure où aucune manoeuvre ou manipulation interdite n’a été effectuée. Or l’utilisation d’un code d’accès à une messagerie par un ancien salarié constitue bien une manoeuvre, l’intéressé ayant parfaitement conscience qu’il n’a plus le droit d’utiliser ce code et qu’il ne fait plus partie de la liste des personnes autorisées.
Les prévenus sont largement revenus sur les aveux qu’ils avaient passés en garde à vue et par lesquels ils expliquaient que M. T. Trung s’était introduit sur les boîtes de messagerie de MM. D. Guy et C. Grégoire, qu’il avait ainsi pu consulter les comptes-rendus du comité exécutif de la société Oddo et qu’il avait communiqué à son frère les informations ainsi obtenues. Les “menaces” exercées sur M. T. Trung lors de sa garde à vue ne sont étayées par rien.
La version présentée par M. T. Trung est incohérente. Il prétend avoir continué – sans le moindre mandat à cet effet – à exercer une veille technologique au profit de la société Oddo mais si tel avait été le cas, son premier réflexe aurait dû être d’avertir son ancien employeur du fait que les mots de passe n’avaient pas été changé et que lui-même pouvait accéder à la messagerie de MM. D. et C.
Les faits reprochés aux deux prévenus sont donc largement établis à la fois par les constatations des services de police, les témoignages recueillis et, accessoirement, par les aveux passés.
Personnalité
– M. T. Trinh Nghia, 36 ans, travaille depuis juin 2006 pour le ministère de l’économie et des finances, à la mission économique de Canton. Son salaire est de 4000€.
– M. T. Trung, 42 ans, est en recherche de travail. Son dernier emploi date de l’an dernier chez France Télécom où il s’occupait des sauvegardes. II est marié. Les seules ressources du couple son le salaire de sa femme qui est formatrice.
Les casiers judiciaires sont vierges.
Discussion sur la peine et décision
M. le procureur de la République a requis une peine de sursis avec mise à l’épreuve.
Les faits commis un porté un trouble conséquent à l’ordre public et causé un réel préjudice aux victimes dont des informations confidentielles ont pu être violées et exploitées. Les deux prévenus dont la responsabilité est équivalente seront donc condamnés à la peine de 6 mois d’emprisonnement avec sursis.
Sur l’action civile
La société Oddo et Cie se constitue partie civile par voie de conclusions déposées par son conseil et sollicite du Tribunal la condamnation solidaire de Trinh Nghia T. et Trung T. à lui payer la somme de 150 000 € à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice et la somme de 15 000 € au titre de l’article 475-1 du Code de procédure pénale.
Il y a lieu de recevoir celle constitution de partie civile en la forme.
Guy D. ès qualité de Directeur se constitue partie civile par voie de conclusions déposées par son conseil et sollicite du Tribunal la condamnation de Trung T. à lui payer la somme de 50 000 € à titre de dommages-intérêts et la somme de 1500 € au titre de l’article 475-1 du Code de procédure pénale.
Il y a lieu de recevoir celle constitution de partie civile en la forme.
Grégoire C. ès qualité de Directeur des Ressources Humaines se constitue partie civile par voie de conclusions déposées par son conseil et sollicite du Tribunal la condamnation de Trung T. à lui payer la somme de 50 000 € à titre de dommages-intérêts et la somme de 1500 € au titre de l’article 475-1 du Code de procédure pénale.
Il y a lieu de recevoir cette constitution de partie civile en la forme.
Motifs
La société Oddo demande la condamnation solidaire des prévenus à lui régler la somme de 150 000 € à titre de dommages intérêts et 15 000 € au titre de l’article 475-1. Il est certain que la société Oddo a subi un préjudice moral important à la suite des agissements des prévenus du simple fait de l’introduction d’un tiers dans le système informatique et l’accès à des données confidentielles. Il n’apparaît pas toutefois que ces faits aient engendré un préjudice matériel particulier et soit à l’origine d’un dommage précis. L’indemnisation de la société Oddo sera donc limitée à la somme de 5000 €. Il sera par ailleurs alloué 500 € pour les frais irrépétibles. Ces sommes seront dues solidairement par les deux prévenus.
MM. D. et C. se constituent parties civiles et demandent pour chacun d’entre eux 50 000 € de dommages et intérêts et 1500 € sur le fondement de l’article 475-1. Les intéressés justifient d’un dommage résultant de l’intrusion de M. T. Trung dans leurs messageries électroniques. Ces faits ont porté une atteinte conséquence à leur vie privée. Il sera alloué à chacun d’entre eux la somme de 1000 € et 500 € pour les frais irrépétibles, cette condamnation civile ne concernant que M. T. Trung, seul visé par la demande.
DECISION
Le tribunal statuant publiquement, en matière correctionnelle, en premier ressort et par jugement contradictoire à l’encontre de Trinh Nghia T., Trung T., prévenus, à l’égard de Oddo et Cie, Guy D. ès qualité de Directeur, Grégoire C. ès qualité de Directeur des Ressources Humaines, parties civiles ;
Sur l’action publique :
. Déclare Trinh Nghia T. coupable pour les faits qualifiés de :
Recel de bien provenant d’un délit puni d’une peine n’excédant pas 5 ans d’emprisonnement, faits commis de janvier 2004 au 30 novembre 2005 depuis temps non prescrit, à Paris et sur le territoire national.
Vu les articles susvisés :
. Condamne Trinh Nghia T. à 6 mois d’emprisonnement.
Vu les articles 132-29 à 132-34 du Code pénal :
. Dit qu’il sera sursis totalement à l’exécution de cette peine dans les conditions prévues par ces articles.
Et aussitôt, le président, suite à cette condamnation assortie du sursis simple, a donné l’avertissement, prévu à l’article 132-29 du Code pénal, au condamné que s’il commet une nouvelle infraction, il pourra faire l’objet d’une condamnation qui sera susceptible d’entraîner l’exécution de la première peine sans confusion avec la seconde et qu’il encourra les peines de la récidive dans les termes des articles 132-9 et 132-10 du Code pénal.
. Déclare Trung T. coupable pour les faits qualifiés de :
Accès frauduleux dans un système de traitement automatisé de données, faits commis de janvier 2004 au 30 novembre 2005 depuis temps non prescrit, à Paris en tout cas sur le territoire national,
Atteinte au secret ou suppression d’une correspondance adressée à un tiers, faits commis de janvier 2004 au 30 novembre 2005 depuis temps non prescrit, à Paris et sur le territoire national.
Vu les articles susvisés :
. Condamne Trung T. à 6 mois d’emprisonnement.
Vu les articles 132-29 à 132-34 du Code pénal :
. Dit qu’il sera sursis totalement à l’exécution de cette peine dans les conditions prévues par ces articles.
Et aussitôt le président, suite à celle condamnation assortie du sursis simple, a donné l’avertissement, prévu à l’article 132-29 du Code pénal, au condamné que s’il commet une nouvelle infraction, il pourra faire l’objet d’une condamnation qui sera susceptible d’entraîner l’exécution de la première peine sans confusion avec la seconde et qu’il encourra les peines de la récidive dans les termes des articles 132-9 et 132-10 du Code pénal.
La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d’un montant de 90 € dont est redevable Trinh Nghia T., de 90 € dont est redevable Trung T.
Sur l’action civile
. Déclare recevables, en la forme, les constitutions de partie civile de Oddo et Cie, de Guy D. ès qualité de Directeur, de Grégoire C. ès qualité de Directeur des Ressources Humaines.
. Condamne solidairement Trinh Ngbia T. et Trung T. à payer à Oddo et Cie, partie civile la somme de 5000 € à titre de dommages-intérêts, outre la somme de 500 € au titre de l’article 475-1 du Code de procédure pénale.
. Déboute Oddo et Cie, partie civile, du surplus de ses demandes.
. Condamne Trung T. à payer à Guy D. ès qualité de Directeur, partie civile, la somme de 1000 € à titre de dommages-intérêts, outre la somme de 500 € au titre de l’article 475-1 du Code de procédure pénale.
. Déboute Guy D. ès qualité de Directeur, partie civile, du surplus de ses demandes.
. Condamne Trung T. à payer à Grégoire C. ès qualité de Directeur des Ressources Humaines, partie civile, la somme de 1000 € à titre de dommages-intérêts, outre la somme de 500 € au titre de l’article 475-1 du Code de procédure pénale.
. Déboute Grégoire C. ès qualité de Directeur des Ressources Humaines, partie civile, du surplus de ses demandes.
Le tribunal : M. Serge Portelli (vice président), M. Eric Vivian (juge)
Avocats : Me Claude De Boosere Lipidi, Me Gérard Haas, Me Roland D’Ornan
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