Jurisprudence : Droit d'auteur
Cour d’appel de Rennes 1ère chambre Arrêt du 13 mai 2014
Naviciel / Maud R.
condition - originalité - protection - salariée - site internet
FAITS ET PROCÉDURE
Selon contrat de travail à durée indéterminée du 03 juillet 2006, Mme Maud R. a été embauchée comme infographiste par la société Naviciel, dont l’activité est la conception, le développement et la maintenance de sites internet.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 1er avril 2009 la société Aviciel a notifié à Mme R. son licenciement pour usage abusif des outils informatiques mis à sa disposition à des fins personnelles et durant son contrat de travail.
Pour sa part, Mme R. a sollicité le 20 avril 2009 de la société Naviciel l’indemnisation du préjudice lié à l’utilisation sans son autorisation des prestations par elle réalisées dans le cadre de son contrat de travail.
Par acte du 06 avril 2010, Mme R. a fait assigner la société Naviciel devant le tribunal de grande instance de Rennes afin de se voir reconnaître la qualité d’auteur sur les œuvres qu’elle a créées dans le cadre de son contrat de travail et voir condamner la société Naviciel à lui payer la somme de 18 200 € au titre de la cession de ses droits patrimoniaux sur lesdites œuvres ainsi que celle de 1820 € à titre de dommages et intérêts.
Par jugement du 29 mai 2012, le tribunal de grande instance de Rennes a :
– dit que les éléments graphiques des sites internet créés par Mme Maud R. dans le cadre de son contrat de travail conclu avec la société Naviciel sont protégeables au titre du droit d’auteur comme présentant un caractère d’originalité suffisant,
– constaté l’absence de cession des droits d’auteur au profit de la société Naviciel sur les réalisations graphiques créées par Mme R.,
– condamné en conséquence la société Naviciel à payer à Mme R. la somme de 17 920 € au titre de la cession de ses droits patrimoniaux sur les œuvres graphiques qu’elle a créées,
– condamné la société Naviciel à payer à Mme R. la somme de 2000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– rejeté les demandes formées par Mme R. au titre du préjudice subit du fait de la violation de son droit de paternité ainsi que celles formées reconventionnellement par la société Naviciel au titre de la concurrence déloyale et des frais irrépétibles,
– ordonné l’exécution provisoire,
– condamné la société Naviciel aux dépens.
Appelante de ce jugement, la société Naviciel, par conclusions du 18 décembre 2013, a sollicité que la cour, sur le fondement des dispositions de l’article 564 du code de procédure civile, L111-1 et suivants, L131-4 et suivants, L335-3 du code de la propriété intellectuelle, 1382 du code civil :
– infirme le jugement déféré,
– dise que les chartes graphiques revendiquées par Mme R. sont dépourvues d’originalité,
– dise que les prétentions de Mme R. relatives au logo doivent être écartées comme nouvelles en appel,
– dise que les chartes graphiques revendiquées par Mme R. ne bénéficient pas de la protection par le droit d’auteur,
– constate les actes de concurrence déloyale commis par Mme R.,
– condamne Mme R. à payer à la société Naviciel la somme de 30 000 € en réparation de cette concurrence déloyale,
– subsidiairement, si la cour devait retenir que la société Naviciel a commis des actes de contrefaçon, limite la somme à payer à Mme R. à la somme de 7296 €,
– condamne Mme R. aux dépens comprenant les frais de constat du 21 juillet 2011,
– condamne Mme R. au paiement de la somme de 7500 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions du 02 avril 2013, Mme Maud R. a sollicité que la cour, sur le fondement des dispositions des articles L111-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle et 1382 du code civil :
– confirme le jugement déféré,
– condamne la société Naviciel à lui payer la somme de 4500 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamne la société Naviciel aux dépens avec droit de distraction pour ceux dont il a été fait l’avance.
Pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, la cour renvoie aux conclusions susvisées.
DISCUSSION
Les prétentions émises par Mme R. contre la société Naviciel sont fondées sur les dispositions des articles L111-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle, qui protègent les œuvres de l’esprit.
Il est constant à cet égard qu’un site internet est susceptible de protection par le droit d’auteur si son créateur démontre que sa facture témoigne d’une physionomie caractéristique originale et d’un effort créatif témoignant de la personnalité de son auteur.
Mme R. a ainsi versé aux débats les pages d’accueil et pages intérieures de soixante-six sites qu’elle a créés pour le compte de la société Naviciel, en insérant des commentaires visant à démontrer l’originalité de ses créations.
Les sites concernés sont des sites d’entreprises commerciales ou d’administrations locales.
Après examen des pièces les concernant, la cour constate que pour chaque site, la mise en valeur de l’activité du client a simplement consisté à insérer dans quelques cadres colorés des images en relation directe avec son activité.
Ainsi un site d’entreprise d’appareil de levage présente une photo d’appareil de levage, un site de couturière spécialisée en tenue de cérémonies présente une robe de mariée, un site de camping en mobil home présente un soleil et des photos d’intérieur de mobil-home, un site de menuiserie en aluminium présente une photo de garde-corps en aluminium, un site de restaurant présente une assiette dressée, un site de plats à emporter présente un plat garni, un site de brioche vendéenne présente une brioche découpée, un site de séjours de vacances présente des photos d’enfants au bord de l’eau, un site d’électricien chauffagiste présente des photos de lave-linge et de pompe à chaleur, les sites touristiques de différentes collectivités locales présentent des images bucoliques, un site d’hôtel présente la photo de l’hôtel, le site de recherches historiques sur la Vendée présente les photos des ouvrages mis en vente, un site d’école des métiers de l’imprimerie présente des élèves, un site de séjour à la neige présente des montagnes enneigées, le site du camping “Les dinosaures” présente un dessin de … dinosaure, intitulé mascotte par Mme R., qui en revendique la création.
Il en résulte des sites internet de facture très classique, ayant consisté à créer des cadres colorés et dynamiques dans lesquels sont présentés des objets immédiatement reconnaissables en relation directe avec l’activité du client.
Les commentaires apposés par Mme R. pour chaque site sont à cet égard éloquents en ce qu’elle revendique principalement le choix des couleurs mises en œuvre, de façon à créer l’ambiance graphique souhaitée.
De toute évidence, ses travaux témoignent d’une technicité graphique et d’un savoir-faire certains, permettant à Mme R., dans le cadre de son contrat de travail, de conserver une certaine autonomie dans le choix des éléments, des couleurs et des ambiances à mettre en valeur.
Les mails versés aux débats par la société Naviciel démontrent toutefois que cette autonomie était limitée par les instructions très précises que les clients n’hésitaient pas à donner à Mme R. quant aux tailles et emplacements des logos, images et caractères d’impression ; d’autre part, certains graphismes n’ont été que la reprise de graphismes réalisés antérieurement par des tiers, dont l’entreprise se servait déjà avant de créer un site internet.
Enfin, la technicité fonctionnelle ne peut se confondre avec la créativité et l’originalité qu’impliquent la création d’une œuvre de l’esprit, que Mme R. a été dans l’incapacité de mettre en exergue dans les commentaires dont elle a gratifié chaque site.
Il en résulte que Mme R. échoue dans la preuve qui lui incombe que les pages graphiques des sites internet dont elle a eu la charge lorsqu’elle était salariée de la société Naviciel aient été des œuvres de l’esprit et puissent à ce titre être protégées par les dispositions du code de la propriété intellectuelle.
Consécutivement, elle est déboutée de toutes ses demandes et le jugement déféré est infirmé de ce chef.
D’autre part, il est établi par un constat d’huissier en date du 25 mars 2009 que Mme R. exerçait en nom personnel sous l’appellation “studio hypaepa” une activité commerciale concurrente à celle de la société Naviciel, qu’elle présentait sur un site internet au sein duquel figurait comme exemples de sa compétence des prestations réalisées dans le cadre de son contrat de travail, dont elle s’attribuait la paternité.
Ensuite, un constat du 21 juillet 2011 établit que Mme R. a émis sur le compte Twitter de Hypapea des propos injurieux contre la société Naviciel.
Ces faits commis pour les premiers alors que Mme R. était encore salariée de la société Naviciel et pour les seconds deux années après son licenciement, sont fautifs comme constitutifs de concurrence déloyale, les mentions du site “studio hypaepa” prêtant à confusion avec l’activité de l’appelante et les seconds pouvant être qualifiés de dénigrement.
Le préjudice en résultant en est une atteinte à l’image de l’entreprise qui justifie que Mme R. soit condamnée, sur le fondement des dispositions de l’article 1382 du code civil, au paiement de la somme de 5000 € à titre de dommages et intérêts.
Mme R., qui succombe, supportera la charge des dépens de première instance et d’appel, et paiera à la société Naviciel la somme de 5000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
DÉCISION
La cour,
. Infirme le jugement déféré.
Statuant à nouveau :
. Dit que le travail réalisé par Mme R. en qualité de salariée de la société Naviciel n’est pas susceptible d’être qualifié d’œuvre de l’esprit et de bénéficier de la protection des dispositions des articles L111-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle.
. Déboute Mme R. de l’ensemble de ses demandes.
. Condamne Mme R. à payer à la société Naviciel la somme de 5000 € de dommages et intérêts.
. Déboute chaque partie du solde de ses demandes.
. Condamne Mme R. aux dépens de première instance et d’appel, avec droit de recouvrement pour ceux dont il a été fait l’avance.
. Condamne Mme R. à payer à la société Naviciel la somme de 5000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
La cour : M. Xavier Beuzit (président), M. Marc Janin et Mme Olivia Jeorger-Le Gac (conseillers)
Avocats : Me Bernard Lamon, Me Lara Bakhos
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