Les avocats du net

 
 


 

Jurisprudence : Base de données

mercredi 02 novembre 2005
Facebook Viadeo Linkedin

Tribunal de commerce de Rennes Jugement du 16 juin 2005

Precom, Ouest France Multimedia / Directannonces

bases de données - extraction substantielle - petites annonces - sites internet

FAITS ET PROCEDURE

La société Precom, régie publicitaire exclusive du journal Ouest France, est en charge de la collecte et de la gestion de la publicité insérée dans ce quotidien, notamment dans le domaine de l’immobilier.

Les annonces immobilières recueillies par Precom sont insérées dans les éditions du journal Ouest France du mercredi et du samedi et sur un site internet, accessible au grand public et exploité par la société Ouest France Multimedia.

En contrepartie des prestations qu’elle leur fournit, la société Precom perçoit des sociétés Ouest France et Ouest France Multimedia une commission de régie.

La société Directannonces produit une revue de presse, constituée à partir d’annonces immobilières émanant de particuliers, faites sur internet, et la vend à des professionnels de l’immobilier.

La société Directannonces utilise pour ce faire un logiciel qui lui permet de consulter chaque nuit les sites internet, dont le site www.ouestfrance-immo.com, sur lesquels sont diffuées en ligne des petites annonces immobilières, et de sélectionner les annonces émanant de particuliers.

Les annonces ainsi extraites sont adressées le matin, par courrier électronique, aux agences immobilières clientes.

Les sociétés Precom et Ouest France Multimedia ont appris l’existence et l’activité de Directannonces par un prospect de cette société.

Considérant que l’extraction à laquelle Directannonces s’est livrée serait illicite, la société Ouest France Multimedia a fait dresser deux constats d’huissier, les 27 et 30 janvier, et, 31 mars et 2 avril 2003.

Par exploit introductif d’instance en date du 5 mars 2003, la société Ouest France Multimedia a assigné en référé la société Directannonces devant le tribunal de commerce de Rennes.

Par ordonnance du 13 mai 2003, M. Le Président du tribunal de commerce de Rennes a débouté la société Ouest France Multimedia de ses demandes.
Par acte du 23 septembre 2003, la société Precom a assigné la société Directannonces à comparaître devant le tribunal de commerce de Rennes ; la société Ouest France Multimedia se présentant à titre d’intervenant volontaire.
– d’ordonner l’interdiction à la société Directannonces de toute extraction sur la base de données www.ouestfrance-immo.com sous astreinte de 1000 € par extraction à compter de la signification du jugement à intervenir,
– de condamner la société Directannonces à payer à la société Precom la somme de 75 000 € au titre de dommages-intérêts,
– ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir,
– condamner la société Directannonces à payer à la société Precom la somme de 3000 € par application des dispositions de l’article 700 du ncpc,
– condamner la société Directannonces aux entiers dépens lesquels comprendront les frais du procès verbal de constat.

L’affaire a été plaidée à l’audience du 10 février 2005.

PRETENTIONS ET MOYENS

La société Precom expose avoir investi des sommes importantes dans la création d’une base de données dont l’entretien et la mise à jour exigent des efforts financiers.

Elle revendique, en conséquence, le statut de producteur de base de données prévu par l’article L 341-1 du code de la propriété intellectuelle et entend à ce titre bénéficier des mesures de protection prévues par les articles L 342-1 et suivants.

Elle soutient par ailleurs que l’extraction quotidienne, sans son accord, d’une partie substantielle des données du site www.ouestfrance-immo.com par la société Directannonces constitue une infraction aux dispositions de l’article L 342-1 du code de la propriété intellectuelle qui prévoit que « le producteur d’une base de données à le droit d’interdire :

1°/ l’extraction par transfert permanent ou temporaire de la totalité ou d’une partie qualitativement ou quantitativement substantielle du contenu d’une base de données sur un autre support par tout moyen ou sous toute forme que ce soit,

2°/ la réutilisation pour la mise à disposition du public de la totalité ou d’une partie qualitativement ou quantitativement substantielle du contenu de la base, quelle qu’en soit la forme ».

Elle soutient enfin que l’appropriation par la société Directannonces du résultat de son travail pour le revendre à des tiers constitue des actes de parasitisme et de concurrence déloyale.

Dans ses conclusions récapitulatives la société Precom demande au tribunal :
– d’ordonner l’interdiction à la société Directannonces de toute extraction sur la base de données www.ouestfrance-immo.com sous astreinte de 1000 € par extraction à compter de la signification du jugement à intervenir,
– de condamner la société Directannonces à payer à la société Precom la somme de 75 000 € au titre de dommages-intérêts,
– de débouter la société Directannonces de toutes ses demandes, fins et conclusions,
– d’ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir,
– de condamner la société Directannonces à payer à la société Precom la somme de 8000 € par application des dispositions de l’article 700 du ncpc,
– de condamner la société Directannonces aux entiers dépens lesquels comprendront les frais du procès verbal de constat.

La société Ouest France Multimedia fonde la justification de son intervention volontaire sur les dispositions de l’article 329 du ncpc qui stipule « L’intervention est principale lorsqu’elle élève une prétention au profit de celui qui la forme. Elle n’est recevable que si son auteur a le droit d’agir relativement à cette prétention ».

Elle fonde sa demande de dommages-intérêts sur les dispositions de l’article 1382 du code civil, en réparation du préjudice qu’elle dit avoir subi du fait des actes de concurrence déloyale et de parasitisme de la société Directannonces.

Elle demande au tribunal :
– de lui décerner acte de son intervention volontaire à l’instance opposant la société Precom à la société Directannonces,
– de dire et juger cette intervention volontaire recevable et bien fondée,
– de condamner la société Directannonces à payer à la société Ouest France Multimedia une somme de 10 000 € à titre de dommages-intérêts,
– d’ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir,
– de condamner la société Directannonces à payer à la société Ouest France Multimedia la somme de 2000 € sur le fondement de l’article 700 du ncpc,
– de condamner la société Directannonces aux entiers dépens.

La société Directannonces, quant à elle, prétend que Precom n’apporte pas la preuve de sa qualité de producteur de la base de données, accessible à partir du site www.ouestfrance-immo.com, au sens de l’article L 341-1 du code de la propriété intellectuelle qui dispose « le producteur d’une base de données, entendu comme la personne qui prend l’initiative et le risque des investissements correspondants, bénéficie d’une protection du contenu de la base de données lorsque la constitution, la vérification, ou la présentation de celui-ci atteste d’un effort financier, matériel ou humain substantiel ».

La société Directannonces prétend que Precom, en charge de la régie publicitaire du journal Ouest France, est en réalité un prestataire de service qui collecte auprès des professionnels et des particuliers des annonces en vue de leur insertion, à titre payant, dans les éditions spéciales du journal et sur le site www.ouestfrance-immo.com.

Directannonces rappelle en outre que lors de l’action en référé c’est la société Ouest France Multimedia qui revendiquait le statut de producteur de la base de données.
A titre subsidiaire la société Directannonces affirme n’avoir procédé à aucune extraction illicite au sens du code de la propriété intellectuelle qui en son article L 342-3 dispose que « lorsque une base de données est mise à la disposition du public par le titulaire du droit, celui-ci ne peut interdire l’extraction ou la réutilisation d’une partie non substantielle, appréciée de façon qualitative ou quantitative, du contenu de la base, par la personne qui a licitement accès ».

A l’appui de son argumentation, Directannonces indique que le nombre d’annonces provenant de la base de données mise en ligne sur le site internet www.ouestfrance-immo.com et figurant dans ses revues de presse de janvier 2003 est inférieur à 20 alors qu’à cette date environ 20 000 annonces immobilières étaient présentes sur ce site.

Directannonces, par ailleurs, conteste la validité des constats d’huissiers produits par Precom à l’appui de ses revendications, qui reposeraient sur des faits erronés et ne comporteraient pas seulement des constatations purement matérielles et ce en violation des dispositions de l’ordonnance du 2 novembre 1945.

A titre infiniment subsidiaire la société Directannonces conteste la réalité du préjudice commercial invoqué par Precom et évalué à 75 000 €. Elle fait remarquer que pour les mêmes faits et à l’appui des mêmes pièces, la société Ouest France Multimedia sollicitait dans le cadre de la procédure de référé sa condamnation au paiement de la somme de 100 000 € à titre de dommages-intérêts.

La société Directannonces juge irrecevable et non fondée l’intervention volontaire de la société Ouest France Multimedia a son encontre en concurrence déloyale et parasitisme et conteste le préjudice invoqué par cette société.

Sur le fondement de l’article 32-1 du ncpc, Directannonces demande reconventionnellement la condamnation des sociétés Precom et Ouest France Multimedia pour procédure abusive.

La société Directannonces demande au tribunal :
– de déclarer la société Precom irrecevable à agir sur le fondement de la contrefaçon,
– de prononcer la nullité des procès verbaux en date des 27 et 30 janvier, 31 mars et 2 avril 2003 pour être contraire aux dispositions de l’ordonnance du 2 novembre 1945,
– de débouter les sociétés Precom et Ouest France Multimedia de l’intégralité de leurs demandes, fins et conclusions,
– de condamner in solidum les sociétés Precom et Ouest France Multimedia à verser à la société Directannonces la somme de 15 000 € pour procédure abusive,
– de condamner in solidum les sociétés Precom et Ouest France Multimedia à verser à la société Directannonces la somme de 10 000 € sur le fondement de l’article 700 du ncpc,
– de condamner in solidum les sociétés Precom et Ouest France Multimedia aux entiers dépens en ce compris le coût des procès verbaux de constat réalisés à la requête de la société Directannonces, savoir la somme TTC de 3248,58 €.

Les demandes de la société Directannonces sont fondées sur :
– les articles 31 et 32 du ncpc qui définissent le droit à l’action,
– les articles L 342-1, L 342-2 et L 342-3 du code de la propriété intellectuelle qui exposent les protections instituées en faveur des producteurs de bases de données,
– l’ordonnance du 2 novembre 1945 qui définit les pouvoirs des huissiers de justice,
– l’article 1382 du code civil sur l’obligation de réparation des dommages causés à autrui.

DISCUSSION

Attendu que la société Precom fonde son action sur les dispositions de l’article L 341-1 du code de la propriété intellectuelle qui prévoit et organise la protection des producteurs de bases de données.

Attendu que la société Precom n’apporte pas la preuve de sa qualité de producteur de base de données en ne justifiant pas des investissements réalisés pour la constitution de cette base de données.

Attendu que les extractions opérées par Directannonces ne sont pas contraires, par leur quantité et leur qualité, aux dispositions de l’article L 342-3 du code de la propriété intellectuelle.

Attendu qu’en conséquence la société Precom sera déboutée de sa demande d’ordonner l’interdiction à la société Directannonces de toute extraction sur la base de données www.ouestfrance-immo.com sous astreinte de 1000 € par extraction à compter de la signification du jugement à intervenir.

Attendu que la société Precom n’apporte aucun élément pour justifier l’existence et l’importance du préjudice qu’elle dit avoir subi, elle sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts.

Attendu que la société Precom sera déboutée de toutes ses autres demandes.

Attendu que les faits reprochés à Directannonces par Ouest France Multimedia ne sont pas distincts de ceux reprochés par Precom, l’action de Ouest France Multimedia basée sur un autre fondement juridique n’est pas recevable.

Attendu qu’en conséquence la société Ouest France Multimedia sera déboutée de sa demande de dire et juger recevable et bien fondée son action en intervention volontaire.

Attendu que lors de l’action en référé Ouest France Multimedia évaluait son préjudice à 100 000 € et qu’elle ne justifie pas aujourd’hui sa demande de dommages-intérêts à hauteur de 10 000 €.

Attendu qu’en conséquence Ouest France Multimedia sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts.

Attendu que la société Ouest France Multimedia sera déboutée de toutes ses autres demandes.

Attendu que les constats d’huissiers contiennent des appréciations dépassant les constatations purement matérielles en violation des dispositions de l’ordonnance du 2 novembre 1945, il appartiendra au tribunal d’en prononcer la nullité.

Attendu que la société Directannonces ne justifie pas le caractère abusif de l’action intentée à son encontre, elle sera déboutée de sa demande de versement d’une indemnité à ce titre.

Attendu que la société Directannonces a dû engager des frais pour assurer sa défense, il lui sera alloué une somme de 10 000 € sur le fondement de l’article 700 du ncpc.

Attendu que les sociétés Precom et Ouest France Multimedia qui succombent supporteront solidairement les dépens y compris le coût des procès verbaux de constat réalisés à la requête de Directannonces, à savoir la somme TTC de 3248,58 €.

DECISION

Le tribunal, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant par jugement contradictoire et en premier ressort :

. Déboute la société Precom de sa demande d’interdire à la société Directannonces toute extraction sur la base de données www.ouestfrance-immo.com sous astreinte de 1000 € par extraction à compter de la signification du jugement,

. Déboute la société Precom de sa demande de condamner la société Directannonces à lui payer la somme de 75 000 € au titre de dommages-intérêts,

. Déboute la société Precom de toutes ses autres demandes,

. Déboute la société Ouest France Multimedia de sa demande de condamner la société Directannonces à lui payer la somme de 10 000 € à titre de dommages-intérêts,

. Déboute la société Ouest France Multimedia de toutes ses autres demandes,

. Prononce la nullité des constats d’huissiers établis en violation des dispositions de l’ordonnance du 2 novembre 1945,

. Déboute la société Directannonces de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive,

. Déboute la société Directannonces de toutes ses autres demandes,

. Condamne les sociétés Precom et Ouest France Multimedia à verser solidairement à la société Directannonces la somme de 10 000 € sur le fondement de l’article 700 du ncpc,

. Condamne les sociétés Precom et Ouest France Multimedia solidairement aux dépens en ce compris le coût des procès verbaux de constat réalisés à la requête de Directannonces, à savoir la somme TTC de 3248,58 €.

Le tribunal : Mme Lenormand (président), MM. Delaunay et Loret (juges)

Avocats : Assoc Berthault A., Cosnard, Berthault V., SCP Gautier, Faugere-Recipon, Berthelot-Parrad, Le Floch, Me Bernard Lamon.

Notre présentation de la décision

(Voir décision de Cour d’appel

 
 

En complément

Maître Association Berthault A. Cosnard Berthault V. est également intervenu(e) dans l'affaire suivante  :

 

En complément

Maître Bernard Lamon est également intervenu(e) dans les 22 affaires suivante  :

 

En complément

Maître SCP Gautier Faugere Recipon Berthelot Parrad Le Floch est également intervenu(e) dans l'affaire suivante  :

 

En complément

Le magistrat Delaunay est également intervenu(e) dans l'affaire suivante  :

 

En complément

Le magistrat Lenormand est également intervenu(e) dans l'affaire suivante  :

 

En complément

Le magistrat Loret est également intervenu(e) dans l'affaire suivante  :

 

* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.