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Jurisprudence : Vie privée

jeudi 08 mars 2012
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Cour de cassation Chambre sociale Arrêt du 26 janvier 2012

M. X… / PMU

caractère privé - courrier électronique - liberté d'expression - licenciement - message - messagerie électronique - messagerie personnelle - salarié - supérieur hiérarchique - trouble manifeste

DISCUSSION

Sur le moyen unique

Vu les articles L. 1121-1 du code du travail et 9 du code civil ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que M. X…, qui avait été engagé le 30 octobre 2003 en qualité de responsable division fonctionnel et applicatifs par le GIE Paris mutuel urbain (PMU), a été licencié pour faute grave après mise à pied conservatoire pour avoir dénigré sa supérieure hiérarchique dans un courriel adressé à un collègue ;

Attendu que pour retenir l’existence d’une faute grave et le débouter de sa demande d’indemnités au titre de son licenciement, l’arrêt retient que le courriel litigieux n’était pas étranger à l’activité professionnelle du salarié puisqu’il mettait en scène sa supérieure hiérarchique et qu’il avait été envoyé à un autre salarié de l’entreprise sans requérir de sa part une attitude de discrétion, si bien que son auteur était responsable du trouble manifeste que ce « factum » avait causé dans l’entreprise, et que l’intempérance démesurée des propos excédait largement ce qu’autorise la liberté d’expression et de critique reconnue à un salarié et caractérisait un manquement particulièrement indélicat à l’obligation professionnelle de loyauté, comportement d’autant moins admissible qu’il émanait d’un cadre porteur de l’image et du crédit de l’entreprise ;

Attendu cependant qu’un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut justifier un licenciement disciplinaire que s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail ;

Qu’en statuant comme elle l’a fait, alors que l’envoi du courriel litigieux par le salarié, de sa messagerie personnelle et en dehors du temps et du lieu de travail, à l’adresse électronique personnelle d’un collègue de travail, ce qui conférait à ce message un caractère purement privé, ne constituait pas un manquement à son obligation de loyauté envers son employeur, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

DÉCISION

Par ces motifs :

. Casse et annule, sauf en ce qui concerne les chefs confirmant le jugement déféré, l’arrêt rendu le 9 septembre 2010, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris, autrement composée ;

. Condamne le PMU aux dépens ;

. Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande du PMU et le condamne à payer à M. X… la somme de 2500 euros ;

. Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;

Moyen produit par la SCP Masse-Dessen et Thouvenin, avocat aux Conseils pour M. X…

Le moyen fait grief à l’arrêt infirmatif attaqué d’avoir dit que le licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse constitutive d’une faute grave et d’avoir en conséquence débouté Monsieur X… de toutes ses demandes afférentes à la rupture.

Aux motifs que les propos reprochés à Monsieur Brice X… sont contenus dans un curriculum vitae parodique au nom de « Moricio Di Pipotto », identité fictive derrière laquelle serait visée Madame Filoména Z…, responsable du département assistance téléphonique et supérieure hiérarchique directe du salarié ; que Monsieur Brice X… a envoyé ce curriculum vitae le 7 janvier 2006 de sa messagerie personnelle à la messagerie personnelle d’un collègue de travail, Monsieur Jean-Noel A… ; que ce dernier l’a adressé à Madame Z…, sur sa messagerie personnelle, le 31 mai 2006 et l’intéressée l’a quelques jours plus tard porté à la connaissance de la direction des ressources humaines de l’entreprise ; que Monsieur Brice X… fait valoir qu’alors que la lettre de licenciement lui impute des « propos », le GIE Paris Mutuel Urbain fait maintenant état d’un écrit, ce qui n’est pas la même chose et dénature l’objet du débat, strictement délimité par la lettre ; qu’il n’existe toutefois aucune contradiction ni ambiguité à cet égard, le terme propos ne s’appliquant pas exclusivement à l’expression orale mais pouvant aussi bien se référer au contenu d’un document écrit ;
que Monsieur Brice X…, qui ne conteste pas être l’auteur du document incriminé, soutient qu’il s’agit d’une œuvre de pure fiction et qu’il ne tient qu’à Madame Z… d’avoir cru s’y reconnaître ; que cet argument ne peut être retenu tant les allusions à la personne de sa supérieure hiérarchique sont nombreuses et explicites : nom à consonance italienne, prénom masculin mais suivi d’un texte entièrement au féminin, prénom usuel de l’intéressé –Miléna- pour désigner une chorale, or Madame Z… est responsable d’une chorale, année de naissance (1956), fonctions (mentions de l’assistance téléphonique, de « call center’s », employeur (PMU ; que Monsieur Brice X… invoque également la circonstance que l’élaboration de ce document comme son envoi à titre personnel à un ami relèvent de sa vie privée ; qu’il convient toutefois de retenir qu’intrinsèquement le document n’est pas étranger à son activité professionnelle puisqu’il met en scène sa supérieure hiérarchique, notamment dans sa façon d’être à l’égard de son entourage de travail ; que de même, il a été envoyé à au moins un autre salarié de la société, Monsieur A… ;
qu’il est parvenu à la connaissance de l’employeur et de la personne concernée, peut-être en dehors de toute volonté déterminée de Monsieur Brice X… en ce sens, mais par une suite d’évènements dont son propre envoi à son collègue est la cause première ; qu’en effectuant cet envoi, au surplus sans requérir du destinataire une quelconque attitude de discrétion, il savait que le document risquait fortement d’être colporté dans l’entreprise ; qu’il est donc bien au premier chef responsable de sa diffusion ultérieure et ne peut utilement s’exonérer sur ce point en s’abritant derrière le comportement de son collègue et (ex) ami, accusé d’autant plus facilement de « complot » et de « trahison » qu’il n’est pas dans le débat pour faire valoir son point de vue ;
que le faux curriculum vitae est violemment attentatoire à la réputation professionnelle et à la dignité de la personne visée, les termes utilisés étant une suite de propos grossiers et dénigrants, depuis l’adresse, à la quatrième ligne, (« Jejouienjosas (ah ! à prononcer d’un air surpris) »), jusqu’aux « Activités diverses », dernier paragraphe, où sont évoqués la chorale « Slaves of Milena » dont les « 750 interprètes (…) viennent jamais parce que je suis très chiante » et la « Course à pied. Non, Non il ne s’agit pas de footing mais simplement de faire mes courses à pied », en passant par toutes les imputations discréditant le cursus universitaire (« maîtrise d’éthologie poterie option centre d’appels », « Master of Bordel and Chorale ») et les compétences professionnelles de cette supérieure (« management only for myself », « Managment by calomnie », « organisation d’attentat d’exécution », « gestion du service mes couches culottes », « Suprême Grand Bouana de l’Assistance Téléphonique », « spoliation des idées des autres (….) mais sans les comprendre », « distribution quotidienne de torgnolles à mes cerfs » (sic), pour se limiter aux expressions les plus significatives ; que ce factum a provoqué un trouble manifeste dans l’entreprise ; qu’après en avoir pris connaissance, Madame Z… n’avait d’autre choix que de le dénoncer à sa direction ; qu’elle était en effet en droit de penser qu’il avait circulé au sein de son service (courriel de Monsieur A…, dont les propos ne sont pas infirmés par l’attestation de Monsieur Emmanuel B…, autre salarié susceptible d’avoir reçu le document, ce que ne dément nullement son témoignage, de même que Monsieur François C…, qui conteste seulement avoir participé à un repas au cours duquel le faux curriculum vitae aurait circulé) et le ton utilisé excluait qu’il puisse s’agir d’une simple plaisanterie sans portée ou d’un exercice humoristique plus ou moins réussi ;
qu’elle ne pouvait qu’être choquée fortement par cette mise en cause radicale et blessante de sa personne et de son positionnement hiérarchique ; que de même, le GIE Paris Mutuel Urbain ne pouvait admettre un tel écart de la part d’un cadre intermédiaire au risque d’affaiblir gravement son organisation et de manquer à l’obligation de sécurité de résultat due à Madame Z… ; que les faits reprochés à Monsieur Brice X… caractérisent donc bien une cause réelle et sérieuse de licenciement constitutive d’une faute grave en raison de l’intempérance démesurée des propos, excédant largement ce qu’autorise la liberté d’expression et de critique reconnue à un salarié, et du manquement particulièrement indélicat à l’obligation professionnelle de loyauté comme à la retenue inhérente à l’obligation de réserve, comportement d’autant moins admissible qu’elle émane d’un cadre porteur de l’image et du crédit de l’entreprise

Alors qu’un fait de la vie personnelle ne peut justifier un licenciement disciplinaire ;

1°) Qu’en retenant que l’envoi d’un courriel d’une messagerie personnelle à une autre messagerie personnelle, en dehors des lieu et temps de travail, constituait une faute grave au motif que ce courriel ne serait « pas intrinsèquement étranger à l’activité professionnelle du salarié », la Cour d’appel a violé la règle susvisée, l’article 9 du Code civil et le principe du secret des correspondances.

2°) Qu’en retenant que l’envoi d’un courriel d’une messagerie personnelle à une autre messagerie personnelle, en dehors des lieux et temps de travail, non diffusé par son auteur mais par son unique destinataire constituait une faute grave au motif que ce courriel aurait provoqué un trouble manifeste dans l’entreprise, alors qu’un fait de la vie personnelle occasionnant un tel trouble ne peut justifier un licenciement disciplinaire, la Cour d’appel a, par fausse qualification, violé la règle susvisée

La Cour : M. Bailly (président)

Avocats : SCP Célice, Blancpain et Soltner, SCP Masse-Dessen et Thouvenin,

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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.