Jurisprudence : Responsabilité
Tribunal de grande instance de Paris 17ème chambre Jugement du 27 juin 2012
Jean-Luc P. / Thierry C.
condamnation - droit à l'image - injure - provocation
FAITS ET PROCÉDURE
Vu l’assignation du 25 mars 2011, et la nouvelle assignation du 16 juin 2011, identique à la première, que Jean-Luc P. a fait délivrer à Thierry C. et qui ont fait l’objet de deux numéros de placement différents ;
Vu la jonction des deux assignations par mention aux dossiers ;
Vu la dénonciation de la procédure au ministère public selon acte du 18 avril 2011 ;
Vu les dernières conclusions du 28 mars 2012 au moyen desquelles Jean-Luc P., reprenant les termes de l’assignation, demande au tribunal, avec le bénéfice du prononcé de l’exécution provisoire :
1/ au visa des articles 23, 29 alinéa 2 et 33 alinéa 2 de la loi du 29 juillet 1881, de dire que les termes suivants :
– « misérable imbécile »,
– « il n‘est rien d’autre qu‘un petit trou du cul »,
– « triste individu »,
– « aussi laid que lui »,
– « énergumène »,
– « aussi inepte que l’individu lui même »,
contenus dans le texte intitulé « Les sites internet les plus laids », publié le 25 décembre 2010 à l’adresse :
http://………..html
constituent le délit d’injure envers un particulier et, en conséquence :
– de condamner Thierry C. à lui verser une somme de 1500 € titre de dommages et intérêts ;
– d’ordonner en tant que de besoin la suppression des termes cités ci-dessus du texte accessible à l’adresse internet citée ci-dessus ;
– d’ordonner également (demande additionnelle) la suppression des termes «Il faut parfois s‘aider et s‘unir face aux imbéciles et aux cons» accessibles à l’adresse :
http://….…blogspot.com…..html ;
2/ au visa de l’article 9 du code civil, de dire que la publication non-autorisée d’une photographie le représentant aux fins d’illustrer un texte injurieux à son encontre constitue une atteinte au droit à l’image de celui-ci et, en conséquence :
– de condamner Thierry C. à lui verser une somme de 1500 € titre de dommages et intérêts,
– d’ordonner en tant que de besoin la suppression de la photographie représentant le demandeur et illustrant le texte litigieux de la page accessible à l’adresse internet citée ci-dessus ;
3/ d’ordonner la publication, dans un délai de quinze jours suivant la signification du jugement à intervenir et ce, sous astreinte de 1000 € par jour de retard passé ce délai, d’un communiqué judiciaire en haut de la page d’accueil du site internet http://………….blogspot.com ;
4/ au visa des articles 12 du code de procédure civile, 29 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881 et 1382 du code civil, de rejeter la demande reconventionnelle de Thierry C. ;
5/ de condamner Thierry C. à lui verser 2000 € sur le fondement de l’article 37 alinéas 2 et 3 de la loi du 10 juillet 1991 et de le condamner aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Guillaume Sauvage, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile ;
Vu les dernières conclusions signifiées le 9 novembre 2011 par Thierry C. qui demande au tribunal :
– de constater que les propos injurieux qui lui sont imputés sont excusés par le comportement provocateur de Jean-Luc P.,
– de constater que tous les termes injurieux ont été supprimés,
– de débouter Jean-Luc P. de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
A titre reconventionnel,
– de constater que Jean-Luc P. est l’auteur d’actes de dénigrement commis à son préjudice et, en conséquence, de le condamner à lui payer une somme de 10 000 € titre de dommages et intérêts sur le fondement des dispositions de l’article 1382 du code civil ;
– d’ordonner, sous astreinte de 500 € par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir, la suppression pure et simple des pages publiées aux adresses suivantes :
http://www.a………….html
http://www.j ……html
– d’ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir,
– de condamner Jean-Luc P. aux entiers dépens.
Vu l’ordonnance de clôture du 2 mai 2012 ;
DISCUSSION
S’agissant des demandes formées au titre d’injures publiques envers particulier
Il résulte des écritures des parties et pièces versées aux débats :
– que Thierry C., se disant technicien en informatique et webmaster, était l’auteur d’un blog (http://…….blogspot.com) sur lequel il référençait les sites internet lui paraissant les plus inesthétiques,
– que dans le cadre de ce blog, qu’il a supprimé en novembre 2009, il avait cité deux sites internet animés par Jean-Luc P., à savoir http://www.a……..net et http://www.l……….info,
– qu’ayant pris connaissance de ce référencement, Jean-Luc P. a mis en ligne une brève le 9 septembre 2009, ironique sur les qualités du blog précité, brève que Thierry C. lui a vainement demandé de supprimer,
– que le 20 décembre 2010, soit près d’un an plus tard, Thierry C. a mis en ligne à l’adresse: http://l………..com/2010/12/wwwa…………….html le texte suivant dont les passages mis en gras sont qualifiés d’injurieux par le demandeur :
«Jean Luc P. m‘a donné envie de reprendre ce blog que j‘avais laissé tombé.
En effet Jean Luc P. alias Stéphane T. alias J. du Q. est un misérable imbécile qui se prétend écrivain, chanteur, auteur de théâtre, journaliste, etc. alors qu‘il n‘est rien d’autre qu‘un petit trou du cul de la ville de M.
Je peux me permettre de parler de ce triste individu puisqu’il parle de moi sans mon autorisation sur internet et que la justice que j‘ai saisi il y a plus d’un an n’a rien fait.
Je vais donc dans ce blog parler de temps en temps de ce triste individu qui s‘en prend à des personnes connues parce qu’il a toujours rêvé d’être lui aussi connu.
Ce blog va donc lui rendre hommage puisque les sites internet de ce monsieur sont aussi laids que lui.
(…)
Ci-dessus le site auteur théâtrejeunesse : théâtre pour enfants, l’un des sites moches de cet énergumène.
Il n’a pas grand chose à dire, c’est le genre de site que l’on voyait il y a 20 ans quand on ne maîtrisait pas encore les langages du Web. C’est laid, c’est moche, et le contenu du site est aussi inepte que l’individu lui même. (.)».
Etant rappelé que l’injure est caractérisée, selon le deuxième alinéa de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881, par «toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait», l’intégralité des termes ci-dessus reproduits en gras répondent à cette définition, ce que le défendeur ne conteste pas. En effet, les termes «misérable imbécile» et «il n‘est rien d’autre qu’un petit trou du cul» sont manifestement outrageants, tandis que les termes «triste individu», «aussi laid que lui», «énergumène» et «aussi inepte que l’individu lui même» sont de manière tout aussi évidente méprisants.
Pour conclure néanmoins au mal fondé des demandes formées à son encontre, Thierry C. fait valoir qu’il ne peut y avoir ni condamnation pénale, ni condamnation civile lorsque l’injure a été précédée d’une provocation, et qu’en la cause, il se trouvait « sous le coup de l’émotion causée par les provocations réitérées » de Jean-Luc P.
Ce moyen de défense ne saurait cependant être retenu. Il est en effet de principe que la provocation ne peut résulter de l’exercice normal d’un droit, tel que le droit de critique, qu’il doit s’agir d’un fait injuste ou fautif, de nature à faire perdre son sang-froid à la personne qui riposte, et que ce fait caractérisant une provocation doit être proportionné et assez proche dans le temps de l’injure.
En premier lieu, si la brève mise en ligne le 9 septembre 2009 par Jean-Luc P. est ironique dans son ton, elle ne comporte aucune expression susceptible d’être qualifiée d’injurieuse ou même de fautive à l’égard de Thierry C. et se limite, pour l’essentiel, à qualifier «l……com» d’être «le plus insignifiant des annuaires français … quand son créateur (entendre Thierry C.) le prétend “le plus important annuaire français“», ce qui relève du libre droit de critique d’un bien ou service, exclusif de toute provocation.
La même observation peut être faite à propos du message que Jean- Luc P. a mis en ligne le 20 décembre 2009, qui se limite à expliquer pourquoi le premier n’a pas été supprimé.
Dans le troisième message mis en ligne le 3 octobre 2010, intitulé «Thierry C., la gendarmerie de M. et moi…», Jean-Luc P. relate la conversation qu’il a eue avec un gendarme à la suite de la plainte que Thierry C. avait déposée auprès du procureur de la République de Cahors aux fins d’obtenir la suppression du premier message, plainte qui a fait ultérieurement l’objet d’un avis de classement sans suite du 29 mars 2011. Tout comme les deux premiers, ce message ne comporte aucune expression provocante susceptible de faire perdre son sang-froid à Thierry C. Jean- Luc P. ne fait que s’interroger sur le bien fondé de la plainte et sur le coût pour l’Etat français que son instruction va entraîner.
En second lieu, les trois messages précités sont trop anciens pour être susceptibles d’être invoqués à titre de provocation. En outre, il n’existe aucune proportion entre les termes de ces messages, ironiques mais exempts d’attaque personnelle en termes fautifs, et les propos injurieux tenus par Thierry C. dans son message rendu public le 20 décembre 2009.
Par suite, Thierry C. est tenu de réparer le préjudice que ces injures publiques ont causé à Jean-Luc P.
Ce préjudice sera suffisamment réparé par l’allocation de la somme de 1000 € à titre de dommages et intérêts, sans qu’il soit nécessaire de compléter cette indemnisation par une mesure de publication judiciaire.
II ne sera pas fait droit à la demande en suppression des expressions injurieuses dès lors qu’elles ne sont plus en ligne, ni à la demande additionnelle tendant à la suppression des termes « Il faut parfois s‘aider et s‘unir face aux imbéciles et aux cons » accessibles à l’adresse http://c….blogspot.com….html, dès lors que ces expressions, qui auraient été mises en ligne le 25 mars 2011, n’ont pas été mentionnées dans l’assignation interruptive de prescription et poursuivies au titre du délit d’injure.
S’agissant de la demande formée au visa de l’article 9 du code civil
Il est de principe, tiré des dispositions de l’article 9 du code civil, que toute personne dispose sur son image, attribut de sa personnalité, et sur l’utilisation qui en est faite d’un droit exclusif, qui lui permet de s’opposer à sa diffusion sans son autorisation, sauf si cette diffusion est justifiée par la légitimité d’illustrer un fait d’actualité ou un sujet d’intérêt général.
En l’espèce, il est constant que le texte injurieux reproché au défendeur était accompagné de la mise en ligne d’une photographie de Jean-Luc P., certes que ce dernier avait déjà publiée lui-même pour illustrer son propre site internet, mais qui a été détournée illicitement par Thierry C. qui en doit donc réparation.
Le préjudice causé par cette diffusion fautive de la photographie du demandeur, qui a permis aux internautes d’associer un visage aux propos injurieux, sera réparé par la condamnation de Thierry C. au paiement de la somme de 200 € à titre de dommages et intérêts.
S’agissant de la demande reconventionnelle pour dénigrement
Thierry C., à qui la charge de la preuve incombe, n’établit pas qu’il aurait été contraint de cesser son activité de création de sites internet en raison des trois messages mis en ligne par Jean-Luc P. ; bien au contraire, le billet titré «auto-entrepreneur, c‘est fini» qu’il a mis en ligne le 17 novembre 2010 sur son blog, fait ressortir que l’arrêt de son activité est sans lien aucun avec le différend qui l’oppose à Jean-Luc P.
En tout état de cause, ainsi que ci-avant mentionné, ces trois messages ne peuvent être qualifiés de fautifs, y compris au sens de l’article 1382 du code civil.
Par suite, Thierry C. sera débouté de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts tout comme de sa demande en suppression des pages publiées sur deux sites internet de Jean-Luc P.
Sur l’exécution provisoire, les dépens et la demande formée au titre de l’article 37 de la loi du 16 juillet 1991
Compatible avec la nature de l’affaire, et sollicité par les deux parties, le prononcé de l’exécution provisoire s’impose en la cause.
Les entiers dépens de l’instance seront mis à la charge de Thierry C. qui succombe sur les demandes principales et en sa demande reconventionnelle.
La demande formée au titre des dispositions de l’article 37 alinéas 2 et 3 de la loi du 10 juillet 1991, tendant à ce que Thierry C. soit condamné à verser la somme de 2000 € à Jean-Luc P., bénéficiaire de l’aide juridictionnelle totale, ne peut qu’être déclarée irrecevable à un double titre, d’abord en ce qu’aux termes de l‘article ci-avant visé c’est l’avocat et non le bénéficiaire de l’aide qui peut prétendre au bénéfice de la condamnation, ensuite en ce que Thierry C. est lui-même bénéficiaire de l’aide juridictionnelle.
DÉCISION
Le tribunal, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en premier ressort,
. Dit que les termes suivants « misérable imbécile », « il n‘est rien d’autre qu’un petit trou du cul », « triste individu », « aussi laid que lui », « énergumène » et « aussi inepte que l’individu lui même », que comporte le message mis en ligne par Thierry C. le 25 décembre 2010 dans un article intitulé « Les sites internet les plus laids », sont injurieux à l’égard de Jean-Luc P. ;
. Dit qu’il n’y a pas d’excuse de provocation ;
. Condamne Thierry C. à verser à Jean-Luc P., en réparation de son préjudice moral, la somme de 1000 € à titre de dommages et intérêts ;
. Dit que la publication sur internet par Thierry C. d’une photographie de Jean-Luc P. porte atteinte au droit à l’image de ce dernier ;
. Condamne Thierry C. à verser à Jean-Luc P., en réparation du préjudice causé par cette publication, la somme de 200 € à titre de dommages et intérêts ;
. Déboute Jean-Luc P. de ses demandes en publication d’un communiqué judiciaire et en suppression de propos ;
. Déboute Thierry C. de sa demande reconventionnelle ;
. Ordonne l’exécution provisoire du jugement ;
. Dit que la demande formée au titre de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 est irrecevable ;
. Condamne Thierry C. aux entiers dépens lesquels seront recouvrés selon les modalités de l’aide juridictionnelle.
Le tribunal : M. Claude Civalero (vice président), Mme Anne-Marie Sauteraud (vice présidente), M. Alain Bourda (juge)
Avocats : Me Guillaume Sauvage, Me Antoine Guitton
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