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Jurisprudence : Vie privée

lundi 30 juin 2008
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Cour d’appel de Paris 14ème chambre, section A Arrêt du 25 juin 2008

Note2be.com / SNES FSU et autres

collecte déloyale - consentement - données personnelles - finalité - forum de discussion - informatique et libertés - référé - site - vie privée

FAITS

La société Note2be.com – la Sarl – est concepteur et éditeur d’un site web gratuit dédié aux élèves et étudiants leur permettant de s’exprimer sur l’application de leurs professeurs et de leurs établissements scolaires, site accessible à l’adresse éponyme.

Ce site a fait l’objet d’une déclaration à la Cnil le 29 janvier 2008.

Par ordonnance contradictoire du 3 mars 2008 le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris :
– disait n’y avoir lieu de mettre hors de cause Monsieur C.,
– recevait le syndicat SNEP-FSU en son intervention,
– sur le fondement de l’article 809 du CPC, faisait injonction à la Sarl de suspendre sur son site, l’utilisation de données nominatives d’enseignants aux fins de leur notation et leur traitement ainsi que leur affichage sur les pages du site, y compris sur le forum de discussion qui devra comporter une modération préalable ou tout autre dispositif efficace à cette fin et ce sous astreinte,
– se réservait de liquider l’astreinte.

Monsieur C. et la Sarl interjetaient appel le 7 mars 2008.

La cour a demandé aux parties de s’expliquer sur le communiqué de la Cnil du 6 mars 2008.

L’ordonnance de clôture était rendue le 14 mai 2008.

La loi 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique aux fichiers et aux libertés sera par la suite intitulée loi 1978.

PRÉTENTIONS ET MOYENS

Par dernières conclusions du 13 mai 2008, auxquelles il convient de se reporter, Monsieur C. demande sa mise hors de cause.

La Sarl soutient :
– que le SNES-FSU et la FSU n’ont pas d’intérêt à agir,
– qu’il n’y a pas atteinte à la vie privée des personnes (article 9 du code civil) (page 5),
– qu’elle respecte la loi informatique et liberté que ce soit :
* l’article 6,
* l’article 7 5/,
* la déclaration préalable (article 22),
* l’article 32 (page 8),
– que la communication pour le public par voie électronique est libre (page 10),
– que la liberté d’expression des élèves est encadrée afin d’éviter toute dérive,
– que le “risque d’une dérive polémique” ne saurait fonder une restriction à la liberté d’expression,
– qu’il n’est pas démontré que le site porte atteinte aux activités d’enseignement,
– que les professeurs peuvent à leur demande, et une fois pour toutes être sur la liste d’opposition,
– qu’aucune confusion ne peut être faite entre le nom du professeur et les encarts publicitaires qui peuvent le jouxter,
– que l’exigence d’une modération a priori du forum de discussion du site est sans fondement,
– que les juridictions allemandes ont considéré qu’un tel site était licite (affaire
Spickmich),
– que la position des demandeurs n’est pas représentative de celles du corps enseignant,
– que les mesures prises ne sont pas appropriées,
– que l’avis de la Cnil n’est pas une décision.

La Sarl demande :
– la mise hors de cause de Monsieur C.,
– l’infirmation de l’ordonnance,
– subsidiairement de lui donner acte de ce qu’elle est disposée à restreindre l’accès aux données personnelles relatives aux enseignants d’un établissement aux seules personnes ayant déclaré que cet établissement faisait partie de leur parcours scolaire,
– le débouté des demandeurs et leur condamnation à lui payer 7000 € au titre de l’article 700 du CPC.

Ces parties entendent bénéficier des dispositions de l’article 699 du CPC.

PRETENTIONS ET MOYENS

Par dernières conclusions du 2 mai 2008, auxquelles il convient de se reporter, les intimés soutiennent :
– que le système litigieux porte atteinte à leur vie privée, et à leurs libertés (article 1 de la loi de 1978),
– que le site litigieux constitue bien une collecte, de données à caractère personnel concernant des personnes identifiées (article 2 de la loi de 1978),
– que les conditions de l’article 7 de la loi de 1978 ne sont pas remplies, ni celles de l’article 6 puisque :
* les données ne sont pas collectées de manière loyale (1°),
* les données sont collectées pour des finalités illégitimes (2°),
* elles laissent place à tous les excès (3°),
* elles ne sont ni exactes ni complètes au regard des finalités alléguées (4°),
* elles sont collectées sans limitation de durée (5°),
– que les enseignants n’ont pas la faculté d’user d’un quelconque droit d’opposition ou de rectification ou de suppression,
– que la rectification elle-même suppose un bénéfice du promoteur du site,
– que les syndicats ont intérêt à agir,
– que les mentions recueillies sur le site portent atteinte à l’intimité de la vie privée de l’enseignant,
– que la recherche par la Sarl d’intérêt lucratif ne suffit pas à conférer un intérêt légitime au traitement lui-même,
– qu’invoquer la liberté d’expression est hors de propos alors que les notateurs s’expriment sous le couvert de l’anonymat.

Ils demandent :
– la confirmation de l’ordonnance,
– 5000 € au titre de l’article 700 du CPC.

Ces parties entendent bénéficier des dispositions de l’article 699 du CPC.

DISCUSSION

Sur la mise hors de cause de Monsieur C.

Considérant que Monsieur C. a repris en appel les mêmes moyens qu’en première instance, sans répondre aux moyens retenus par le premier juge, tout en utilisant des propos (page 28 dernier paragraphe des conclusions ou 29 …) donnant à penser qu’il était responsable des obligations de la Sarl ; qu’il convient donc de confirmer la pertinente motivation du premier juge ;

Sur l’intérêt à agir des syndicats

Considérant que ces syndicats peuvent agir en justice au nom d’intérêts collectifs qui entrent dans leur objet ;

Sur le trouble manifestement illicite

Considérant que la liberté d’expression et de communication au public par voie électronique peut être limitée par la loi ;

Considérant que selon l’article 6 de la loi du 6 janvier 1978, “un traitement ne peut porter que sur des données à caractère personnel qui satisfont aux conditions suivantes :
1/ les données sont collectées et traitées de manière loyale et licite,
2/ elles sont adéquates, pertinentes et non excessives au regard des finalités pour lesquelles elles sont collectées, et de leurs traitements ultérieurs” ;

Considérant qu’il n’est pas contesté (et même reconnu par la Sarl dans sa demande subsidiaire) que n’importe qui peut “noter” un professeur, sans qu’un système (comme c’est le cas dans l’affaire Spickmich – page 3 de la traduction de l’arrêt -) ne limite cette possibilité aux seuls élèves ayant le professeur concerné comme enseignant ;

Considérant que les données du site litigieux, ne sont dans ces conditions manifestement pas collectées de façon loyale, et ne présentent évidemment aucune garantie tant sur leur pertinence que sur leur caractère adéquat ; que cette seule constatation suffit à démontrer que l’utilisation d’un tel traitement non conforme à l’exigence de la loi constitue un trouble manifestement illicite que le juge doit faire cesser ;

Considérant que la cour ne dispose pas des éléments suffisants lui permettant d’accéder à la demande subsidiaire de la Sarl qui pour créer un nouveau site devrait accomplir les formalités préalables prévues, par la loi de 1978 ; qu’il y a donc lieu de confirmer l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a fait injonction à la Sarl de suspendre l’utilisation de données nominatives d’enseignants ainsi que leur affichage sur le site en question ;

Considérant que le site litigieux se présente comme un site de notation des professeurs (“le site où les élèves notent les professeurs”) avec une partie accessoire : le forum ; que la page “accueil” communiquée montre une liste de professeurs, une liste d’établissements, et une rubrique “derniers sujets du forum”, ce qui démontre l’existence d’un “lien” entre ces rubriques et contredit l’affirmation de la Sarl (page 27 de ses conclusions) suivant laquelle la rubrique forum est “indépendante de la rubrique de notation, permettant à tout internaute de contribuer aux discussions et ce à l’exclusion de tout prolongement de la notation ni organisé ni même suggéré par le site Note2be.com” ; que l’injonction susvisée serait donc vaine si était autorisé le maintien du “forum” dans son état de dépendance actuel ;

Sur la demande des intimés au titre de l’article 700 du CPC

Considérant qu’il serait inéquitable de laisser à la charge des intimés les frais non compris dans les dépens, qu’il y a lieu de leur accorder à ce titre la somme visée dans le dispositif ;

DECISION

Par ces motifs,

. Continue l’ordonnance entreprise sauf à supprimer le membre de phrase du dispositif “qui devra comporter une modération préalable ou tout autre dispositif efficace à cette fin” ;

Y ajoutant :

. Condamne la société Note2be.com à payer 4000 € aux intimés au titre de l’article 700 du CPC ;

. Condamne la société Note2be.com aux dépens d’appel qui pourront être recouvrés selon les dispositions de l’article 699 du CPC.

La cour : M. Marcel Foulon (président), M. Renaud Blanquart et Mme Michèle Graff-Daudret (conseillers)

Avocats : Me Robert Wintgen, Me Frédéric Weyl.

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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.