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Jurisprudence : E-commerce

mercredi 13 juillet 2011
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Tribunal de commerce de Paris 15ème chambre Jugement du 21 juin 2011

CD-Prospect / Manageo (Optima on line)

compétence - expertise - nom de domaine - propriété intellectuelle - tribunal de commerce

FAITS

La société CD Prospect est une société ayant pour activité la réalisation de logiciels, la constitution de bases de données et leur commercialisation ; elle a notamment créé un annuaire commercialisé essentiellement depuis son site internet ; la société Optima on Line est une société qui a notamment pour activité la gestion de bases de données et la création de sites internet ; elle commercialise notamment des Cdroms ; la société CD Prospect a constaté que des clients qui pensaient acheter ses produits avaient été détournés chez son concurrent Optima on Line ;

Elle a alors fait constater par voie d’huissier, le 28 janvier 2010, les résultats obtenus, sur le moteur de recherche www.googlefr, à partir des mots clés suivants : cd Prospect, cd-Prospect et cdprospect ;

Il résulte de ces constatations que quelle que soit la déclinaison des termes « cd-Prospect » qui définissent, selon elle, à la fois le produit commercialisé par la demanderesse et la demanderesse elle-même, le moteur de recherche www.google.fr renvoie au site internet www.france-Prospect, une des réponses affichée renvoie alors que ce nom est sans rapport avec la dénomination sociale Optima on Line ;

Estimant que la société Optima on Line a usurpé la dénomination sociale de la société CD-Prospect ainsi que le nom de domaine de son site internet, et exercé une concurrence déloyale envers la société CD-Prospect en attirant sur son site internet les clients de celle-ci afin de vendre ses propres produits, elle saisit ce tribunal au visa des articles 1382 et 1383 du code civil à l’encontre de la société CD Prospect et demande la nomination d’un expert avant dire droit au visa de l’article 146 du code de procédure civils ;

PROCEDURE

Par acte du 26 mai 2010, la société CD Prospect a assigné la société Optima on Line ;

Par cet acte et à l’audience en date du 8 avril 2011, la société CD Prospect, aux visas des articles 2382 et 1393 du code civil, L 121-1 du code de la consommation et de l’article 146 du code de procédure civile, demande au tribunal de :
– Dire la société CD Prospect recevable en ses demandes ;
– Constater que la société Optima on Line a commis des actes de concurrence déloyale en acquérant comme mots clés auprès du site de référencement www.adwords.google.fr les termes « cd-Prospect » sous toutes leurs déclinaisons ;
– Constater que la société Optima on Line a commis des actes de concurrence déloyale en choisissant pour nom de domaine un nom proche de celui de la société CD Prospect et sans rapport avec sa propre dénomination sociale, et en prétendant de manière mensongère avoir une enseigne sans rapport avec son enseigne véritable et son nom commercial ;
– Constater que les agissements déloyaux de la société Optima on Line ont engendré un lourd préjudice pour la société CD Prospect résultant de la perte d’une partie de sa clientèle, chiffré provisionnellement à 100 000 € ;

Avant dire droit :
– Désigner tel expert avec pour mission :
– Se rendre au siège de Optima on Line, et d’une manière générale dans tous les autres locaux en dépendant, si l’exécution de la mission l’exige, aux fins de :
– Se faire communiquer, saisir ou prendre copie de l’intégralité des factures adressées à la société Optima on Line par la société Google ces 3 dernières années relatives au(x) compte(s) détenu(s) par la société Optima on Line sur le site www.adwords.google.fr ;
— Se faire communiquer, saisir ou prendre copie de l’intégralité du compte fournisseur « google adwords » dans les livres de la société Optima on Line relativement aux 3 dernières années ;
– Se faire communiquer, saisir ou prendre copie de l’intégralité des preuves de règlement des factures adressées à la société Optima on Line par la société Google ces 3 dernières années relatives au(x) compte(s) détenu(s) par la société Optima on Line sur le site www.adwords.google.fr ;
– Se faire communiquer les mots de passe et code d’accès à l’ensemble des comptes détenus par la société Optima on Line sur le site www.adwords.google.fr ;
– Effectuer, à partir de chaque mot de passe et code d’accès à l’ensemble des comptes détenus par la société Optima on Line sur le site www.adwords.google.fr, les recherches suivantes : – cliquer sur l’onglet « Campagnes » et constater le nombre de campagnes en cours, le nombre de campagnes suspendues et le nombre de campagnes achevées ;
– Cliquer sur l’onglet « Mots Clés » et constater, pour chacune des campagnes en cours, suspendues et achevées, l’intégralité des mots-clés éligibles associés à chaque campagne ;
– Cliquer sur l’onglet « Facturation » puis cliquer sur « Toute la période » et constater sur l’intégralité de la période de chaque campagne le nombre de clics effectués chaque jour à partir des mots-clés définis pour chaque campagne ainsi que le montant correspondant facturé, le montant total facturé chaque jour et le montant facturé chaque mois ;
– Répéter cette opération pour chacun des comptes détenus par la société Optima on Line sur le site www.adwords.google.fr ;
– Dire combien de clics la société Google a facturé à la société Optima on Line sur la base des mots-clés CDProspect, CD-Prospect ou CD Prospect et leurs déclinaisons ;
– Faire un rapport sur ces constatations et annexer au rapport, tout document utile ;

En conséquence,
– Juger que la société Optima on Line a fautivement exercé une concurrence déloyale au préjudice de la société CD-Prospect ;
– Condamner la société Optima on Line à cesser, sous astreinte de 300 € par jour de retard à compter de la signification du jugement venir, ces agissements déloyaux en :
– Cessant d’utiliser comme mots-clés pour ses campagnes Adwords, les termes « CD-Prospect » sous toutes leurs déclinaisons ;
– Cesser d’utiliser comme nom de domaine son site internet le nom « France-Prospect » de manière à faire cesser toute confusion possible avec le nom de domaine de la société CD-Prospect ;
– Indiquant dans la rubrique « Qui sommes-nous » de son site internet sa véritable enseigne ;
– Condamner la société Optima on Line à réparer le préjudice économique subi par la société CD-Prospect en lui versant la somme de 100 000 € (à parfaire) à titre de dommages et intérêts ;

En tout état de cause
– Condamner la société Optima on Line à verser à la société CD-Prospect la somme de 15 000 € en application de l’article 700 du CPC ;
– Condamner la société Optima on Line aux entiers dépens de l’instance ;

A l’audience en date du 11 mars 2011, la société Optima on Line demande, in limine litis, au tribunal de :
– Constater l’incompétence du tribunal de commerce de Paris ;
– Subsidiairement, rejeter comme infondées l’ensemble des demandes de la société CD-Prospect avant dire droit ;
– La condamner à régler à la société Manageo la somme de 2000 € sur le fondement de l’article 700 du CPC ;
– Statuer ce que de droit sur les dépens ;

L’ensemble de ces demandes a fait l’objet du dépôt de conclusions, celles-ci ont été échangées en présence d’un greffier qui en a pris acte sur la cote de procédure ;

A l’audience du 13 mai 2011, les parties, régulièrement convoquées, se présentent par leur conseil ; après avoir entendu les observations des parties, le juge rapporteur a clos les débats et indiqué que le jugement serait mis en délibéré et qu’il serait prononcé par mise à disposition au greffe à compter du 7 juin 2011 à 15 heures, les parties ont été informées par courrier de la date précise de mise à disposition soit le 21 juin 2011.

MOYENS

Pour le demandeur :

A l’appui de sa demande, la société CD Prospect fait valoir que :
– Il est nécessaire qu’un expert judiciaire soit désigné par le tribunal afin qu’il constate les agissements fautifs commis par la société Optima on Line résultant de l’acquisition de mots clés et qu’il détermine le préjudice résultant de ces agissements pour la société CD-Prospect ;
– Les constatations de l’expert permettront de mettre en évidence l’existence d’un compte Adwords ouvert pas la société Optima on Line portant sur les termes « cd Prospect » sous différentes déclinaisons, et de déterminer à partir des factures émises par la société Google le nombre de clics effectués à partir de ces mots clés sur le lien renvoyant sur le site internet de la société Optima on Line ;
– Le tribunal pourra ainsi constater la manœuvre mise en place par la société Optima on Line pour détourner la clientèle de la société CD-Prospect et évaluer le préjudice en résultant pour celle-ci ;

Pour le défendeur :

La société Optima on line, en défense, fait valoir que :
– Elle ne nie pas avoir acheté les mots clés incriminés mais que ce n’est pas une faute ;
– S’il n’y a pas faute, il n’est donc pas nécessaire de rechercher à établir la preuve de celle-ci ;

DISCUSSION

Sur l’exception d’incompétence soulevée

Attendu que l’exception d’incompétence a été soulevée avant tout débat au fond, qu’elle est motivée et prévoit la juridiction qui serait compétente, qu’elle est donc recevable ;

Attendu que la société Optima on Line soutient que le litige qui est soumis au tribunal de commerce de Paris relève des règles spéciales de la propriété intellectuelle et que la compétence de la juridiction est dictée par l’objet du litige et que, aux termes de la réforme de la loi du 4 août 2008, seuls les tribunaux de grande instance sont compétents pour connaître des actions et demandes en matière de propriété littéraire et artistique y compris sur les questions connexes de concurrence déloyale ;

Attendu que les demandes formulées par CD Prospect sont fondées sur les articles 1382 et 1383 du code civil qui sanctionnent les comportements déloyaux et que l’objectif du demandeur est de faire cesser un détournement de clientèle et que celle-ci ne demande aucune protection au titre du droit des marques ;

Attendu qu’en application de l’article 46 alinéa 2 du code de procédure civile, la société CD Prospect disposait donc de la faculté de choisir le présent tribunal comme étant la juridiction du fait dommageable subi dès lors que la commercialisation s’est fait par internet et notamment à Paris ;

Qu’en conséquence, le tribunal dira que cette juridiction statuant en matière commerciale est compétente pour connaître de l’action engagée à l’encontre de Optima on Line ;

Que la société Optima on Line est recevable mais mal fondée en son exception matérielle et territoriale qu’il a soulevée, le tribunal retiendra sa compétence, l’en déboutant ;


Sur la mission d’expertise avant dire droit

Attendu que le demandeur soumet au tribunal des questions de fait dont il est sollicité que les preuves soient conservées ; qu’une mesure d’instruction ordonnée au visa de l’article 145 du CPC, doit être strictement limitée à l’établissement ou la conservation ou l’établissement de preuves et donc en l’espèce la conservation de preuves ;

Que ceci ne nécessitant aucune investigation particulière, une mesure de constat sera suffisante, étant la plus simple et la moins onéreuse, ce en application des dispositions de l’article 147 du CPC ;

Attendu que les différents aspects de la mesure d’instruction sollicitée et ce que le Tribunal estimera devoir ordonner ayant ainsi été contradictoirement débattus, le tribunal statuera ainsi ;

DECISION

Le Tribunal, statuant par jugement contradictoire en premier ressort,

. Se déclare compétent,

Vu les articles 145 et 147 du code de procédure civile ;

. Désigne Maître Stéphane Van Kemmel, huissier de justice, en qualité de mandataire de justice constatant avec la mission précisée ci-après ;

Se rendre chez Google France, pour le compte de Google France et de Google Ireland Limited ;

Et également,

Se rendre au siège de la société Manageo anciennement dénommée Optima on Line, et d’une manière générale dans tous les autres locaux en dépendant, si l’exécution de la mission l’exige, aux fins de :
– Se faire communiquer, saisir ou prendre copie de l’intégralité des factures adressées à la société Optima on Line par la société Google du 1er janvier 2007 jusqu’au jour du constat relatifs au(x) compte(s) détenu (s) par la société Manageo anciennement dénommée Optima on Line sur le site www.adwords.google.fr ;
– Se faire communiquer, saisir ou prendre copie de l’intégralité du compte fournisseur « google adwords » dans les livres de la société Manageo anciennement dénommée
Optima on Line du 1er janvier 2007 jusqu’au jour du constat ;
– Se faire communiquer, saisir ou prendre copie de l’intégralité des preuves de règlement des factures adressées à la société Manageo anciennement dénommée Optima on Line par la société Google du 1er janvier 2007 jusqu’au jour du constat ;
– Se faire communiquer les mots de passe et code d’accès à l’ensemble des comptes détenus par la société Optima on Line sur le site www.adwords.google.fr ;
– Effectuer, à partir de chaque mot de passe et code d’accès à l’ensemble des comptes détenus par la société Manageo anciennement dénommée Optima on Line sur le site www.adwords.google.fr, les recherches suivantes : – cliquer sur l’onglet « Campagnes » et constater le nombre de campagnes en cours, le nombre de campagnes suspendues et le nombre de campagnes achevées ; cliquer sur l’onglet « Mots Clés » et constater, pour chacune des campagnes en cours, suspendues et achevées, l’intégralité des mots-clés éligibles associés à chaque campagne ; cliquer sur l’onglet « Facturation » puis cliquer sur « Toute la période » et constater sur l’intégralité de la période de chaque campagne le nombre de clics effectués chaque jour à partir des mots-clés définis pour chaque campagne ainsi que le montant correspondant facturé, le montant total facturé chaque jour et le montant facturé chaque mois ;
– Répéter cette opération pour chacun des comptes détenus par la société Manageo anciennement dénommée Optima on Line sur le site www.adwords.google.fr ;
– Dire combien de clics la société Google a facturé à la société Manageo anciennement dénommée Optima on Line sur la base des mots-clés CDProspect, CD-Prospect ou CD Prospect et leurs déclinaisons ;

. Dit que l’ensemble des éléments (documents, supports informatiques et/ou tous autres produits recueillis par l’Huissier constatant seront conservés par lui, en séquestre, jusqu’à ce qu’il en soit autrement ordonné, par décision de justice contradictoire, ou jusqu’à accord amiable entre les parties ;

. Dit qu’à défaut pour le requérant d’engager une demande de mainlevée de séquestre, dans un délai de deux mois après la fin de l’exécution de la mission de l’Huissier commis, et de l’en informer, ce dernier restituera les pièces séquestrées ;

. Fixe à 4000 € le montant de la provision à verser au constatant par la société CD Prospect avant le 29 juillet 2011.

. Dit qu’à défaut de paiement de cette provision, la SCP Van Kemmel en informera le juge du contrôle des mesures d’instruction afin qu’il soit constaté que sa désignation est caduque et que l’instance soit poursuivie en tirant toutes les conséquences de ce défaut ;

. Autorise l’huissier à se faire adjoindre tout expert informatique de son choix pour la bonne exécution de la présente mission ;

. Autorise l’huissier à se faire assister de la force publique et de tout serrurier pour exécuter la présente décision ;

. Dit que le constat devra être déposé au greffe dans le délai de 3 mois à compter du versement de la provision à l’huissier constatant ;

Dans l’attente de ce dépôt, inscrit la cause au rôle spéciale des mesures d’instruction ;

. Dit que le juge chargé du contrôle des mesures d’instruction suivra l’exécution de la présente mesure.

Le tribunal : M. de Maublanc (président), Mme Delacroix (juge rapporteur)

Avocats : Me Jeannin, Me Nicolas Courtier

 
 

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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.