Jurisprudence : Jurisprudences
TGI de Paris, ordonnance de référé du 16 novembre 2018
M. X. / Umanlife
contrat de mannequin - droit à l'image - durée de cession du droit à l’image - exploitation sur internet - film publicitaire - floutage - point de départ de la durée de la cession - réseaux sociaux
Vu l’assignation en référé délivrée le 20 juillet 2018 à la société Umanlife (ci-après Umanlife), au visa des articles 9 du Code civil, 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme, 145 et 809 du nouveau Code de procédure civile, à la requête de M. X., qui sollicite :
– d’ordonner à Umanlife de cesser, à l’issue d’un délai de 7 jours, à compter de la signification à intervenir, toute diffusion du film publicitaire dans lequel apparaît M. X., sur quelque support que ce soit, et ce sous astreinte de 500 euros par jour de retard,
– interdire à Umanlife de publier de nouveau l’image de M. X., sur quelque support que ce soit, sans avoir obtenu au préalable son autorisation,
– ordonner, sous astreinte, à Umanlife de lui communiquer l’ensemble des documents relatifs à l’exploitation du film publicitaire le représentant,
– se réserver la liquidation de l’astreinte,
– d’ordonner, à titre de provision, à Umanlife de lui payer la somme de 30.000 euros en réparation de son préjudice et celle de 6.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de
procédure civile,
– de condamner Umanlife à lui payer la somme de 1.000 euros de remboursement des frais d’huissier qu’il a dû engager,
– de condamner Umanlife aux dépens, dont recouvrement au profit de Maître Ilana Soskin par application de l’article 699 du Code de procédure civile,
– de rappeler que l’exécution provisoire est de droit,
Vu les conclusions déposées à l’audience du 9 octobre 2018 par le demandeur qui récapitule les demandes contenues dans l’assignation, en ajoutant qu’il soit ordonné à Umanlife de cesser, à l’issue d’un délai de 7 jours, à compter de la signification à intervenir, toute diffusion du film publicitaire dans lequel M. X. apparaît, sur quelque support que ce soit, et ce sous astreinte de 500 euros par jour de retard, y compris les vidéos dans lesquelles son visage a été flouté,
Vu les conclusions déposées à l’audience du 9 octobre 2018 par Umanlife qui nous demande :
– de dire n’y avoir lieu à référé,
– rejeter les prétentions du demandeur,
– lui accorder subsidiairement une provision qui ne saurait être supérieure à la somme de 420 euros,
– le condamner à lui payer, en tout état de cause, une somme de 6.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, avec intérêts au taux légal à compter de ses premières écritures
ainsi qu’aux entiers dépens,
Vu les observations orales des conseils des parties à l’audience du 9 octobre 2018, conseils auxquels il a été indiqué que la décision serait rendue le 14 novembre 2018 par mise à disposition au greffe,
* * *
Il convient, à titre liminaire, de rappeler les éléments suivants :
– M. X. exerce la profession de mannequin,
– la société Umanlife est une start-up spécialisée dans le conseil en systèmes et logiciels informatiques,
– M. X. a tourné un film publicitaire réalisé par Sky Creative pour promouvoir la marque Umanlife au terme d’un contrat d’ “acteur de complément-figurant” du 24 septembre 2013, dans lequel il apparaît au côté de Mme Y.,
– le contrat du 24 septembre 2013, signé entre M. X. et la société Sky Creative, la réalisatrice, porte l’autorisation d’exploiter son image pour une durée de 2 ans pour le support web,
– la société Sky Creative a été placée en liquidation judiciaire le 26 mai 2015,
– la vidéo de présentation du concept Umanlife a été mise en ligne sur la chaîne Youtube de la demanderesse, un lien vers un popin Youtube figurant sur le site internet de la société Umanlife permettant également d’y accéder à partir de l’adresse http://umanlife.com/#popin-video,
– le 14 octobre 2016, M. X. s’est aperçu que le film publicitaire de Umanlife était toujours diffusé sur son site internet accessible à l’adresse www.umanlife.com et sur sa page sur la plate-forme Youtube,
– M. X. a sollicité par plusieurs courriers la cessation de la diffusion du film publicitaire et une indemnisation auprès de la société Umanilife.
M. X. sollicite, outre des mesures de retrait et d’interdiction, l’indemnisation patrimoniale et morale de l’exploitation mondiale de son image ainsi que la communication du contrat entre Umanlife et Sky Creative, la liste complète des supports sur lesquels le film publicitaire a été diffusé, ainsi que les dates de diffusion. Au soutien de ses prétentions, il entend faire valoir le caractère manifestement illicite du trouble lié à l’exploitation de son image sans droit ni titre au delà du 24 septembre 2015, soit pendant une période de 2 ans et 9 mois. Il énonce qu’en vertu du constat d’huissier qu’il verse aux débats, l’exploitation de son image a continué au moins jusqu’au 4 octobre 2018 sur la page Facebook de la société Umanlife. Il souligne, par ailleurs, être mannequin professionnel et que, partant, le droit à l’image revêt une valeur patrimoniale, qu’il exploite d’ailleurs l’image de ses mains comme celle de son corps, et que le “floutage” de son visage par la demanderesse ne saurait lui être opposé comme venant soit anéantir, soit atténuer, son préjudice.
La société Umanlife lui oppose l’absence de trouble manifestement illicite à la date de l’audience car elle a procédé au “floutage” de son visage sur la vidéo promotionnelle, laquelle n’est plus accessible que sur Youtube car elle l’a retirée de sa page Facebook. Elle sollicite par ailleurs le rejet de la demande de provision formulée par le demandeur au motif qu’il ne justifie pas du montant de son préjudice et de la faible exploitation de la vidéo sur sa chaîne Youtube. Enfin, elle entend faire valoir que la période pendant laquelle l’image de M. X. a été utilisée sans qu’il l’ait autorisée s’étale entre le 25 juin 2016 et le 1er septembre 2017, soit pendant une période de 14 mois, et non pendant 2 ans et 9 mois comme il le soutient.
DISCUSSION
Il convient de relever que le droit à l’image protégé par l’article 9 du code civil, dès lors qu’il revêt les caractéristiques essentielles des attributs d’ordre patrimonial, peut valablement donner lieu à l’établissement de contrats, soumis au régime général des obligations, entre le cédant, qui dispose de la maîtrise juridique sur son image, et le cessionnaire, qui devient titulaire des prérogatives attachées à ce droit.
En l’espèce, le contrat signé le 24 septembre 2013 entre M. X. et la SAS Sky Creative stipule que “l’autorisation expresse que votre image (celle de M. X.) ainsi fixée sur la pellicule en vue de l’exploitation de ces films, par tous modes et procédés connus ou inconnus à ce jour, en toutes langues, pour le support du web uniquement (site internet Umanlife et réseaux sociaux, …) en tous formats, par tous moyens et représentations, dans le monde entier, intégralement ou partiellement et ce pour une durée de 2 ans pour laquelle les droits ont été acquis les droits des auteurs y compris tous renouvellement de ces droits”.
Si le contrat fixe bien une durée pour la cession des droits, il convient de relever qu’il ne fixe pas le point de départ de celle-ci. Dès lors, il convient d’interpréter le contrat à la lumière de la volonté des parties.
Or, il résulte de l’exploitation des pièces versées par les parties que la société Umanlife a indemnisé Mme Y., la partenaire du demandeur dans le clip promotionnel, pour la “prestation : Vidéo Umanlife”, pour l’utilisation de ses droits à l’image sur la période du 24 septembre 2015 au 24 septembre 2017, pour un montant de 1200 euros HT. Dès lors, il apparaît que la société Umanlife considère que les prérogatives attachées aux droits dont elle était cessionnaire prenaient fin le 24 septembre 2015, et, comme ils ont été accordés pour une durée de 2 ans, qu’elles avaient commencé le 24 septembre 2013, c’est à dire à la date de la signature du contrat, sans pouvoir sérieusement soutenir à la date de l’audience que l’autorisation d’exploiter les droits a commencé à la date de la première diffusion du support en litige.
En conséquence, et contrairement à ce que soutient la défenderesse, il convient de juger que l’autorisation d’exploitation consentie par M. X. était limitée à 2 ans à compter de la signature de cette autorisation, soit à compter du 24 septembre 2013, et qu’elle courrait jusqu’au 24 septembre 2015.
Ensuite, le demandeur produit un constat d’huissier qui atteste que la vidéo litigieuse était encore diffusée à la date du 4 octobre 2018 sur la page Facebook de la demanderesse (pièce 14 en demande). Or, toute personne, fût-elle mannequin, dispose sur son image et l’utilisation qui en est faite un droit exclusif, dont la seule violation caractérise l’urgence, et ce peu importe que le visage du demandeur soit “flouté” ou non au jour de l’audience, dès lors que le reste de son corps, attribut du droit à l’image, apparaît. Aussi, le trouble illicite est manifestement caractérisé avec l’évidence requise en référé.
Sur le montant de la provision :
Il convient de relever les éléments suivants :
– le contrat signé le 24 septembre 2013 porte une rémunération pour un montant de 900 euros net par jour pour les dates de tournage s’étalant sur 2 jours, les 23 et 24 septembre 2013,
– la facture pour la reconduction des droits de Mme Y., la partenaire du demandeur dans le clip promotionnel, pour la période de dépassement des droits allant du 14 septembre 2015 au 24 septembre 2017, porte la somme de 1 200 euros HT, outre celle de 1 440 euros HT pour la période allant du 24 septembre 2017 au 24 septembre 2019 (pièce 11 et 12 en défense),
– le nombre de vues de la vidéo sur les sites Facebook et Youtube (pièces 15 à 18 en défense),
– la facture en date du 15 janvier 2016 portant sur la prestation de mannequin affectée par le demandeur pour le compte de FSI, portant rémunération à hauteur de 8.000 euros, pour une durée d’exploitation des droits de 12 mois (pièce 17-1 en demande),
A la lumière de ces éléments, il convient d’allouer au demandeur une provision d’un montant net à payer de 4.000 € à valoir sur la réparation de son préjudice moral et patrimonial résultant de l’exploitation des droits attachés à son image sans son autorisation, le montant de la provision n’apparaissant pas sérieusement contestable à hauteur de ce montant.
Il ne sera pas fait droit à la demande de faire interdiction à la société Umanlife de continuer à diffuser la vidéo publicitaire, en ce qu’elle apparaîtrait manifestement disproportionnée s’agissant d’une start up qui a déjà rémunéré Mme Y. pour l’exploitation de ses droits à l’image jusqu’au 24 septembre 2019, qu’elle a “flouté” le visage du demandeur, et que le préjudice du demandeur est suffisamment réparé par l’octroi de la provision.
La diffusion sur d’autres supports n’étant pas démontrée, et la communication du contrat signé entre Umanlife et Sky Creative n’apparaissant pas nécessaire à la résolution du litige, il n’y a pas lieu de faire droit à la demande de communication de pièces formée par Monsieur X.
Partie perdante, la société Umanlife sera condamnée à verser à M. X. la somme de 3.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure pénale, en ce compris les frais d’huissier.
La société défenderesse sera condamnée aux dépens, étant observé que, s’agissant d’une matière où le ministère d’avocat n’est pas obligatoire, il n’y a pas lieu de faire application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
DÉCISION
Le juge des référés, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en premier ressort :
Condamnons la société Umanlife à payer une provision de 4.000 euros à M. X.,
Déboutons la société Umanlife de ses autres demandes,
Condamnons la société Umanlife à payer à M. X. la somme de 3.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamnons la société Umanlife aux dépens de la présente instance, sans qu’il y ait lieu de faire application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
La Cour : Djamel Caillet (juge), Marjorie Bernabé (greffier)
Avocats : Me Ilana Soskin, Me Alain Bensoussan
Source : Legalis.net
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