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Jurisprudence : Responsabilité

mercredi 08 mars 2023
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Tribunal de commerce de Paris, 12e ch., jugement du 23 février 2023

Editions Dalloz et autres / Forseti

base de données - concurrence déloyale - décisions de justice - open data - parasitisme

Les sociétés EDITIONS DALLOZ, LEXBASE, LEXISNEXIS, LEXTENSO et WOLTERSKLUWER FRANCE (ensemble « les demanderesses») sont des éditeurs juridiques historiques qui proposent, entre autres, des services de recherche juridique en ligne par le canal de leurs moteurs de recherche depuis la fin des années 1990. Elles offrent à leurs abonnés un accès à des bases jurisprudentielles ainsi qu’à des articles de doctrine ou des encyclopédies dans tous les domaines du droit. Elles assurent la collecte, l’anonymisation, le traitement et l’analyse des décisions.

La société FORSETI, créée en 2016, édite le service juridique en ligne « Doctrine.fr» (ci-après FORSETI ou Doctrine) accessible par son site internet éponyme. Elle se présente comme une plateforme d’intelligence juridique tout en proposant un service payant qui permet d’avoir accès à l’ensemble de son offre constituée d’une base de décisions de justice ainsi que des liens vers des articles juridiques. Elle se présente comme innovante en matière d’anonymisation.

Les demanderesses reprochent à FORSETI ses pratiques commerciales qu’elles estiment trompeuses en raison d’une multiplicité d’agissements fautifs ainsi qu’une concurrence parasitaire considérée comme déloyale.

Elles lui reprochent plus particulièrement d’avoir mensongèrement et déloyalement œuvré pour acquérir des décisions de justice auprès des juridictions ainsi que d’avoir pillé les demanderesses en vue de développer sa base et d’acquérir des clients.

N’ayant pu trouver une résolution amiable de leur différend, elles demandent la cessation des pratiques qu’elles considèrent illicites et la réparation des préjudices qu’elles estiment avoir subis.

LA PROCEDURE

C’est dans ces conditions que :
► Suivant assignation en date du 14 mai 2020 signifiée dans les conditions des articles 656 et 658 du code de procédure civile, réitérée par des conclusions des 11 décembre 2020, 2 avril et 3 septembre 2021, puis du 18 février 2022, les demanderesses demandent au tribunal, dans le dernier état de leurs prétentions, de :

Vu les articles L 121-2, L.122-1 et L122-5 du code de la consommation
Vu l’article 1240 du code civil
Vu l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme

1) Sur les pratiques commerciales trompeuses

DIRE ET JUGER que la société FORSETI a commis des actes de publicité comparative illicite à l’égard des sociétés Dalloz et LexisNexis, ainsi que de multiples actes de publicité trompeuse sur l’ampleur du fonds jurisprudentiel de Doctrine.fr, sur le nombre de commentaires doctrinaux consultables, sur leur origine, ainsi que sur l’accès possible à ces commentaires doctrinaux en payant un abonnement, ce qui préjudicie à l’ensemble des demanderesses.

2) Sur les actes de concurrence déloyale

DIRE ET JUGER que la société FORSETI a collecté des millions de décisions de justice présentes dans son fonds jurisprudentiel de manière déloyale, soit sans autorisation des juridictions concernées, soit par le biais d’actes de typosquatting,
DIRE ET JUGER que la société FORSETI a réutilisé et diffusé des décisions de justice en violation du contrat de partenariat conclu avec le Conseil d’Etat et DIRE ET JUGER que ces actes de collecte et de diffusion déloyaux préjudicient à l’ensemble des demanderesses.

3) Sur les actes de parasitisme

DIRE ET JUGER que la société FORSETI a commis des actes de parasitisme, en ce qu’elle indexe les contenus doctrinaux des demanderesses afin de proposer son propre abonnement payant pour y accéder et DIRE ET JUGER que la société FORSETI a délibérément copié certains éléments de communication des demanderesses ;

DIRE ET JUGER que la défenderesse a ainsi bénéficié indûment des investissements des demanderesses, afin de s’immiscer dans leur sillage et profiter de leur notoriété et DIRE ET JUGER que la défenderesse a commis ces actes, à titre lucratif et de façon injustifiée, afin de se procurer un avantage concurrentiel.

En conséquence

RECEVOIR les demanderesses en toutes leurs demandes, fins et prétentions ;

ORDONNER qu’il soit mis un terme aux pratiques commerciales trompeuses, aux actes de concurrence déloyale et aux actes de parasitisme, par la cessation notamment de toute collecte illicite de décisions de jurisprudence et la cessation de toute indexation des contenus des demanderesses qui aurait pour objectif de proposer un abonnement payant pour accéder à ces contenus, ainsi que toute présentation qui laisserait penser au public qu’il peut accéder aux contenus des demanderesses en s’abonnant à Doctrine.fr., sous astreinte de 2.000 euros par infraction constatée, et ce, à compter de la signification du jugement :

SE RESERVER la liquidation des astreintes conformément aux dispositions des articles L. 131-1 et L. 131-3 du code des procédures civiles d’exécution (anciens articles 33 et 35 de la loi du 9 juillet 1991) :

CONDAMNER la société FORSETI à verser les sommes suivantes aux demanderesses en réparation de leur préjudice matériel et moral :
• 1.296.000 euros au titre du préjudice matériel résultant des pratiques commerciales trompeuses et des actes de concurrence déloyale ;
• 875.000 euros au titre du préjudice matériel résultant des seuls actes de parasitisme ;
• 300.000 euros au titre du préjudice moral qu’elles subissent.

CONDAMNER la société FORSETI à verser 103.680 euros aux sociétés Dalloz et LexisNexis en réparation de leur préjudice subi du fait des actes de publicité comparative illicite et CONDAMNER la société FORSETI à verser 12.250 euros à la société LexisNexis en réparation de son préjudice subi du fait de la reprise de ses tweets :

ORDONNER la publication de la décision à intervenir sous forme de communiqués dans cinq journaux français ou étrangers, au choix des demanderesses et aux frais de la défenderesse, sans que le coût de chaque publication n’excède la somme de 7.000 euros HT et ORDONNER la publication du dispositif de la décision à intervenir, en intégralité, pendant une durée de 90 jours consécutifs, à compter de la signification de la décision à intervenir, sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard, en partie supérieure de la page d’accueil du site internet à l’adresse suivante : https://www.doctrine.fr/.

En tout état de cause

DEBOUTER la défenderesse de l’intégralité de ses demandes ;

DEBOUTER la défenderesse de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive et pour dénigrement :

PRONONCER l’exécution provisoire qui est de droit :

CONDAMNER la défenderesse à verser aux demanderesses la somme de 40.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens, en ce compris les frais des constats d’huissier visés en pièce n’ 7 qui pourront être recouvrés directement par le Cabinet Christophe CARON, conformément à l’article 699 du code de procédure civile.

► Par des conclusions des 30 octobre 2020 et 19 février 2021, FORSETI demande au tribunal de :

DÉBOUTER les sociétés ÉDITIONS DALLOZ, LEXBASE, LEXISNEXIS, LEXTENSO et WOLTERS KLUWERS FRANCE de toutes leurs demandes, fins et prétentions ; Les CONDAMNER aux dépens da l’instance ;

Les CONDAMNER solidairement à payer à la société DOCTRINE la somme de 125.000 euros en réparation du préjudice résultant des actes de dénigrement ;

Les CONDAMNER solidairement à payer à la société FORSETI la somme de 125.000 euros en réparation du préjudice découlant du caractère abusif de l’action engagée ;

Les CONDAMNER solidairement à payer à la société FORSETI la somme de 125.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Subsidiairement, dans l’hypothèse où le Tribunal décidait d’entrer en voie de condamnation contre la société

ÉCARTER l’exécution provisoire compte tenu de son caractère incompatible avec la nature de l’affaire.

► Par des conclusions d’incident et récapitulatives des 11 juin, 1er octobre et 22 octobre 2021, ces dernières régularisées à l’audience du juge chargé d’instruire l’affaire, FORSETI demande au tribunal de :

Sans préjudice des conclusions des parties sur le fond de l’affaire

À titre d’incident préalable, et sous toutes réserves sur le fond de l’affaire

INVITER ÉDITIONS DALLOZ, LEXBASE, LEXISNEXIS, LEXTENSO et WOLTERS KLUWERS FRANCE :
A retirer du dispositif de leurs conclusions toute mention à une « indexation » dont il est reconnu clairement qu’elle n’est pas en tant que telle l’objet des prétentions ;

A reformuler clairement leurs prétentions sur le fondement du parasitisme afin de les circonscrire précisément à la seule pratique effectivement visée par leurs griefs, à savoir l’affichage de l’encart « Accédez aux commentaires liés – Testez doctrine gratuitement pendant 7 jours » reproduit aux pages·36, 61, 69 et 71 de leurs conclusions au fond ;

A défaut, JUGER IRRECEVABLES les prétentions des Demanderesses tendant à mettre un terme « aux pratiques commerciales trompeuses, aux actes de concurrence déloyale et aux actes de parasitisme, par la cessation notamment de toute collecte illicite de décisions de jurisprudence, et la cessation de toute indexation des contenus des Demanderesses qui aurait pour objectif de proposer un abonnement payant pour accéder à ces contenus, ainsi que toute présentation qui laisserait penser au public qu’il peut accéder aux contenus des Demanderesses en s’abonnant à Doctrine.fr., sous astreinte de 2.000 euros par infraction constatée, et ce, à compter de la signification du jugement ».

CONDAMNER ÉDITIONS DALLOZ, LEXBASE, LEXISNEXIS, LEXTENSO et WOLTERS KLUWERS FRANCE aux dépens de l’incident ;

Les CONDAMNER solidairement à payer à FORSETI la somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, pour les frais irrépétibles liés au présent incident ;

Les DEBOUTER de leur demande au titre de la procédure abusive ;

DIRE que, dès que cet incident sera purgé par une décision du Tribunal, les parties seront convoquées à une nouvelle audience d’orientation pour reprendre les débats sur le fond.

► Par des conclusions sur incident régularisées à l’audience du juge chargé d’instruire l’affaire du 22 octobre 2021, ÉDITIONS DALLOZ, LEXBASE, LEXISNEXIS, LEXTENSO et WOLTERS KLUWERS France demandent au tribunal de :

A titre principal
DIRE que le présent incident n’est fondé sur aucun texte et que les demandes de FORSETI en « clarification » ou à défaut en « irrecevabilité » seront examinées au fond.

En conséquence
Débouter FORSETI de toutes ses demandes formulées dans le cadre du présent incident.

A titre subsidiaire, s’il devait être considéré que les demandes de FORSETI relèveraient d’un incident et non du fond du litige
DIRE que les demandes sur incident de FORSETI sont injustifiées en ce que les demandes de cessation des demanderesses sur le fond sont suffisamment claires, déterminées et dépourvues d’ambiguité.

En conséquence
DEBOUTER FORSETI de toutes ses demandes formulées dans le cadre du présent incident.

A titre reconventionnel
DIRE que le présent incident engagé par FORSETI est manifestement abusif en ce qu’il constitue un abus de son droit d’ester en justice, de nature à engager sa responsabilité sur le fondement de l’article 1240 du code civil et la CONDAMNER à verser la somme de
5.000 euros aux défenderesses à l’incident (soit les sociétés ÉDITIONS DALLOZ, LEXBASE, LEXISNEXIS, LEXTENSO et WOLTERS KLUWERS France) pour procédure abusive, ainsi que 5.000 euros d’amende civile.

En tout état de cause
CONDAMNER FORSETI à verser aux défenderesses à l’incident la somme de 5.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNER FORSETI aux entiers dépens de l’incident.
► Par un jugement du 6 décembre 2021, ce tribunal a :
– Débouté FORSETI de ses demandes « d’incident préalable » ;
– Renvoyé la cause à l’audience de la 15ème chambre du 21 janvier 2022-14h pour conclusions au fond de FORSETI ;
– Condamné FORSETI à payer aux sociétés DALLOZ-LEXBASE, LEXISNEXIS, LEXTENSO et SAS WOLTERS KUIWER France la somme de 5.000 euros en réparation de leur préjudice résultant de l’abus de son droit d’ester en justice ;

– Débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires au titre dudit « incident préalable » ;
– Condamné la même à leur payer la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamné FORSETI aux dépens.

► Par des conclusions des 21 janvier et 1er avril 2022, FORSETI demande au tribunal, dans le dernier état de ses prétentions, de :

Vu l’article 1240 du code civil
Vu l’article L121-2 du code de la consommation
Vu les articles L. 321-1 à L. 326-1 du code des relations entre le public et l’administration
Vu l’article 11-3 de la loi n° 72-626 du 5 juillet 1972
Vu l’article L. 111-13 du code de l’organisation judiciaire Vu l’article L. 10 du code de justice administrative,

DÉBOUTER les sociétés ÉDITIONS DALLOZ, LEXBASE, LEXISNEXIS, LEXTENSO et WOLTERS KLUWERS FRANCE de toutes leurs demandes, fins et prétentions, Les CONDAMNER aux dépens de l’instance ;

Les CONDAMNER solidairement à payer à la société DOCTRINE la somme de 125.000 euros en réparation du préjudice résultant des actes de dénigrement ;

Les CONDAMNER solidairement à payer à la société FORSETI la somme de 125.000 euros en réparation du préjudice découlant du caractère abusif de l’action engagée ;

Les CONDAMNER solidairement à payer à la société FORSETI la somme de 125.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Subsidiairement, dans l’hypothèse où le Tribunal décidait d’entrer en voie de condamnation contre la société FORSETI

ÉCARTER l’exécution provisoire compte tenu de son caractère incompatible avec la nature de l’affaire.

L’ensemble de ces demandes a fait l’objet du dépôt de conclusions ; celles-ci ont été échangées en présence d’un greffier qui en a pris acte à la procédure ou ont été régularisées à l’audience du juge chargé d’instruire l’affaire ou à celle de plaidoirie collégiale.

Les parties ont été régulièrement convoquées à l’audience collégiale de plaidoirie qui s’est tenue le 24 juin 2022. A la demande du Président, un rapport a été présenté à l’audience dans les conditions de l’article 870 du code de procédure civile. Les parties entendues, le tribunal a clos les débats et mis le jugement en délibéré pour être prononcé par mise à disposition le 19 septembre 2022, date reportée au 23 février 2023, report dont les parties ont été averties par courrier.

LES MOYENS

Après avoir pris connaissance de tous les moyens et arguments développés par les parties, tant dans leurs plaidoiries que dans leurs écritures, appliquant les dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, le tribunal les résumera succinctement de la façon suivante :

Les demanderesses reprochent à FORSETI les actes illicites suivants en précisant qu’elles ne cherchent pas à mettre en cause les algorithmes el technologies de la société FORSETI ou à tenter de se les approprier :

1. Des pratiques commerciales trompeuses. Depuis le lancement de « Doctrine.fr», différentes comparaisons hasardeuses et trompeuses ont été relevées, que ce soit au regard du nombre de décisions disponibles sur le site, comparé aux fonds jurisprudentiels de ses concurrents comme Dalloz ou LexisNexis, ou encore à celui des délais de mise en ligne des décisions. Pour affirmer qu’elle est le meilleur moteur de recherche juridique du marché, la société FORSETI adopte une méthode pour le moins trompeuse et critiquable en ce qu’elle ne repose pas sur une comparaison objective, ce qui est de nature à tromper le public et à l’inciter à s’abonner.

2. Des actes de concurrence déloyale : la société FORSETI prétend être leader du marché en affichant un nombre de décisions de justice de plus de 10 millions de décisions après seulement trois années d’existence. La rapidité de son développement résulte néanmoins à l’évidence de son comportement déloyal dés lors que seulement 2 à 3,6 millions de décisions de justice sont mises à dispositions par l’Etat au titre de différentes licences.

La société FORSETI est muette sur les conditions de sa collecte el notamment sur les accords conclus avec les diverses institutions judiciaires avec lesquelles elle prétend avoir conclu des partenariats. Elle reconnait certes pour la première fois ses liens avec les greffes mais affirme qu’il s’agit d’une action au bon vouloir des greffes. Toutefois, la communication de décisions de justice, lesquelles sont des données publiques, devraient être formalisés par écrit et la transparence devrait primer, ce qui n’est pas le cas.

En réalité, plusieurs juridictions ont officiellement écrit aux demanderesses pour leur indiquer qu’elles n’ont jamais conclu de partenariat avec la société FORSETI et qu’elles n’ont transmis aucune décision.

La société FORSETI fait en outre l’objet de multiples procédures au pénal pour « accès frauduleux à un système de traitement automatisé de données, extraction et détention frauduleuse de données, et escroquerie».

Rien ne justifie légalement que la société FORSETI dispose de plusieurs millions de décisions qui n’ont pas été collectées par le biais des moyens légaux mis à la disposition de tous les éditeurs. Les autres éditeurs juridiques effectuent chacun leur propre collecte en respectant l’éthique et la morale des affaires.

3. Des actes parasitaires : L’activité de la société FORSETI consiste à se placer dans le sillage de ses concurrents et à piller leurs investissements (fonds doctrinal, dépêches, tweets, etc.) pour obtenir un avantage concurrentiel.

En effet, elle édile un service qui est fondé principalement sur la reprise des contenus des autres éditeurs juridiques sans leur autorisation et sans respecter les mesures techniques mises en place. Elle indexe les contenus doctrinaux de ses concurrents afin de détourner la clientèle à son profit.

L’objectif est de proposer un abonnement payant au public en lui faisant croire qu’il peut accéder, par ce biais, aux contenus des éditeurs concurrents, ce qui est faux.

Ces pratiques devront cesser et les préjudices des demanderesses, qu’ils soient propres à certaines ou communs à toutes, être réparés.

1. Le manque à gagner résultant du détournement de clientèle et de la perte de chance subis par toutes les demanderesses devra ainsi être indemnisé :

D’une part, les demanderesses sont victimes de désabonnements de la part de leurs clients qui pensent trouver chez Doctrine.fr un fonds jurisprudentiel plus fourni et des articles nombreux de doctrine. Dans tous les cas, il s’agit d’une véritable perte subie. Et à supposer même que le client soit déçu par Doctrine.fr, il ne va pas nécessairement faire marche arrière et se réabonner aux autres éditeurs.

D’autre part, les demanderesses sont victimes d’une perte de chance de développement. En effet, de nombreux clients potentiels ne s’abonnent pas à leurs services depuis 2016 et leur préfèrent Doctrine.fr pour les raisons évoquées. Il s’agit d’un véritable manque à gagner ou gain manqué.

2. Les économies d’investissements de FORSETI au détriment des demanderesses constituent un autre chef de préjudice matériel pour les demanderesses. Les investissements des différentes demanderesses aux fins de création et de promotion de leurs bases doctrinales sont largement prouvés. Ce sont bien ces investissements qui ont été économisés par la société FORSETI qui a notamment fait l’économie des efforts intellectuels et financiers permettant de qualifier la pertinence d’une jurisprudence. Ces économies lui permettent de proposer un service qui repose sur le travail des autres.

3. Le préjudice moral subi par l’ensemble des demanderesses devra également être indemnisé.

4. Le préjudice subi par LexisNexis et Dalloz du fait des actes de publicité comparative illicite devra être pris en compte.

5. La publication judiciaire du jugement à intervenir devra compléter les mesures de réparation.

6. LexisNexis demande en outre réparation du préjudice résultant de la reprise de ses tweets.

FORSETI rétorque que :
Les mesures d’intimidation voulues par les demanderesses ont débuté dès le mois d’août 2016, soit quelques mois à peine après sa création, par l’envoi de nombreuses mises en demeure auxquelles elle a toujours répondu de manière détaillée. Elle a fait preuve de diligence pour expliciter aux demanderesses la nature de ses services. Les aménagements qu’elle a apportés sont la démonstration de son écoute des attentes du secteur et de son respect de l’éthique des affaires.

Le refus systématique des demanderesses d’engager des discussions amiables traduit leur véritable objectif qui est d’évincer un concurrent, nouvel entrant sur le marché qu’elles ont longtemps dominé. Le présent litige a été créé de toutes pièces à cette fin, étant précisé que les demanderesses ont investi dans les deux seules autres start-up du secteur de l’information juridique, concurrents frontaux de Doctrine qui, comme elle, n’ont pas d’activité éditoriale.

Le développement de l’open data des décisions de justice, qui vient d’être adopté, conduira à ce que tous disposent à terme d’un fonds commun. La concurrence ne pourra alors s’exercer que par les algorithmes et la capacité de traitement et d’anonymisation des données, dans lesquels FORSETI excelle, ce qui explique la volonté des demanderesses de freiner son développement.

L’expérience des demanderesses qui se présentent comme expertes dans la collecte des décisions de justice est quant à elle sujette à caution dés lors que les chiffres démontrent qu’elles ne publient pas l’intégralité des décisions qui sont pourtant mises à disposit’1on. Elles n’ont en réalité aucune expérience significative dans ce domaine.

Les demanderesses ont multiplié les pressions sur les partenaires de FORSETI pour les contraindre à cesser toute collaboration ou par voie de presse pour discréditer la défenderesse.

Force est toutefois de constater que les allégations des demanderesses sur le caractère déloyal entourant la collecte des décisions de justice ne reposent sur aucun élément sérieux. Certains changements opérés par FORSETI l’ont été bien avant le présent contentieux, d’autres l’ont été par souci d’apaisement.

Le fonds documentaire de FORSETI a été obtenu loyalement parfois auprès des greffes et le nombre de décisions de justice figurant dans sa base plusieurs fois attestée par huissier. Ce nombre n’est ainsi en rien trompeur. Les allégations péremptoires des demanderesses ne rapportent pas la preuve contraire. Au demeurant les demanderesses emploient les mêmes méthodes que FORSETI pour avoir accès aux décisions de justice.

FORSETI ne cherche qu’à bénéficier du même traitement que celui réservé à l’ensemble du secteur en cause, y compris via des actions en justice pour mettre un terme au traitement discriminatoire dont elle est l’objet, illustré par le fait que les demanderesses ont pu parfois publier des décisions avant même que celles-ci ne soient rendues, et ce dans des conditions qui apparaissent ainsi occultes. et discriminatoires.

En outre, les demanderesses ne démontrent pas quelle règle de droit FORSETI aurait violée pour constituer son fonds documentaire, étant rappelé que la charge de la preuve ne saurait être renversée. L’invocation d’une faute sur le fondement de l’article 1240 du code civil est insuffisante à cet égard.

Les reproches formulés à ce titre par les demanderesses ne sont en tout état de cause en rien fondés.

Les demandes relatives à l’indexation prétendument parasitaire sont irrecevables en ce que les demanderesses se contredisE;1nt durant la présente procédure. Or nul ne peut se contredire au détriment d’autrui. En tout état de cause cette activité n’est pas parasitaire.

Il est totalement inexact et diffamatoire d’affirmer que FORSETI serait visée par plusieurs plaintes pénales.

Les demandes de réparation sont dès lors, soit non fondées, soit totalement excessives.

En revanche FORSETI a été dénigrée et subit un préjudice du fait d’une procédure abusive, préjudices dont elle devra obtenir réparation.

DISCUSSION

Le tribunal note que la création de Doctrine par FORSETI remonte au mois de juin 2016 avec la volonté affichée de faire se rencontrer le besoin d’information juridique et l’intelligence artificielle laquelle tend à modifier la manière de rechercher et d’accéder à l’information juridique. Doctrine a permis de passer d’une information sélectionnée et éditorialisée à une plateforme où l’information est trouvée par l’utilisateur final via un moteur de recherche et des fonctionnalités automatiques.

La loin’ 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique (LRN) a consacré la mise à disposition du public par voie électronique et à titre gratuit de l’ensemble des décisions de justice rendues par les juridictions françaises afin qu’elles puissent être librement réutilisées en complément des informations juridiques d’ores et déjà disponibles.

L’open-data des décisions de justice a ouvert aux acteurs intéressés la voie à l’innovation et le tribunal note que Doctrine a fait partie des lauréats du concours d’innovation dans le cadre du programme d’investissements d’avenir (PIA) financé par l’Etat.

La concurrence ne peut, aux dires des parties, s’exercer que par les algorithmes et la capacité de traitement et d’anonymisation des données, dans lesquels il est établi que FORSETI excelle. Les défenderesses ne contestent pas l’innovation apportée par FORSETI grâce à la capacité de Doctrine à traiter de grandes quantités de données par de puissants algorithmes.

Doctrine a eu dés 2016 un modèle d’affaires différent des éditeurs juridiques préexistants. Sa plateforme repose sur la centralisation d’informations juridiques, leur contextualisation, la veille en temps réel et l’automatisation de l’analyse juridique.

Les demanderesses soutiennent que l’arrivée rapide de Doctrine sur le marché n’a pu se faire que grâce à des pratiques qu’elles qualifient de trompeuses, déloyales et parasitaires et non par les seuls mérites du nouvel entant. Selon elles, Doctrine ne bouscule pas les règles, elle les contourne depuis 2016, ce qui est attesté par le fait que Doctrine reconnaît dans le cadre de la présente instance avoir rectifié les comportements qui lui sont reprochés depuis sa création.

Les demanderesses insistent sur le fait que leur action n’est pas destinée à empêcher Doctrine de les concurrencer sur le marché de l’édition juridique puisque d’autres acteurs concurrents s’y développent, tels notamment Predictice, Data Legal Drive ou encore Case Law Analytics. Elles ne cherchent en particulier pas à mettre en cause les algorithmes et technologies développés par FORSETI ou à tenter de se les approprier, n’en ayant aucun besoin.

Le tribunal observe à cet égard que les algorithmes n’étaient effectivement pas visés par la mesure in futurum diligentée le 5 octobre 2018, sur requête des demanderesses et autorisée par une ordonnance du Président de ce tribunal du 2 octobre 2018, en vue de rechercher des éléments de preuve permettant de déterminer les moyens mis en œuvre par FORSETI pour collecter en deux ans les 1O millions de décisions de justice présentes dans sa base de données alors que les demanderesses avaient mis dix ans à en collecter 3,6 millions.

Le tribunal prend en considération le fait que, dans un contexte d’innovation disruptive comme celui de l’édition juridique couplée à l’intelligence artificielle, le temps d’arrivée sur le marché des solutions innovantes, paramètre essentiel, doit se faire dans le cadre d’une concurrence par les mérites.

Il résulte à cet égard des débats que les demanderesses ont choisi de se développer sur le marché au travers de l’acquisition de solutions proposées par d’autres start-up, ce qui est devenu effectif après l’entrée de Doctrine.

Les demanderesses font toutes état de la baisse significative de leur chiffre d’affaires à compter de l’entrée de Doctrine sur le marché.

Les demanderesses reprochent à FORSETI les fautes suivantes :

Des pratiques commerciales trompeuses sur le fondement de l’article L 121-2 du code de la consommation

Aux termes de cet article, une pratique commerciale est trompeuse si elle repose sur des allégations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur l’existence, la disponibilité ou la nature du bien ou du service ou sur les caractéristiques essentielles de ces derniers.

Les demanderesses reprochent plus précisément à FORSETI une publicité comparative illicite ainsi que des actes de nature à induire en erreur et à tromper le public.

Sur la publicité comparative illicite

Aux termes de l’article L 122-1 du code de la consommation, toute publicité qui met en comparaison des biens ou services en identifiant, implicitement ou explicitement, un concurrent ou les biens offerts par celui-ci est licite à condition qu’elle ne soit pas trompeuse ou de nature à induire en erreur, porte sur des biens ou services de même nature, répondant aux mêmes besoins ou ayant le même objectif, les produits ou services devant être suffisamment similaires pour permettre un rapprochement, et enfin qu’elle compare objectivement une ou plusieurs caractéristiques essentielles, pertinentes, vérifiables et représentatives de ces biens ou services.

Les demanderesses reprochent sur ce fondement à FORSETI d’avoir laissé croire au public qu’elle est le moteur juridique proposant le plus de décisions de justice et le plus rapidement. Elles font état de ce que FORSETI indiquait dès 2017 détenir un stock de plus de 7 millions de décisions de justice, ce qui était selon elles impossible à atteindre légalement dès lors que seules 3,6 millions de décisions étaient accessibles par les circuits légaux. Elles mettent ainsi en doute la détention du stock annoncé par Doctrine en indiquant qu’il est très probable que tel ne soit pas le cas et que la publicité de Doctrine est fondée sur des allégations fausses.

Le tribunal relève toutefois que la charge de la preuve ne saurait être inversée, FORSETI n’ayant pas à justifier du volume de sa base face à de simples allégations, qu’aucune des pièces produites par les demanderesses ne permet de corroborer, FORSETI communiquant au contraire des procès-verbaux de constats d’huissier attestant de la régularité de la constitution de sa base de données sous contrôle d’un expert informatique près la cour d’appel de Versailles. Le président de ce tribunal a de plus établi qu’aucune des pièces appréhendées dans le cadre de la mesure in futurum ordonnée n’a permis d’étayer les faits reprochés. Les critiques formulées par les demanderesses sont ainsi dénuées de force probante.

Sur les actes de nature à induire en erreur

Le tribunal observe que FORSETI a mis en œuvre des moyens considérables dans la course à l’innovation lancée par le lancement de l’open-data, a déterminé un modèle d’affaires disruptif et relève que FORSETI a constitué sa base de données sans tromperie du public. Sa seule dénomination « Doctrine » ne peut constituer une tromperie au motif qu’elle laisserait supposer que FORSETI aurait une activité doctrinale.

Le tribunal déboutera donc les demanderesses de ce chef.

Une concurrence déloyale

Les demanderesses reprochent à FORSETI les mêmes faits sur le fondement de la concurrence déloyale en affirmant que la constitution de la base de données de Doctrine procède de moyens opaques et malhonnêtes.

Elles soutiennent que FORSETI n’est pas en mesure de justifier de la licéité de son mode de collecte des décisions de justice alors qu’elle affirme avoir cinq sources de collecte, à savoir le « crawling » sur le web, les abonnements, les partenariats noués, les envois spontanés par certains cabinets d’avocat et la collecte directement auprès des tribunaux. Or, selon les demanderesses, la recherche sur le web ne peut permettre d’appréhender qu’environ 3,5 millions de décisions, les envois par les avocats ne peuvent constituer qu’une source marginale, les partenariats ayant à l’évidence permis de collecter massivement des données. Les demanderesses pointent plus particulièrement deux partenariats, celui conclu par FORSETI avec le GIE lnfogreffe et celui qui aurait été conclu avec le Conseil d’Etat.

Or selon les demanderesses, le partenariat avec le GIE lnfogreffe a été résilié à la suite de la révélation des actes illicites commis par FORSETI, de telle sorte qu’il faut en conclure que le fonds acquis l’a été dans des conditions déloyales. Elles soutiennent plus précisément que les premières démarches de FORSETI se sont accompagnées de « typosquatting » dans des conditions déloyales au regard de l’article 1240 du code civil.

FORSETI fait valoir que le partenariat avec le GIE lnfogreffe n’était pas exclusif, de telle sorte que les demanderesses auraient pu bénéficier de conventions identiques. Si tel n’a pas été le cas, c’est en raison du fait que seule Doctrine proposait alors l’anonymisation des décisions de justice.

FORSETI observe que les demanderesses ont préféré orienter leurs partenariats vers le parquet général de la Cour de cassation, ce qui n’a pas été proposé à Doctrine, et que LEXBASE a noué des partenariats avec certains tribunaux sur la licéité desquels il est permis de s’interroger au regard de la directive sur la réutilisation des informations publiques.

Les demanderesses font quant à elles valoir que le partenariat noué entre FORSETI et le Conseil d’Etat n’autorisait pas la défenderesse à proposer sur son site les décisions fournies par le Conseil d’Etat.

Le tribunal observe à cet égard que :
– DALLOZ avait elle aussi noué un partenariat avec le Conseil d’Etat, ce partenariat n’apparaissant pas conforme à la directive mentionnée et ne peut donc invoquer ce grief.
– La « convention de recherche » conclue le 17 octobre 2016 entre FORSETI et le Conseil d’Etat n’interdisait en rien à FORSETI d’exploiter les arrêts obtenus. En effet l’objet de cette convention portait sur la fourniture par FORSETI d’un logiciel libre d’anonymisation de décisions de justice en contrepartie de la communication à FORSETI d’un grand nombre de décisions des juridictions administratives.

L’avantage concurrentiel dont a disposé FORSETI résulte ainsi de son avance technologique et ne saurait être qualifié de déloyal.

Selon FORSETI, la collecte auprès des tribunaux est en outre le résultat d’un travail de terrain que les demanderesses n’ont quant à elles pas toutes engagé, LEXBASE s’étant pour sa part bien déplacée dans les greffes à la recherche de décisions (pièce 111 Forseti) en leur indiquant être à leur disposition « pour toute mise en place de process automatique (numérisation sur place, enregistrement sur clef, communication de données FTP.. .) qui saurait préserver le bon fonctionnement de vos services » (pièces en demande 14-5 à 14-7).

Le tribunal retient cet argument et écarte dés lors le reproche de collecte en masse illicite auprès des tribunaux, dès lors que les demanderesses y ont recours et que ce procédé n’était à l’époque des faits, ni interdit, ni même encadré.

L’avis du ministère public de la cour d’appel de Paris daté du 23 octobre 2018 constate par ailleurs que « il n’est pas contesté que d’autres organismes tel que l’INPI ou des éditeurs privés ont un accès régulier aux décisions de justice auprès du même greffe », ce que confirme l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 18 décembre 2018 qui considère « qu’il n’y a pas de raison de discriminer Monsieur Dusseaux [cofondateur et directeur général de DOCTRINE] par rapport à d’autres opérateurs». Ce contentieux, comme celui porté devant la cour d’appel de Douai le21 janvier 2019, a consacré le droit d’accès non-discriminatoire de FORSETI aux décisions de justice.

LEXABSE a au demeurant reconnu qu’elle disposait d’un accès direct aux décisions du TGI de Paris puisque le Président de son conseil de surveillance, reprochant à FORSETI son action contentieuse, lui adressait le 13 février 2019 le sms suivant : « Mais pourquoi es-tu allé faire ça au TGI !!!??? 🙂 je te les aurais données, moi, les décisions » (pièce 79 Forseti).

Le tribunal relève ainsi qu’un droit d’accès aux décisions de justice a été judiciairement reconnu à FORSETI qu’il lui appartenait de mettre en œuvre dans les conditions de concurrence loyale.

A cet égard, le tribunal relève qu’il est insuffisant pour les demanderesses d’affirmer que la volumétrie de la collecte de données par FORSETI était par principe impossible et donc nécessairement illicite, et qu’il leur appartenait d’établir des faits délictueux précis, ce qu’elles échouent à faire, les efforts soutenus de FORSETI pour pénétrer le marché n’étant évidemment pas en tant que tels répréhensibles.

Sans qu’il soit nécessaire de statuer plus avant sur le chef de concurrence déloyale, le tribunal déboutera les demanderesses de leurs demandes à ce titre.

Une concurrence parasitaire

Le parasitisme consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d’une entreprise en profitant indument de la notoriété acquise ou des investissements.

Les demanderesses reprochent à FORSETI de piller leur fonds doctrinal par l’indexation opérée au soutien de la vente de ses abonnements et par la reprise de certains éléments de leur communication. Elles ne lui reprochent pas l’indexation de liens hypertextes vers des œuvres protégées par un droit de propriété intellectuelle mais l’indexation lui permettant de rediriger vers son abonnement payant en laissant croire au public qu’elle dispose elle-même d’un fonds doctrinal ou en partenariat avec les autres éditeurs.

Les demanderesses constatent que FORSETI a modifié le fonctionnement de son site en permettant à l’internaute d’accéder à leurs sites, que l’internaute soit ou non abonné, mais demandent la réparation du préjudice qu’elles estiment avoir subi sur la période ayant couru de 2016 à octobre 2019 a minima.

Le tribunal relève que les reproches formulés à l’encontre de FORSETI se matérialisent, non par l’indexation en elle-même, mais par la présence d’un encart présent sur le site sur la période 2016-2019 qui, selon les demanderesses, aurait laissé entendre qu’il était nécessaire aux internautes de s’abonner à Doctrine pour avoir accès aux contenus des demanderesses.

Le tribunal observe que cet encart indiquait « accédez aux commentaires liés » et qu’il renvoyait vers les sources soit en libre accès soit en accès payant s’agissant des demanderesses. Cet encart a été clarifié en 2019 par la mention « Accès limité. Commentaires accessibles avec un compte auprès de l’éditeur tiers ». FORSETI renvoyait donc bien vers les éditeurs lesquels étaient libres de leur politique commerciale dans un environnement concurrentiel. Il n’est aucunement démontré que par ce seul renvoi FORSETI aurait capté de la clientèle qui aurait été portée à croire qu’au vu des prix proposés par Doctrine, elle pouvait avoir accès librement aux fonds doctrinaux réservés aux abonnés des demanderesses, étant précisé que les internautes avaient et ont toujours la possibilité de prendre connaissance de la base avant de souscrire un abonnement.

La faute n’est par conséquent pas matérialisée et le tribunal déboutera les demanderesses de leurs demandes au titre de la concurrence parasitaire ainsi que du surplus de leurs demandes.

Sur les demandes reconventionnelles de FORSETI

Sur le dénigrement

Le tribunal retient que les agissements des demanderesses ne s’assimilent pas à un dénigrement en ce que les critiques adressées à FORSETI ne concernent pas la qualité de ses services mais des faits anciens non contestés par la défenderesse qui ne démontre au demeurant pas que le dénigrement allégué lui aurait causé préjudice.

Sur la procédure abusive

Le tribunal relève que les demanderesses ont fait peser sur FORSETI une pression judiciaire hors de proportion avec les reproches formulés et que leur comportement ne peut s’expliquer que par la volonté d’intimider ce nouvel entrant pour tenter de l’éliminer du marché en obérant sa capacité de développement.

Au regard des faits établis, le tribunal condamnera les sociétés ÉDITIONS DALLOZ, LEXBASE, LEXISNEXIS, LEXTENSO et WOLTERS KLUWERS France in solidum à payer à la société FORSETI la somme de 50.000 euros en réparation de l’abus de procédure, déboutant pour le surplus.

Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens

FORSETI a dû, pour défendre ses intérêts, supporter des frais irrépétibles qu’il serait inéquitable de laisser à sa charge. Le tribunal condamnera en conséquence les sociétés ÉDITIONS DALLOZ, LEXBASE, LEXISNEXIS, LEXTENSO et WOLTERS KLUWERS
FRANCE in solidum à payer à la société FORSETI la somme de 125.000 euros au litre de l’article 700 du code de procédure civile.

Les sociétés ÉDITIONS DALLOZ, LEXBASE, LEXISNEXIS, LEXTENSO et WOLTERS
KLUWERS FRANCE succombant, le tribunal les condamnera in solidum aux dépens.

Sur l’exécution provisoire

Le tribunal rappellera que l’exécution provisoire est de droit.

DECISION

Le tribunal statuant par jugement contradictoire en premier ressort :

Déboute les sociétés SAS ÉDITIONS DALLOZ, SA LEXBASE, SA LEXISNEXIS, SA LEXTENSO et SAS WOLTERS KLUWERS FRANCE de toutes leurs demandes ;
– Condamne in solidum les sociétés SAS ÉDITIONS DALLOZ, SA LEXBASE, SA LEXISNEXIS, SA LEXTENSO et SAS WOLTERS KLUWERS FRANCE à payer à la SAS FORSETI les sommes suivantes :
> 50.000 euros pour procédure abusive,
> 125.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Déboute FORSETI de sa demande en dommages-intérêts pour dénigrement :
– Condamne in solidum les sociétés SAS ÉDITIONS DALLOZ, SA LEXBASE, SA LEXISNEXIS, SA LEXTENSO et SAS WOLTERS KLUWERS FRANCE aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 144,94€ dont 23,94€ de TVA ;
– Rappelle que l’exécution provisoire est de droit.

En application des dispositions de l’article 871 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 24 juin 2022, en audience publique, devant Mme Nathalie Dostert, Présidente et Mme Dominique Entraygues et M. Jean-Pierre Junqua-Salanne, juges.
Un rapport oral a été présenté lors de cette audience.
Délibéré le 27 janvier 2023 par Mme Nathalie Dostert, Mme Dominique Entraygues et M. Jean-Pierre Junqua-Salanne.
Dit que le présent jugement est prononcé par sa mise à disposition au greffe de ce tribunal, les parties en ayant été préalablement avisées lors des débats dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.

 

Le Tribunal : Nathalie Dostert (présidente du délibéré), Dominique Entraygues et Jean-Pierre Junqua-Salanne (juges), Dalila Bachtarzi (greffier).

Avocats : Me Christophe Caron, Me Sébastien Proust, Me Nicole Delay-Peuch

Source : Legalis.net

 
 

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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.