Jurisprudence : Contenus illicites
Cour d’appel de Paris 14ème chambre, section A Arrêt du 4 janvier 2006
Zeturf, Eturf / PMU
contenus illicites - interdiction - jeux en ligne - loi applicable
FAITS
Selon la loi française du 02 juin 1891 modifiée par l’article 186 de la loi de finances du 16 avril 1930 et le décret n°97.456 du 5 mai 1997 (modifié par le décret du 12 novembre 2002) le groupement d’intérêt économique (Gie), intitulé Pari Mutuel Urbain (PMU) qui regroupe les sociétés de courses de chevaux, est seul habilité à collecter les paris en dehors des hippodromes.
Le 19 juin 2005, une société de droit maltais Zeturf Ltd (Zeturf) lançait la prise de paris en ligne accessible par son site internet www.zeturf.com sur les courses françaises de chevaux.
L’article 49 du traité instituant la communauté européenne est ainsi rédigé :
a 49 « …. les restrictions à la libre prestation des services à l’intérieur de la communauté sont interdites à l’égard des ressortissants des Etats membres établis dans un pays de la communauté autre que celui du destinataire de la prestation.
La société anonyme Eturf – Eturf dont l’ancien président était M. Emmanuel de R.C. actuel dirigeant de Zeturf, a prétendu avoir vendu l’exploitation de son site internet « zeturf.com », et avoir modifié sa dénomination sociale Zeturf en Eturf.
Par ordonnance du 08 juillet 2005 le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris :
– constatait le trouble manifestement illicite résultant de l’activité de prise de paris organisée par le service de communication au public en ligne accessible à l’adresse www.zeturf.com ;
– ordonnait à la société Zeturf de mettre fin à cette adresse à l’activité de prise de paris en ligne sur les courses hippiques organisées en France, et ce sous astreinte provisoire de 15 000 € par jour de retard à l’expiration du délai de 48 heures faisant suite à la signification de la décision ;
– ordonnait à la société Eturf de mettre en œuvre tous moyens à la disposition pour mettre fin à toute contribution à l’exploitation de la prise de paris en ligne sur le site en question, et ce sous astreinte provisoire de 8000 € par jour de retard faisant suite à l’expiration d’un délai de 48 heures suivant la signification de la décision ;
– déboutait le Gie PMU du surplus de ses demandes ;
– condamnait les sociétés Zeturf et Eturf Ltd in solidum à payer au Gie PMU la somme de 5000 € en application de l’article 700 du ncpc.
Zeturf interjetait appel le 13 juillet 2005.
Eturf interjetait appel le 21 juillet 2005.
Le 13 septembre 2005 la jonction était prononcée entre les dossiers 2005/16371, 2005/16206 et 2005/15733 sous ce seul dernier numéro.
Prétentions et moyens de PMU
Par dernières conclusions auxquelles il convient de se reporter du 21 novembre 2005, PMU demande :
– la confirmation de l’ordonnance sauf à augmenter l’astreinte et à ordonner la publication du dispositif de l’arrêt,
– la condamnation de Zeturf et Eturf tenus in solidum à lui payer 60 000 € au titre de l’article 700 du ncpc.
Cette partie entend bénéficier des dispositions de l’article 699 du ncpc.
Prétentions et moyens de la société Zeturf
Par dernières conclusions auxquelles il convient de se reporter du 21 novembre 2005, Zeturf demande :
– la nullité de l’ordonnance entreprise rendue en violation du principe de la contradiction,
– d’évoquer l’affaire ou si la cour décide qu’il n’y a pas lieu à annulation :
• de dire que le décret du 05 mai 1997 en tant qu’il confie au PMU un monopole pour la gestion du pari mutuel n’est pas compatible avec le principe communautaire de libre prestation de service,
• en conséquence de dire que son activité ne constitue pas un trouble manifestement illicite,
– à titre très subsidiaire la saisine de la cour de justice des communautés européennes,
– en tout état de cause :
• le débouté du PMU
• 70 000 € au titre de l’article 700 du ncpc.
Prétentions et moyens de Eturf
Par dernières conclusions auxquelles il convient de se reporter du 21 novembre 2005, Eturf demande :
– l’infirmation de l’ordonnance,
– le débouté du PMU en toutes ses prétentions,
– en tout état de cause de lui donner acte de ce qu’elle ne fournit plus d’informations à Zeturf sur les courses hippiques organisées en France,
– 10 000 € au titre de l’article 700 du ncpc.
Cette partie entend bénéficier des dispositions de l’article 699 du ncpc.
Avis du ministère public
Par dernières conclusions auxquelles il convient de se reporter du 15 novembre 2005 le ministère public soutient que la loi française est conforme à la réglementation européenne et qu’il convient dans ces conditions de confirmer l’ordonnance entreprise.
DISCUSSION
Sur la nullité de l’ordonnance
Considérant qu’il résulte de l’exposé des faits, reconnus exacts par les parties, tel que réalisé par l’ordonnance que le PMU, a sous le contrôle du juge tenté par tous moyens d’assigner rapidement Zeturf ; que l’assignation reçue par « l’entité requise » le 01 juillet 2005 a été transmise à Zeturf, à Malte, le 04 juillet 2005, jour de l’audience parisienne (qui se tenait à 16 heures) à deux adresses différentes, à 13 h 45 et 13 h 57, ainsi qu’au domicile parisien de M. Emmanuel R.C. – dirigeant de Zeturf – le même jour à 13 h 45 ; que l’intéressé ne démontre pas avoir changé de domicile à Paris (comme il l’affirme) où l’acte a été accepté par l’employée de maison, et où vit sa famille, ni s’être trouvé à Malte ce jour là (les attestations communiquées étant en langue anglaise non traduites) ;
Considérant que si Zeturf ne pouvait que s’attendre à une réaction du PMU après avoir lancé publiquement une activité qu’elle savait contraire au droit français (annonce dans le journal le Monde du 29 juin 2005) et si les moyens modernes de communication pouvaient lui permettre de prendre toutes dispositions pour se manifester, et solliciter par exemple un renvoi, il n’en demeure pas moins qu’il n’est pas démontré que l’assignation délivrée au terme d’une procédure régulière l’a été en temps utile pour que Zeturf ait pu préparer sa défense ;
Considérant cependant que les mesures provisoires sollicitées (et ordonnées) l’ont été sur le fondement de l’article 19-3 du règlement communautaire n°1348/2000 du 29 mai 2000 permettant en cas d’urgence lorsque le défendeur ne comparait pas d’ordonner toute mesure provisoire ;
Considérant que le premier juge a détaillé l’enchaînement rapide des événements :
– la saisie contrefaçon du 03 février 2005,
– la démission de M. Emmanuel R.C. de sa fonction de président du conseil d’administration de Zeturf qui devenait Eturf,
– l’apparition le 19 juin 2005 de Zeturf, société de droit maltais dirigée par M. Emmanuel R.C.,
– l’annonce le 20 juin 2005 par la presse (sous l’impulsion de M. Emmanuel R.C.) de la possibilité désormais offerte aux parieurs de prendre des paris en ligne sur les courses hippiques,
– le procès verbal du 21 juin 2005 constatant l’effectivité de cette annonce,
– la communication de M. Emmanuel R.C. annonçant des rapports supérieurs à ceux du PMU.
Considérant qu’il n’est pas contesté que l’activité de Zeturf était contraire au droit français et sanctionnable pénalement ; qu’il y avait urgence à examiner la demande, étant précisé que la partie conservait la possibilité de revenir rapidement devant un juge ; que l’ordonnance entreprise n’est pas nulle ;
Sur le litige PMU – Zeturf
Considérant que les parties s’opposent sur la méthode que doit suivre le juge ;
Qu’en premier lieu le PMU estime que le juge des référés doit apprécier ses pouvoirs au vu de la réglementation française d’ordre public en l’absence de « contrariété manifeste et incontestable » du droit communautaire, alors que Zeturf soutient que ce juge doit le faire directement au regard du droit communautaire ;
Qu’en deuxième lieu le PMU affirme que les dispositions de la communauté économique européenne n’ayant pas pour objet d’appréhender les situations purement nationales, ce qui est le cas d’espèce, le juge peut directement se fonder sur la seule loi française puisque l’invocation du droit communautaire pour frauder la loi nationale est abusive, alors que Zeturf prétend que le juge national doit d’abord s’assurer de la compatibilité de la norme nationale avec le droit communautaire ;
Qu’en troisième et dernier lieu le PMU invoque le principe d’autonomie procédurale, que Zeturf estime étranger au présent litige ;
Considérant que le principe d’autonomie procédurale invoqué par le PMU est étranger aux pouvoirs du juge des référés consistant à prendre des mesures provisoires sur le fond même du litige ;
Considérant que le juge français, fut-il des référés, doit dire le droit, sans que l’interprétation de celui-ci ou sans que l’opposition de normes de droit contraires puisse constituer une contestation sérieuse ; qu’il doit donc dire le droit en appliquant le principe de primauté et d’effet direct du droit communautaire et en l’occurrence, rechercher comme il lui est demandé par Zeturf, si la loi française du 02 juin 1891 et le décret du 05 mai 1997 modifié, sont compatibles avec le principe communautaire de la libre prestation de service ;
Considérant que l’activité consistant à faire participer les ressortissants d’un Etat membre à des jeux de paris organisés dans un autre Etat membre, même si ceux-ci ont pour objet des événements sportifs organisés dans le premier Etat membre, se rattache à une activité de services au sens de l’article 50 – CEE ; qu’il n’est pas contesté que la réglementation française (sans que le juge ait à rechercher si les dispositions prises par décret auraient dû ou non l’être par voie législative), constitue une restriction à la libre prestation de service ; qu’une telle restriction doit d’une part être justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général et d’autre part ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif ;
Considérant sur le premier point que les dispositions françaises qui ne poursuivent pas un objectif de nature économique (le Gie – contrôlé par l’Etat – étant désintéressé et à but non lucratif comme le précise l’article 3 de ses statuts), ont pour objet la protection de l’ordre public français :
– tendant à éviter d’une part, que les paris soient une source de profits individuels et tendant à éviter d’autre part, les risques de délits et de fraude (nécessitant ainsi un contrôle des courses et des chevaux) avec une efficacité qui n’est généralement pas contestée (rapport Trucy page 246),
– par la limitation des paris et la limitation des occasions de jeux (une publicité contrôlée n’étant pas contraire à un tel objectif),
Considérant que si le financement d’actions d’encouragement à l’élevage ne participe pas à la justification de la restriction susvisée, il permet la sauvegarde, et l’amélioration de la race – cf a 2 de la loi du 02 juin 1891 – des chevaux de concours, s’intégrant à l’un des objectifs de la directive du conseil des CEE du 26 juin 1990 ;
Considérant sur le second point, que contrairement à ce que soutient Zeturf, la réglementation française est appliquée de manière non discriminatoire puisque toute société de courses, quelque soit sa nationalité, à condition de répondre aux critères de la loi française, et après contrôle et autorisations, peut être autorisée à organiser les paris (le Gie PMU ne faisant que regrouper les sociétés de courses) ;
Considérant qu’en prétendant « qu’il aurait été possible pour les autorités publiques (françaises) d’atteindre (ces) objectifs en soumettant tous les prestataires de services à des modalité de contrôle identiques », Zeturf défend le système français qui permet de prévenir les risques d’exploitation frauduleuses et les autres objectifs susvisés par un système qui ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre ceux-ci ;
Que la réglementation française n’est donc pas contraire à la norme européenne ;
Considérant qu’il n’est pas contesté que Zeturf ne respecte pas la loi d’ordre public française ; que ces agissements précisément décrits par le premier juge contraires à celle-ci, constituent en conséquence un trouble manifestement illicite, qu’il convient de faire cesser, dans les conditions précisées par l’ordonnance entreprise ;
Considérant cependant que le refus délibéré par Zeturf d’exécuter la décision du premier juge justifie que soit augmentée l’astreinte dès la signification de la présente décision, dans les conditions précisées dans le dispositif ;
Considérant qu’il est démontré que Zeturf a multiplié les articles de presse et les déclarations dans les médias pour affirmer que son activité était légale ; qu’il y a donc lieu d’ordonner la publication du dispositif du présent arrêt sur le site internet de Zeturf (site sur lequel Zeturf ne peut plus prendre de paris mais qui peut éventuellement subsister) et dans les éditions de fin de semaine de deux journaux, comme il sera précisé dans le dispositif ;
Considérant qu’il serait inéquitable de laisser à la charge de PMU les frais non compris dans les dépens, qu’il y a donc lieu de lui accorder 50 000 € à ce titre ;
Sur la demande à l’encontre de Eturf
Considérant que le premier juge a répondu point par point par une motivation que la cour adopte, à chacun des moyens et arguments de Eturf ; que s’il y a lieu aujourd’hui de prendre acte de ce que la société Eturf prétend ne plus fournir aucune information à la société Zeturf, il convient de maintenir la décision prise par le premier juge qui seule permettra de contrôler la réalité de ces affirmations ;
Considérant que Eturf sera condamnée in solidum avec Zeturf à payer la somme de 50 000 € au titre de l’article 700 du ncpc.
DECISION
Par ces motifs :
. Confirme l’ordonnance entreprise et notamment en ce qu’elle a :
– « constaté le trouble manifestement illicite résultant de l’activité de prise de paris organisée par le service de communication au public en ligne accessible à l’adresse www.zeturf.com ;
– ordonné à la société Zeturf Ltd de mettre fin à cette adresse à l’activité de prise de paris en ligne sur les courses hippiques organisées en France, et ce sous astreinte provisoire de 15 000 € par jour de retard à l’expiration du délai de 48 heures faisant suite à la signification de l’ordonnance ;
Y ajoutant :
– dit que l’astreinte provisoire de 15 000 € fixée par le premier juge sera portée à 50 000 € à l’expiration du délai de 48 heures suivant la signification du présent arrêt ;
– ordonne à la société Zeturf de publier le dispositif du présent arrêt sur la page d’accueil de son site « zeturf.com » dans les 48 heures de la présente décision et ce pendant 15 jours ;
– autorise le Gie PMU à faire publier le dispositif du présent arrêt, dans les éditions de fin de semaine des quotidiens Paris Turf et le Parisien, et ce à deux reprises aux frais avancés de Zeturf ;
– condamne la société Zeturf et la société Eturf tenues in solidum à payer au Gie PMU, 50 000 € au titre de l’article 700 du ncpc ;
. Condamne les sociétés Zeturf et Eturf tenues in solidum aux dépens d’appel qui pourront être recouvrés selon les dispositions de l’article 699 du ncpc.
La cour : M. Marcel Foulon (président)
Ministère public : Mme Brigitte Gizardin
Avocats : Me François Greffe, Me Alexandre Jacquet, Me Bruno Chain
Voir Ordonnance de référé du 08/07/05
Notre présentation de la décision
Voir décision de Cour de cassation du 10/07/07
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