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jeudi 17 janvier 2019
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TGI de Paris, ordonnance de référé du 9 janvier 2019

La Ville de Paris / Consorts X.

absence d’autorisation de la mairie - amende - immobilier - location - plateforme de mise en relation

Par actes du 14 février 2018, les formalités requises par l’article 684 du code de procédure civile et la convention de La Haye du 15 novembre 1965 relative à la signification ou à la notification d’acte à l’étranger des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile et commerciale ont été accomplies par l’envoi au « Ministery of Popular Power for Foreign Affairs, Bureau of Consular Relations » à Caracas au Vénézuela d’un formulaire F2 et d’une assignation en la forme des référés devant le président du tribunal de grande instance de Paris à notifier à M. X. et à Mme X. à la requête de la ville de Paris, au visa des articles 2 de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989 modifiée par la loi n°2014-366 du 24 mars 2014, L631-7, L632-1 et L651-2 modifié par la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 du code de la construction et de l’habitation et 492-1 du code de procédure civile, aux fins de voir :
– constater l’infraction commise par les consorts X. ;
– condamner in solidum les consorts X. à payer à la ville de Paris une amende civile de 50.000 euros ;
– ordonner le retour à l’habitation des locaux (lot n°24) transformés sans autorisation situés XX rue XXX à
Paris 1er, sous astreinte ;
– condamner in solidum les consorts X. à payer à la ville de Paris la somme de 1500 euros au titre de l’article
700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.

A l’audience du 7 novembre 2018, après un renvoi ordonné le 4 juillet 2018, les consorts X. sont intervenus volontairement à l’instance, en l’absence de retour des actes de notification par l’entité requise au Vénézuela.

Oralement à l’audience du 7 novembre 2018, la ville de Paris a maintenu toutes ses demandes.
Elle rappelle que l’infraction est contestée mais que les consorts X. ne produisent aucune pièce.
La ville de Paris soutient que les consorts X. ont donné en location meublée de courte durée à une clientèle de passage, depuis le 1er décembre 2014, un appartement (lot n°24) dépendant de l’immeuble du XX rue XXX à Paris 1er et ne constituant pas leur résidence principale et que la preuve de la cessation de l’infraction n’est pas rapportée. La ville de Paris fait valoir que la location meublée de courte durée à une clientèle de passage, sans autorisation préalable, constitue un changement d’usage qui doit être sanctionné.

Dans leurs conclusions déposées et développées oralement à l’audience du 7 novembre 2018, les consorts X. ont conclu, à titre principal, au débouté des demandes de la ville de Paris en soutenant que l’infraction n’était pas caractérisée et que l’appartement pris en photo n’était pas le leur. A titre reconventionnel, ils ont alors sollicité la condamnation de la ville de Paris à leur payer la somme de 1500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
A titre subsidiaire, les consorts X. ont conclu, si l’appartement s’avérait être le leur, à la fixation de l’amende à la somme de 835 euros (soit 5 locations à 167 euros la nuitée), en faisant valoir qu’ils n’ont pas procédé à des locations massives. Ils ont également conclu au rejet des autres demandes de la ville de Paris.

Conformément aux dispositions de l’article 446-1 du code de procédure civile, pour un plus ample exposé du litige, il est renvoyé à l’acte introductif d’instance et aux conclusions développées oralement à l’audience.

Le ministère public a donné son avis le 25 janvier 2018.

A l’audience du 7 novembre 2018, l’affaire a été mise en délibéré au 9 janvier 2019 en raison de la participation du juge à une session d’assises d’une durée de deux semaines au mois de décembre 2018 et en raison des vacations qui suivent cette session.


DISCUSSION

Sur le non-respect de l’article L631-7 du code de la construction et de l’habitation

L’article 2 de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989 dans sa rédaction issue de la loi 2014-366 du 24 mars 2014 dispose notamment :
« Les dispositions du présent titre sont d’ordre public.
Le présent titre s’applique aux locations de locaux à usage d’habitation ou à usage mixte professionnel et d’habitation, et qui constituent la résidence principale du preneur, ainsi qu’aux garages, aires et places de stationnement, jardins et autres locaux, loués accessoirement au local principal par le même bailleur. La résidence principale est entendue comme le logement occupé au moins huit mois par an, sauf obligation professionnelle, raison de santé ou cas de force majeure, soit par le preneur ou son conjoint, soit par une personne à charge au sens du code de la construction et de l’habitation. »

L’article L 631-7 du code de la construction et de l’habitation dans sa rédaction issue de la loi n°2014-366 du 24 mars 2014 prévoit :
« La présente section est applicable aux communes de plus de 200 000 habitants et à celles des départements des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne. Dans ces communes, le changement d’usage des locaux destinés à l’habitation est, dans les conditions fixées par l’article L. 631-7-1, soumis à autorisation préalable.
Constituent des locaux destinés à l’habitation toutes catégories de logements et leurs annexes, y compris les logements-foyers, logements de gardien, chambres de service, logements de fonction, logements inclus dans un bail commercial, locaux meublés donnés en location dans les conditions de l’article L 632-1.
Pour l’application de la présente section, un local est réputé à usage d’habitation s’il était affecté à cet usage au 1er janvier 1970. Cette affectation peut être établie par tout mode de preuve. Les locaux construits ou faisant l’objet de travaux ayant pour conséquence d’en changer la destination postérieurement au 1er janvier 1970 sont réputés avoir l’usage pour lequel la construction ou les travaux sont autorisés.

Toutefois, lorsqu’une autorisation administrative subordonnée à une compensation a été accordée après le 1er janvier 1970 pour changer l’usage d’un local mentionné à l’alinéa précédent, le local autorisé à changer d’usage et le local ayant servi de compensation sont réputés avoir l’usage résultant de l’autorisation.
Sont nuls de plein droit tous accords ou conventions conclus en violation du présent article.
Le fait de louer un local meublé destiné à l’habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile constitue un changement d’usage au sens du présent article. »

L’article L 651-2 du code de la construction et de l’habitation dans sa rédaction issue de la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 prévoit également :
« Toute personne qui enfreint les dispositions de L 631-7 ou qui ne se conforme pas aux conditions ou obligations imposées en application dudit article est condamnée à une amende civile dont le montant ne peut excéder 50.000 euros par local irrégulièrement transformé.
Cette amende est prononcée par le président du tribunal de grande instance, statuant en la forme des référés, sur requête du maire de la commune dans laquelle est situé le local irrégulièrement transformé ou de l’Agence nationale de l’habitat et sur conclusions du procureur de la République, partie jointe avisée de la procédure. Le produit de l’amende est intégralement versé à la commune dans laquelle est situé ce local. Le tribunal de grande instance compétent est celui dans le ressort duquel est situé le local.
Sur requête du maire de la commune dans laquelle est situé le local irrégulièrement transformé ou de l’Agence nationale de l’habitat, le président du tribunal ordonne le retour à l’usage d’habitation du local transformé sans autorisation, dans un délai qu’il fixe. A l’expiration de celui-ci, il prononce une astreinte d’un montant maximal de 1 000 € par jour et par mètre carré utile du local irrégulièrement transformé. Le produit en est intégralement versé à la commune dans laquelle est situé le local irrégulièrement transformé.
Passé ce délai, l’administration peut procéder d’office, aux frais du contrevenant, à l’expulsion des occupants et à l’exécution des travaux nécessaires ».

Au regard de l’objectif de ces textes, conçus pour lutter contre la pénurie de locaux offerts à la location aux individus et aux familles cherchant à se loger dans les zones géographiques concernées, la location de courte durée, épisodique, à l’usage d’une clientèle de passage pour des motifs de travail ou touristiques, correspond à un usage hôtelier, différent de l’usage d’habitation.

En l’espèce, les consorts X. sont propriétaires du lot n°24 dépendant d’un immeuble situé XX rue XXX à Paris 1er suivant relevé de propriété produit par la ville de Paris.

Mme Y., agent assermenté du service municipal du logement, a relevé dans son constat d’infraction daté du 9 octobre 2017 que l’appartement, objet du constat, était le lot n°24 situé dans le bâtiment A, au 4e étage droite.
Les consorts X. n’ont rapporté aucun élément de preuve contraire sur la localisation du lot n°24 dans l’immeuble.

Il ressort des investigations menées par Mme Y., lors d’une visite sur place le 21 septembre 2017, que le lot n°24 était occupé, selon l’agent assermenté, par deux « touristes américaines » qui ont refusé de la laisser entrer et de répondre à ses questions.

Mme Y. a relevé, dans son constat, qu’elle avait pu reconnaître, lorsque les « touristes américaines » ont ouvert la porte, le mur de l’entrée de l’appartement avec des tableaux qu’elle a matérialisés ensuite sur l’une des photographies mises en ligne avec l’annonce sur le site abritel.fr. Cette constatation ajoutée à celle que l’appartement où elle s’est présentée était le lot n°24 vaut jusqu’à preuve du contraire – contraire qui n’est pas rapporté en l’espèce.

La différence de surface entre 45 m2 (mentionnée sur le constat) et 49 m2 (mentionnée sur l’annonce du site) ne permet pas, du fait de la faible différence, de conclure qu’il ne s’agirait pas du même appartement.

Il sera donc considéré que l’appartement où s’est présenté Mme Y. le 21 septembre 2017 était le lot n°24. Il est toutefois exact qu’en l’absence de déclaration des personnes américaines présentes dans l’appartement, il n’a pas pu être établi à quel titre ces personnes occupaient l’appartement, l’agent assermenté se bornant à présumer qu’il s’agissait d’une location meublée de courte durée à une clientèle de passage.

Il ressort encore des investigations de Mme Y. menées sur la plateforme internet abritel.fr que l’annonce relative à l’appartement litigieux recensait 24 photographies et 5 commentaires de touristes – le plus ancien datant de décembre 2014 et le dernier d’octobre 2016.

S’il importe peu que les prénoms figurant sur l’annonce ne correspondent pas à ceux des propriétaires – ces derniers pouvant choisir de se présenter sous des prénoms d’emprunt – en revanche, il est regrettable qu’en présence de seulement cinq commentaires, tous les commentaires n’aient pas été reproduits dans le constat pour être soumis ensuite à l’appréciation du juge. Dès lors, il sera relevé que le caractère répété de la location de courte durée repose sur seulement deux commentaires – les simulations de réservation n’étant qu’un indice de la possible commission de l’infraction mais pas la preuve.

Les consorts X. ne contestent pas que le lot n°24 constitue une résidence secondaire et que leur résidence principale se trouve au Vénézuela.

Ils ne contestent pas non plus que le lot n°24 est à usage d’habitation ainsi que cela résulte de la déclaration modèle H2 produite.

Eu égard aux éléments apportés par la ville de Paris pour caractériser l’infraction, l’estimation du gain retiré des prétendues locations de courte durée sur la base d’un taux d’occupation de 75% au tarif de 167 euros la nuitée à la somme de 82.654 euros apparaît dès lors sans lien avec la réalité caractérisée.

Sur la base de deux commentaires et de la précision sur l’annonce d’un minimum de 4 nuitées par séjour et en l’absence de production des relevés locatifs du site abritel.fr par les consorts X., la seule certitude qui existe est que le lot n°24 a été loué à deux reprises pour au moins 8 jours au total.

Dès lors,

 

 

Eu égard aux éléments suivants, à savoir :
– les deux seuls commentaires versés aux débats,
– l’absence de production des relevés locatifs,
les consorts X. seront condamnés, en conséquence, à une amende de 3000 euros.

Sur le retour à l’habitation

L’article L651-2 du code de la construction et de l’habitation dans sa rédaction issue de la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 prévoit en son 3e alinéa :
« Sur requête du maire de la commune dans laquelle est situé le local irrégulièrement transformé ou de l’Agence nationale de l’habitat, le président du tribunal ordonne le retour à l’usage d’habitation du local transformé sans autorisation, dans un délai qu’il fixe. A l’expiration de celui-ci, il prononce une astreinte d’un montant maximal de 1 000 € par jour et par mètre carré utile du local irrégulièrement transformé. Le produit en est intégralement versé à la commune dans laquelle est situé le local irrégulièrement transformé. »

Les consorts X. ne versant aux débats aucun élément permettant d’établir la cessation de l’infraction, le retour à l’usage d’habitation du lot n°24 transformé sans autorisation sera ordonné sous astreinte de 200 euros par jour, à compter de la signification de la présente décision, ladite astreinte ayant vocation à courir pendant un délai de 60 jours.

Sur l’article 700 du code de procédure civile

Les consorts X. seront condamnés à payer à la ville de Paris la somme de 1500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.


DÉCISION

Statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par ordonnance contradictoire et en premier ressort,

Constatons que les consorts X. ont enfreint les dispositions de l’article L637-1 du code de la construction et de l’habitation au titre de l’appartement constituant le lot n°24 dans un immeuble situé XX rue XXX à Paris 1er ;

Condamnons in solidum les consorts X. à payer à la ville de Paris une amende civile de 3000 euros pour cette infraction ;

Ordonnons le retour à l’usage d’habitation du lot n°24 transformé sans autorisation, sous astreinte de 200 euros par jour, à compter de la signification de la présente décision, ladite astreinte ayant vocation à courir pendant un délai de 60 jours ;

Nous réservons la liquidation de l’astreinte ;

Condamnons in solidum les consorts X. à payer à la ville de Paris la somme de 1500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Déboutons les parties du surplus de leurs demandes ;

Condamnons in solidum les consorts X. aux dépens.


Le Tribunal :
Séverine Moussy (vice-présidente), Marie Poinsignon (greffier)

Avocats : Me Fabienne Delecroix, Me Romain Darriere

Source : Legalis.net

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