Jurisprudence : Responsabilité
Cour d’appel de Toulouse Ordonnance de référé 15 octobre 2008
Airbus France / Icarelink
responsabilité
PROCEDURE
La société Airbus France a relevé appel d’un jugement prononcé le 25 septembre 2008 par le tribunal de commerce de Toulouse qui a, notamment,
– validé en sa régularité le rapport d’expertise sans nécessité d’une réouverture des débats
– dit que les documents dénommés KBT (pour Keys Business Terms) signés au cours du premier semestre 2003 entre l’appelante et l’intimée, la société Icarelink, pour l’élaboration, la mise en place et la commercialisation d’un système de communication téléphonique embarquée dans les avions, sont un contrat synallagmatique devant servir de cadre à un contrat d’industrialisation et de commercialisation futur
– dit que la rupture des négociations du contrat d’industrialisation par Airbus France est d’autant plus grave qu’elle a été accompagnée de manoeuvres visant à empêcher de fait tout développement d’Icarelink pendant une période d’exclusivité de quatre ans,
– dit que Icarelink justifie d’une relation commerciale établie avec Airbus France au sens de l’article L.442-6 du code de commerce
– dit que la rupture de ladite relation est le fait d’Airbus France, brutale et abusive
– dit qu’il est clair que la commune intention des parties était bien la finalisation future d’un contrat de commercialisation de la solution «on board» incluant les clauses des
KBT,
– dit que cette rupture brutale lui supprime tout espoir de reconversion possible et lui cause un très grand préjudice,
– dit qu’Icarelink a été privée de toute chance de défendre des travaux qu’elle a été contrainte de communiquer à des concurrents par Airbus France, alors qu’elle avait rempli avec succès tous les objectifs qui lui étaient fixés,
– dit Airbus France de mauvaise foi par ses manoeuvres fautives alors qu’elle ne pouvait ignorer qu’elle programmait ainsi la mort de Icarelink
– dit qu’Airbus France a invité Icarelink à collaborer avec une entreprise concurrente (Siemens) alors quelle la lui avait présentée comme le simple fournisseur des matériels « hardware »,
– dit que le contrat était déjà scellé par la grâce du consensualisme,
– condamné Airbus France à payer à Icarelink
* pour les pertes d’exploitations 2005 et 2006 une somme de 150 000 € à titre de dommages et intérêts
* pour le minimum garanti par les KBT au cours de la période d’exclusivité de quatre ans, une somme de 2 000 000 € à titre de dommages et intérêts,
* une indemnité de 100 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile
– débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires
– condamné la société Airbus France aux dépens
– et avant dire droit sur le montant de la réparation de la perte de chance, commis un collège d’expert avec mission de donner les éléments et chiffrer le montant de la dite perte pour Icarelink qui a été écartée du marché de la solution embarquée de téléphonie mobile, l’affaire étant renvoyée à l’audience du 10 février 2009 le tout avec exécution provisoire.
Par assignation délivrée le 26 septembre 2008, l’appelante a fait attraire l’intimée en suspension de cette exécution provisoire dans l’attente de l’arrêt à venir au fond aux motifs, selon ses dernières écritures, que la dite exécution aurait pour elle des conséquences manifestement excessives en ce que, eu égard à la situation de la société Icarelink mise en sommeil et n’ayant plus d’actif disponible ou mobilisable, les derniers comptes publiés datant de 2005 et faisant état d’un chiffre d’affaires d’un tout petit peu plus de 202 000 €, et eu égard au sérieux des moyens d’infirmation ou de réformation proposés à la cour, le risque patent d’impossibilité pour Icarelink de rembourser le paiement provisionnel des condamnations prononcées en première instance, constitue une conséquence manifestement excessive tant pour elle que pour son adversaire.
Elle réclame donc la suspension de l’exécution provisoire sauf à assortir cette exécution de l’obligation pour Icarelink de produire une garantie sous forme de caution bancaire d’un montant égal à celui des condamnations exécutables éventuellement augmenté des intérêts au taux légal conformément aux articles 517 et suivants du code de procédure civile ou d’autorise la consignation de la somme de 2 250 000 € entre les mains d’un séquestre conformément à l’article 522 du code précité.
Par conclusions en réplique déposées le 30 septembre 2008 sans protestation de la demanderesse, l’intimée s’oppose à la demande faisant valoir que
– la demande de fourniture d’une caution bancaire est irrecevable en référé pour avoir été tranchée par le jugement querellé qui dispose son exécution provisoire nonobstant appel et sans caution de sorte qu’il revient à la cour statuant au fond d’examiner la question,
– Airbus France ne démontre pas les conséquences manifestement excessives au sens de l’article 524 du code de procédure civile qu’elle subirait du fait du paiement provisionnel querellé à une société certes en sommeil mais qui ne demande que cet apport pour reprendre ses activités sur un marché très porteur qu’elle est prête à affronter et à satisfaire, sachant que sa comptabilité est saine, que des projets nouveaux tenant compte des évolutions technologiques en matière de télécommunication mobile sont au point et ne visent plus que les avions mais aussi la marine de plaisance ou des événements de sécurité touchant une forte concentration de population (sports ou catastrophes naturelles), la dite reprise étant par ailleurs le gage de la suppression du risque évoqué par Airbus, alors que le contraire constitue assurément la mort de l’entreprise comme l’ont judicieusement observé les premiers juges, pour faire échec à la volonté réelle de Airbus France de supprimer une concurrente sérieuse à sa filiale On-Air créée postérieurement, justement pour lui voler son activité première en fraude de ses droits, savoir l’équipement de certains avions en téléphonie mobile,
– Airbus France a une surface et une puissance financière qui la mettent à l’abri d’un péril du fait du paiement de la somme en cause, sachant que celle-ci ne représente que 0,001 % du chiffre d’affaires 2006 du groupe Airbus, ou 0,05 % de celui réalisé en 2007 par Airbus France.
La société Icarelink demande reconventionnellement l’allocation d’une indemnité de 5000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et la condamnation de son adversaire aux dépens de référé.
Il ne saurait être sérieusement contesté que les pouvoirs du premier président statuant en référé ne sauraient être tenus en échec par une simple mention formelle et sans signification figurant dans un jugement déféré à sa cour laquelle n’a même plus d’utilité ni d’obligation à trancher non pas la difficulté mais le point qui, devant elle, perd son sens et donc son objet. Le moyen d’irrecevabilité de la demande d’assortir l’exécution provisoire de l’obligation de fournir caution doit donc être rejeté, faute de fondement voire de pertinence.
Hors étude du fond qu’il appartiendra à la cour d’examiner, étant seulement ici observé que le jugement querellé n’est pas fondé, hormis l’incongruité susvisée, sur une erreur manifestement grossière d’application du droit ou d’interprétation des faits, il est constant que la situation d’entreprise mise en sommeil de la société Icarelink laquelle ne peut plus que supputer une reprise efficace d’activité même sur le marché très porteur de la téléphonie mobile dans des conditions spéciales, donne du poids à la demande sinon de suspension de l’exécution provisoire, laquelle n’engendrerait pas de conséquences manifestement excessives pour Airbus France eu égard à sa surface et sa puissance financière, même en cas de non remboursement si le jugement devait être infirmé ou réformé (ce qui ne représenterait qu’une simple perte qui doit d’ailleurs avoir déjà été provisionnée), au moins d’assortiment de la dite exécution provisoire de la production par la société Icarelink d’une caution bancaire, laquelle fera disparaître le risque de non remboursement dont on peut dire aujourd’hui qu’il est tout de même sérieux et dont l’éventuel avènement serait injuste pour la société Airbus France.
Un tel aménagement présente aussi une garantie pour la société Icarelink dans la mesure où celle-ci aura l’appui d’une banque dans son redémarrage (toujours difficile à assurer dans le premiers temps), sans la priver de l’apport que constituent les condamnations prononcées en première instance dans les conditions d’application du droit et d’interprétation des faits sus-visées.
Les dépens de la présente seront partagés à égalité entre les parties.
DECISION
Par ces motifs,
. Déclarant recevable la demande d’assortiment du paiement provisionnel des condamnations prononcées en première instance contre la société Airbus France de la fourniture d’une caution bancaire par la société Icarelink, nonobstant l’insertion de la formule «sans caution» dans le jugement querellés,
et débordant les parties du surplus de leurs demandes,
. Disons que le paiement provisionnel des condamnations prononcées en première instance contre la société Airbus France dans le jugement susvisé et actuellement déféré à la cour, sera subordonné à la production par la société Icarelink d’une caution bancaire de 2 000 000 €, peu important l’identité de la banque émettrice pourvu quelle ne soit pas en faillite,
. Condamnons chacune des parties à la moitié des dépens du présent référé.
La cour : M. Pierre Bouyssic (président)
Avocats : Me Barbier, Me Olivier Piquemal, SCP Mercié-Frances-Justice Espenan, Me Gérard Haas
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