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Jurisprudence : E-commerce

jeudi 08 octobre 2009
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Cour d’appel de Paris 2ème chambre, Arrêt du 30 septembre 2009

My Little Paris / Violette 2008

compétence territoriale - concurrence - constat - e-commerce - parasitisme - référé - site

FAITS

La société My Little Paris (MLP) édite un guide en ligne consacré à la Ville de Paris, proposant des idées de “shopping”, des adresses inédites, des “bons plans” à l’adresse www.mylittleparis.com.

La société Violette 2008 (Violette) édite un site aux adresses www.doitinparis.com et www.doitinparis.fr.

Invoquant de “troublantes similitudes” entre le site Violette et le sien, et reprochant à cette dernière un “parasitisme” commercial par imitation MLP :
– faisait dresser constat des deux sites par un huissier de Nanterre, Me Reynaud (le 27 mars 2009) ;
– assignait Violette devant le juge des référés du Tribunal de commerce de Paris.

Par ordonnance contradictoire du 10 avril 2009, ce juge se déclarait incompétent aux motifs que le juge compétent était “celui dans le ressort duquel l’huissier avait dressé son procès-verbal”.

MLP interjetait appel le 23 avril 2009.

L’ordonnance de clôture était rendue le 1er septembre 2009.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DE MLP

Par dernières conclusions en date du 1er septembre 2009, auxquelles il convient de se reporter, MLP soutient qu’il suffit que le serveur internet soit accessible dans le ressort de la juridiction saisie de la demande pour fonder sa compétence territoriale.

Elle ajoute que le tribunal de commerce de Paris était territorialement “compétent à la fois au titre de l’option offerte par l’article 46 du Code de procédure civile, mais également par application des règles de droit commun”.

MLP invoque, en premier lieu, la concurrence déloyale de Violette en exposant :
– que le site doitinparis se positionne dans le même “créneau” d’activité, et ne se limite pas à la “mode” ;
– que de nombreuses similitudes délibérées, et non justifiées par une nécessité technique avec le site My Little Paris ont pour effet de créer une confusion dans l’esprit du public (notamment la reprise d’une parisienne stylisée pour présenter les entreprises et le nom des domaines …) ;
– qu’en “recopiant” le site My Little Paris, Violette a oublié de changer le n° du Registre de Commerce de MLP ;
– que l’action en concurrence déloyale s’apprécie d’après les ressemblances, peu important les différences.

Elle reproche, en second lieu, et pour les mêmes raisons le parasitisme commercial de Violette.

Elle demande en conséquence :
– de dire que le président du Tribunal de Commerce de Paris était compétent ;
– de sanctionner le trouble manifestement illicite commis par Violette et de condamner celle-ci sous astreinte à :
– cesser d’utiliser le nom de domaine “doitinparis” ;
– supprimer l’ensemble des illustrations traduisant le même parti pris artistique et stylistique et notamment huit de celles-ci ;
– supprimer le “poste du blog” ;
– une provision de 10 000 € ;
– la publication de l’arrêt en page d’accueil du site doitinparis ;
– 10 000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.

Cette partie entend bénéficier des dispositions de l’article 699 du CPC.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DE VIOLETTE

Par dernières conclusions en date du 1er septembre 2009, auxquelles il convient de se reporter, Violette expose :
– que c’est le lieu où a été constatée l’infraction qui détermine la compétence du juge ce qui doit entraîner la confirmation de la décision du premier juge ;
– que l’on ne peut reprocher au premier juge de ne pas avoir tenu compte du constat d’huissier réalisé à Paris le jour de l’audience, ni de l’adresse à Paris de Violette puisque ces arguments n’ont pas été soulevés devant lui.

Elle ajoute :
– que l’action entreprise par MLP est en réalité fondée sur le droit d’auteur – ce qui conduit à une requalification de la demande – alors qu’elle ne rapporte pas la preuve qu’elle en est titulaire ;
– à titre subsidiaire :
– que c’est son “webmaster” qui a mentionné le n° de RCS de MPL ;
– que les 2 sites “ont des positionnements différents et ne visent pas la même clientèle” ;
– qu’il n’existe aucune similitude entre le style de chacun des illustrateurs des sites ;
– qu’il n’est pas fautif de représenter des scènes de la vie quotidienne de parisiennes ;
– que de nombreuses similitudes existent entre le site de MLP et celui du créateur initial de ce style de site “Daily Candy London” ;
– que les “ressemblances indéniables” ne sont pas serviles ni fautives ;
– qu’il n’existe aucune similitude entre le nom des 2 sites.

Pour en conclure qu’elle n’a commis aucun acte pouvant constituer un trouble manifestement illicite, alors qu’il n’y a pas urgence, qu’il existe des contestations sérieuses et qu’aucun préjudice n’est démontré.

Elle demande
– la confirmation de l’ordonnance entreprise ;
– une provision sur dommage et intérêts ;
– 7435,37 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.

Cette partie entend bénéficier des dispositions de l’article 699 du CPC.

DISCUSSION

Sur la compétence territoriale

Considérant que la compétence territoriale du juge des référés s‘apprécie au jour de la demande ;

Considérant que selon l’article 46 du Code de procédure civile, le demandeur peut en matière délictuelle saisir, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur, la juridiction du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi ; qu’il n’est pas contestable que Violette est domiciliée dans le département d’Indre-et-Loire où elle exerce son activité ;

Considérant que lorsque les informations litigieuses proviennent d’une diffusion sur le réseau internet, le fait dommageable se produit en tous lieux où lesdites informations ont été mises à la disposition des utilisateurs éventuels du site ; que si la décision de faire constater l’infraction dans le département des Hauts-de-Seine (Nanterre) pour prouver la validité de celle-ci dans le département de la Seine, relève d’une logique douteuse, il n’en demeure pas moins, qu’ à aucun moment Violette ne soutient que le site Internet n’était pas accessible de Paris, et ne conteste le constat effectué le jour de l’audience qui ne fait que confirmer cette évidence ; que le juge de Paris était donc territorialement compétent ;

Sur le “fond” du référé

Considérant que la “requalification” réclamée par Violette – livre 1er du Code de la propriété intellectuelle – suppose l’examen préalable du fondement juridique invoqué par la demanderesse ;

Considérant que le parasitisme est un ensemble de comportements par lequel, un agent économique s’immisce dans le sillage d’un autre afin de tirer profit sans rien dépenser de ses efforts et de son savoir-faire ; que cet agissement qui consiste à “vivre aux crochets” d’un autre, n’implique pas nécessairement un risque de confusion, ni même une situation de concurrence ; qu’il suppose une faute, un préjudice et un lien de causalité entre les deux ;

Que la faute est, en la matière, tout acte contraire aux usages du commerce, ou a fortiori déloyal ;

Considérant qu’un rapide examen des sites permet de s’apercevoir que ceux-ci sont concurrents, même si l’un insiste plus que l’autre sur la mode, et visent la même clientèle ; que le reproche de “parti pris esthétique identique ou stylistique” allégué par MLP ne peut sérieusement être retenu sauf à interdire à l’artiste de Violette (Angeline Melun) d’utiliser le style qui est le sien ou (et) interdire à quiconque (dont Violette) d’illustrer son site par des dessins ; que le même raisonnement doit être retenu pour :
– les noms de domaines litigieux, sauf à interdire dans ceux-ci l’utilisation du mot Paris,
– la présentation du webmestre (webmaster) et de la fondatrice du site, l’expression “caprices en image” et le verbe “dénicher”, relevant au yeux du juge des référés d’une sémantique banale et attendue (ou logique) dans ce genre de site, et non pas d’une “stratégie d’imitation” ;

Considérant, en revanche, que Violette, qui a manifestement bien étudié le site de MLP (sans donner d’explication crédible à la mention ou copiage du n° du RCS de MLP sur son propre site, se bornant à alléguer la faute de son webmestre – webmaster – pourtant présenté comme membre de l’équipe – page 7 des conclusions – ne peut sérieusement prétendre que la représentation d’une jeune femme à la terrasse d’un café, derrière un ordinateur ou au volant d’une voiture (pages 5 et 6 des conclusions de MLP) ne sont pas fautives “puisque il va de soi que des illustrations sur une parisienne à Paris dans sa vie quotidienne passe nécessairement par la représentation de scènes de ce type”, alors que la similitude servile de l’exposition des sujets – conductrice qui passe la tête par la fenêtre de sa voiture décapotable (bleue pour MLP, rouge pour Violette), parisienne à la terrasse d’un café avec un serveur en arrière plan dans une posture strictement semblable, femme blonde assise devant son ordinateur – ne provient manifestement pas du hasard, mais d’une démarche délibérée, alors que lesdites similitudes ne peuvent évidemment pas être justifiées pas une nécessité technique ;

Qu’un tel comportement déloyal est à l’évidence fautif, et constitue dès lors un trouble manifestement illicite qu’il convient de faire cesser, en prenant une mesure d’interdiction et une mesure de publication comme il sera précisé dans le dispositif ;

Considérant que selon l’article 873 alinéa 2 du Code de procédure civile, le juge peut accorder une provision lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable ;

Considérant que les faits susvisés ont eu pour effet de déstabiliser MLP et de diminuer, sa capacité de concurrence ; qu’il résulte des pièces versées aux débats que ce préjudice résultant de cette faute est non sérieusement contestable à hauteur de 5000 € ;

Sur la demande au titre de l’article 700 du Code de procédure civile

Considérant qu’il serait inéquitable de laisser à la charge de MLP les frais non compris dans les dépens ; qu’il y a lieu de lui accorder à ce titre la somme visée dans le dispositif ;

DECISION

Par ces motifs,
– Infirme l’ordonnance entreprise ;

Statuant à nouveau :
– dit que le juge des référés du Tribunal de commerce de Paris était territorialement compétent pour statuer sur la demande de la société My Little Paris à l’encontre de la société Violette au titre du parasitisme ;
– Condamne la société Violette à supprimer les illustrations reproduites pages 5 et 6 des conclusions de MLP (jeune parisienne au volant d’une décapotable, jeune parisienne à la terrasse d’un café, jeune parisienne assise devant son ordinateur) de son site www.doitinparis.com (Version française et anglaise) dans les huit jours de la signification du présent arrêt sous astreinte de 2000 € par jour de retard ;
– Ordonne la publication du dispositif du présent arrêt sur la page d’accueil du site www.doitinparis.com dans les huit jours de la signification du présent arrêt, et ce pendant une durée de six mois, sous astreinte de 2000 € par jour de retard ;
– Condamne la société Violette à verser à la société My Little Paris une provision de 5000 € à valoir sur son préjudice ;
– Condamne la société Violette à payer à la société My Little 2000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
– Condamne la société Violette aux dépens d’appel qui pourront être recouvrés selon les dispositions de l’article 699 du cpc.

La cour : M. Marcel Foulon (président), M. Renaud Blanquart et Mme Michèle Graff-Daudret (conseillers)

Avocats : Me Hélène Durel-Léon de la Selarl SBAvocats, Me Maxime Vignaud

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