Jurisprudence : Droit d'auteur
Tribunal de Grande Instance de Paris Jugement du 7 février 2001
SA Excelsior Publications / Frédéric R.
droit d'auteur - journal - marque - nom de domaine - oeuvre collective - site internet - transfert
Vu l’assignation introductive de la présente instance introduite au visa de l’article 788 du nouveau code de procédure civile, aux termes de laquelle la société Excelsior Publications, éditrice du magazine mensuel Max, fait grief à Frédéric R., l’un de ses collaborateurs pigistes, qui s’était vu confier l’animation de la rubrique » Miss Trick » :
– d’avoir déposé la marque » Miss Trick « , puis fait enregistrer les noms de domaine « misstrick.com », « misstrick.net », « misstrick.org », sans autorisation,
– de s’être ainsi approprié de manière frauduleuse le terme » Miss Trick « , propriété de la société,
– d’avoir repris sur le site « misstrick.com » qu’il a créé, à l’identique ou après quelques retouches, les questions-réponses provenant de la rubrique Miss Trick du magazine Max,
de commettre ainsi un acte de concurrence déloyale et parasitaire et de porter atteinte aux droits d’Excelsior Publications qui, elle-même, a ouvert un site web reprenant la rubrique Miss Trick et sollicite, en conséquence :
– l’annulation du dépôt de la marque Miss Trick n° 302 1229 fait le 4 avril 2000,
– le transfert à son profit et à l’initiative de Frédéric R. des noms de domaine « misstrick.com », « misstrick.net », « misstrick.org »,
– la condamnation de Frédéric R. au paiement de la somme de 1 million de francs en réparation du préjudice qu’elle a subi du fait de l’atteinte à ses droits sur la base de données et de la concurrence déloyale et parasitaire dont elle est la victime,
– la fermeture du site www.misstrick.com au terme d’un délai de deux mois, avec toutefois le maintien pendant ce délai d’un lien hypertexte en direction du site qu’elle exploite www.max-magazine.com,
– outre une mesure de publication et l’allocation de la somme de 100 000 F sur le fondement de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.
Vu les conclusions développées en défense aux termes desquelles Frédéric R., qui dit être le créateur du personnage Miss Trick, de son nom et de la rubrique du même nom publiés dans le magazine Max ainsi qu’en attesteraient les nombreuses pièces qu’il produit, spécialement celles qui font apparaître qu’il avait créé ce personnage au cours de sa scolarité de l’Ecole Supérieure du Commerce Extérieur de Paris en 1985/1986, sollicite :
– outre le rejet de l’ensemble des demandes de la société Excelsior Publications,
– la condamnation de la demanderesse à lui payer :
. la somme de 1 million de francs à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice qu’il subit du fait de la contrefaçon » Miss Trick »
. et celle de 1 million de francs à raison du préjudice qu’il subit du fait de l’exploitation parasitaire de la rubrique Miss Trick dans le magazine Max et sur le site Internet Max,
– le transfert à son profit ou, à défaut, la radiation de la marque Miss Trick n° 3033 307 déposée par la demanderesse le 20 avril 2000
– et la transcription de cette radiation auprès de l’organisme compétent,
– une mesure d’interdiction de l’usage du nom Miss Trick,
– la publication de la décision,
– la condamnation de la demanderesse à lui payer :
. la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive,
. celle de 100 000 F sur le fondement de l’article 700 du NCPC,
le tout sous astreinte et sous le bénéfice de l’exécution provisoire,
en faisant valoir, pour l’essentiel :
qu’ayant créé le personnage Miss Trick et bénéficiant à ce titre d’une antériorité, le dépôt par la demanderesse de la marque » Miss Trick » constitue un acte de contrefaçon à son encontre ;
que, de même, constituent des actes de contrefaçon de ses droits d’auteur et de concurrence déloyale et parasitaire l’exploitation de la rubrique Miss Trick qu’il a créée, et ce postérieurement au licenciement dont il a été l’objet ;
que, par ailleurs, la demanderesse ne saurait revendiquer la propriété d’une base de données constituée par les échanges de correspondances et conseils développés dans le cadre d’une rubrique Miss Trick puisqu’elle n’est pas l’auteur de cette rubrique et qu’elle ne justifie aucunement de la réunion à son profit des conditions d’opposabilité aux tiers d’une base de données, spécialement les investissements qui auraient été réalisés ;
qu’en réalité, la rubrique Miss Trick est une création originale de sa part et qu’à ce titre il est fondé à s’opposer aux prétentions de la demanderesse qui n’a d’autre but que celui de l’empêcher de travailler en exploitant l’idée de la rubrique de conseils sentimentaux et sexuels qu’il avait proposée et mise en œuvre par Max dès 1996, et à revendiquer à son profit la prise de mesures coercitives à l’encontre d’Excelsior Publications, ajoutant que même à supposer que la rubrique Miss Trick soit une œuvre collective, comme le soutient la demanderesse, l’article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle prévoit en son alinéa 3 que l’existence d’un louage d’ouvrages ou de services par l’auteur d’une œuvre de l’esprit n’emporte aucune dérogation à la jouissance du droit reconnu à l’auteur par l’alinéa 1 dudit article.
Vu, pour le surplus, ensemble, les faits et moyens en droit et en fait développés dans les écritures des parties ainsi que les pièces produites aux débats
Attendu que la rubrique Miss Trick, rubrique de conseils sentimentaux et sexuels, est, depuis l’origine, incorporée dans le magazine Max ;
Attendu que cette rubrique est le fruit d’une collaboration entre plusieurs personnes du journal ;que l’initiative de sa création et de sa parution revient à Laure Tran, alors chef des rubriques au sein de la rédaction de Max ;
Attendu qu’il n’est pas contestable que Frédéric R., journaliste pigiste salarié, ait contribué à sa création et à son développement par ses conseils éclairés et judicieux, son sens pratique, sa détermination et son imagination créatrice ;
Mais attendu qu’avant de participer à la mise en place de cette rubrique, il n’a jamais revendiqué l’existence d’une création originale protégeable par le droit d’auteur, ni surtout un quelconque droit exclusif de propriété sur le nom et/ou le personnage Miss Trick, reconnaissant par là même que Miss Trick n’avait pas d’existence avant la rencontre des différents participants à la création de la rubrique ;
Attendu, d’ailleurs, que Frédéric R. qui prétend avoir déjà utilisé le terme » Miss Trick » dans le journal du bureau des élèves de l’Ecole Supérieure du Commerce Extérieur de Paris pour l’année scolaire 1986/87, ne produit pas cette pièce ;
Attendu, en conséquence, que la rubrique Miss Trick et son personnage étant une œuvre collective, créée sur l’initiative décisionnelle d’Excelsior Publications qui l’a éditée, publiée, divulguée sous sa direction et son nom, elle est présumée être la propriété d’Excelsior Productions ;
Attendu que Frédéric R. n’apporte pas la preuve contraire à la présomption de titularité dont bénéficie la demanderesse ;
Attendu que, faute par lui de justifier de la propriété personnelle du personnage et du titre Miss Trick qui, il convient de le rappeler, n’ont vu le jour que dans le cadre et à l’occasion de l’exécution d’un contrat de travail, Frédéric R.r ne pouvait en disposer librement sauf à justifier d’une autorisation expresse d’Excelsior Productions, ce qui n’est pas le cas en l’espèce ;
Attendu que Frédéric R. ne pouvait donc pas déposer la « Miss Trick », ni surtout exploiter le terme « Miss Trick » en tant que nom de domaine ;
Attendu, par ailleurs, que le contenu de la rubrique étant la propriété du journal, il ne pouvait pas davantage l’exploiter sans autorisation sur ses sites Internet ;
Attendu que les actes de contrefaçon et de concurrence parasitaire qui doivent dès lors lui être imputés, seront sanctionnés dans les termes du dispositif du jugement par une mesure d’annulation du dépôt de la marque n° 308 1229 du 4 avril 2000 et de publication de cette annulation, par une mesure de transfert de noms de domaine litigieux, par une mesure d’interdiction de l’usage des termes « Miss Trick » et des contenus de la rubrique et de la fermeture du site « misstrick.com » ;
Attendu que la réparation matérielle de son comportement fautif sera assurée par sa condamnation au paiement de la somme de 30 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 10 000 F sur le fondement de l’article 700 du NCPC ;
Attendu qu’une mesure de publication dans la presse n’apparaît pas nécessaire ;
Attendu que le présent jugement sera déclaré exécutoire par provision dans les termes du dispositif ;
Attendu qu’en conséquence de ce qui précède, Frédéric R. sera débouté de sa demande reconventionnelle.
La décision
Le tribunal, statuant en audience publique, contradictoirement et en premier ressort :
. annule le dépôt de la marque Miss Trick n° 302 1229 et ordonne la radiation et la publication de ce dépôt aux frais du défendeur, en tant que de besoin aux frais avancés de la demanderesse ;
. fait interdiction à Frédéric R. de continuer à faire usage du terme » Miss Trick » comme du contenu de la rubrique publié dans les différents numéros de la revue ;
. ordonne le transfert au profit de la demanderesse et aux frais du défendeur des noms de domaine « misstrick.com », « misstrick.net » et « misstrick.org » ;
. ordonne la fermeture immédiate du site www.misstrick.com ;
. condamne Frédéric R. à payer à Excelsior Publications les sommes de 30 000 F à titre de dommages-intérêts et de 10 000 F sur le fondement de l’article 700 du NCPC ;
. ordonne l’exécution provisoire du présent jugement en ce qui concerne l’annulation du dépôt de la marque » Miss Trick « , les mesures d’interdiction, de transfert et de fermeture du site « misstrick.com » ;
. rejette toute demande plus ample ou contraire ;
. déboute le défendeur de sa demande reconventionnelle ;
. condamne le défendeur aux dépens et admet le conseil de la demanderesse au bénéfice de l’article 699 du NCPC.
Le tribunal : M. Gomez (premier vice-président, président de la formation, Mme Ract-Madoux (vice-président) et Mme Grivel (juge).
Le ministère public : M. Dillange (premier substitut).
Avocat : Me Cyril Rojinsky (SCP Huyghe de Mahenge, Bloxham, Michaud & Associés) et Me Francine Wagner (cabinet Wagner Edelman).
Notre présentation de la décision
En complément
Maître Cyril Rojinsky est également intervenu(e) dans les 2 affaires suivante :
En complément
Maître Francine Wagner est également intervenu(e) dans l'affaire suivante :
En complément
Le magistrat Grivel est également intervenu(e) dans les 7 affaires suivante :
En complément
Le magistrat Jean Jacques Gomez est également intervenu(e) dans les 31 affaires suivante :
En complément
Le magistrat Pierre Dillange est également intervenu(e) dans les 14 affaires suivante :
En complément
Le magistrat Ract Madoux est également intervenu(e) dans les 2 affaires suivante :
* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.