Jurisprudence : Marques
Tribunal de grande instance de Bordeaux Ordonnance de référé du 12 mai 1999
La S.A. Norwich Union France / Monsieur J.-F. P.
accord entre les parties - contrefaçon de marque - nom de domaine
Autorisée à assigner à heure indiquée, la S.A. Norwich Union a fait assigner Monsieur J.-F. P. pour obtenir, sur le fondement de l’article 809 du nouveau code de procédure civile, sa condamnation à :
– faire radier auprès des instances compétentes, et notamment auprès de l’InterNIC aux États-Unis, le nom de domaine Internet « norwich-union-france.com », dans le délai de 7 jours suivant la signification de l’ordonnance et sous astreinte de 20 000 francs par jour de retard passé ce délai, et à justifier auprès d’elle de cette radiation dans le même délai et sous la même astreinte ;
– cesser de diffuser, de son chef, sur Internet, et sous quelque nom de domaine que ce soit, tout site utilisant la dénomination sociale « Norwich Union France » ou « Norwich Union », dans le délai de 7 jours à compter de la signification de l’ordonnance et sous astreinte de 20 000 francs par jour de retard passé ce délai ;
– à lui payer une somme de 25 000 francs au titre de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.
Exposant que J.-F. P., qui a été son salarié jusqu’au 10 avril 1999, a, sans son autorisation, créé un site Internet utilisant le nom de domaine « norwich-union-france.com » qu’il a maintenu malgré la mise en demeure, elle fait valoir que cette utilisation abusive de sa dénomination sociale est constitutive d’un trouble manifestement illicite. A cet effet, elle rappelle d’une part, qu’elle jouit d’une notoriété incontestable dans le domaine de l’assurance ; d’autre part, elle relève que la création et l’exploitation par J.-F. P., qui n’a aucune qualité pour ce faire, ainsi que le dépôt à titre international du nom de domaine « norwich-union-france » entraîne une confusion dans l’esprit du public qui peut croire à un site établi par elle-même ou sous son contrôle. Enfin, son préjudice est accru par l’impossibilité qui lui est faite de créer son propre site Internet du fait du dépôt préalable, avec l’extension « com », effectué par J.-F. P. et par la confusion qui règnerait si elle créait son propre site sous une autre extension.
J.-F. P. conclut au débouté et au bénéfice des dispositions de l’article 700 du nouveau code de procédure civile à hauteur de 50 000 francs.
Observant qu’il a ouvert ce site le 3 juillet 1998 et que la société Norwich Union, informée dès le mois de septembre 1998, a attendu le 3 mai 1999 pour demander en référé sa suppression, il fait valoir qu’il a ouvert ce site dans le cadre de sa mission de promotion des produits de Norwich Union. Il souligne que celle-ci a obtenu de sa part diverses modifications pour éviter que ce site n’apparaisse comme son site officiel et estime qu’un accord est intervenu en octobre 1998, l’autorisant à reproduire et à utiliser la dénomination sociale de la demanderesse dans le cadre de sa mission. Or, par la présente procédure, celle-ci, contrairement aux dispositions de l’article 1134 du code civil, tend à obtenir une modification unilatérale de leurs accords. Il relève en outre qu’il bénéficie d’une antériorité sur le réseau. Ensuite, il indique que si Norwich Union peut revendiquer une utilisation antérieure de sa dénomination sociale, elle ne peut lui reprocher ni l’appropriation fautive de celle-ci, alors qu’il s’agit du nom sous lequel sont présentés les produits qu’il a reçu mandat de vendre, ni la possibilité d’une quelconque confusion dans l’esprit du consommateur avec un site officiel. Il fait état, à cet effet, des modifications apportées à la demande de celle-ci sur le site pour éviter toute confusion et observe que s’il y avait confusion, ce serait au profit de Norwich Union. Il souligne enfin que celle-ci ne peut invoquer aucun préjudice, le site litigieux étant consacré à la seule promotion de ses produits.
Il résulte des pièces versées aux débats que J.-F. P., alors salarié de Norwich Union France, a ouvert, le 3 juillet 1998, un site Internet sous le nom de domaine « norwich-union-france.com » par le biais duquel il effectue la promotion des produits de cette société.
Par courrier du 24 septembre 1998, le directeur commercial de Norwich Union France, Monsieur D., le mettait en demeure de modifier le contenu et l’adresse de son site pour éviter qu’il ne soit considéré comme site officiel, lui rappelant la nécessité d’un accord préalable pour ce type d’initiative.
J.-F. P. modifiait alors la page de présentation de son site en y ajoutant « site personnel – J.-F. P.- conseiller financier- Norwich Union ».
Par courrier du 22 octobre 1998, Monsieur D. estimait que cette modification allait dans le sens de ce qui lui était demandé afin qu’aucune confusion ou ambiguïté ne se présente avec le site officiel de Norwich Union, mais demandait en outre, toujours pour éviter toute ambiguïté, qu’il modifie son adresse personnelle selon le modèle joint, à savoir « J.-F. P.@… » au lieu de « norwich-union-france@… », précisant qu' »ainsi votre adresse de site ne changera pas et les clients de la société susceptibles de vouloir contacter Norwich Union par e-mail ne tomberont pas sur votre adresse personnelle ».
Cette seconde modification a aussi été effectuée.
Ces éléments tendent à démontrer que, J.-F. P. ayant satisfait aux deux demandes de Norwich Union, un accord est intervenu entre les parties, autorisant celui-ci à utiliser le nom « Norwich Union » sur son site pour présenter les produits de sa société, sous réserve qu’il soit mentionné qu’il s’agit d’un site personnel et que son adresse e-mail soit personnalisée.
Mais J.-F. P., qui par courrier du 11 janvier 1999 avait donné sa démission, a quitté ses fonctions le 10 avril 1999, une fois le délai de préavis expiré, et continue à exploiter ce site Internet. Selon le demandeur, il n’aurait plus qualité pour ce faire.
Certes, si des pourparlers ont été engagés à cet effet, aucun contrat d’agent général ou autre n’a été conclu entre celui-ci et Norwich Union France. De ce fait, il pourrait ne plus avoir qualité pour poursuivre la promotion des produits de Norwich Union France sur le réseau Internet et à utiliser sa dénomination sociale comme nom de domaine.
Mais par courrier du 31 mars 1999, le président directeur général de Norwich Union France écrivait à J.-F. P. : « […] cela me fait plaisir que vous envisagiez de poursuivre une collaboration avec la société Norwich Union France en tant qu’indépendant […] les conditions de collaboration ainsi que les modalités de passage à ce nouveau statut sont de la responsabilité du directeur de région ; m’étant entretenu avec Messieurs D. et L., j’ai compris que votre situation était clarifiée et que vous étiez parvenus à un accord ; je me réjouis d’avance de cette future collaboration […] ».
Les termes de cette correspondance permettent à J.-F. P. de se prévaloir en référé de l’existence d’un contrat tacite de collaboration, l’autorisant à continuer à faire la promotion et effectuer la vente des produits de Norwich Union France.
Mais le 29 avril 1999, Norwich Union le mettait en demeure de faire cesser, par la modification du nom de domaine qu’il s’est approprié ainsi que de celle de son adresse e-mail, le trouble et la confusion générés par ses agissements. Il lui était fait reproche de ne pas avoir procédé aux modifications demandées, celles effectuées étant parfaitement insuffisantes pour prévenir tout risque de confusion.
Le procès-verbal de constat dressé le 26 avril 1999, à la requête de Norwich Union, met en évidence l’existence de ce site « http://www.norwich-union-france.com », destiné à présenter les produits de cette société. La capture de la page de présentation telle qu’elle est reproduite ne fait certes pas apparaître les modifications résultant de l’accord d’octobre 1998. Il est à observer que curieusement il ne fait pas non plus apparaître la barre de statut. La demanderesse ne semble pas se prévaloir de l’absence de ces mentions, reprochant au défendeur d’une part, de s’être approprié sa dénomination sociale et d’autre part, d’avoir grossi les termes « site personnel » depuis l’assignation.
En revanche, le constat dressé le 4 mai 1999 et les captures d’écran ultérieures mettent en évidence les mentions objets de l’accord d’octobre 1998,
Norwich Union considère que l’utilisation par J.-F. P. de sa dénomination sociale comme nom de domaine constitue un trouble manifestement illicite.
Or, d’une part cette utilisation est conforme à l’accord intervenu en octobre 1998 ; il n’est pas démontré que J.-F. P. n’a pas respecté celui-ci et Norwich Union ne saurait en modifier unilatéralement les termes.
D’autre part, les deux modifications, auxquelles elle avait soumis son autorisation donnée à J.-F. P. d’exploiter son site sous le nom de domaine « norwich-union-france », avaient pour objectif d’éviter que ce site puisse être considéré comme un site officiel. Elle ne saurait en conséquence reprocher au seul J.-F. P. le risque de confusion généré par son site. D’ailleurs, il est à observer que la mention « site personnel – J.-F. P. – conseiller financier – Norwich Union », en caractères bien apparents, et l’indication d’une adresse e-mail personnelle permettent à un internaute moyennement attentif de savoir qu’il ne se trouve pas sur le site officiel de Norwich Union.
Ensuite, force est de constater que ce site n’est à l’origine d’aucun préjudice pour Norwich Union. Il est en effet totalement consacré à la promotion des produits de Norwich Union et destiné à en développer les ventes. Aucune concurrence déloyale, aucun parasitisme ne sont à déplorer.
Le seul préjudice dont pourrait faire état Norwich Union France est celui résultant de l’impossibilité pour elle de créer un site sous le nom de domaine « norwich-union-france » en raison de l’antériorité de J.-F. P. Mais ce préjudice, éventuel, est la conséquence directe des termes de l’accord d’octobre 1998 autorisant J.-F. P. à exploiter un site sous ce nom de domaine.
En conséquence, l’existence d’un trouble manifestement illicite n’est pas établie.
Les conditions d’application de l’article 700 du nouveau code de procédure civile étant réunies, il convient d’allouer à ce titre à J.-F. P. une somme de 5 000 francs.
DÉCISIONS
Statuant publiquement, par ordonnance exécutoire par provision et contradictoire,
Rejetons les demandes de Norwich Union France.
Disons que Norwich Union France devra verser une somme de 5 000 francs à J.-F. P., en application des dispositions de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.
Laissons les dépens à la charge de Norwich Union France.
Le tribunal : M. O’YL (Premier Vice-Président) ; M. Tamisier (Greffier).
Avocats : Me S. Woog ; Me G. Tonnet / Me G. Haas ; Me S. Maillet.
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