Jurisprudence : Droit d'auteur
Tribunal de grande instance de Paris Ordonnance de référé du 11 juin 2004
Société Moulinsart, Mme Fanny R. / Eric J.
constat - droit d'auteur - parodie - reprouction - site internet
Vu l’assignation en date du 23 avril 2004, au terme de laquelle la société Moulinsart et Fanny R., titulaire des droits d’auteur sur l’ensemble de l’œuvre d’Hergé, font grief à Eric J. d’éditer et d’animer un site internet intitulé « TintinParodies », accessible depuis diverses adresses électroniques, sur lequel sont diffusées, en violation des articles L 111-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle, de nombreuses reproductions et adaptations illicites de l’œuvre d’Hergé, pour solliciter, à titre provisoire, la « suspension » du site litigieux, la publication sur le réseau internet d’une information relative à la mesure de suspension ordonnée et la condamnation de Eric J. à leur verser la somme de 15 000 € à titre de provision ;
Vu les conclusions de Eric J. qui soutient que le juge de référés est incompétent en l’absence de dommage imminent et de trouble manifestement illicite et, subsidiairement, que le site incriminé est uniquement un site de parodies et pastiches qui bénéficie de l’exception posée par l’article L 122-5 4ème alinéa du code de la propriété intellectuelle ;
DISCUSSION
Attendu que Eric J. reconnaît tout à fait avoir administré et avoir animé pendant plusieurs années le site dénommé « Tintin Parodies et Canal RG » destiné aux amateurs et passionnés de l’œuvre d’Hergé pour les faire participer « à la suite des aventures de Tintin sous la forme d’une parodie, dénuée d’esprit mercantile » ;
Attendu qu’un forum de discussion consacré à l’œuvre de Tintin fut créé par la suite ;
Attendu qu’Eric J. nous demande de lui donner acte de ce que, par souci d’apaisement et dans l’attente de la décision à intervenir, il a fermé ce site ;
Sur l’existence d’un dommage imminent
Attendu qu’en raison de la fermeture du site, dont l’effectivité n’est pas contestée, les demanderesses ne peuvent à l’évidence exciper d’aucun dommage imminent d’autant que Eric J. n’a nullement indiqué envisager de rouvrir son site prochainement ;
Attendu que notre compétence est donc subordonnée à la caractéristique d’un trouble manifestement illicite aux droits de Fanny R. légataire universelle de M. Hergé et de la société Moulinsart à laquelle cette dernière a confié l’exploitation de l’œuvre ;
Sur l’existence d’un trouble manifestement illicite
Attendu que le site de Eric J. se compose de deux parties distinctes, la première est librement accessible à tout internaute, la seconde, dénommée Canal RG, est accessible aux membres du forum discussion munis d’un identifiant et d’un code que tout à chacun pouvait solliciter ;
Attendu que l’agence pour la protection des programmes a procédé, les 3 novembre 2003 et 23 février 2004, à deux constats portant, pour le premier, sur la deuxième partie du site principalement, et pour le second, sur la partie du site librement accessible ;
Attendu qu’il ressort de ces constats que le site et notamment ses pages d’accueil, reprenait les personnages de la bande dessinée et d’autres éléments issus de l’œuvre d’Hergé sous forme d’annonces, de cartes, ou vignettes ; qu’une rubrique intitulée « trucs en vrac », était composée de centaines de vignettes montrant le personnage de Tintin et ses compagnons dans des situations le plus souvent imaginaires ;
Attendu que la partie accessible aux internautes munis d’un identifiant, permettait d’accéder à des reproductions ou à des adaptations de l’œuvre d’Hergé (« Aventure à Moulinsart », « Tintin chez les rastas », « Tintin au club Med », etc…) ;
Attendu qu’il est ainsi manifeste que ce site est entièrement consacré, en dehors du forum discussion, à des reproductions et à des adaptations des aventures de Tintin, sans que Eric J. n’ai pris l’initiative de contacter les demanderesses pour convenir avec elles des conditions d’utilisation de ces pans entiers de l’œuvre d’Hergé ;
Attendu que pour bénéficier de l’exception de l’article L 122-5, 4ème alinéa qui prévoit que l’auteur ne peut interdire la parodie, le pastiche et la caricature, compte tenu des lois du genre, il est nécessaire que la parodie soit le fruit d’un travail de travestissement ou de subversion et donc de distanciation par rapport à l’œuvre parodié, de telle sorte que le public ne puisse se méprendre sur la portée du propos et sur l’auteur de la parodie ;
Attendu en l’espèce que des centaines de productions et d’adaptations de l’œuvre d’Hergé sont diffusées sur ce site ; que les parties n’ont pas procédé à l’examen de chacune d’elle, mais se sont limitées à citer plusieurs d’entre elles au soutien de leurs prétentions ;
Attendu que si certaines des adaptations sont susceptibles de bénéficier de l’exception de parodie – ce qu’il appartiendra au juge du fond de déterminer – il demeure que le juge des référés ne peut que relever que toute une série des œuvres diffusées ne sont que la reprise des personnages de la bande dessinée, sans travestissement quelconque, utilisés pour leur puissance expressive et symbolique : il s’agit notamment de productions réalisées sur des cartes, billets de banque imaginaires, cartes de vœux, d’anniversaire, etc…;
Que tel est encore le cas de suites imaginaires aux aventures de « Tintin » qui cherchent à être fidèles à la bande dessinée (Aventure à Moulinsart) et à son univers ;
Attendu que ces œuvres qui peuvent générer une confusion dans l’esprit de ceux qui les découvrent ne paraissent pas susceptibles de bénéficier de l’exception prévue par l’article L 122-5 précité ;
Attendu que d’autres adaptations s’inscrivent dans un style opposé à celui adopté par Hergé, tout en mettant en scène les personnages de la bande dessinée dans le cadre des aventures qui ont fait leur notoriété ; qu’il s’agit de planches montrant avec crudité l’activité sexuelle de certains personnages (« Tintin en Suisse ») ou présentant « Tintin » s’injectant par intraveineuse une substance qui parait être un stupéfiant ;
Attendu que le caractère volontairement outré de ces scènes exclut certes une confusion, mais sort du champ de la parodie tant le procédé d’adaptation utilisé se limite à recourir, sans humour ni dérision, à des dénaturations grossières des personnages ;
Attendu que ces deux types d’adaptation de l’œuvre d’Hergé – l’une génératrice de confusion, l’autre dénaturante – constituent donc un trouble manifestement illicite ;
Attendu qu’il convient de donner acte à Eric J. de ce qu’il a fermé le site litigieux, à titre provisoire ;
Attendu qu’il n’y a dès lors pas lieu d’accueillir la demande de suspension provisoire de toute représentation et diffusion du site, ni de faire figurer en page écran un extrait de notre ordonnance ;
Attendu, enfin, que l’obligation à réparer le trouble ainsi causé n’étant pas contestable, Eric J. sera condamné à verser aux demanderesses une provision de 1500 € outre 2000 € sur le fondement de l’article 700 du ncpc ;
DECISION
Statuant publiquement en premier ressort, par ordonnance contradictoire ;
Vu l’article 809 du ncpc ;
. Donnons acte à Eric J. de ce qu’il a suspendu, provisoirement, toute représentation et diffusion du site « TintinParodies » accessible par diverses adresses dont :
– « chez.com/j »
– « chez.com/harryedwood »
– « chez.com/parodiestintin »
– « ifrance.com/j »
– « lycos.fr/tintinparodies »
– « tintinvrac.free.fr »
– « tintin.ca.tc »
– « canalrg.ca.tc » ;
. Disons que le site considéré contient des reproductions de l’œuvre d’Hergé constitutives d’un trouble manifestement illicite ;
. Condamnons Eric J. à verser aux demanderesses la somme de 1500 € à titre de provision sur les dommages et intérêts outre 2000 € sur le fondement de l’article 700 du ncpc ;
. Rejetons toute autre demande ;
. Condamnons Eric J. aux dépens.
Le tribunal : M. Alain Girardet (vice président)
Avocats : Me Florence Watrin, Me Dominique Laurier
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